samedi 30 novembre 2019

Journapalm 112

Si on lui avait dit qu’il finirait ses jours enfermé dans le coffre d’une Skoda 120, quelque part dans une campagne d’Ukraine figé par la neige, avec juste quelques arbres pour spectateurs et un brasero allumé dans une vieille marmite posée au milieu de rien… Lui qui détestait l’hiver et qui n’avait jamais dépassé les limites territoriales du Gers…. 

vendredi 29 novembre 2019

Journapalm 111

Lisant le marc du café, la voyante annonce… Le président apprenant que dans le calendrier républicain, le 5 décembre est le jour du chevreuil, il décide qu’en ce jour de manifestations et de grèves massives, il partira chasser le cerf dans les forêts de Sologne. Galopant à bride rabattue derrière un cervidé obstiné et doué pour la gymnastique, le président chutera dans un étang et y coulera à pic. Pour éviter à la populace un soulèvement néfaste en période de fêtes (jamais bon pour les affaires), on le remplacera par Xavier Dupont de Ligonnès maquillé par des spécialistes de Hollywood.

jeudi 28 novembre 2019

Se souvenir d'hier pour s'aider aujourd'hui

Je n’ai pas la moindre idée de la méthode à suivre pour bâtir une maison. Enfin si, les fondations. Mais sorti de ça, nada, rien, mystère et boule de gomme comme dirait l’ancien. Je n’ai pas davantage d’idée concernant la façon dont il convient de construire et d’écrire un livre. 
Sauf qu’à la différence des maisons, j’essaye d’écrire des livres.

En 2016 la publication de « Brûler à Black Rock » a représenté un achèvement après deux ans de boulot (de l’écriture du plan au point final de l’ultime relecture).  Récemment, j’ai retrouvé des brouillons d’histoire datant de 2011 et 2012, des amorces de ce que deviendra « Brûler à Black Rock » plus tard. Et je me suis souvenu en relisant ces manuscrits de ces débuts d’histoires qui, selon comme on se place, ne verront jamais le jour ou l’ont vu de façon différente. Mais ces hésitations et ces abandons ont contribué à la satisfaction ressentie à la publication de « Brûler à Black Rock » malgré les imperfections de celui-ci.
Je n’ai pas éprouvé autant de difficultés les deux années suivantes en enchaînant deux autres romans. 
Pourtant, après une année d’écriture, de correction et de publication de nouvelles (« Cirque de masque et d’échasses ») j’ai décidé de revenir au roman et choisi un thème parmi cinq autres dans la liste des projets d’écriture en cours. Mais c’est compliqué. 

Je me suis expliqué récemment sur le premier jet avorté après 84 pages écrites entre fin août et mi-octobre. J’ai alors rédigé un plan pour m'aider et me redonner un peu d’assurance. Et je suis reparti sur un second manuscrit qui a, lui aussi, commencé à dériver après dix ou douze pages. La semaine dernière dans le TER de retour du bureau, j’ai stoppé ce nouveau manuscrit après une trentaine de pages. Quand on ne prend pas de plaisir, à quoi bon continuer ? Dans les minutes qui ont suivi, valse d’hésitations et d’interrogations ; que faire ? Envisageant un instant de mettre une croix définitive sur ce projet et de repartir sur un autre roman totalement différent (anticipation) j’ai finalement opté pour la dernière chance. Je suis trop attaché à ces personnages pour les abandonner comme ça, sur le bord d’une route désaffectée. Alors, dans les 24 heures qui ont suivi, construction d’un tout nouveau plan avec bouleversement des fondations du récit. J'ai opéré un changement drastique. Suppression de toute la première partie sur laquelle je séchais depuis fin août et qui  plombait mes tentatives infructueuses. Changement du point de vue narratif et des ressorts de l’intrigue, profonde modification de l'angle d'attaque, remplacement des fils narratifs pauvres par d’autres que je pense bien plus nerveux pour apporter une coloration différente au récit.
Je suis donc reparti depuis le lundi 26 novembre sur une troisième mouture du manuscrit, mais cette fois bien différente. Un nouveau premier jet que j’espère être le bon. Il n’y en aura pas d’autres de toute façon, là ça passe ou ça casse... à suivre ! 

