mardi 31 mars 2020

L'extrait du... 31 mars


Les yeux d’une morte
M’ont salué,
Enchâssés dans un visage stupide
Dont tous les autres traits étaient banals,
Ils m’ont salué
Et alors je vis bien des choses
Au-dedans de ma mémoire
Remuer,
S’éveiller.

Je vis des canards sur le bord d’un lac minuscule,
Auprès d’un petit enfant gai, bossu.



Ezra Pound - Poèmes 
(Gallimard, trad.Michèle PinsonGhislain Sarrois et Alain Suied)

Journapalm 234

Il se méfiait des facteurs. Ainsi que sa grand-mère le lui avait recommandé en découvrant la beauté époustouflante de sa jeune épouse slave. Souvent absent, il avait dressé Néron, son berger allemand, pour qu’il aboie férocement à tous les facteurs qui se présentaient à son domicile. 
Mais ce fut avec un laitier que Svetlana s’enfuit un matin d’avril, ainsi que le lui confirma son voisin, éleveur de chiens à la retraite. Mais le pire advint un mois plus tard, lorsque Neron disparut et qu’à sa place, il trouva dans sa niche un chaton lapant une écuelle de lait.

lundi 30 mars 2020

Journapalm 233

Après avoir terminé la bouteille de vodka il a ressenti une profonde tristesse envahir son âme. La musique de la boite de nuit résonnait dans son crâne et faisait entrer ses entrailles en vibration. Il a regardé Pavel parler à l’oreille de Tania. Il devait agir sinon cet enfoiré la lui piquerait. Fracassant la bouteille contre la table il a enfoncé le tesson dans la gorge de Pavel. Un geyser de sang a giclé de sa jugulaire. Trempée de sang et hurlant de terreur, il ne trouvait plus Tania si attirante, au fond.

dimanche 29 mars 2020

Journapalm 232

En arrêt maladie longue durée, le peintre en bâtiment tournait comme un lion en cage dans son F2 de Rillieux-la-Pape. Les journées s’éternisaient tristement dans le bruit incessant du voisinage. Surtout les moteurs deux temps des motocross pilotées par des gosses entre les barres de HLM. Pour les supporter, il enfonçait des boules Quiès dans ses oreilles toute la journée. 
Et puis il eut une double illumination en tombant sur un reportage d’ARTE. Deux coups de couteau plus tard, il se mettait à peindre. Avec ses deux oreilles coupées, plus besoin de boules Quiès.

samedi 28 mars 2020

Journapalm 231

Elle était déjà une actrice renommée quand elle est devenue narcoleptique. Atteinte d’une forme sévère de la maladie, elle s’endormait brutalement sur les tournages et plus aucun producteur ni aucun réalisateur n’a plus voulu d’elle. Tombée dans l’anonymat, elle a mené une vie triste et grise, solitaire, dans son petit appartement des Buttes Chaumont. 
On l’a retrouvée un matin, gisant sous le porche d’un immeuble. Avec l’épidémie virale qui tuait plus de trois mille personnes chaque jour, on l’a enterrée aussi sec. Lorsqu’elle s’est éveillée dans son cercueil sous deux mètres de terre, elle a crié très fort.

vendredi 27 mars 2020

Journapalm 230

Henri Bastide ronge son frein. Comme environ trois milliards d’autres humains sur terre. En plus de ne plus pouvoir aller jouer au bowling tous les soirs, il ne peut plus sortir boire un verre. Quand les médias annoncent qu’il va devoir encore rester chez lui sept semaines supplémentaires, il manque de s’évanouir. 
Une journée d’internet plus tard, il a lu toute la documentation médicale voulue et commence à inciser son fils au niveau de l’aine avec son Laguiole. Il a toujours voulu être chirurgien, autant mettre cette période de confinement à profit.

