dimanche 31 mai 2020

Journapalm 295

Ils le savaient bien : il ne leur restait que quelques années à vivre. Cette occasion de gravir le mont Fuji comme la tradition nipponne le demandait à tout natif de l’empire serait certainement leur dernière. « Une fenêtre de tir idéale » avait même déclaré la femme de l’agence de voyages qui s’occupait de l’organisation du séjour. Toutefois, quand elle ajouta qu’il conviendrait de s’entrainer physiquement quelques mois en avance, le couple de septuagénaire tiqua sévèrement. Et lorsqu’ils apprirent que le Fuji n’était pas équipé d’ascenseurs avec musique d’ambiance, ils annulèrent toute l’expédition.

samedi 30 mai 2020

Journapalm 294

Quand il rentrait chez lui après un énième ballon de rouge, il réussissait toujours à rejoindre son lit sain et sauf. Il s’agissait pourtant d’une drôle de gageure vu son état quand il quittait le zinc du bar des sports. Mais il ne pouvait se résoudre à s’enivrer ailleurs, et surtout pas chez lui, seul ? Bah, quelle idée glauque ! 
Le lundi de pentecôte pourtant sa voiture n’a pas retrouvé la maison. Ironie du destin diront les compagnons de beuverie, il est mort en s’encastrant dans le mur de la fabrique de bière sans alcool.

vendredi 29 mai 2020

L'extrait du... 29 mai

« Dans le courrier, avec le manuscrit d'un de mes romans que me renvoyait un agent de New York, j'ai trouvé une lettre. Je l'ai lue en buvant une bière et en fumant une cigarette. Elle disait (en plus de "Cher Monsieur Barlow") : 
"Nous vous renvoyons votre roman, non parce qu'il n'est pas publiable, mais parce que le marché, actuellement, n'est guère réceptif à des histoires de camionneurs ivres transportant du bois, de bouseux et de chasse au cerf. […]"
C'était signé par un quelconque connard. Je n'ai pas lu son nom. J'ai glissé une feuille de papier dans ma machine et j'ai rédigé ma réponse :
"Vous, monsieur, n'êtes qu'un ignare. Comment pouvez-vous savoir que ça ne se vendra pas, bordel, si vous n'essayez même pas ? Et puis, est-ce que vous croyez que je peux vous en chier un autre en cinq minutes ? Ce putain de roman m'a pris deux ans de travail. Avez-vous la moindre idée de ce que ça coûte à quelqu'un ? Vous aimez jouer au Dieu tout-puissant avec nous, là-haut. Vous avez gardé mon manuscrit trois mois sans même le faire passer à des éditeurs. Alors que moi, pendant ce temps-là, je croyais que quelqu'un se tâtait pour l'acheter. Je regrette que vous ne soyez pas dans le coin. Je vous botterais le cul. Je vous le défoncerais à coups de pompes et j'y ferais un trou boueux que j'essuierais avec mes semelles. Espèce de bouffeur de merde. Je vous souhaite de perdre votre job. De toute façon vous le faites comme un con. Je souhaite que votre femme vous file la chaude-pisse. J'aimerais bien que vous fassiez mon boulot et moi le vôtre. Ça vous dirait de peindre quelques maisons par quarante degrés ? Je peux vous garantir que c'est pas si marrant que ça. Je vous souhaite de vous faire écraser par un taxi en rentrant chez vous. Et puis de crever au bout d'un mois dans des douleurs atroces."
J'ai remonté la feuille et je l'ai lue. Elle m'a paru pas mal. Elle exprimait exactement ce que j'éprouvais. Grâce à elle, je me sentais bien mieux. Je l'ai relue, puis je l'ai sortie de la machine, je l'ai déchirée et je l'ai jetée. »

Larry Brown - 92 jours (Gallimard, trad. Pierre Furlan)