Journapalm 110

Avachi sur le sol irrégulier, il sent le contact froid des pavés disjoints sur sa peau meurtrie. Depuis quarante-huit heures, son dos est un champ de labours, son corps la palette de trois artistes de la déglingue. Il ne s’intéresse plus à ses hématomes, il attend juste qu’on lui dise que c’est terminé. Alors, chaque fois que la porte de sa geôle s’ouvre et que derrière ses paupières enflées il devine la silhouette d’un des tortionnaires, il espère. C'est tout ce qu'il lui reste.

mercredi 27 novembre 2019

Journapalm 109

Le réveil a sonné. Six heures neuf. Ses doigts ont palpé l’obscurité puis éteint la voix qui disait « PMU on joue comme on aime ». 
Quand il a basculé de la position allongée à la position assise, ses pieds ont tapé dans une substance poilue et vaguement huileuse. Son esprit embrumé par les somnifères avalés la veille a fait le reste. Il a pensé à un rat arrivé là avec les inondations des derniers jours. Aussitôt il a hurlé. Paniquée, sa femme a allumé. « Tu es fou ou quoi ? Arrête de tyranniser ce pauvre chat ! »

mardi 26 novembre 2019

Journapalm 108

L’école l’ennuie. Il n’aime pas rester assis pendant des heures à l’intérieur d’une classe en compagnie de visages rougeauds, à écouter un type pérorer. L’odeur, la chaleur et l’absence d’air frais l’insupportent.  
Il n’attend qu’une chose : le mercredi. Quand il part de chez lui en courant, enjambe les herbes hautes, saute les massifs de genêts, et se précipite au cimetière. Là, il déambule dans le silence des tombes apaisant. Le contact des stèles sous sa main le rassure. Le médecin dit à ses parents de ne pas s’inquiéter, qu’il se sent bien avec les morts, que ça lui passera…

lundi 25 novembre 2019

L'extrait du... 25 novembre

"Il s’est mis à neiger tard la nuit dernière. Des flocons mouillés tombaient devant les fenêtres, la neige recouvrait les lucarnes. Nous avons regardé un moment, surpris et heureux. Content d’être ici, et nulle part ailleurs. J’ai alimenté le poêle à bois. Ajusté le tuyau. Nous sommes allés au lit, où j’ai aussitôt fermé les yeux. Mais pour une raison quelconque, avant de m’endormir, je me suis souvenu de la scène à l’aéroport de Buenos Aires le soir où nous sommes partis. Comme l’endroit semblait silencieux et désert ! Un silence absolu, sauf le bruit des moteurs lorsque nous avons fait marche arrière devant la porte d’embarquement et roulé lentement sur la piste dans une neige légère. Les vitres du terminal étaient obscures. Personne en vue, pas même une équipe au sol. « C’est comme si tous les aéroports étaient en deuil », as-tu dit.

J’ai ouvert les yeux. Ta respiration disait que tu dormais profondément. Je t’ai couverte d’un bras et je suis passé de l’Argentine à une maison où j’avais autrefois vécu à Palo Alto. Pas de neige à Palo Alto. Mais j’avais une chambre et deux fenêtres qui donnaient sur l’autoroute de Bayshore. Le réfrigérateur se trouvait près du lit. Quand j’étais déshydraté au milieu de la nuit, tout ce que j’avais à faire pour étancher ma soif c’était tendre le bras pour ouvrir la porte. La lumière à l’intérieur indiquait le chemin d’une bouteille d’eau fraîche. Une plaque chauffante jouxtait le lavabo à la salle de bain. Quand je me rasais, la casserole d’eau bouillait sur la spirale électrique à côté du bocal de café en grains.

Ce matin il y a de la neige partout. Nous en faisons état. Tu me dis que tu n’as pas bien dormi. Je réponds que moi non plus. Tu as passé une nuit épouvantable. « Moi aussi. ». Nous sommes extraordinairement calmes et tendres comme si chacun devinait l’état d’esprit délabré de l’autre. Comme si nous savions ce que l’autre pensait. Ce n’est pas le cas, bien sûr. Ce n’est jamais le cas. Qu’importe. C’est la tendresse qui compte pour moi. Voilà le don ce matin qui m’émeut et me tient. Comme chaque matin.
J’étais assis sur mon lit un matin, habillé, rasé de frais, à boire du café, remettant à plus tard ce que j’avais décidé de faire. Finalement j’ai composé le numéro de Jim Houston à Santa Cruz. Et je lui ai demandé 75 $. Il a dit qu’il ne les avait pas. Sa femme était partie au Mexique une semaine. Il ne les avait vraiment pas. Il était serré ce mois-là. « Pas de problème, j’ai dit. Je comprends. »
Et c’était vrai. Nous avons bavardé encore un peu, avant de raccrocher. Il ne les avait pas.

J’ai terminé le café, plus ou moins au moment où l’avion quittait la piste vers le soleil couchant. Je me suis tourné sur mon siège pour jeter un dernier regard aux lumières de Buenos Aires. J’ai fermé les yeux pour le long voyage du retour."

