mardi 21 février 2017

L'humeur... du 21 février

Ce n'est pas une chose facile que d'écrire un livre. Ni même d'assumer le choix que l'on a fait de se lancer dans cette activité plutôt que dans la pêche à la mouche ou dans la randonnée pédestre. Comme toute activité, elle nécessite du temps, beaucoup de temps, afin de parvenir à en faire quelque chose d'à peu près convenable. Je ne parle pas de l'opinion des lecteurs, mais de celle de l'auteur lui-même, de l'avis détaché qu'il parvient à poser sur son travail. Il faut du temps et de la régularité pour construire des routines d'écriture et poser une approche rationnelle et compréhensible d'un processus créatif par essence impalpable.
Au fur et à mesure que le temps passe et comme les années s'ajoutent au compteur, je réalise que mes certitudes s'effritent et qu'il ne reste plus grand chose de tangible dans ce grand foutoir qu'est l'existence. Sauf l'écriture, compagne fidèle qui m'accompagne depuis mes neuf ans et mes premiers récits sur des cahiers d'écolier lorsque je peuplais ces moments de solitude que j'aimais déjà tant. Comme beaucoup d'auteurs qui écrivent ce qu'ils n'ont pas la chance / force / possibilité / croyance de pouvoir vivre, l'écriture est une bouée de sauvetage, une bonbonne d'oxygène et un repère. 
En revanche, il faut savoir accepter que les contingences de la vie matérielle restent toujours plus fortes que les aspirations créatrices qui nous animent.

Difficile de concilier le métro boulot dodo qui ponctionne à lui seul 18 ou 19 heures sur les 24 du quotidien avec l'investissement que réclame l'écriture d'un livre. Compliqué aussi pour l'entourage de le comprendre. D'autant plus que pour écrire correctement, il faut avoir l'esprit disponible. L'expérience aidant, on apprend à optimiser toute parcelle d'horloge libre pour produire. Mais le temps n'est qu'une convention somme toute arbitraire qui ne tient pas un round face à la disponibilité du cerveau. Bref, pour écrire de façon convenable, à fortiori un livre, il faut avoir l'esprit disponible. 
Ce qui n'est pas le cas en ce moment. Il m'a fallu quatre jours pour boucler le chapitre 26 (sur 30) du second jet du projet MANX, là où en temps normal il me faut deux jours. Et je n'ai pas attaqué le chapitre 27, cramant une journée complète, certainement une seconde aujourd'hui... Rien de grave, juste le sale goût de perdre du temps dans des trivialités alimentaires absurdes et pesantes. 

jeudi 16 février 2017

MANX : Journal de bord - Semaines 21&22

Cet article fait partie de la série "MANX: Journal de bord" qui se propose de suivre de façon hebdomadaire l'écriture de mon nouveau roman depuis les premières prises de notes jusqu'à l'impression du livre dans... plusieurs mois :) Article précédent : Journal de bord (19&20)

Phase 7 - Le second jet : Semaines 5 et 6

Il avance plutôt bien ce second jet. Alors oui, c'est vrai, de façon un peu anarchique. Je profite de chaque parcelle de temps grignotée aux affres du quotidien pour me retrouver en tête à tête avec mon Macbook. Riche idée d'ailleurs d'avoir investi dans un portable car l'iMac de bureau est souvent squatté par la famille. Je peux également me laisser aller le soir à écrire depuis mon lit, ce qui n'est pas inconfortable du tout. Il m'arrive aussi d'écrire dans le train pour aller au boulot, sur un coin de table ou même dans une salle d'attente. Ceux qui prêchent pour un espace dédié à l'écriture, un lieu sanctifié où l'auteur doit s'isoler et se retrouver dans une sorte de transe créatrice en seront pour leurs frais. Je peux écrire partout, à n'importe quelle heure du jour et (surtout) de la nuit.
Alors, en pratique, la qualité n'est pas toujours au rendez-vous mais l'avantage d'avoir préparé en amont un synopsis assez détaillé me permet de savoir de quoi je veux parler dans chaque chapitre. Je n'ai alors qu'à me concentrer sur la façon dont je souhaite ordonnancer les idées. La construction des phrases, leur polissage interviendra à la toute fin, donc pour l'instant je ne m'attache pas à faire joli. Même si parfois il y a quelques inspirations qui ne me semblent pas trop dégueulasses, sur le moment, à voir plus tard à la relecture à tête reposée. 