jeudi 26 mars 2020

Journapalm 229

Pour éviter l’ennui de jours tous semblables les uns aux autres, le vieil homme et sa chienne ont décidé que le samedi, ce serait elle qui le sortirait en laisse. 
Mais il n’avait plus marché à quatre pattes depuis des décennies et le goudron meurtrissait ses genoux. Aussi ne parcoururent-ils que quelques dizaines de mètres, juste ce qu’il faut pour qu’il puisse pisser contre un jeune cerisier. 
Pendant ce temps, regardant ailleurs, elle ajusta l’orifice en latex au niveau de sa bouche et tira sur sa cigarette.

mercredi 25 mars 2020

L'extrait du... 25 mars

Journapalm 228

Il y eut au moins deux Kellogg célèbres au dix-neuvième siècle aux États-Unis. John Harvey Kellogg popularisa son patronyme en inventant en 1894 des flocons de maïs qu’il annonçait capables de refreiner les tentations masturbatoires chez l’homme. 
Mark Kellogg, lui, fut le premier journaliste de l’Associated Press mort en service lors de la bataille de Little Big Horn (actuel Montana) en juin 1876, scalpé par l’un des hommes de Sitting Bull. Moralité : il y a cent ans déjà, écrire des articles rapportait moins que vendre de la camelote.

mardi 24 mars 2020

Journapalm 227

Des masques il en met tous les jours. Depuis qu’enfant il se sentait en décalage avec le reste de la cour de récréation. Jamais vraiment à l’aise au milieu d’un groupe de gens, ces fameux autres qu’il ne comprend pas et qui ne le comprennent pas davantage. 
Actuellement il porte un masque représentant Pompidou. C’est dingue, à part quelques sexagénaires pas encore trop ramollis du bulbe, personne ne reconnait l’ancien président. Il n’y a que depuis qu’il a ajouté un masque FPP2 qu’on le remarque dans la rue. 

lundi 23 mars 2020

Journapalm 226

Comme il s’ennuyait, il décida de créer une religion. Son dieu serait le nounours en peluche de son enfance. Il l’aurait vu se lever, marcher et se mettre à parler. 
Il raconterait la suite dans un livre sacré où témoigneraient des abeilles devenues apôtres. Le messie ? Un apiculteur distribuant son miel sacré en prêchant sur le titre éponyme de Bashung. Ensuite, internet diffuserait la bonne parole aux moutons 2.0. 
Mille ans plus tard, on s’étriperait sur la question du miel (bio ou pas bio ?) et du nounours (Un grizzly ! Non, un ours polaire !)

dimanche 22 mars 2020

Journapalm 225

Le jour de l’enterrement était un mardi. Ça m’étonnait, j’ai longtemps cru qu’on n’enterrait que le dimanche. 
Après avoir mis en terre Thierry, il y a eu un éclair qui a zébré le ciel, et ça m’a rappelé le générique de Zorro qui passait à la télévision le dimanche soir. L’unique rayon de soleil avant de reprendre le chemin de l’école le lundi matin. 
Aussi, quand j’ai présenté mes condoléances à la veuve de Thierry et à ses enfants, je leur ai dit « Bon dimanche » avant de m’éloigner sous la pluie.

samedi 21 mars 2020

Tous les ebooks sont gratuits !

En cette période de confinement contraint et qui risque de durer, j'ai décidé d'offrir tous mes livres en format ePUB. 
Ils sont donc lisibles sur à peu près n'importe quel support numérique, hébergés sur mon drive, ne nécessitent aucune inscription, aucun paiement... 
C'est absolument GRATUIT ! 
Vous trouverez ci-dessous les liens téléchargeables des fichiers ePUB ainsi que le thème du livre pour vous aider à choisir. 
Vous pouvez diffuser ce lien et le partager à qui bon vous semble, en revanche, un petit retour de lecture, avis ou commentaire constructif est toujours intéressant. Merci par avance, bonne lecture et bon confinement (ou confit d'oie) ! 

