lundi 29 avril 2019

Le poème du... 29 Avril


"Ma vie

Tu t'en vas sans moi, ma vie.
Tu roules,
Et moi j'attends encore de faire un pas.
Tu portes ailleurs la bataille.
Tu me désertes ainsi.
Je ne t'ai jamais suivie.

Je ne vois pas clair dans tes offres.
Le petit peu que je veux, jamais tu ne l'apportes.
A cause de ce manque, j'aspire à tant.
A tant de choses, à presque l'infini...
A cause de ce peu qui manque, que jamais tu n'apportes."


Henri Michaux - La nuit remue (Gallimard)

vendredi 26 avril 2019

Le poème du... 26 Avril

"Dimanche

Entre les rangées d’arbres de l’avenue des Gobelins
Une statue de marbre me conduit par la main
Aujourd’hui c’est dimanche les cinémas sont pleins
Les oiseaux dans les branches regardent les humains
Et la statue m’embrasse mais personne ne nous voit
Sauf un enfant aveugle qui nous montre du doigt."


Jacques Prévert - Paroles (Folio)

mercredi 24 avril 2019

La citation du... 24 Avril


"Une fois sobre, faut toujours faire ce qu'on a dit qu'on ferait quand on était bourré. 

C'est comme ça qu'on apprend à fermer sa gueule.


Benjamin Whitmer - Pike (Gallmeister)

lundi 22 avril 2019

L'extrait du... 22 avril

"Mon beau-père avait été placé sur un tabouret d'une dizaine de centimètres. La corde lui avait été passée autour du cou et tendue fermement autour d'une branche de pommier en bourgeons. Le tabouret lui avait été ensuite retiré d'un coup de pied. il avait pu danser sur la pointe des pieds pendant qu'il s'étranglait.
Bien fait ?
Il avait été ranimé huit fois et pendu neuf.
Ce n'est qu'après la huitième pendaison que c'était envolé ce qui lui restait de courage et de dignité. ce n'est qu'après la huitième pendaison qu'il s'était comporté comme un enfant martyrisé."


Kurt Vonnegut - Nuit mère (Gallmeister)

vendredi 19 avril 2019

La citation du... 19 avril




"Un poème est aussi difficile à tendre qu'un pont suspendu. 

Ils aident les gens à traverser.


 David Fauquemberg - Bluff (Folio)

jeudi 18 avril 2019

Lecture : Emily Fridlund - Une histoire des loups

Ce bouquin publié aux éditions Gallmeister constitue une preuve de plus que la présence d'un bandeau publicitaire sur un livre relève le plus souvent de la publicité mensongère. Ce n'est pas nouveau, j'aime les éditions "à la patte de loup" ; autant pour le genre des bouquins qu'on y trouve (littérature contemporaine américaine, noire ou naturaliste) que pour la maquette de la collection de poche Totem. Même si, c'est vrai je préférais l'ancienne maquette qui présentait une unité graphique  à la fois plus franche et plus originale avec ses couvertures blanches; et aussi qui utilisait un corps plus lisible à l'intérieur des pages. 
Je m'égare - de Brest. 

Emily Fridlund signe avec "Une histoire des loups" un premier roman qui met en scène une famille étrange vivant près d'un lac et qu'observe depuis l'autre rive, à la jumelle, Madeline. 
Très vite on comprend qu'un problème grave va survenir, sans savoir qui il va toucher, et comment. Assez tôt dans l'histoire on apprend que  plus tard, Madeline va être entendue par des enquêteurs. Tout l'enjeu du bouquin tient donc dans la découverte de la nature du drame qui va se jouer sous les yeux du lecteur. Alors oui, c'est vrai, l'attention de ce dernier est captée de manière efficace. Mais j'ai trouvé que le bouquin patinait dans la marmelade et peinait à décoller. On est loin de l'ambiance envoûtante vantée par le bandeau rouge apposé sur le livre pour faire vendre. Le fil narratif se décompose très vite, élimé par les allers retours maladroits entre présent (un drame a eu lieu) et le passé (un drame va se produire).
Reste l'univers, ce coin paumé dans la ruralité du Minnesota, et quelques personnages qui sont réussis. Alors oui ça ne fait pas tout mais pour un premier roman, c'est déjà pas si mal... 