Bref, ces deux semaines ont permis d'avancer et d'attaquer la troisième et dernière partie du livre (une partie faisant grosso modo dix chapitres). En ce 13 février, j'ai donc terminé le chapitre 24. Le fait de voir que le récit progresse et que l'intrigue est sur le point de basculer reste une source de motivation à nulle autre pareille. Je sens que la fin du second jet approche et je vais profiter d'une semaine de vacances pour le boucler. Et même si je sais que je trouverai sûrement tout cela un peu faible à la relecture, je constate que la régularité à laquelle je m'astreins depuis l'écriture de "Brûler à Black Rock" porte ses fruits. Tout coule de manière plus fluide, plus simple. C'est un plaisir de le vivre et aussi un plaisir de pouvoir en faire le constat. 

mardi 14 février 2017

Lecture : Emmanuel Carrère - La classe de neige

"La classe de neige" est le roman par lequel Emmanuel Carrère s'est imposé au grand public en 1995, raflant le Prix Femina de cette année-là. Succès populaire, adapté au cinéma, il est curieux de constater que suite à ce livre-là, Carrère n'a plus jamais écrit de nouveau roman, choisissant la voie du récit comme il s'en est expliqué à de multiples reprises. 

A partir d'un environnement tout à fait classique et connu, la classe de neige, Carrère construit un scénario piquant et captivant. On aimera ou non son style sans fioriture mais déjà proche du ton journalistique qui marquera ses récits suivants. On appréciera ou pas la brièveté de ce roman qui semble parfois trop bien ficelé à tel point qu'arrivé à la fin, on a l'impression de s'être fait endormir et de n'avoir rien vu venir. Ou pas. J'ai trouvé la plongée dans l'histoire très finement rapportée par un auteur qui maîtrise son sujet sans paraître le montrer. L'univers de l'enfance y apparaît sous des couleurs décharnées et sombres, différentes de ceux à quoi le titre d'apparence espiègle laisse penser. Et tout cela fonctionne à merveille, Carrère a placé ses chausse trappes de manière efficace, le lecteur n'a pas d'autre solution que de se faire absorber. 

On se retrouve à la fois pressé de connaître la vérité de cette histoire de disparition d'enfant et à la fois inquiet de comprendre que l'on a découvert la réalité et le drame derrière tout cela. Le personnage principal de l'enfant parlera à tous ceux qui n'ont pas oublié leurs propres doutes d'individu solitaire devant composer avec l'apprentissage de la collectivité. 
Court roman à l'ambiance grisâtre comme un jour de neige sans soleil, ce roman est maîtrisé de bout en bout. S'appuyant sur des ressorts classiques mais toujours efficaces, Carrère ne révolutionne rien, n'invente pas grand chose mais il fait prendre tous les ingrédients de la fiction réussie avec beaucoup de doigté. 

Extrait : La plupart des élèves déjeunaient habituellement à la cantine, mais pas Nicolas. Sa mère venait le chercher ainsi que son petit frère, encore à l’école maternelle, et ils prenaient tous trois le repas à la maison. Leur père disait qu’ils avaient beaucoup de chance et que leurs camarades étaient à plaindre de fréquenter la cantine, où l’on mangeait mal et où survenaient souvent des bagarres. Nicolas pensait comme son père, et si on le lui demandait se déclarait heureux d’échapper à la mauvaise nourriture et aux bagarres. Cependant, il se rendait compte que les liens les plus forts entre ses camarades s’établissaient surtout entre midi et deux heures, à la cantine et dans le préau où on vaquait après le repas. Pendant son absence, on s’était envoyé des petits suisses à la figure, on avait été puni par les surveillants, on avait conclu des alliances et chaque fois, quand sa mère le ramenait, c’était comme s’il avait été nouveau et devait reprendre à zéro les relations nouées le matin. Personne à part lui n’en gardait le souvenir : trop de choses s’étaient passées durant les deux heures de cantine. 

Emmanuel Carrère - La classe de neige, Editions POL . 176 pages, 13 €.

vendredi 10 février 2017

Richard se rapproche


L'énorme pavé "C'est tout ce que j'ai à déclarer" que j'ai reçu à Noël et qui reprend pour la première fois dans le monde l'intégralité de l'oeuvre poétique de Richard Brautigan - qui plus est en version bilingue - me fait de l'oeil. Je vais bientôt m'y atteler (le temps de finir la relecture d'un autre Brautigan).
Pour patienter, je partage extrait d'un poème publié dans une précédente édition incomplète mais déjà chez le pertinent Castor Astral.


Je vais me coucher à Los Angeles en pensant à toi.
Lorsque je pissais il y a quelques instants
j’ai contemplé mon pénis avec affection.
Je sais qu’il a été en toi
deux fois aujourd’hui 
et du coup je me sens très beau.