Raymond Carver - La vitesse foudroyante du passé 
(L'Olivier, trad.Emmanuel Moses)

Journapalm 107

Pour rompre sa solitude, la vieille femme a pensé à un chien. Mais attention, pas un toutou à mémère dont on ne distingue pas une extrémité de l’autre, ni un ridicule ver de terre à pattes plus petit qu’un chat. Elle pensait à un grand chien, affectueux mais autonome, fidèle mais indépendant. Quand elle réalisa que c’est ce qu’elle avait toujours vainement cherché chez un homme, elle abandonna cette idée et investit dans un bocal et un poisson rouge. 

dimanche 24 novembre 2019

Journapalm 106

Il est près de minuit mais au sous-sol du centre commercial, il n’y a plus de temps qui passe, plus de conscience du monde extérieur. L’univers se réduit à une piste de bowling et à des quilles qui, inlassablement, tombent et sont balayées par le râteau automatique qui les replace sur leurs repères. Il ne reste que des silhouettes vaguement simiesques qui répètent les mêmes gestes, tour après tour. Quand ils placent leurs doigts dans les orifices de la boule, ils ont la sensation de maîtriser quelques instants une vie qui dégringole comme un jeu de quilles.

samedi 23 novembre 2019

Journapalm 105

Depuis qu’il avait vu Thomas Pesquet à la télévision expliquer qu’il dormait debout dans la station spatiale européenne, Maxime, 9 ans, s’entrainait à l’imiter. Souhaitant devenir astronaute, il estimait devoir commencer l’initiation au plus tôt. Mais ses nombreuses tentatives de sommeil en position debout s’avérèrent de lamentables échecs. 
Lorsqu'il reçut un zéro en maths la veille des vacances de Noël, il comprit qu’il poursuivait un rêve insensé. Son père disait qu'un zéro en maths, c’est rédhibitoire (il utilisait toujours des mots savants). Aussi Maxime pleura-t-il un peu puis chercha un autre métier. 

vendredi 22 novembre 2019

Journapalm 104

Chaque fois qu’il devait sortir affronter la civilisation, il prenait une profonde inspiration et s’envoyer trois bouffées de ventoline dans le cornet. Ensuite il descendait dans la rue. 
Comme toujours, il prit soin pour retrouver son chemin de jeter des cailloux blanc derrière lui. Mais pendant qu’il faisait ses courses, un couple de corneille fondit sur ceux-ci et les emporta dans un coin du ciel. 
Depuis il marche vers l'inconnu, hagard, et parle à voix haute d’oiseaux noirs en employant des mots mystérieux. Certains individus le suivent, croyant qu’il s’agit d’un nouveau messie. 

jeudi 21 novembre 2019

Journapalm 103

Autrefois il parlait aux arbres du parc Monceau. Puis il a cessé de s’y promener, sans trop savoir pourquoi, sûrement par lassitude. Il a longtemps cherché un autre endroit dans Paris où satisfaire ses besoins d’arpenteur de l’étrange. Jusqu'au jour du 15 avril 2019 et l’incendie de Notre Dame. 
Les lendemains suivant le brasier, il a aperçu des gargouilles descendre de leur perchoir et venir se rafraîchir le museau dans la Seine. Certaines ne sont plus remontées, préférant le plancher des vaches à l’odeur de suie. Il le sait, elles se confient à lui.

mercredi 20 novembre 2019

L'extrait du... 20 novembre

"(...) elle sort plusieurs fois par jour. Des courses à faire en fin de matinée, puis de nouveau en fin d'après-midi. (...)
l'éternité d'une vie qui ne veut pas finir quand bien même l'ennui la lance comme une douleur têtue. Elle ne voit personne sinon les commerçants à qui elle adresse des mots sans dents (...) Il est à peu près certain qu'elle n'a ni mari ni enfant. Très peu d'argent. Quelques plaisirs: ses cigarettes donc, le café, le vin qu'elle a mauvais, mais qui est là pour l'entendre ? Je ne m'explique pas comment elle tient. Elle tient parce qu'elle est encore en vie, c'est tout. (...) Elle est le cauchemar de nos jours derniers. Nous projeter en elle incite à presser le pas, la frayeur chasse l'empathie. Et moi aussi je passe. Je passe sans savoir quoi faire, sinon l'écrire."