Cirque de masque et d'échasses (Nouvelles, 2019)
Ils sont six. Six personnages qui essayent chacun à leur façon de survivre dans un monde dont ils ne comprennent pas toujours le sens. Six destins qui pourraient être le nôtre, le vôtre, pour peu qu'une pièce, un jour, soit retombée de l'autre côté. Ils sont six. Celui qui court le Colorado. Celui qui s'occupe des autres. Celui qui choisit son ailleurs. Celui qui pédale pour sa vie. Celui qui visite les îles. Celui qui rêve d'indépendance.

Après les parenthèses (Roman, 2018)
Dessinateur de publicité sans génie, Éric Gallet vit dans l'attente d'un projet professionnel qui donnera du piment à sa vie. Divorcé, peu sûr de lui, le succès semble en effet décidé à le fuir. Il entretient de plus une relation distante et fragile avec son frère et le reste de sa famille qui vit à cinq cents kilomètres de Lyon.
Pourtant, à l'occasion d'un coup de téléphone inattendu, son destin pourrait bien basculer pour de bon. Si seulement il parvient à attraper la balle au rebond...

Des chardons dans la garrigue (Roman, 2017)
Poussé par son cousin et associé à prendre sa retraite, Eugène Piquemal, garagiste de soixante-quatre ans, se demande ce qu'il va bien pouvoir faire de sa nouvelle vie. Son fidèle compagnon Chien-Blanc se fera t-il à la campagne s'il quitte Carcassonne pour retourner dans son Minervois natal ? Mais une étrange découverte faite lors d'un week-end sur la côte Atlantique vient modifier son avenir d'une façon tout à fait inattendue, jusqu'à trouver un écho dans son propre passé.

Brûler à Black Rock  (Roman, 2016)
À Lyon, Maxime enchaine les petits boulots en attendant de réussir à écrire un roman. Pour tromper l'ennui, il aime grimper en haut des buildings la nuit et se confronter au vide. Roxane, jeune idéaliste de 27 ans désire, elle, mettre un peu de couleurs dans un quotidien un peu trop millimétré. Elle rêve de participer au Burning Man, le festival déjanté qui a lieu dans le désert de Black Rock, Nevada, chaque année à la fin de l'été. Et si l'allumette du brasier de tous leurs défis leur était fournie par un lointain parent vivant de l'autre côté du monde ? Serait-ce le point de départ pour une aventure de tous les possibles entre deux continents et quelques poussières du désert ?  

Waterloo en maillot de bain  (Textes courts, 2012)
Sélection de textes de très courte distance, sprints d'écriture, collection d'instantanés périmés, d'impressions fugaces et de morceaux de rêves arrachés au néant. Bouts d'imaginaires cueillis à froid, au sortir de songes plus ou moins conscients, entre deux trains, deux avions, deux nuits.

Journal d'un orphelin programmé (Roman, 2006)
Années 1980 à Lyon. Un enfant de 10 ans se retrouve confronté à la maladie de sa maman. Pour l'aider à passer ce cap, les médecins lui suggèrent d'écrire un journal intime. Ce recueil est le témoignage de la mémoire de l'enfant qui va devenir adolescent. Un enfant qui ne sait plus où s'arrête la réalité, où commence le monde des rêves et des super héros. Un enfant qui lentement s'enfonce dans une obsession qui va entrainer dans son sillage une famille entière vers une issue incertaine.