Richard Brautigan ~ Il pleut en amour © Le Castor Astral

jeudi 9 février 2017

C'est quoi le "dirty realism" ?

Les étiquettes ça colle aux doigts et aussi au cerveau. Mais ça permet parfois des trucs utiles, comme de donner de la consistance à des concepts ou des impressions impalpables. 
L'étiquette "Dirty realism" est réputée comme ayant apparu au début des années 80, en 1983 plus précisément, née de la plume de Bill Buford qui fut éditeur de la revue littéraire Granta pendant seize ans. L'idée derrière l'étiquette était de désigner une nouvelle forme de littérature ou tout au moins une forme de littérature qui prenait de l'ampleur en Amérique à cette période. Une littérature utilisant une langue simple, débarrassée de certains tics de style ampoulé, et qui met l'accent sur les vies ordinaires des classes moyennes et basses de la société.
Voilà comment Buford introduisit cette idée en 1983 dans le magazine : 
"Dirty realism is the fiction of a new generation of American authors. They write about the belly-side of contemporary life – a deserted husband, an unwed mother, a car thief, a pickpocket, a drug addict – but they write about it with a disturbing detachment, at times verging on comedy. Understated, ironic, sometimes savage, but insistently compassionate, these stories constitute a new voice in fiction".
Comme toute tentative de classification, celle-ci atteint vite ses limites puisque par définition l'esprit d'un auteur échappe à toute tentative de catégorisation et c'est heureux. Nous ne sommes pas des lapins qu'on enferme dans des clapiers. Toutefois je constate que ma bibliothèque regorge d'ouvrages qui peuvent être apparentés à cette étiquette et qu'il s'agit souvent des livres dont je garde les meilleurs souvenirs et que j'ai plusieurs fois relus pour certains. En tant qu'auteur, c'est aussi ce genre qui m'attire et dans lequel je me sens le plus à l'aise pour raconter une histoire. Même si on ne pense pas du tout à tout cela quand on écrit. Parce qu'écrire un roman, c'est à la fois la chose la plus simple et la plus compliquée qui soit. 

Parmi les auteurs catalogués (donc avec tout l'arbitraire que cela comporte) comme ayant des liens avec le dirty realism et les plus célèbres, citons Raymond Carver, Richard Ford, Tobias Wolff, Larry Brown, Cormac McCarthy, John Fante, Dan Fante, Charles Bukowski, Chuck Palahniuk, Mark Safranko. Une tripotée d'excellents auteurs dont la plupart débordent des étagères de ma bibliothèque.

mercredi 8 février 2017

Lecture : John King - Football Factoy

Le football... On ne peut vraiment pas dire que je sois fan de ce sport joué par des manchots pré-pubères dont les agissements les rapprochent plus de la comedia dell'arte que de ce que j'appelle du sport. Et je ne parle bien entendu pas des hordes écumantes (Desproges quand tu nous tiens...) qui s'en donnent à cœur joie dans les travées des stades pour hurler leur haine de l'autre parce qu'il porte un maillot d'une couleur différente mais qui le dimanche vont voter pour faire leur devoir républicain et faire barrage aux racistes du FN. Ah ah ah cherchez l'erreur. Bon ceci étant dit, je ne suis pas sectaire non plus et il peut m'arriver de lire un bouquin dont le thème principal est... le football ! 

John King est né en 1960 à Slough, grande ville située à 34 km au sud de Londres. En 1998 il écrit son premier roman, "Football factory" où il parle des sujets qui le passionnent : le football, la violence, le punk rock ; trois thèmes qui deviennent de la TNT lorsqu'ils sont associés. 
Ce bouquin donc, est celui qui fait connaitre son auteur et qui lui a permis de lancer une carrière de romancier qui compte à ce jour six bouquins supplémentaires. King a exploité un filon qu'il maîtrise et dont les seuls titres de ses romans donnent un aperçu : "Skinheads", "White Trash", "Human Punk" ou encore "La meute". Amateurs de poésies sucrées passez votre chemin, avec John King, on boit de la bière frelatée, on se chauffe entre mecs et on se met des grandes tartes dans la gueule si on dit du mal du club de Chelsea. Et... c'est à peu près tout. 
Alors oui c'est efficace, on sent le goût du sang des bastons entre supporters, on a même le goût de la bière brune du pub le soir, et on ressent la peur lorsqu'on tombe dans un guet-apens tendu par les hordes d'en face. On a même l'impression d'être assis avec le narrateur sur une de ces banquettes en skaï d'un pub crado de seconde zone après quelques bières, quand la vision se trouble et qu'il faut parler à la nana libidineuse maquillée comme une voiture volée à qui il fait du gringue depuis une heure en espérant ne pas rentrer seul. 
Alors oui c'est du brutal et ça sonne juste. Mais après plusieurs chapitres, l'effet nouveauté passée, le bouquin a tendance à se répéter. Faut dire que hurler sa haine de l'autre en célébrant Chelsea et en insultant les flics, on en a vite fait le tour. Les successions de bastons ont tendance à étaler un peu trop la sauce. Il est un peu dommage que l'auteur ne prenne pas un peu ses distances avec le récit brut et ne se sorte pas un peu plus du premier niveau de lecture. Mais pris pour ce qu'il est, ce bouquin est d'une efficacité brute et totale. Comme son propos.