Arnaud Cathrine - J'entends des regards que vous croyez muets (Verticales)

Journapalm 102

Quand il envisagea ces travaux, il pensa qu’une journée suffirait. Après avoir gommé toutes les imperfections des murs et du plafond puis nettoyé ceux-ci, il estima que le plus dur était accompli. Mais avec le contre-jour, repeindre le plafond en blanc s’avérait une mission difficile. Il ne parvenait pas à distinguer les endroits déjà peints de ceux lui restant. Les heures s’ajoutèrent aux heures et la nuit n’arrangea rien. On le retrouva dans la rue au petit matin, les yeux rouges, le visage couvert de peinture, délirant et passant son rouleau sur les voitures en stationnement.

mardi 19 novembre 2019

Journapalm 101

Enfant déjà il oubliait souvent tout. D’aller à l’école, de manger, de rentrer chez lui… Sa mère écrivait sur le frigidaire tout ce à quoi il devait penser dans sa journée, heure par heure. 
Devenu adulte, il gardait cette habitude d’établir des listes de tâches à réaliser. 
Un jour de grand soleil il partit voir l’océan. Il se baigna toute la journée, pataugeant dans les vagues comme un enfant. Et au moment où le soleil se coucha, il resta prostré sur la plage, oubliant qu’il devait rentrer. On le retrouva mort d’hypothermie au petit matin dans le sable. 

lundi 18 novembre 2019

Journapalm 100

Pour son anniversaire, il tombait des hallebardes et le vent sifflait sous les toits. Lui, il tournait comme un lion en cage, jetant des regards courroucés par la fenêtre, maudissant la météo. Pour le calmer, sa mère lui proposa de préparer son gâteau d’anniversaire. Une fois celui-ci au four, en rangeant, il aperçut le sachet vide de farine. C’est là qu’il perdit le contrôle.
Après quatorze fois, il cessa de frapper le crâne de sa mère contre le sol de la cuisine. Quatorze, comme son âge. Et depuis tout ce temps, elle oubliait encore qu’il était allergique au gluten ! 

dimanche 17 novembre 2019

Lecture : Pierre Bergounioux - Lundi

En parallèle de son imposant travail de carnets autobiographiques édités chez Verdier, Pierre Bergounioux publie régulièrement de petits livres hautement recommandables. 
Dans "Lundi" publié en 2019 chez Galilée, Bergounioux convoque les souvenirs d'enfance liés à cette journée particulière du lundi. Ce jour mal aimé qui marque la fin du week-end et le retour à l'école, au travail. Puisant dans la force tellurique de sa Corrèze natale et primordiale, Bergounioux se rappelle de ces lundis dont il ne comprenait pas le sens, le rôle, de ces lundis consacrés aux révisions d'algèbre. 
Court récit de moins de 60 pages, "Lundi" est une réflexion personnelle et intime qui offre à la littérature son champ le plus nécessaire : celui de se soustraire au monde pour mieux le comprendre. Ou du moins, de se mettre en situation de. Car finalement, à quoi bon le lundi ? 

Extrait
« La physionomie du premier jour de la semaine intensifiait ou laissait à nu la nature profonde de l’endroit, l’exiguïté d’une sous-préfecture lointaine, dans une région rurale déshéritée »
« Dans mon souvenir et, peut-être, dans la réalité, (les lundis) ont la teinte mauve, funèbre des matins d’octobre puis atone, blanchâtre de la mi-journée. » 

(Galilée, 56 pages/11€)

Journapalm 099

En passant des heures à regarder par sa fenêtre, elle a attrapé un rhume oculaire. Le diagnostic est tombé comme une mouche. Ce qui était plutôt étonnant en ce mois de décembre, les mouches se faisant rares. 
Après de nombreux examens et la proposition d’un traitement, le spécialiste l’a reçue en consultation. Le grand médecin du grand hôpital l’a regardée par-dessus ses lunettes rectangulaires : « est-ce que vous avez des questions ? ». Elle a haussé les épaules et demandé « vous savez vous, où passent les mouches, en hiver ? » 

samedi 16 novembre 2019

Journapalm 098

« Fiston, la vraie vie se trouve dehors, dans les forêts et sur les collines. Le monde des écrans n’augmente aucune autre réalité que le compte bancaire des GAFA ! »
Un matin de mai, lors d’une randonnée dans leur Vermont natal, son père lui vantait son engagement écologiste et pacifiste. Apercevant un tilleul majestueux sur un socle d'herbes grasses, James quitta le chemin pour s’allonger sous l’arbre. 
Soudain, une graine de tilleul et sa bractée tombèrent vers lui avec un mouvement de spirale. James eut alors une révélation. Plus tard il piloterait des hélicoptères de combat. 