Extrait : 

Emily Fridlund - Une histoire des loups (Gallmeister) 304 pages, 9.4 €

mardi 16 avril 2019

L'extrait du... 16 avril


"Avant de faire l'amour, elle éteint la lumière. Nous n'avons plus besoin de voir nos corps. Nous les imaginons dans l'obscurité. Des corps qui sont nôtres, pas ces silhouettes abîmées dont nous nous éloignons quand nous en apercevons par accident le reflet dans le miroir de la salle de bains. Le toucher est un regard plus indulgent, beaucoup d'années lui échappent et grâce à lui dans le noir nous avons toujours vingt-cinq, trente, cinquante ans peut-être mais pas un de ces nombres qui font peur et renvoie l'image de vies usées jusqu'à la trame."

Régis Jauffret - Microfictions 2018 (Gallimard)

lundi 15 avril 2019

Lecture : Aleksandra Lun - Les palimpsestes

Parfois on choisit de lire certains bouquins pour des raisons pas très naturelles. En ce qui concerne ce petit bouquin iconoclaste, c'est lors d'un de mes footings au cours desquels j'écoute toujours un podcast d'émissions littéraires, que j'ai décidé de tenter le coup. Bon alors c'est vrai, "tenter le coup" de lire un bouquin, ce n'est pas un coup de poker qui engage sa vie ou sa fortune. 

"Les palimpsestes" c'est un ovni littéraire, un bouquin sans étiquette, inclassable et qui s'éparpille dans toutes les directions. C'est l'histoire d'un vétérinaire, écrivain raté par ailleurs, qui se retrouve interné dans un hôpital psychiatrique de Liège. Au cours de cet enfermement, le personnage se pose des questions sur sa condition d'écrivain raté, sa condition de vétérinaire, la persistance de la ville de Liège dans le temps... Et surtout il va rencontrer des tas de personnages connus et réels de la littérature mondiale. L'occasion pour l'autrice de célébrer la littérature et des auteurs tels que Nabokov, Hemingway, Ionesco... Car on sent que c'est bien là l'objectif principal d'Aleksandra Lun de ce court livre : célébrer les grands écrivains qui l'ont - on s'en doute - influencé ou du moins encouragé à se lancer elle-même dans l'écriture.

Dans les couloirs de cet hôpital psychiatrique, on croise donc pas mal de personnages célèbres qui ont tourné du chapeau. On y lit également un grand nombre d'anecdotes plus ou moins véridiques sur la vie de ces écrivains, dans un style sans complexe, jamais étouffé par l'ampleur de l'hommage qui est rendu. Car il s'agit bien de cela : c'est un bouquin hommage qui dilate les frontières de la géographie comme du récit. Et le personnage principal de cet écrivain vétérinaire est un héritier à peine masqué des mondes de Kafka. Pour écrire un tel livre, l'autrice ne pouvait pas mieux choisir comme influence. 

Extrait
"Je m'appelle Czeslaw Przesnicki, je suis un misérable immigrant d'Europe de l'Est et un écrivain raté, il y a longtemps que je n'ai plus de relations sexuelles […]. Je précise que l'État qui m'a délivré mon passeport est la Pologne, le pays des papes globe-trotteurs, du froid et des héros de guerre musclés parmi lesquels, toute hypocrisie mise à part, je ne me compte pas. J'ai le corps flasque et le cheveu rare, je suis d'un naturel soumis et, dans son ensemble, ma personne pusillanime est loin d'exercer une quelconque force d'attraction sur les représentants sains du sexe masculin, que ce soit en régime totalitaire ou en démocratie."

vendredi 12 avril 2019

L'extrait du... 12 Avril

Un extrait directement tiré de ma lecture de ces jours-ci, un bouquin terriblement intimiste sans jamais être larmoyant sur le deuil de l'être aimé. Impression de lecture à suivre très bientôt...

"J'ai retrouvé tes lunettes que tu égarais toujours, un peu volontairement. Tu n'aimais pas les mettre, certainement pour faire croire que tu étais encore un peu jeune. 

J'ai pris tes lunettes et je les ai mises, je voulais savoir ce que tu voyais. Et j'ai regardé le monde à ta façon. La réalité à travers tes lunettes est moins hostile, le monde est plus rose, plus doux, les gens sourient.

Je me demande si je ne vais pas les garder."