Journapalm 293

Accoudé au comptoir du spatio-port, le capitaine Yoss-222 terminait un second verre d'hermapoulis, son cocktail favori (jus de poulpe irradié agrémenté de bave d’escargot albinos). Au-delà des vertus aphrodisiaques qu’on lui prêtait, la teneur en alcool du cocktail s’avérait redoutable. 
Lorsque le pilote en commanda un troisième, la fille derrière le bar manifesta de l'agacement. 
- Vous devriez peut être arrêter là, vous n’avez pas un vol pour la Terre ? 
- Et alors ? t’as de la famille dans le vaisseau ? 
- Non mais ma mère est d’origine poulpe

jeudi 28 mai 2020

Journapalm 292

Arrêtée à plus de cent kilomètres de chez elle pendant le déconfinement de 2020, une plantureuse étudiante belge a été surprise à moitié nue sur la plage de la Corniche, près de Sète. 
Interrogée par la police, la jeune femme aurait déclaré qu’elle recherchait la tombe du grand Georges dont elle aimait tout particulièrement le Supplique. On lui rétorqua qu’elle aurait dû pour cela se rendre directement au cimetière de la ville. 
« L’idée m’a effleuré, admit-elle visiblement très déçue. Mais je la trouvais bien trop conventionnelle. »

mercredi 27 mai 2020

Richard vous attend !

Il parait qu'il faut un pitch pour vendre un livre, que ça aide. Je ne suis pas très à l'aise avec cet exercice. Lorsqu'il faut pondre un argumentaire à coller en quatrième de couverture d'un livre, je me sens au pied d'une ascension qui me parait plus difficile que celle de l'écriture du livre lui-même. Résumer une histoire, réduire des personnages que l'on a côtoyés parfois des centaines de pages en une ou deux phrases me parait au-dessus de mes forces. D'ailleurs lorsque j'entre dans une librairie, je ne lis jamais les quatrièmes de couvertures. 

Quoi qu'il en soit, je vais tenter l'exercice pour présenter "Richard, vu de dos".  Ce bouquin va vous parler de Richard (forcément), un septuagénaire qui vit seul ou plutôt avec ses chiens, dans une maison isolée d'un hameau imaginaire mais bien réel (à moins que ce ne soit le contraire) dans les gorges de la Jonte. Bon, mais forcément, ça ne remplit pas 160 pages l'histoire de Richard et de ses chiens, alors j'y ai ajouté des amis, une obsession étrange et un secret bien gardé. Sans oublier une histoire de famille. Bon, voilà, je recommence à vouloir trop en dire ou pas assez, ou mal, ou tout à la fois. Le mieux que vous ayez à faire reste peut-être de commander le livre et de le lire pour connaître l'histoire de Richard. 

Version papier ou version kindle uniquement disponibles sur Amazon puisque c'est la filiale du géant impérialiste qui désormais imprimera à la demande mes livres (tous les autres seront progressivement disponibles dans le même format et au même endroit). C'est un peu moins cher pour vous, un peu plus simple pour moi. Merci de diffuser le lien à qui bon vous semblera pour ménager un bon accueil à Richard, à ses chiens et aux gorges de la Jonte ! 

Journapalm 291

Le plus émérite chasseur de la tribu m’a adressé un regard apeuré. Puis il a eu de grands gestes syncopés et son visage parcouru de tics incessants s’est mis à vibrer. L’interprète s’est alors penché vers moi et m’a traduit les propos du chasseur. Le grand oiseau avait ouvert ses serres sur les épaules de son jeune fils et l’avait emporté avec lui. Je devais aller le récupérer dans son nid tout en haut d’un piton rocheux dans la montagne.
- Pas question, ai-je répondu, dis-lui que j’ai le vertige.

mardi 26 mai 2020

Richard bientôt déconfiné !