vendredi 15 novembre 2019

Lecture : Courir au clair de lune avec un chien volé

Callan Wink cumule les qualités de pêcheur et d’écrivain. Lorsqu’on ajoute qu’il vit dans le Montana, on pense à tout de suite à Jim Harrison et Thomas McGuane. La sortie de son livre « Courir au clair de lune avec un chien volé » en poche s’est d’ailleurs accompagné d’une mention commerciale vantant cette comparaison : « Héros cabossés et grands espaces : le fils spirituel de Jim Harrison est né. » Verdict Télérama. J’ai toujours un peu de mal avec ces bandeaux et ces mentions visant à attirer l’œil du potentiel acheteur. C’est la même chose avec un quatrième de couverture citant l’avis d’un chroniqueur, d’une rédaction ou d’un journaliste sur le bouquin que l’on tient dans ses mains. Je n’ai rien à cirer de leur avis et je ne veux pas qu’on me force la main quand je me promène en librairie pour choisir des bouquins.
En l’occurrence, outre le fait d’être un excellent titre, « Courir au clair de lune avec un chien volé » n’a pas volé la mention élogieuse de Télérama. Et pourtant je suis intraitable quand il s’agit de comparer un auteur à Big Jim. Mais il faut reconnaître que dans ce recueil de nouvelles Callan Wink déploie une large palette de talents qui appelle à de grandes promesses. Personnages intéressants, histoires de l’ouest moderne à la fois fortes et sauvages, destins brisés dans leur élan, ou comment écrire de belles intrigues avec trois fois rien. En un seul recueil de nouvelles, le jeune Callan Wink (35 ans) réussit l’exploit de se positionner en héritier évident d’une tradition littéraire des grands espaces et des grands destins que nous avons plus de difficultés à créer en Europe (exception faite de la littérature des pays de l'Est). Il va maintenant falloir assurer la suite, car on l’attend au tournant.

Extrait
"Peu après l’aube, elle vit depuis sa véranda six vautours qui, portés par un courant ascendant, les ailes déployées, planaient en décrivant des cercles. Les corbeaux et les corneilles aussi étaient venus. Elle les entendait, un vol noir qui piquait vers la ravine, sombre comme du marc de café répandu sur l’herbe sèche. Elle songea qu’elle aurait peut-être dû recouvrir la carcasse de terre, mais c’était sans doute mieux comme ça. Des funérailles bouddhistes – elle avait entendu dire que c’était ainsi que le Tibétains procédaient.
La veille encore, le spectacle des oiseaux dévorant son bœuf l’aurait anéantie, mais aujourd’hui, les choses se présentaient mieux. Un projet, c’était ce dont les gens avaient réellement besoin pour aller de l’avant."

(Albin Michel / Traduit par Michel Lederer) 

Journapalm 097

Ce matin encore la plage est un désert plat et froid. Le vent de Décembre qui fait moutonner l’océan a chassé les derniers intrépides. Même pas de chien errant, même pas de cerf-volant pour découper le ciel en poussant des plaintes aiguës. Il est seul avec le bip régulier de son détecteur de métaux. Plusieurs sonneries rapprochées le font soudain arrêter. 
Le cœur gonflé d’excitation, il prend sa pelle et se met à creuser… Jusqu’à taper sur un objet ovale et contondant. Qui une fois dégagé, lui révèle un détecteur de métaux, avec accroché au bout, le squelette d’un humain.

jeudi 14 novembre 2019

Lecture : Tempête pour les morts et les vivants

Le Bukowski nouveau est arrivé. Un peu en avance sur le troisième jeudi de Novembre qui est réservé au Beaujolais nouveau, toujours avec ses notes de fruits rouges mais jamais les mêmes. Pour le Bukowski c'est malgré tout un miracle (commercial, comme ne manqueront pas de le préciser les esprits chafouins) compte tenu du fait que mort, un écrivain écrit moins. L'américain amateur de bibine et de femmes est mort depuis un quart de siècle et nous livre un recueil de poèmes depuis l'au-delà. C'est bien sûr une vision approximative des choses. Jusqu'à preuve du contraire, dans l'au-delà on ne fait plus rien. En revanche les ayant droits et les éditeurs continuent d'exploiter le filon du commerce d'un auteur qui ne laisse pas indifférent. Génie maudit pour les uns, alcoolique dénué de talent pour les autres, Buk a toujours divisé les amateurs de littérature. Faussement insensible à sa légende, souvent copié, il a toujours renvoyé dos à dos fans et détracteurs lors de déclarations abruptes et teintées d'alcool. Promenant un regard jamais dupe sur le grand écart social que son succès lui a permis, restant un homme qui se considérait poète avant toute chose. Peu à l'aise avec sa propre image publique, estimant que la place d'un auteur se trouve derrière sa machine à écrire et non derrière une caméra, il a néanmoins assuré une partie de son succès en Europe grâce à son passage mouvementé sur le plateau d'Apostrophes en septembre 1978.

