dimanche 6 août 2017

Lecture : Jim Harrison - De Marquette à Veracruz

Plus le temps passe, plus je lis des articles, des romans, des livres sur ou de Jim Harrison, plus j'acquiers l'intime conviction du talent de cet auteur et de l'insoumission de cet homme. 
Avec "De Marquette à Veracruz" c'est un voyage littéraire à nul autre pareil auquel nous invite l'écrivain du Michigan. Certains auteurs nous racontent des histoires, lui nous raconte la vie. Avec l'air de rien, des paragraphes qui se succèdent souvent sans trame narrative très claire ni très structurée, un amalgame de sensations, de descriptions, d'actions, de réflexions qui mis bout à bout forment un bouquin. Et dans le cas de ce livre, un sacré bouquin !

Quatrième de couverture : David Burkett, quatrième du nom, est l'héritier d'une famille lourde à porter, responsable du déboisage sauvage du Michigan. Entre une mère alcoolique et un père cynique, prédateur sexuel, David s'exile, en quête d'expiation. Dans le décor lyrique des grandes plaines, son parcours initiatique est marqué par la tragédie familiale et la beauté des femmes... 

Ce roman est d'une puissance rarement atteinte. Le lecteur que je suis s'est délecté, l'auteur que j'essaye d'être a eu la sensation qu'il valait mieux ranger les stylos une bonne fois pour toutes. Car Big Jim atteint dans ce roman écrit en 2004 le summum de son art. Tout y est. L'émancipation douloureuse d'un fils envers son père, la culpabilité et la trahison, les remords d'un courage dont on n'a pas su faire preuve, l'agression de l'homme sur la nature au nom du profit financier, la fierté, la sauvagerie de l'homme, les pulsions qui nous font dévier, les névroses de chacun et nos efforts pour continuer à vivre, notre rapport au monde animal... Big Jim fait preuve d'une maîtrise inouïe dans ce roman violent et sauvage, orageux et puissant. Ses personnages sont campés avec une force peu ordinaire et le lecteur est aspiré par ses mots agencés avec talent, traduits avec passion par un Brice Matthieussent inspiré. Son héros, David Burkett est à la fois irritant de passivité et attachant de vie. Il est une parabole parfaite des manquements de chacun d'entre nous mais aussi de ce qui rend l'être humain vivant, de ces errements entre l'éducation reçue et le chemin individuel que chacun cherche à tracer. Entre les valeurs reçues et ses aspirations profondes. De tous ces mouvements d'araignée à l'intérieur de nos toiles cérébrales qui nous empêchent d'être apaisé : "Si tu refuses de mettre au monde ce qui est en toi, ce que tu ne mets pas au monde te détruiras."

Extrait : "Glacé jusqu'aux os et épuisé, j'ai rejoint ma chambre de motel, j'ai installé un fauteuil près de la fenêtre, puis je me suis endormi en regardant la blancheur effrayante du monde. Il s'agissait de toute évidence d'une toile vierge sur laquelle on pouvait peindre son existence si l'envie vous en prenait. Juste avant de sombrer, je me suis imaginé assis à la fenêtre du chalet et j'ai peint ce qui l'intérieur de ce qui serait mon chalet, y compris la fenêtre de devant d'où les seules choses visibles était le lac Supérieur et la ligne d'horizon, mais me tracassait cette idée de Fred selon laquelle en tant que chrétien putatif je devais apprendre à fonctionner dans le monde avant d'avoir le droit de m'en absenter."

Jim Harrison - De Marquette à Veracruz, Christian Bourgois, 492 pages, 25 €
Traduction : Brice Matthieussent

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