mardi 18 juin 2019

L'extrait du... 18 juin

"En effet, lorsque l’époque où un homme de talent est obligé de vivre, est plate et bête, l’artiste est, à son insu même, hanté par la nostalgie d’un autre siècle. 

Ne pouvant s’harmoniser qu’à de rares intervalles avec le milieu où il évolue ; ne découvrant plus dans l’examen de ce milieu et des créatures qui le subissent, des jouissances d’observation et d’analyse suffisantes à le distraire, il sent sourdre et éclore en lui de particuliers phénomènes. De confus désirs de migration se lèvent qui se débrouillent dans la réflexion et dans l’étude. Les instincts, les sensations, les penchants légués par l’hérédité se réveillent, se déterminent, s’imposent avec une impérieuse assurance. Il se rappelle des souvenirs d’êtres et de choses qu’il n’a pas personnellement connus, et il vient un moment où il s‘évade violemment du pénitencier de son siècle et rôde, en toute liberté, dans une autre époque avec laquelle, par une dernière illusion, il lui semble qu’il eût été mieux en accord."

Joris-Karl Huysmans - A rebours

dimanche 16 juin 2019

Quelques nouvelles pour la plage

Après plusieurs semaines de réécriture, de corrections et de relectures, un nouveau livre est disponible sur le site de l'imprimeur à la demande. 
"Cirque de masques et d'échasses" n'est pas un roman. Après avoir écrit trois romans en quatre ans, j'avais envie de retrouver le chemin des textes plus courts. 
Ce livre est donc un recueil de six nouvelles de longueur moyenne dont la moitié a été écrite en 2017 ou 2018 pendant la publication des romans "Des chardons dans la garrigue" puis de "Après les parenthèses". J'ai pris en effet l'habitude d'écrire des textes courts pendant la correction des romans. Histoire de conserver l'énergie de la création et de l'écriture car parfois le travail de réécriture est interminable et moins gratifiant.

D'ailleurs pendant la phase de relecture et de correction de ce nouveau livre, au cours de ces trois dernières semaines, j'ai écrit une autre nouvelle. Un moment j'ai pensé l'intégrer à ce recueil mais ce septième texte n'est pas suffisamment intéressant en l'état actuel, je vais devoir beaucoup le retravailler. Il sera peut-être publié un jour dans un futur recueil.

En attendant, je vous propose "Cirque de masques et d'échasses" sur le site de l'imprimeur à la demande habituel (LULU) au format papier dans un premier temps, avant de proposer une version électronique dans les prochaines semaines. Le temps que les autorités américaines valident ce bouquin, il sera aussi disponible sur le site orange de Jeff Bezos où on peut tout acheter sauf de la liberté.
Il vous reste néanmoins la liberté de lire un recueil de nouvelles à la plage, et ça c'est quand même bien, non ? 

vendredi 14 juin 2019

La citation du... 14 juin


"Pourquoi sommes-nous tous accablés par le devoir de tout détruire, de tout changer, de tout vouer au transitoire ? 

Est-ce donc ce désagréable devoir que le monde appelle la vie ?"


Yukio Mishima - Confessions d'un masque

jeudi 13 juin 2019

La citation du... 13 juin


"Ecrire, c'est comme craquer une allumette au coeur de la nuit en plein milieu d'un bois. 
Ce que vous comprenez alors, c'est combien il y a d'obscurité partout. 
La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mieux mesurer l'épaisseur de l'ombre."

William Faulkner

mercredi 12 juin 2019

L'extrait du... 12 juin

"Les tendances majeures de ce temps sont à l'abstraction, à la dématérialisation. Le travail a définitivement perdu sa dimension utilitaire. On échange des produits tarifés sur le marché global, dominé par des groupes qui conditionnent la demande à laquelle ils s'offrent à répondre. Les zones imprécises, marginales, personnelles où l'on avait le loisir de se réfugier après avoir fourni sa quote-part de labeur socialement utile, sont quadrillées, investies par d'autres groupes - à moins que ce ne soient les mêmes - qui proposent la musique en boîte, des séries télévisées, des films à grand spectacle et effets spéciaux qui parachèvent la mainmise sur les rêves et la pensée du capital financier multinational. 