Jean-Louis Fournier, Veuf (Stock)

jeudi 11 avril 2019

L'extrait du... 11 Avril

Norman MacLean (USA, 1902-1990) n'a pas écrit énormément de livres. Il a avant tout été, pendant près de cinq décennies, un professeur d'université qui s'est spécialisé dans l'enseignement des poètes romantiques et de Shakespeare.
Il est connu pour être l'auteur d'une nouvelle qui a été adaptée à Hollywood sous le titre "Et au milieu coule une rivière" (Robert Redford) .
Classé - à tort, car les classements sont toujours approximatifs, incorrects et injustes - dans la catégorie des écrivains de "L'école du Montana", on le rattache à ce mouvement du Nature Writing qui fait des émules de l'autre côté de l'Atlantique depuis Henry David Thoreau. 
Durant trois étés entre 1919 et 1921, Norman MacLean alors tout jeune homme, a travaillé au service des forêts fédéral. Il en a rapporté un récit naturaliste et témoignage qui a été publié en France chez Rivages (Montana 1919). Bouquin certes parfois un peu évanescent mais qui ménage des passages très poétiques sur la puissance de la nature. Un livre qui doit, comme beaucoup d'autres, être lu au bon moment, et dont voici un extrait : 

"Quand un feu prenait de l’ampleur, ce que faisait le Service des Eaux et Forêts, c’était de recruter une centaine de cloches ramassées dans les rues de Butte ou de Spokane pour trente cents de l’heure (quarante-cinq cents pour les sous-chefs), et de les expédier jusqu’au terminus d’une ligne secondaire. A partir de là, il fallait encore qu’ils fassent à pied les cinquante ou soixante kilomètres restants pour franchir la « muraille ». Le temps qu’ils arrivent sur les lieux, le feu avait gagné l’ensemble de la carte, et il avait escaladé la cime des arbres. Tout ce qu’il y avait à dire là-dessus, c’est un aspirant garde forestier qui l’avait dit le jour de son examen, il y a bien longtemps de ça. 

Même de son temps, il est entré dans la légende. Quand on lui avait posé la question : « Quand l’incendie gagne la cime des arbres, qu’est-ce que vous faites ? », il avait répondu : « Je me mets à l’abri, et je prie le ciel pour qu’il pleuve."

mercredi 10 avril 2019

Lecture : Douglas Kennedy - L'homme qui voulait vivre sa vie

En Février, Douglas Kennedy m'ennuyait pas mal avec "La poursuite du bonheur". Je pensais même ne pas relire un de ses bouquins de si tôt. Finalement j'ai retenté ma chance le mois suivant avec "L'homme qui voulait vivre sa vie". 

Ce bouquin écrit en 1997 réussit davantage à embarquer le lecteur. L'écriture m'a paru plus fluide et l'intrigue est suffisamment prenante pour que l'on s'y intéresse dès le début. La période d'initialisation pendant laquelle l'esprit du lecteur se plonge dans l'histoire est en effet très rapide et facilite l'immersion. D'autant plus que ce personnage d'avocat richissime à la situation sociale confortable est plutôt intéressant. Tout le contraire de ce qui m'avait gêné dans la lecture de "La poursuite du bonheur", en somme. 

On sait dès le début que le personnage principal rêve d'un destin inassouvi de photographe, loin de l'ennui des plaidoiries de son métier d'avocat. Et le titre du bouquin suffit à donner des indications sur ce qu'il va arriver. Le vieux thème du personnage qui arrivé à un certain âge, se retourne sur son passé et se dit qu'il aurait peut être aimé avoir une vie différente, éculé et répandu... Pourtant Kennedy s'en sort bien. 
On se demande pendant tout le début de l'histoire quel est le climax qui va faire basculer la situation. Et une fois celui-ci arrivé, de manière peut être un peu forcée, on se demande comment les choses vont continuer pour lui. Jusqu'à l'arrivée d'un second climax qu'on n'attend pas forcément mais qui ne surprend pas non plus. Douglas Kennedy applique ici une méthode que l'on sent bien rodée et qui est enseignée dans tous les cours de creative writing aux USA... Parfois c'est efficace, comme ici. Parfois ça ne l'est pas. Et à défaut de faire un grand livre, ça fait un bon roman, et c'est déjà bien. 

Extrait
"Etonnant de constater que la vie n'est qu'une longue suite d'accumulations, la recherche permanente de moyens de combler l'espace, d'occuper le temps. Tout cela au nom du confort matériel, certes, mais surtout pour ne pas avoir à reconnaître qu'on ne fait que passer sur cette terre, qu'on la quittera bientôt sans autres biens que les habits dont sera revêtu notre cadavre. Amasser dans la seule intention de tromper le sort commun qu'est l'engloutissement à venir dans l'inconnu, de s'inventer un semblant de permanence, de croire à la solidité de ce que l'on a bâti."