En plus des péripéties naturelles qui surviennent dans la vie d'un texte qui devient livre, celui-ci revient de loin. 
"Richard, vu de dos", dernier roman en date aura donc subi un confinement mais aussi un déconfinement pendant lequel il aura affronté  un changement d'imprimeur...  On peut dire que pas grand chose ne lui aura été épargné, lui qui a également connu deux faux départs entre fin août et début octobre 2019 lorsque j'ai jeté deux débuts de manuscrits et une bonne centaine de pages au total.
Mais qu'importe, ce bouquin sera enfin disponible en version papier et en version kindle d'ici 48 heures... Les ultimes confirmations et validations ont été faites ce matin à réception du bon à tirer. Plus d'informations sur le livre et les liens pour se le procurer dans la semaine... 

Journapalm 290

Son épouse devint plus bougonne qu’à l’accoutumée. Il mit cela sur le compte de désagréments professionnels. Puis elle décréta que désormais elle ne cuisinerait plus que du saumon. Outre la monotonie de ce régime, il s’alarma de son aspect dispendieux. Lorsqu'elle ne s’exprima que par des grognements et que de longs poils bruns lui poussèrent sur le visage et sur le corps, il s'enfuit. 
 Désormais réfugié politique, il vit des droits d’auteur de son livre « Ma femme est un ours comme les autres » qui déchaine les passions des féministes et des ligues de défense des animaux sauvages.

lundi 25 mai 2020

L'extrait du... 25 mai

"Les représentants de cette engeance naissent vieux, avec dans leur génome une prédisposition à intégrer une grande école pour y séduire les enseignants qui se reconnaissent dans leur brillant psittacisme, en sortir clonés, et à se dupliquer dans de jeunes vieillards qui reproduiront les conventions d'une classe rodée au code des bonnes manières et à la pétrification des savoirs, mais totalement inapte à la fantaisie, à l'originalité et à l'égarement."


Emmanuel Venet - Rien (Verdier)

Journapalm 289

Il se tient debout sur le rebord extérieur de la fenêtre. Un bout de béton vaguement peint en blanc qui mesure moins de trente centimètres de long et qui l’oblige à positionner ses pieds en travers pour ne pas glisser. Certes il va se suicider mais il veut rester maitre du moment de la chute. Il a tout loupé dans sa vie, il ne veut pas louper sa mort en prime. Mais alors qu’il va sauter, il pense à sa cuisine. Soudain un affreux doute l’étreint : n’aurait-il pas oublié de fermer le gaz ?

dimanche 24 mai 2020

Journapalm 288

Après avoir lu une multitude de contes et légendes de tous pays et de toutes époques, il en est arrivé à la conclusion que la mort la plus pure assénée à un proche ne peut être causée que par un violon ou un tigre. 
Il a donc fondé la société « Tigre ou Violon » spécialisée dans les missions d’assassinats à la demande. 
Après deux mois à peine, il compte plus de trois cent clients. Incroyable le nombre de personnes prêtes à assassiner quelqu’un pour une simple question de marque sur la place publique.

samedi 23 mai 2020

Journapalm 287

Deux hippocampes échappé d’une rafle sous-marine au large de Bornéo ont remonté un réseau de galeries invisibles jusqu’à Paris. 
Un dimanche matin de mai ils ont éclos à la surface du grand bassin des jardins du Luxembourg avec un « flop » exotique, occasionnant un mini tsunami qui a fait chavirer un voilier miniature.

vendredi 22 mai 2020

L'extrait du... 22 mai

"Non loin d’eux, seule et nue, Louise Tourneur va et vient dans une piscine de vingt mètres sur douze. En arrière-plan se dresse une villa moderne et tarabiscotée : décrochements et surplombs, verrières polychromes, échauguettes bivalves, balustres asymptotes et autres finasseries. 
La piscine est bordée sur ses largeurs de cactées géantes en pots et, sur une de ses longueurs, une barrière végétale constituée de volumineux agaves en rang la protège des regards extérieurs. Alentour se déploie une terrasse en marbre antidérapant ponctuée de jarres vernissées dans lesquelles se développent du Melianthus major ou du Fatsia japonica. Des fauteuils en fibre de chanvre, chaises longues en cuir de lézard noir et tables basses en ronce de benjoin définissent un salon d’été, autour d’une desserte supportant nombre d’alcools faibles et forts, sodas, boissons énergétiques, avec un seau à glace en vermeil repoussé au flanc duquel, tendrement, le soleil vient de poser un lascif reflet. On est chez les riches, il fait beau."