Journapalm 224

Hésitant entre chauffeur routier et fleuriste, adepte du consensus et réfractaire à tout conflit, Auguste Dunoyer décida de devenir apiculteur, pour ne causer ni honte à son père, ni déception à sa mère. 
 Pour son mariage, il laissa sa promise anglaise en plan lors de l’échange des vœux, mais ils continuèrent à vivre ensemble. Ne sachant où habiter entre Caen et Portsmouth, il s’établit sur l’île de Guernesey. 
Bien plus tard, il ne put se résolut à mourir. Plongé dans un état de coma dont il sortait par intermittence pour s’excuser : « désolé je ne suis pas encore décidé ».

vendredi 20 mars 2020

Journapalm 223

Armé d’une large pelle achetée au Castorama de Narbonne, Enguerrand Basique traquait une taupe qu’il suspectait de ravager son terrain. Soudain une boule poilue sortit de terre devant lui. Mû par un réflexe prodigieux, Enguerrand Basique abattit sa pelle sur la bestiole, tuant net celle-ci. 
Retournant l'outil et l'utilisant comme linceul, il emmena la chose morte à sa poubelle. Se débarrassant sans le savoir d’un rare Desman des Pyrénées, unique spécimen à avoir quitté sa région montagneuse pour s’aventurer si près de la méditerranée. Un cas d’étude prodigieux pour le tourisme taupier qui restera hélas inconnu.

jeudi 19 mars 2020

Journapalm 222

Ses parents lui parlaient souvent de ces vacances dans les Alpes Suisses l’été de ses quinze ans. Des paysages majestueux, des randonnées en altitude, de l’air pur… Mais lui, tout ce dont il se souvenait c’était de ce téléphérique pour monter au Titlis depuis Engelberg et des marmottes que sa mère venait de repérer : « regarde, y’en a trois, la !» Et de ce vieux chinois à la peau du visage parcheminée, vêtu d’une lourde redingote hivernale qui, furetant à la fenêtre du téléphérique, parvint à la débloquer avant de se jeter dans le vide.

mercredi 18 mars 2020

Journapalm 221

Le calme étreint la campagne encore endormie. Essaimées dans le champ, quelques taches blanches signalent la présence de vaches qui, imperturbables, poursuivent leur tâche de broutage. Le confinement ne les concerne pas directement mais elles n’ont plus de train à regarder passer pour se distraire. 
Aussi le paysan a-t-il modifié leur cadre de vie. Là, à proximité de l’entrée de l’étable, juste derrière les deux imposants blocs de sel qui leur sont réservés, il a installé un grand écran protégé par une toiture en zinc qui diffuse Netflix en continu.

mardi 17 mars 2020

Journapalm 220

Après avoir réussi à déjouer les rondes de surveillance des malabars en treillis taille 50, Éric est parvenu à monter jusqu’au soixante et unième étage du Chrysler Building. Là, il a enjambé le garde-fou et les jambes tremblantes, il s’est assis sur la tête de l’aigle d’acier orienté nord-ouest. 
Puis il a dégrafé son sac à dos, attrapé son ukulélé et commencé à jouer les premières mesures de Fly me to the moon. Ses seuls spectateurs, des pigeons mélomanes qui, des années plus tôt, avaient entendu Sinatra à Broadway lui fientèrent aussitôt sur le crâne.

lundi 16 mars 2020

L'extrait du... 16 mars

"- Et comment pouvez-vous parler notre langue ? La lèvre inférieure du Martien s’enroula sur elle-même (elle était remarquablement bien adaptée à cette opération). 
- Je parle tous vos petits langages à la gomme. On les entend tous dans vos programmes de radio, et même sans ça, je me charge d’en assimiler un en une heure. C’est du genre enfantin. En y mettant mille ans, tu ne pourrais pas apprendre le martien. 
- Pas étonnant que vous ayez faible opinion de nous si vous la fondez sur nos programmes de radio. La plupart sont puants, je vous le concède. 
- Je suppose que vous êtes nombreux à le penser, puisque vous vous en débarrassez en les projetant en l’air…"

Fredric Brown - Martiens go home ! (Denoel, trad.A.Dorémieux)