Douglas Kennedy - L'homme qui voulait vivre sa vie (Pocket)

mardi 9 avril 2019

Lecture : David Foenkinos - Le mystère Henri Pick

Avant d'être un film, "Le mystère Henri Pick" fut un bouquin. C'est drôle. Je ne me tiens absolument pas au courant des sorties cinéma mais voilà un deuxième bouquin que je lis au moment même où une adaptation sort sur grand écran. Bref, il faut, semble t-il, croire en la patience des éléphants... 
En 2016, David Foenkinos publie ce roman qu'en temps normal je n'aurais peut être jamais lu. Car même si nous sommes nés la même année, Foenkinos et moi, je n'ai encore rien lu de cet homme-là. Sauf que, voilà : 
a) j'ai trouvé ce bouquin dans la bibliothèque de ma mère la dernière fois que je lui ai rendue visite.
b) le début de ce bouquin fait référence au projet de bibliothèque des manuscrits refusés tel que l'avait imaginé Richard Brautigan, un de mes auteurs totems. 
Or donc, l'addition de a) et de b) m'a conduit à emprunter ce livre et à l'ajouter à ma pile de lectures.

Reprenant l'idée de cette bibliothèque des manuscrits oubliés transposée à la Bretagne, Foenkinos imagine une intrigue autour d'un auteur mystérieux dont un éditeur retrouve un manuscrit inédit - forcément magnifique - et qui le publie - forcément avec succès. 
L'idée de base était belle. L'intention louable. Mais hélas le bouquin, pas désagréable au demeurant, rate la cible que j'en attendais. Je n'ai trouvé qu'une galerie de personnages plutôt fades placés dans une succession de situations classiques et sans grande surprise... Avec en prime quelques passages franchement mous, ennuyeux et écrits dans une totale absence de style. Là où j'espérais un bouquin décalé à la tendresse et à l'humour à cheval entre deux mondes, à la Brautigan quoi. Heureusement les chapitres courts permettent de continuer la lecture sans descendre avant la fin du trajet. Mais on ne peut s'empêcher d'être déçu à l'arrivée de la dernière page, comme on le serait devant un soufflé trop vite retombé, une promesse jamais honorée. Et quelques jours après la fin de cette lecture, j'ai racheté trois bouquins de Brautigan de la collection Titres chez Bourgois. Parce qu'on y revient toujours.  

Extrait
"Au bout d'un moment, elle pensa que ce serait une façon de le faire revivre. C'était finalement la seule idée qui comptait. On parlerait de lui, et il serait vivant à nouveau. C'est le privilège des artistes, entraver la mort en laissant des œuvres. 
(...)
C'est le privilège des artistes, entraver la mort en laissant des œuvres. Et si ce n'était que le début? Avait-il semé dans sa vie d'autres actes que l'on découvrirait plus tard. Il était peut-être de ces hommes qui prennent toute leur dimension dans l'absence."

lundi 8 avril 2019

L'extrait du... 8 Avril

"l'homme a besoin d'arrimer son savoir
mais il lui faut un espace vide
dans lequel se mouvoir

je vivais et marchais
comme jamais encore
devenais un peu plus qu'humain
connaissais une plus large identité

les traces de caribou sur la neige
le vol des oies sauvages
l'érable rouge à l'automne
mordu par le gel
tout me devint plus réel
plus réellement moi
que mon nom même"


Kenneth White - La route bleue (Grasset)

samedi 6 avril 2019

L'extrait du... 6 avril

"Sur une grande route,
il n’est pas rare de voir une vague,
une vague toute seule,

une vague à part de l’océan.


Elle n’a aucune utilité, 

ne constitue pas un jeu.

C’est un cas de spontanéité magique."

Henri Michaux 

vendredi 5 avril 2019

L'extrait du... 5 avril

"Cette vallée, ce paysage ont le choix : ils peuvent m'accepter ou me rejeter. je n'ai pas voix au chapitre. C'est comme si quelque événement prédestiné avait d'ores et déjà été décidé ou je m'adapterai à ces terres ou je n'y arriverai pas. Mais, par ici, dans les montagnes, tout dépend entièrement des gens, en plus de la terre, bien que nous ne soyons guère qu'une trentaine. Nous formons une espèce de troupeau. Il y a des forces dans les bois, des forces dans le monde, qui vous revendiquent, qui posent une main sur votre épaule si doucement que vous ne la sentez même pas, en tout cas, pas au début. Tous les éléments les plus infimes, la direction de la brise un jour, l'unique petite phrase qu'un ami peut vous lâcher, un corbeau volant au dessus de la prairie en décrivant un arc de cercle pour revenir, vous revendiquent, pour finir, avec une puissance cumulative.


