vendredi 8 juillet 2016

La question du point de vue (1)

Pendant l’écriture du premier jet de Brûler à Black Rock, un problème récurrent auquel j’ai été confronté concernait le point de vue narratif. Alors, ça vous rappelle quelque chose ? Normalement oui, des souvenirs du collège. Bon oui, je sais, ça peut commencer à dater ! Okay, un petit récapitulatif s’impose avant de continuer… Dans cet article, en guise de préambule, quelques petits rappels sur le sujet.

1 - Le point de vue narratif OMINISCIENT

Comme son nom l’indique, ce point de vue largement représenté dans la littérature est celui qui met l’auteur dans le rôle de DIEU ! Ni plus ni moins ! On est comme ça nous autres hein les auteurs, on se prend pour Dieu, non mais je te jure, quelle outrecuidance !

Dans le point de vue narratif omniscient, le narrateur voit tout et sait tout des actes et des pensées de tous les personnages. L’auteur est donc installé dans un fauteuil Chesterfield, pieds nus sur un parquet chauffant, avec un verre de single malt écossais et la vue qui domine les falaises déchirées d’un coin perdu d’un isthme de l'île de Skye, avec un phare abandonné et en contrebas le flux des vagues. Bon, je m’égare mais voilà quoi ressemble un coin de paradis pour moi.

C’est facile le point de vue omniscient, pour l’auteur. Comme il est dieu, le lecteur ne le remet pas en cause – on ne remet pas en cause Dieu, voyons ! Et puis comme l’auteur sait tout, il peut analyser les sentiments et les sensations de tous ses personnages. C’est très efficace pour l’auteur quand il y a de nombreux personnages ou des mondes très riches.

En revanche pour le lecteur, il n’y a pas beaucoup de choses à faire. Il est livré pieds et poings liés au message que souhaite faire passer le narrateur. Il est réduit à supporter l’analyse du caractère d’un personnage et ne peut pas se faire sa propre idée. Et pendant que l’auteur boit son malt en tapant sur le clavier de son ordinateur au-dessus de l’océan, calme et détendu, le lecteur se retrouve debout dans le métro, collé serré contre des bataillons d’autres voyageurs direction le bureau un lundi matin. Enfin bon j’exagère un poil, mais c’est pour la frime.

Source: It’s all in your point of view! - NARA — 535233,
National Archives and records Administration, Wikimedia

2 - Le point de vue narratif INTERNE

Ici, le narrateur s'entend comme larron en foire avec un personnage en particulier. Tout ce qui arrive dans le récit est uniquement vu à travers les yeux de ce personnage. 
Le narrateur ne sait donc pas ce qu'il se passe dans les têtes des autres personnages de l'histoire. Tout ce qui touche les émotions et le ressenti de ces autres protagonistes lui reste inconnu et donc non décrit. Ce qui ne facilite pas le boulot de l'auteur en cas d'intrigues un peu complexes. Les événements étant rapportés à travers les yeux de ce personnage là, ils sont donc déformés par son prisme. Il n'y a pas d'objectivé ! 

Pour le lecteur, c'est en revanche un peu plus intéressant que le point de vue narratif omniscient. En se concentrant sur un personnage, le narrateur permet à son lecteur d'être plongé dans la tête de celui-ci. Et la vision subjective qu'en fait l'auteur permet au lecteur de se faire sa propre idée de façon bien plus riche. A vrai dire, en tant que lecteur, c'est le point de vue que je préfère. Attention, ne pas assimiler ce point de vue à l'autobiographie. Le narrateur qui dit JE ça n'a rien à voir avec l'autobiographie réelle ou romancée; il s'agit bien de deux points différents. 

3 - Le point de vue narratif EXTERNE

Pour le point de vue externe, à mes yeux, il s'agit d'un légiste en train d'enregistrer un rapport d'autopsie. Bon d'accord, dit comme ça, ça ne donne pas très envie. 
Le narrateur rapporte un récit d'une façon totalement neutre et objective. Il demeure en dehors de tout jugement et de toute interprétation des actes ou des pensées des personnages de l'histoire. Il ne donne aucune information intime ou personnelle au sujet des protagonistes.

Compte tenu de la nature même de ce point de vue, il est compliqué pour l'auteur de creuser la psychologie de ses personnages. Finalement, il n'y a que les dialogues qui peuvent y parvenir avec efficacité. Ou bien à recourir à des procédés tels qu'un journal lu par un protagoniste. Mais ce sera toujours dans des zones à distance du récit du narrateur. 
En revanche le lecteur est laissé complètement libre d'imaginer à sa guise les réactions, les caractères des personnages ainsi que tout ce qui les constitue.
Les romans écrits avec un point de vue externe sont plus rares mais lorsqu'ils sont réussis, ce sont souvent de véritables pépites (Des souris et des hommes de Steinbeck!)

Maintenant que ces petits rappels sont faits, le prochain article de cette série sera consacré aux problèmes pratiques que j'ai rencontrés à ce sujet dans l'écriture de Brûler à Black Rock (et que je n'ai pas encore résolus à 100%!)

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