Journapalm 219

Au cours de sa carrière dans les ordres, père Akinwumi a d’abord fait face au racisme, seul prêtre noir dans son diocèse basque. Puis il a dénoncé les agissements de deux prêtres pédophiles, s’attirant les foudres des adeptes de la loi du silence. Mais ce qui a bouleversé sa vie, c’est la découverte de la stégophilie. Chaque nuit, dans les intervalles laissés libres par la liturgie, il escalade églises et cathédrales. Alors, dans l’obscurité et le silence, il contemple les lumières des bourgs endormis et entre deux prières, se prend à rêver d’alpinisme.

dimanche 15 mars 2020

Journapalm 218

En ouvrant le store de ma cuisine, j’aperçois un chat avancer doucement dans les hautes herbes. Ses mouvement sont lents et discrets, typiques de la traque qu’il porte dans les gènes depuis des lustres. 
On dirait bien qu’il est totalement insensible aux confinements humains et aux épidémies qui en sont la cause. 
Dans sa faune locale, ce félin n’affronte pas de parking bondé par des survivalistes au bord de la crise de nerfs. Cette nuit pourtant je parie qu’il faisait moins le malin, planqué sous ma voiture, craignant les patrouilles de chauve-souris.

samedi 14 mars 2020

Journapalm 217

Jérôme a vingt ans, travaille dans un garage de banlieue et subit les foudres d’un patron tyrannique marié à Catherine, une femme neurasthénique qui tient sa comptabilité. Jérôme s’emmerde : la vie ne tient pas ses promesses, elle n’est faite que de mensonges et de déceptions. 
Catherine a cinquante ans, elle est encore belle mais triste comme un Lavomatic un dimanche pluvieux. Surprenant leur levrette dans le bureau de sa femme, le mari éclate le crâne de Catherine avec une clé de douze. Jérôme s’enfuit, comblé que sa vie se colore enfin, même si c’est en rouge.

vendredi 13 mars 2020

Journapalm 216

Si l’on avait étudié de plus près le passé du pilote kamikaze qui a précipité son Boeing 737 sur l’école communale de St Ouen, on aurait découvert qu’à l’âge de huit ans et alors qu’il était scolarisé dans cet établissement, le futur pilote était la risée de ses petits camarades au seul motif qu’il n’osait pas sauter dans les massifs de troènes depuis le toit des vestiaires, la faute à son vertige irrépressible.

jeudi 12 mars 2020

L'extrait du... 12 mars

"Une bande de mecs comme nous est allée traquer le cerf et l’orignal au Canada. Il fallait que quelqu’un se charge de la cuisine, sinon ils mourraient tous de faim.
Ils tirèrent à la courte paille qui ferait à manger pendant que les autres chasseraient de l’aube au crépuscule. (…) c’était mon père qui avait tiré la courte paille. Papa savait cuisiner. (…)

Les chasseurs se mirent d’accord : quiconque se plaindrait de la cuisine de mon père deviendrait cuisinier à son tour. Mon père préparait donc des repas de moins en moins bons pendant que les autres s’éclataient comme des petits fous dans la forêt. Même quand le souper était infect, les chasseurs le qualifiaient de délice à se lécher les babines, lui donnaient des claques dans le dos et tout le tralala.
Un matin, après leur départ, mon père trouva une grosse bouse d’orignal toute fraîche. Il la fit frire dans de l’huile de moteur. Le soir, il la servit comme s’il s’était agi d’un pâté en croûte encore fumant.
Le premier qui goûta recracha tout. Il n’avait pas pu s’en empêcher ! Il postillonna :
« Nom de Dieu ! On dirait de la bouse d’orignal frite dans de l’huile de moteur ! »
Puis il ajouta :
« C’est fameux ! Fameux !»"