mercredi 3 avril 2019

Lecture : Stephen King - Simetierre

Ce roman publié en 1983 aux USA sous le titre Pet Sematary et paru en France deux ans plus tard sous le titre "Simetierre" fait partie des quelques titres qui reviennent le plus souvent lorsqu'on demande aux (nombreux) amateurs de donner leurs cinq bouquins favoris du maître de la littérature d'horreur. 
Autant le concéder sans attendre, je ne suis pas un amateur de Stephen King, ni même de la littérature d'horreur. Je pense qu'il me faudrait plusieurs vies pour lire autant de bouquins de ce genre que ce que j'ai pu lire de littérature de Science Fiction entre la fin du collège et l'obtention du baccalauréat (et que depuis, je n'arrive plus à lire, mais ceci est un autre débat).
Je ne classe pas Stephen King dans mon panthéon des écrivains donc, mais je ne crache pas, à l'occasion, sur un bouquin "qui fait peur" et quitte à faire, autant voir le patron direct. Car après tout, si un martien débarquait sur Terre et me demandait à écouter du rock, je lui filerai direct l'album "Highway to Hell" d'AC/DC. Pourquoi s'emmerder avec des seconds couteaux ?

Simetierre, c'est l'histoire d'un cimetière indien dans une petite ville où on raconte qu'il se passe des choses bizarres d'animaux revenus d'entre les morts. Bref, c'est du classique, c'est du Stephen King avec tous les ingrédients habituels : la campagne américaine, ni très étrangère ni très familière, les voisins dont on ne sait pas s'ils sont dignes de confiance ou des pervers psychopathes, les familles dont on sait qu'elles vont être frappées par le malheur, les personnages auxquels on s'attache avant que ça bascule... Les recettes habituelles mais qui fonctionnent toujours. Lire pour la première fois un bouquin de Stephen King, c'est justement un peu comme écouter un album d'AC/DC pour la première fois : on sait toujours à peu près ce qu'on va trouver et on en a toujours pour son argent. Malgré les petits écueils qui vont avec : le trait forcé, les longueurs et les redites lourdingues, les ficelles un peu grosses. Mais au final, on est absorbé par la lecture, on tourne les pages et on passe un bon moment. Parce que King sait comment capter l'attention du lecteur, et même s'il la relâche parfois, il parvient toujours à la récupérer. Et ça, quoi qu'on en dise, c'est savoir raconter une histoire.


Extrait
- Je peux vous poser encore une dernière question ? demanda Louis
- Allez-y, dit Jud.
- Est-ce qu'on a jamais enterré un être humain là-haut ?
Jud sursauta avec tant de violence que son coude heurta le bord de la table et que les bouteilles de bière vides s'écroulèrent comme une rangée de quilles. Deux d'entre elles roulèrent au sol, et l'une des deux se brisa.
- Miséricorde ! s'écria-t-il. Qu'allez-vous chercher là, Louis ? Non ! Qui c'est qui s'en irait faire une horreur pareille ! Comment pouvez-vous seulement me poser la question ?
- Simple curiosité, dit Louis, mal à l'aise.
- Eh bien, il a des choses au sujet desquelles la curiosité est toujours malvenue, répliqua Jud.
Pour la première fois depuis qu'il le connaissait, Louis Creed lui trouva l'air vieux et décrépit, lui trouva l'air d'un homme qui sait que le bord de la tombe n'est plus qu'à quelques pas.
Un peu plus tard, chez lui, il réalisa que dans cet instant-là l'expression égarée de Jud avait trahi plus que ça.
Il avait eu l'air, aussi, d'un homme qui sait qu'il est en train de mentir.



mardi 2 avril 2019

Lecture : Emmanuel Carrère - Le Royaume

Emmanuel Carrère a choisi de ne plus publier de roman depuis 1995 et le très réussi "La classe de neige". Depuis il poursuit une oeuvre abondante et protéiforme qui démontre son aisance dans tous les genres de l'écriture. Enquêtes, articles de journaux, biographies : il est devenu un spécialiste d'une certaine littérature du vrai. Cinéphile averti, il intervient également dans le milieu du septième art, scénariste et réalisateur de plusieurs cours et longs métrages. 