Jean Echenoz - Vie de Gérard Fulmard (Minuit)

Journapalm 286

Lorsque la terre a cessé de tourner, pour la première fois de sa vie il était sur le point de réussir à monter une mayonnaise à la main. Quand il s’est senti projeté vers le mur porteur de son appartement, il a tout juste eu le temps de penser « encore loupé ! »

jeudi 21 mai 2020

Journapalm 285

Assis à l’arrière de la voiture, ses yeux décryptent le paysage de mai. Les bottes de foin fraichement roulées forment des sentinelles éparses dans le vaste champ. Au sol, il aperçoit les oiseaux qui picorent et son père lui dit que d’invisibles rongeurs peuplent également les sillons. L’explication de la présence des buses majestueuses posées sur les bottes de foin, telles des gardes impassibles. Réalisant que plus tard, lui ne pourra jamais se trouver sur une botte de foin, l’enfant se met à pleurer.

mercredi 20 mai 2020

Journapalm 284

La voiture autonome est devenue une réalité. Deux fois par semaine, Paul, négociant en poissonnerie, effectue le trajet Brest Montpellier sans toucher à son volant. Pendant que la voiture conduit dans un silence électrique, Paul regarde des films sur l’écran panoramique rétractable. Qualité d’image impeccable, son clair et puissant : un cinéma portatif rien qu’à lui ! 
Mais la veille de Noël, Paul n’est pas rentré à Brest. Victime d’une défaillance, la voiture autonome s’est encastrée sur le pilier d’un pont autoroutier. La boite noire montrerait qu’elle cherchait à regarder le film, elle aussi.

mardi 19 mai 2020

Journapalm 283

Réveil de fin du monde étrangement familière. La redite d’un lendemain de sortie en boite de nuit. La langue pâteuse, sa gorge comme un Colorado évaporé et dans la glace, ses yeux façon étrons au fond des chiottes. Et puis il y a ses bras couverts de balafres douloureuses, meurtris et griffés jusqu’au sang. Alors il retourne à tâtons dans sa chambre plongée dans l’obscurité et tire les rideaux. Dans son lit, un filet de bave à la commissure des lèvres, ronfle un tigre aux pattes de boxeur.

lundi 18 mai 2020

L'extrait du... 18 mai

"Crime et châtiment » fut l'éclair tombé du ciel qui le fracassa en mille morceaux et quand il parvint à s’en remettre, il ne subsistait plus chez Ferguson le moindre doute quant à son avenir. Si un livre pouvait être cela, si c'était cela l’effet qu’un roman pouvait provoquer dans le cœur, l’esprit et la vision la plus intime qu’on pouvait avoir du monde, alors écrire des romans était la meilleure chose qu’on puisse faire dans la vie, car Dostoïevski lui avait montré que les histoires imaginaires pouvaient aller bien au-delà du plaisir et du divertissement, vous arracher le sommet du crâne, vous ébouillanter, vous frigorifier, vous déshabiller et vous jeter dehors nu, en proie aux vents violents de l'univers, et à compter de ce jour, après s'être débattu dans tous les sens pendant son enfance, perdu dans les miasmes toujours plus épais de la perplexité, Ferguson, enfin, savait où il allait ou du moins savait où il voulait aller et pas une seule fois au cours des années suivantes il ne revint sur sa décision, pas même pendant les années les plus dures quand il avait l'impression d'être au bord du précipice."