Kurt Vonnegut - Tremblement de temps 
(Super 8 - trad. Aude Pasquier)

Journapalm 215

Quittant le musée des Offices sous le choc des œuvres de Boticelli, de Vinci et de Michel-Ange, la touriste coréenne pénètre dans l’église Saint-Ambroise de Florence. Là, dans la confusion et la méditation, elle écoute la pluie. Cette pluie florentine lui parait plus belle et plus ample que n’importe quelle autre ailleurs dans le monde. Soudain elle comprend qu’elle vient de trouver sa voie. 
Elle rédige un mail d’adieu sur son smartphone à l’attention de ses parents puis jette l’appareil dans la vasque d’eau bénite. Elle ne reviendra pas à Séoul. Désormais elle sera religieuse à Florence.

mercredi 11 mars 2020

Journapalm 214

Ce n’est pas pour rien qu’on dit qu’il s’agit d’une ville fantôme. Après l’explosion de la centrale, les gens l'ont quittée à cause des taux records de contamination. Aucun animal n’a mis bas dans les mois qui ont suivi et les premiers nés souffrent de plusieurs difformités. 
Le soir pourtant le casino reste ouvert et les victimes brûlées par les radiations se retrouvent autour d’un verre de napalm. Certains croquent un acide pour oublier. Alors on met de la musique et on danse sans conviction sur une piste radioactive pour faire comme si de rien n’était.

mardi 10 mars 2020

Journapalm 213

Pour tromper l’ennui et vaincre sa peur, il commandait toujours un double whisky en avion. Il passait ensuite la majeure partie du voyage endormi sur son fauteuil. Ce jour-là on lui annonça une rupture de stock sur les alcools. Il déglutit et considéra avec angoisse les heures à venir dans la carlingue. Prétextant une raison médicale, il demanda à se poser en urgence. Le commandant de bord vint le trouver. Visage livide, yeux rougis, la cravate défaite, puant la vodka à deux mètres, il lui expliqua qu’ils survolaient l’Atlantique et qu’ils ne pouvaient plus faire demi-tour.

lundi 9 mars 2020

Des illustrations en écho...

De l'art du recyclage d'illustrations dans les livres...

Journapalm 212

Les phares l’attiraient mais victime de mal de mer, elle ne visitait que ceux installés sur le continent. Un jour de tempête et alors qu’elle en visitait un construit sur une falaise en bordure de l'océan se produisit un tremblement de terre. Le sol se coupa en deux et le phare se retrouva séparé du monde, en haut de son pic vertigineux, entouré d’une mer furieuse. Réfugiée à l’intérieur du phare pour la nuit, elle fut hélitreuillée le lendemain. Réalisant quelques jours après que son mal de mer était définitivement guéri.

dimanche 8 mars 2020

Journapalm 211

Ce jour-là, réveillé en sursaut par l’inhabituelle sensation de jour avancé, il a lu avec incrédulité « 11h02 » sur son téléphone. Il était pourtant convaincu d’avoir programmé son réveil comme tous les autres jours. Impossible d’appeler au bureau, plus de réseau. Habillé en vitesse, au moment de sortir de son appartement géré par domotique, ton téléphone a refusé de débloquer la porte. Et à la place, le téléviseur s’est allumé. Les images tournées en direct depuis un hélicoptère montraient des bandes armées tirer au fusil mitrailleur dans la ville, où des morts jonchaient les trottoirs.

samedi 7 mars 2020

L'extrait du... 7 mars

"Ils sont trois, cinq cents, mille, ils sont légion, des millions. 
Leur nombre s’explique par des facteurs économiques et sociaux, mais il faut avoir le courage de compléter l’explication en disant que quelque chose d’instinctif, inscrit sans doute dans le patrimoine génétique de l’espèce, pousse les grandes masses humaines à cautionner ce qui promet la désolation et le carnage. 
Un élan mystérieux anime collectivement les esprits et les dévoie vers le pire. Il suffit qu’aux opinions publiques on désigne un ennemi hors des frontières pour qu’en une nuit, elles se bellicisent et fassent bloc autour de nos soldats ; pour qu’après une seule journée d’orchestration du mensonge, elles plébiscitent les bombardements, réclament à n’importe quel prix la victoire ; goulûment elles s’abreuvent à la propagande martiale."