Avec "Le Royaume" publié chez son éditeur historique POL en 2014 (et qui reste, à ce jour son dernier récit édité), l'auteur s'interroge sur la survivance des écrits de Paul et de Luc dans notre société actuelle. Au-delà, il se sert de ces questions pour s'interroger sur sa propre période mystique, trois années durant lesquelles il lisait les évangiles et les commentait. 

Ce qui est fort avec Emmanuel Carrère, c'est qu'il parvient à capter l'attention d'un lecteur à priori totalement étranger à un sujet et à l'entraîner dans son petit monde. Concernant les origines du christianisme, il s'attaque à un sacré sujet, énorme et intimidant à plus d'un titre. Pourtant il parvient à faire entrer son lecteur dans ce bouquin avec une facilité déconcertante. Le talent de Carrère relève de la sorcellerie : on a beau relire ses lignes, la façon qu'il a d'enchaîner les paragraphes, de présenter ses idées, d'organiser les voix intérieures (celle de l'auteur, celle de l'ancien pratiquant...) Tout parait tellement facile et évident : il en faut de la classe et du travail pour arriver à un résultat pareil. De quoi pas mal cogiter quand on se pique d'écrire soi-même...

Lorsqu'on referme ce bouquin, en ayant sauté pas mal de pages en ce qui me concerne, on ne peut qu'être admiratif devant le boulot accompli par l'auteur. 
Le problème, c'est que je suis réfractaire à tout sujet religieux. Même quand c'est fort bien écrit et que c'est intelligent sans être chiant, comme Carrère l'est ici. La dimension culturelle  - que je ne conteste nullement - de l'origine du christianisme ne suffit pas à m'intéresser. La religion reste, avec le football et l'économie, les trois sujets qui me donnent la nausée. Sachant qu'avec le sexe, il s'agit des quatre domaines qui font tourner le monde, on comprend aisément que j'appartiens à la catégorie des loosers. Et par la même occasion, à la catégorie de ceux qui n'ont pas accroché à ce livre, pourtant riche, foisonnant, intrigant, savant mais jamais didactique, bref, un bouquin qui ravira les amateurs de Carrère comme ceux qui veulent se payer un peu plus de six cents pages d'histoire et de critique personnelle sur le christianisme et la place de Luc et de Paul au XXIème siècle. 
Pour les autres, comme moi, il reste les interlignes, ces paragraphes intéressants qui se dissimulent dans les interstices, lorsque Carrère élabore des pensées qui dépassent le cadre du strict christianisme et qui les replace dans la cinématique du vivant, de l'homme. Ou lorsqu'il sort du cadre purement historique du récit pour y intercaler des réflexions sur les moments où sa vie personnelle a fait écho à un passage de l'évangile. Là, oui, c'est foutrement agréable à lire. 

Extraits
"C'est ce que je veux penser, de toutes mes forces: que l'illusion, ce n'est pas la foi, comme le croit Freud, mais ce qui fait douter d'elle, comme le savent les mystiques.
Je veux penser cela, je veux le croire, mais j'ai peur de cesser de le croire. Je me demande si vouloir tellement le croire, ce n'est pas la preuve que, déjà, on n'y croit plus.

(...)
Maintenant, ce qui fait la réussite d’un film, ce n’est pas la vraisemblance du scénario mais la force des scènes et, sur ce terrain-là, Luc est sans rival : l’auberge bondée, la crèche, le nouveau-né qu’on emmaillote et couche dans une mangeoire, les bergers des collines avoisinantes qui, prévenus par un ange, viennent en procession s’attendrir sur l’enfant… Les rois mages viennent de Matthieu, le bœuf et l’âne sont des ajouts beaucoup plus tardifs, mais tout le reste, Luc l’a inventé et, au nom de la corporation des romanciers, je dis : respect."

lundi 1 avril 2019

L'extrait du... 1er avril

Dans le cadre du festival "Quais du polar", j'ai assisté samedi dernier, dans l' après-midi, à une conférence sur le roman noir américain avec en invités les auteurs américains Ron Rash, James Sallis et Chris Offutt. 
Ce dernier est édité en France chez Gallmeister, éditeur dont j'ai souvent parlé ici-même. 

L'extrait du jour est tiré de son recueil de nouvelles "Kentucky Straight" publié chez Gallmeister. 
Il s'agit du début de la première nouvelle du recueil et on constate l'efficacité du style, à peine deux paragraphes lus sur le site de l'éditeur et j'ai ajouté le bouquin sur ma liste de livres à lire...