Extraits
"Dérouiller un mec à mort, c’est le plaisir pur. Les oreilles qui bourdonnent. On peut bien déguiser la violence comme on veut, mais c’est toujours la violence. Pourquoi faire semblant, pourquoi justifier ses actes ? Toutes ces têtes de nœud, avec leurs histoires de politique et d’atteinte à la morale, se fourrent le doigt dans le cul. Des mecs de Cardiff que l’on course dans Fulham Road, et à qui Chelsea colle une branlée, c’est ça la vie.

"- Je suis marié, mon pote. Et une fois que tu as passé la bague au doigt d’une bonne femme, on n’a plus rien à te demander. Quand tu te maries, peu importe ce que tu peux bien faire de ton corps. C’est pour mon esprit que Mandy m’aime.
- Quel esprit ? Le peu d’esprit que tu as, il est coincé entre tes jambes.
- Et celui-là, je l’entretiens. Quinze fois par nuit, réglé comme une horloge. Je suis une machine à baiser. Même bourré de bière, je la baise dur comme un bâton. Quinze fois par nuit, chaque nuit, sans exception.
- Disons plutôt une fois par mois. Enfin, une fois par mois avec Mandy. Parce qu’en douce, tu es un fils de pute."

John King - Football Factory, Editions de l'Olivier . 368 pages, 20 €.

mardi 7 février 2017

Lecture : Richard Brautigan - L'avortement

L'avantage, quand on a découvert un auteur que l'on apprécie particulièrement, c'est que l'on peut décider de lire toute sa production.
L'inconvénient, quand on a découvert un auteur que l'on apprécie particulièrement et dont on a décidé de lire toute la production, c'est qu'il arrive un moment où on a tout lu. Et même relu parfois. Souvent même. Et du coup, la filière s'épuise de façon irrémédiable. Alors, on se met parfois à écrire à son tour, parce qu'on ne trouve plus ce ton, ce style, cet univers qui nous plaisait tant. Parce que des Brautigan, on n'en rencontre pas tous les jours. 

"L'avortement" a été écrit en 1971 et reste un (court) roman très connu de son auteur par l'idée qu'il y développe de cette bibliothèque imaginaire qui accepterait de mettre en rayons tous les manuscrits refusés ailleurs. Récemment encore, David Foenkinos a repris cette idée dans son roman "Le mystère Henri Pick" paru chez Gallimard. 
Mais cette idée, toute excellente qu'elle soit, ne constitue pas le seul intérêt de ce roman de Brautigan qui fait partie des derniers ouvrages de l'auteur que je n'avais pas encore lu. On y retrouve le style poétique à nul autre pareil de l'écrivain américain, ses métaphores décalées et pleines de sons et de lumières. 
Les femmes, grande obsession de Brautigan, sont bien sûr très présentes, une femme en particulier, belle à en faire mourir d'émoi bien des hommes, mais qui pourtant choisi ce petit bibliothécaire et qui va même tomber enceinte. Le titre du roman révèle bien sûr l'intrigue de l'histoire mais en aucun cas la poésie, les trésors d'inventivité syntaxique et de situation que l'auteur sait mettre en oeuvre. Fragilité des êtres, sensibilité de leurs relations, tendresse pour les personnalités décalées : la patte Brautigan fait toujours recette. 
Bon je vous l'accorde, je suis fan de l'auteur donc mon avis est forcément orienté. 

Extraits : 
"Les toilettes étaient si élégantes que j'avais l'impression que j'aurai du me mettre en smoking pour pour pisser un coup".
"C'est une décision difficile à prendre, s'il faut commencer une fille par le haut ou par le bas."
" Il fallait que je prenne ce corps étendu devant moi et que j’enlève ses vêtements de manière que nous puissions joindre nos corps comme un pont au-dessus d’un abîme."

Richard Brautigan, L'avortement, Points, 192 pages. 6,5 €