Antoine Volodine - Alto solo (Minuit)

Journapalm 210

Quand il est arrivé à Barcelone, il avait deux ans. Il n’a pas vu grand-chose à l’arrière d’un véhicule qui suivait un itinéraire peu touristique dans la capitale catalane. Déjà dans l’avion il n’avait même pas vu voir la mer. Peut-être avait-il aperçu l’océan atlantique avant de s’envoler de Guinée mais rien n’est moins sûr. 
Devenu adulte, il semblait se détacher de son destin de star. Le plus souvent il regardait le ciel et mâchonnait des aliments d’un air pénétré. Le gorille albinos de Barcelone a poussé le mimétisme humain jusqu’à mourir d’un cancer à quarante ans.

vendredi 6 mars 2020

Qui veut être bêta lecteur ?

En ces temps obscurs de coronavirusation de la société, je vous propose de bénéficier avant qu'il ne soit trop tard de la lecture de mon dernier roman, en avant première. Oui je sais, c'est Noël avant l'heure... 
Dans la langue obscure née des croisements fous entre champs lexicaux scientifiques et littéraires, on appelle ça un bêta-lecteur. 
Parce que oui, en échange de cette lecture gratuite, il faudra quand même que vous fassiez quelques devoirs...

En gros ça consiste en quoi la bêta lecture ? 
C'est simple : il faut lire un roman qui n'est pas encore tout à fait terminé et ensuite rédiger un petit compte rendu pour souligner : 
- ce que vous avez aimé/pas aimé et pourquoi 
- ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans le roman
- est-ce que vous avez cru aux personnages ou pas ? et pourquoi ? 
- est-ce que vous avez détecté des incohérences, et lesquelles ? 
Il s'agit juste de lire, comme vous liriez un roman "normal" et dire ce que vous en avez pensez et pourquoi. Grâce à ces retours, je eux bénéficier de plusieurs pistes d'amélioration que je pourrais ensuite intégrer à mon roman avant publication.

Et en quoi ça ne consiste pas, la bêta lecture ? 
Inutile de corriger les fautes d'orthographe, de grammaire ni de faire des suggestions stylistiques. Le roman tel que je vous le soumettrai n'aura pas encore subi les dernières phases de correction. Il y aura donc des coquilles, des fautes, des phrases un peu lourdes et même des passages qui risquent de sauter. 

Et en pratique ? 
Si vous voulez être bêta lecteur, vous me le signalez (par mail, en commentaire ici ou sur Facebook...)
Entre le 20 et le 25 mars : je vous envoie le roman au format word et un petit récap par mail de ce que j'attends de vous :) 
15 avril : vous me renvoyez votre petit compte-rendu.
Rassurez-vous, ce roman est plutôt court (moins de 200 pages) et se lit vite. 

Journapalm 209

Après une erreur qui arrêta les applications informatiques de l’entreprise cinq heures, la directrice des ressources humaines reçut Jean Leboin. Après les remontrances, celle-ci lui expliqua avec un ton pénétré que compte tenu de sa situation de père de famille, on lui proposait un arrangement évitant un licenciement sec.  
Le lendemain, on enchaina Jean au fond d’un minuscule local de service, nu. On lui apporterait deux repas par jour. Ses collègues pourraient venir à tout moment déverser sur lui leur trop plein de frustrations et de haines. Matraque, tisonnier et couteaux leur seraient fournis de sept à dix-neuf heures.

jeudi 5 mars 2020

Journapalm 208

Las Vegas l’attirait depuis l’enfance. Se présentant au guichet du voyagiste, il commanda le week-end « Vegas as Tarantino » sans en connaitre le détail. 
- Faut bien jouer à Vegas, non ? 
La fille du guichet opina, mutique. 
Après quarante-huit heures de casino, d’escort-girl voluptueuse et de whisky, on le ligota dans un coffre de bagnole et on l’emmena de nuit dans le désert. Jeté au sol pieds et mains liés, il observa un malabar au regard détraqué creuser sa tombe à la lueur des phares de la Cadillac. Comme partout ailleurs, le dimanche soir c’était l’angoisse à Vegas.

