jeudi 16 mai 2019

L'extrait du... 16 mai

"Nous sommes tous des raconteurs. Couchés sur le dos, nous levons les yeux vers le ciel étoilé. C'est là qu'ont commencé les histoires, sous l'égide de cette multitude d'astres, qui, la nuit, fauchent les certitudes, et, avec un peu de chance, vous les rendent le matin sous forme de foi...

Ce qui nous sépare des personnages sur lesquels nous écrivons n'est pas notre savoir, qu'il soit objectif ou subjectif,mais leur expérience du temps au sein de l'histoire que nous racontons. Ce fossé nous octroie, à nous autres raconteurs,le pouvoir de connaître le tout. Mais, par la même occasion, ce fossé nous rend impuissants: une fois le récit engagé, nous ne pouvons plus contrôler nos personnages. Nous sommes contraints de les suivre à travers et en travers de ce temps qu'ils éprouvent, et que nous dominons. Le temps et, par là, l'histoire leur appartiennent. 

Mais le sens de l'histoire, ce pourquoi elle vaut la peine d'être narrée, ce qui nous inspire, c'est nous, les raconteurs, qui en possédons les aboutissants, car nous nous situons du côté de l'intemporel. C'est comme si ceux qui nous lisent ou nous écoutent voyaient tout à travers une loupe. Cette lentille- le secret de toute narration- nous l'ajustons, nous la mettons au point avec chaque nouvelle histoire. Si je dis que nous autres raconteurs, sommes les Secrétaires de la Mort, c'est que, l'espace de nos vies fugitives, pour chacune de nos histoires, nous avons à polir ces lentilles entre le sable du temporel et la pierre de l'intemporel."
John Berger - Un métier idéal 
(L'Olivier, traduction : Michel Lederer)

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