Personnage ambigu, Bukowski n'a toutefois jamais dévié d'une certaine idée de la littérature, considérant la poésie comme sa forme la plus pure. Je l'ai découvert peu après sa mort, au milieu des années 90 en lisant le double recueil "L'amour est un chien de l'enfer" publié aux Cahiers Rouges chez Grasset. Depuis j'ai lu tous les bouquins de l'auteur publiés en France. 
Le nom de Bukowski est ressorti dans le rayon Actualités des éditions du Diable Vauvert en 2017 à l'occasion de la publication de l'ouvrage "Sur l'écriture". Bouquin hautement recommandable pour tout amateur de l'auteur comme pour tout amateur d'écriture, ce recueil offrait des textes - inédits pour la plupart - de Bukowski concernant l'art de l'écriture. 
Deux ans plus tard, le Diable Vauvert remet le couvert avec un bouquin de poèmes qui marquera peut-être la fin des publications posthumes inédites de Buk. 
Reprenant certains textes déjà parus mais une majorité d'inédits récupérés dans des revues confidentielles, ce bouquin bien que parfois inégal reste à lire. On peut se poser des questions sur certains choix de traduction lorsqu'on a accès aux versions originales des textes. Le style de Buk semble en effet parfois transformé par la traduction en des lignes un peu trop littéraires, menaçant de leur faire perdre leur impact naturel. Traduire, est-ce nécessairement trahir ? C'est un exercice difficile, et mon propos n'est pas de jeter l'opprobre sur le travail souvent ingrat des traducteurs. Mais de fait, je n'ai pas retrouvé de poème puissant et définitif comme c'est le cas dans des publications anciennes de l'auteur. Ou bien me suis je trop habitué après avoir trop lu Buk. Je crois plutôt qu'on ne peut / doit pas lire de la poésie en un bloc monolithique comme on le fait avec la littérature. C'est encore plus vrai avec Bukowski. Pour conserver leur impact, ses textes doivent être lus en picorant un jour ou deux puis en lisant autre chose et en y revenant plus tard.
Mais qu'importe, le Bukowski nouveau est arrivé, c'est parfois un peu folklorique mais ça permet de passer un bon moment avec un auteur qu'on aime lire. Et c'est bien meilleur que le Beaujolais nouveau. Et puis avec Buk tout le monde trouve toujours un texte ou deux qui font mouche. Comme ça... 

Extrait : 
"Comme ça

une des plus belles blondes du grand écran 
des seins incroyables des hanches des jambes une taille
la totale, 
dans cet accident de voiture
sa tête s’est détachée de son
corps -
comme ça -
il y avait sa tête qui roulait sur le côté de
la route,
avec du rouge à lèvres, les sourcils épilés, la
poudre à bronzer,
un bandana dans les cheveux, elle a roulé sur le
côté
comme un ballon de plage
et le corps resté assis dans la voiture 
avec ces seins ces hanches ces jambes cette taille,
la totale,
et puis à la chambre mortuaire ils ont rassemblé les morceaux,
recousu la tête 
sur le corps,
seigneur, a dit le type avec le fil,
quel gâchis.
puis il est sorti, s’est payé un hamburger, des frites et deux tasses de café,
noir."



Charles Bukowski - Tempête pour les morts et les vivants 
(Diable Vauvert - trad. Romain Monnery)


Journapalm 096

Chaque samedi son réveil sonne à cinq heures. Il se lève, urine sous la douche en écoutant la radio, s’habille et vérifie sa valise. Puis il boit un verre de jus de quelque chose et quitte l’appartement. Dans le métro, les visages encapuchonnées de sommeil dégagent des collections de z. 
Il descend à l’aéroport. 
Là il marche jusqu’à l’aérogare, sa valise derrière lui comme un petit chien à roulettes. Sur les écrans, il déchiffre les destinations des prochains vols. C’est le voyage qui compte, pas la destination. Alors chaque samedi il reste là un moment avant de rentrer chez lui. 

mercredi 13 novembre 2019

L'extrait du... 13 novembre

"Dans cette énorme et microscopique course du temps, tel un cheval sauvage lancé sous les étoiles dans une pampa sans bornes, décrivant sur le turf compact des cercles immenses et microscopiques de ses sabots, galopant sans s'arrêter pendant un millionième de seconde jusqu'à ce que la vieillesse et l'épuisement fassent de lui un tas d'os, de peau et de sabots déchiquetés – Dans ce majestueux progrès de la vie, qui donne exactement la même impression que la frise de Phidias où, bien qu'ils semblent d'une rigidité de marbre, hommes et bêtes au contraire se meuvent à une rapidité aveuglante, bien que nous n'ayons pas le temps de le remarquer, leurs jambes avançant d'un millionième de centimètre tous les cinquante mille – Dans ce progrès-là de la vie qui paraît dans l'ensemble de ses mouvements l'immobilité même – enfin le PRINTEMPS approche."