Paul Auster - 4321 (Actes Sud, trad. Gérard Meudal)

Journapalm 282

Il a fondé l’ABD (Association des Boulangers Dépressifs) un 28 décembre, pendant la trêve des confiseurs. Le reste de l’année, le temps filait trop vite pour s’en occuper. Et puis des boulangers dépressifs, il n’en manque pas à cette période de l’année. 
Les adhésions affluaient lorsque le 4 janvier, il reçut un courrier d’un avocat du Massachussetts l’informant qu’un certain Paul Munster, président de l’ABD (Association des Boulangers Déracinés) portait plainte contre lui pour usurpation d’acronyme boulanger. 
Le 8 janvier, pour les départager, fut fondée l’ABD (Association des Boulangers Duellistes). Unique survivant des protagonistes de cette histoire.

dimanche 17 mai 2020

Journapalm 281

Ayant rêvé de lions et d’éléphants toute la nuit, elle quitte son sommeil à regret. Sentiment de frustration renforcé par le fait que ce lundi elle reprend l’école. 
- Papa, on part quand en Afrique ? 
Je ne peux pas lui répondre « jamais ma chérie » puisque jamais est un mot interdit depuis que nous avons accueilli deux martiens pour les dernières fêtes de Pâques. Alors à la place je lui sers un grand bol de céréales saturé d’acides gras et de sucres. 
Je sens que l’été va être rudement long.

samedi 16 mai 2020

Autoédition : Victoire d'Amazon

Amazon a gagné, je capitule. 
Je viens de céder aux sirènes de la plateforme KDP, la filiale d'Amazon qui se spécialise dans l'édition à la demande de livres papier et numérique. Pour quelqu'un qui se fait un point d'honneur à ne RIEN commander chez Amazon, ça la fout mal. Bon, techniquement, je continue à ne RIEN leur commander mais c'est une simple vue de l'esprit. Alors, comment on en est arrivé là, comment j'ai lâché les services de la plateforme "Lulu" avec laquelle j'ai autoédité tous mes livres ? 

Pendant le confinement j'ai reçu plusieurs mails de Lulu m'informant que suite à des modifications sur les structures des fichiers utilisés pour fabriquer mes livres, il convenait de faire des vérifications car peut être mes livres ne sont plus imprimables. Comme j'étais en pleine correction de "Richard, vu de dos", je ne m'en suis pas occupé tout de suite. 
Vers le 20 avril, j'avais fini la correction et j'ai donc lancé l'édition du bon à tirer de ce nouveau roman sur le site Lulu. Avec à la clé pas mal de difficultés car le site a complètement changé son ergonomie (pour faire franchement pire) mais j'ai réussi à finaliser le bon à tirer. Confinement en cours, j'ai attendu trois semaines pour recevoir ce dernier. Entre temps, je ne m'occupe plus de tout cela, et je bascule sur l'écriture d'une nouvelle - réécrite deux fois et terminée depuis. 