La généralisation des rapports abstraits s'est comme incarnée dans le décor. D'abord dans les grandes masses, avec les villes nouvelles et autres ZUP des années soixante et soixante-dix, les barres, les tours aux allures de boites de Kleenex jetées en plein champ avec, pour centre d'échange, la supérette, le bistrot PMU et la pharmacie posée sur la dalle. Et comme la vie et le travail se trouvaient dissociés, on a tiré au cordeau des voies rapides remparées de glissières en acier zingué, connectées au moyen d'échangeurs et de rocades où il vaut mieux éviter de se tromper parce qu'il n'est plus question de faire demi-tour et de recommencer. Le droit à l'hésitation, le goût ténu de la liberté ont disparu de la circulation.

Elle a pris la fixité d'un destin où il me semble reconnaître, lorsque je me hasarde sur les autoroutes de ceinture, l'esprit désastreux du présent."

Pierre Bergounioux - La fin du monde en avançant (Fata Morgana)

mardi 11 juin 2019

L'extrait du... 11 juin

"Peu de chose à voir dans cette vallée
quelques lignes, beaucoup de blanc
c’est une fin de monde, ou bien un commencement
peut-être le retrait des glaces du quaternaire
jusqu’à présent
nulle vie, nul bruit de vie
pas même un oiseau, pas même un lièvre
rien
que le vagissement du vent
pourtant l’esprit se meut ici à l’aise
avance dans le vide
respire
et ligne après ligne
quelque chose comme un univers
se dessine
sans trop vouloir nommer
sans briser l’immensité du silence
discrètement, secrètement
quelqu’un dit
je suis ici
ici, je commence."



Kenneth White - Limites et marges 
(Mercure de France, traduction Marie-Claude White)

dimanche 9 juin 2019

L'extrait du... 9 juin

"La vie, en Inde, a toutes les caractéristiques de l'insupportable : on ne sait pas comment on fait pour résister, en mangeant une poignée de riz sale, en buvant une eau immonde, sous la menace continuelle du choléra, du typhus, de la variole, et même de la peste, en dormant par terre, ou dans des habitations atroces. Tous les réveils, le matin, doivent être des cauchemars. Et pourtant, les Indiens se lèvent, avec le soleil, résignés, et, avec résignation, ils se trouvent une occupation : c'est une errance, à vide, durant tout le jour, un peu comme on en voit à Naples, mais ici, avec des effets incomparablement plus misérables. Il est vrai que les indiens ne sont jamais joyeux : ils sourient souvent, c'est vrai, mais ce sont des sourires de douceur, non de gaieté."

Pier Paolo Pasolini - L'odeur de l'Inde (Folio)

vendredi 7 juin 2019

L'extrait du... 7 Juin

"Mettez-vous bien dans le cœur l’espérance que recèle une vie qui consiste à ramasser de la boue dans une hotte, à vider cette hotte dans la charrette et à recommencer jour après jour jusqu’au soir une œuvre du même tonneau, avec pour aubaine à venir du pain noir, du pain de plomb, et par là-dessus un sommeil de plomb pour le faire passer ; et le dimanche, la cuite plomb. L’aubaine aussi de besogner dans les mois noirs en Limousin quelque chose qu’on appelle une femme par courtoisie, mais qui n’évoque une femme qu’à l’issue d’une opération métaphorique compliquée. Vous y êtes ? Vous êtes bien dans la carpe mûre jusqu’au cou ? Charriez. Ramassez la terre morte avec les poissons dedans. Mangez-en un si le cœur vous en dit, il est à vous, aux mouettes et aux corneilles. Mangez-le."


Pierre Michon - Les onze (Verdier)