William Carlos Williams - Le printemps et le reste (UNES / Trad. Valérie Rouzeau)

Journapalm 095

Il attendait le feu vert des piétons pour traverser le boulevard. Impassible devant le flot de voitures bombant le torse pendant de si longues minutes que pour passer le temps, il se mit à jongler avec deux pommes de pin ramassées sur le trottoir. L’exercice lui plut et il jongla avec davantage d’objets. 
Il se révéla si doué que bientôt les voitures ralentirent puis s’arrêtèrent pour le regarder. Un bouchon s'était formé et les conducteurs admiraient sa dextérité. Et à présent qu’il avait la voie libre pour traverser, il n’en fit rien. Il venait de trouver sa voie. 

mardi 12 novembre 2019

Journapalm 094

Depuis l’enfance il est atteint de collectionnite aigüe. Ses étagères débordent, son garage ne désemplit pas, son bureau est envahi, du sol au plafond, de toutes sortes d’objets hétéroclites. Et depuis que son épouse excédée l’a quitté, il s’est même mis à collectionner les femmes. 
Mais de tout ce qu’il accumule depuis quarante ans, le plus remarquable constitue sans nul doute sa collection de désillusions.

lundi 11 novembre 2019

Journapalm 093

Vu du plongeoir, le bassin semble minuscule. Les visages de ceux qui l’ont précédé sont tournés vers elle, minuscules spots pâles au milieu de l’eau. Debout sur le bord, le chronomètre autour du cou, l'entraineur l'invective pour qu'elle se décide enfin. Comme à chaque fois, elle a mal à l’estomac, des picotements empêchent ses pieds d’avancer. Sa mère lui dit tout le temps que ce n’est rien, qu’à son âge, elle plongeait déjà de falaises bien plus hautes au Mexique. Enfin elle se décide à sauter et pendant la chute, elle hurle en rêvant d’une mère championne d’échecs. 

dimanche 10 novembre 2019

Journapalm 092

Après avoir découpé les membres de la jeune fille un à un puis l’avoir décapitée, l’homme s’est immobilisé pour contempler la scène de son massacre. Les mains encore tremblantes d’excitation et de furie, il a essayé de ressentir quelque chose… Soif ! Alors il a bu un nouveau shoot de vodka. 
Plus tard dans la nuit, quand il est sorti se débarrasser des bras de la fille dans la Volga, il a glissé et est tombé à l’eau. C’est là que les flics l’ont attrapé. L’eau ne lui causait décidément que des ennuis… 

samedi 9 novembre 2019

Journapalm 091

Il s’est réveillé avant le jour, bondissant au bas de son lit sans un remords. Habillé à la hâte, il sort dans la rue éteinte. Seul être vivant, le cœur bondissant d’une frénésie incontrôlable, il presse le pas. 
Bientôt il se met à trottiner puis à courir. La lune détrempe le ciel et guide ses pas dans une palette laiteuse. Il court hors de la ville, grimpe sur une falaise puis s’immobilise au-dessus du monde avant de pousser six longs hurlements. Alors les immeubles et les maisons s’éveillent. Sa mission terminée, le loup-garou regagne sa mansarde. 

vendredi 8 novembre 2019

Journapalm 090

« Mais enfin, après avoir brûlé le feu rouge, vous n’avez pas vu les individus sur la chaussée ? 
- Ben je… Enfin…
- Attendez, vous n’allez pas me dire que vous les avez écrasés volontairement ?
- Mais c’était des clowns monsieur le juge ! Depuis l’enfance, j’ai toujours détesté les clowns. Ils me font peur. Et en plus ils étaient armés. J’ai paniqué ! »

Le juge hoche la tête. Peut-il punir ce chauffard qui a débarrassé la ville d’un violent gang de braqueurs de banques qui échappe à la police depuis dix-huit mois ? 

jeudi 7 novembre 2019

L'extrait du... 7 novembre

"Voilà pourquoi le Bowery était un un quartier idéal. Dans d’autres lieux, quand tout lui paraissait gris et laid, il y avait toujours une petite parcelle de lui-même pour se souvenir et lui rappeler que les choses n’étaient pas toujours ainsi, qu’il lui était arrivé de regarder le monde qui l’entourait et d’aimer – parfois même d’adorer – ce qu’il voyait, de tout son cœur et de toute son âme, et il ne pouvait que boire pour essayer de ranimer tout cet amour… toute cette beauté… et cette situation conflictuelle le rongeait.
Mais plus il buvait, plus il devenait difficile de rester dans de tels endroits, et il était contraint de partir, en proie aux affres d’un enfant qui pleure, ou d’un chat perdu, ému parfois jusque aux larmes par la beauté d’une fleur ou d’un arbre couvert de bourgeons."