mercredi 4 mars 2020

Journapalm 207

Ce qu’il lui plaisait dans la chanson américaine de cette époque-là, c’était ses liens avec la pègre. Elle partageait avec Dean Martin et Franck Sinatra des origines italiennes qu’elle revendiquait depuis l’enfance. 
Les nombreux télé crochets et émissions de télé réalité la snobèrent, et elle ne perça jamais dans la chanson malgré ses interprétations plutôt convaincantes de quelques tubes d’Henri Salvador. 
Alors, à l’âge de vingt-cinq ans elle se réorienta dans le crime. Devenant en quelques années à peine la baronne du milieu basque sur lequel elle régna avec une main de fer et une voix manquant de coffre.

mardi 3 mars 2020

L'extrait du... 3 mars

"Finalement, il se dit qu'il était plutôt mieux loti que les types qui avaient du travail. C'étaient des esclaves. Ralph était bien placé pour le savoir. Il savait ce que ça voulait dire de travailler dans un service d'expéditions à se crever la paillasse, à écouter les gros bonnets vous traiter d'imbéciles, vous montrer ci, vous monter ça, vous dire de faire ceci et de faire cela, et vous demander où vous étiez le jour de la distribution de matière grise. Et les paquets, et les colis, et les jurons, le papier, la ficelle. Et la poussière, la sueur, et tous les employés fatigués, déprimés, marmonnant des injures, haïssant le patron, se détestant les uns les autres, qui attendent et espèrent seule chose : l'heure de la sortie, et qui prient pour qu'il soit cinq heures et demie le plus tôt possible, parce qu'il y a des limites à ce qu'un homme peut supporter. Et c'était cela, avoir un emploi. C'était ce qu'on appelait "faire quelque chose"."

David Goodis - La blonde au coin de la rue 
(Rivages / Trad. Jean-Paul Gratias)

Journapalm 206

Ni vraiment assis ni tout à fait allongé dans son canapé, il additionne les heures devant son téléviseur. Pour tenir, du mauvais scotch acheté par bouteilles de deux litres au petit supermarché à l’angle de sa rue. Il ne répond plus au téléphone, de toute façon personne ne l’appelle, juste les démarcheurs...
Il craque un jeudi vers 17h. Soudain il se lève, se saisit de son téléviseur et le jette par la fenêtre où l’appareil tue un gosse sur le coup. Au tribunal, il est placide. La prison au fond, il y est entrainé.

lundi 2 mars 2020

Journapalm 205

« Il met tant d’application à se bousiller le foie à coups de rhum et de vodka… ça force le respect une telle abnégation. 
- Si le Bar de la plage ouvre encore, c’est grâce à lui. Il doit bien y laisser euros par jour ! 
- Ouais tu parles ! Et puis, avec cent euros il pourrait se bourrer la gueule de façon plus efficace chez lui ! 
- S’il cherchait l’efficacité, il partirait à Vladivostok. 
- Pourquoi Vladivostok ?
- Je sais pas, j’ai dans l’idée qu’on peut s’y détruire le foie plus vite. »

dimanche 1 mars 2020

Journapalm 204

Il voulait partir en marge du monde. Là où les Hommes ne sont que des virgules sur une feuille blanche. Il ne brûlait d’aucune ambition, et sûrement pas de rebâtir quelque chose. Son existence venait de s’enliser dans une impasse boueuse. Avec cet exil, il commettait un lent suicide : celui des autres. 
Assis sur le perron de sa cabane, à flanc de colline dominant la mer Égée, il aurait tout le temps d’y penser et de ne rien regretter.