Hubert Selby JR - Chanson de la neige silencieuse 
(trad.Marc Gibot / Editions L'olivier)

Journapalm 089

Traversant le pont au-dessus de la Saône pour sa promenade, le vieil homme regarde les maillots colorés qui foncent sur des skis nautiques. Il repense à sa jeunesse perdue, quand il enchainait les ascensions alpines, les marathons et les longueurs de piscine. Aujourd’hui il reste assis dans un fauteuil défoncé toute la journée ; son corps vibre et ahane pour parcourir cinq cents mètres. 
En-dessous de lui, des filles cheveux au vent enchainent les raids éclairs sur leurs skis dans des panaches d’eau. Alors le vieil homme les siffle bruyamment puis repart, soulagé de constater qu’il n’est pas encore mort.

mercredi 6 novembre 2019

Journapalm 088

Sur les coteaux du beaujolais, il avance sans plus de méthode que de plan. Depuis que le vin a été interdit et les vignes de tout le pays arrachées, la France est entrée dans une guerre civile qui a causé vingt mille morts en onze mois. 
Marcel lui, continue de conduire son tracteur. Il fait partie des rebelles recherchés par les autorités. Ses fusils et ses chiens de chasse l’accompagnent durant ses tournées d’inspection. Au fond ces migrants syriens planqués en campagne sont une aubaine. Ça l’occupe et ça l'entretient pour la chasse au sanglier.

mardi 5 novembre 2019

Journapalm 087

Affalé dans une flaque d’eau stagnante au bout de la ruelle, l’homme a la tête posée contre les pavés du petit matin. Il ronfle sur un rythme régulier qui évoque la musique des anciens trains à vapeur qu’il a connu enfant. Les autres clients qui quittent le bar l’enjambent avec une moue dégoûtée ou, goguenards, en lui adressant des quolibets. Couché dans son monde de souvenirs et de pavés il n’entend pas. Les injures sont solubles dans la vapeur des michelines. 

lundi 4 novembre 2019

Journapalm 086

Au large des îles Samoa, le submersible breton « L’intrépide » a disparu des écrans radars à onze heures onze le 11 novembre. Il a sombré comme une pierre et personne ne l’a plus jamais revu, ni lui ni son équipage. Si toutefois on le découvre un jour, calé au fond des abysses du Pacifique, on s’étonnera peut-être de trouver enroulé autour de sa carcasse d’acier éventrée les traces de onze tentacules d’un Krakken évanoui dans l’obscurité.

dimanche 3 novembre 2019

Journapalm 085

Pour ressentir la fragilité de l’être humain, elle disait que rien ne valait une nuit passée à écouter le tumulte de la pluie et les hululements sinistres du vent. Elle rêvait d’une nuit seule dans un phare en pleine mer lors des grandes marées d’équinoxe. 

Lui il préférait le ciel bleu et le soleil qui chauffe doucement la peau sur une terrasse de la côte d’azur. 
Et une femme plus jeune. 
Alors il lui a payé un séjour dans un phare au large de la Bretagne, exactement comme elle voulait. Et il n’est jamais retourné la chercher. 

samedi 2 novembre 2019

Journapalm 084

Il est arrivé fiévreux et en avance au laboratoire d’analyses médicales. 7h10 pour une ouverture à 7h30, et déjà des régiments de retraités le doigt sur la couture du pantalon, leur ordonnance pliée en quatre entre le pouce et l’index. 
Lorsque ça a été son tour, il a avancé jusqu’au comptoir, et il a donné son nom. Pas assez fort, alors la dame en blouse lui a fait répéter puis elle a dit à son tour : « Monsieur Lhôpital ? » Et il a acquiescé sous les quolibets des retraités hilares qui ont trouvé ça très amusant. 

vendredi 1 novembre 2019

Journapalm 083

Les maillots noirs affrontent les maillots rouges dans un match qui compte pour du beurre. Le long de la touche, un ramasseur de balle s’ennuie ferme Il est là pour faire plaisir à son père, pour faire vivre à l’adulte par procuration ce qu’il n’a pas pu réaliser lui-même. Le gringalet enfant regarde sans le voir le combat des titans musculeux qui se joue devant lui. Sans cesser de s’imaginer somnolant sous un cerisier en fleur, loin de l’agitation des hommes en mondovision.