13 mai : le bon à tirer arrive enfin. Et là, je constate plusieurs problèmes : interlignes qui ont sauté, saut de page oublié... Et en prime quelques coquilles qui ont échappé à mes dernières séances de relecture. Tel Pénélope se remettant une nouvelle fois à l'ouvrage pour corriger, j'édite une nouvelle version du fichier Word utilisé. Et là, après une heure à tout vérifier, je m'apprête à télécharger le fichier sur Lulu quand je constate que depuis la nouvelle plateforme, on ne peut plus utiliser de fichier DOC comme avant, mais uniquement des fichiers PDF. En tournant sur le site je constate que les changements ne s'arrêtent pas là, car plusieurs de mes livres ont des alertes sur le processus de distribution (alors que je n'avais jamais eu un seul problème en plusieurs années d'utilisation). Un peu à cran, je transforme donc le DOC en PDF en râlant car oui, je vieillis et je développe une tendance à la crispation dès que je fais face à une perte de temps impromptue (pléonasme ? à voir) En tous les cas mon temps disponible, je préfère le passer à lire ou à écrire qu'à faire de la mise en page sur un site à la ramasse. 
Le PDF se charge, il faut attendre que les automates de vérification de la plateforme rendent leur verdict. J'attends quelques instants et là, messages d'erreur sur la transparence incorrecte de mon fichier, plus d'autres messages d'erreur exotiques et franchement pénibles car sibyllins et sans aucune aide pour en trouver la cause... C'en est trop, je rends mon tablier. Merde à Lulu et compagnie ! 
J'ouvre alors une autre fenêtre de mon navigateur et me lance dans une comparaison rapide des offres des différentes plateformes d'impression à la demande (car au fond c'est bien plus de cela qu'il s'agit que d'autoédition, puisque je ne fais aucune promotion ni ne parle jamais de mes bouquins ailleurs que sur ce blog ou sur mon Facebook). 
En résumé c'est très simple : KDP (filiale d'Amazon) est la plateforme plébiscitée en France et ailleurs car c'est à la fois la plus simple et la moins chère. Elle permet en outre de transformer un livre papier en ebook en un clic. Grosse crise d'introspection (Amazon c'est le diable!)  et puis je craque. Tant pis, Amazon a gagné, je vais faire comme les autres, je vais choisir la facilité et surtout le prix le moins cher pour mes rares lecteurs. 

Pour déculpabiliser, je me dis que de toute façon, les autres plateformes appartiennent elles aussi à des géants de l'édition ou du numérique. Et que bon, on parle de quoi au fond, cinq exemplaires de chaque roman que je vais vendre ? Moi, tout petit auteur modeste inconnu et moucheron je ne vais pas aller combattre les chimères avec ma bite et mon couteau. Alors voilà, j'envoie le fichier DOC de "Richard, vu de dos" corrigé sur la plateforme KDP. Et là, franchement, faut reconnaître que c'est autrement mieux fichu que sur Lulu. Tout est clair, facile, ça se charge sans erreur et même l'étape de conception des couvertures est plus ergonomique. Quant à l'outil de vérification avant validation, il est carrément très bien fichu. Et lors de la simulation du prix, celui-ci est tout de suite divisé par deux par rapport à Lulu. Bon, reste maintenant à recevoir le bon à tirer pour savoir si vraiment c'est impeccable. Et si ça l'est, alors je vais supprimer mon compte Lulu et remettre à disposition tous mes livres avec KDP...

Journapalm 280

Accoudé à la rambarde, il regarde la mer d’huile à perte de vue tout autour de lui. Un brin désespéré par sa surface étale qui n’invite à aucune rêverie, il finit même par s’assoupir, bercé par le clapotement régulier des moteurs. 
Dans son rêve, des créatures fantastiques, à la fois amphibies et ailées, déchirent les flots et crachent du feu. Malgré sa bravoure, il finit par succomber dans de chaudes souffrances. 
Se réveillant d’un coup, il appele sa femme et lui demande de le pardonner. Promis, ils vont retrouver leur vie morne et inintéressante, c’est plus sûr.

vendredi 15 mai 2020

Journapalm 279

Soudain un ballon la frappe au visage. Un gosse arrive en courant, dérape et lui envoie une giclée de sable dans les yeux et dans la bouche, dégouline d’eau froide en piétinant sa serviette pour récupérer son ballon. Puis le mioche repart en hurlant des insanités à un de ses copains resté en arrière.

Arrivée devant le feu rouge, il rétrograde et s’arrête.
- Hé chérie, réveille-toi ! Dis, on réserve le camping pour juillet ? Ils disent qu’on peut.
- Je crois pas que ça soit vraiment prudent avec le virus. Pourquoi pas à la montagne, plutôt ?

jeudi 14 mai 2020

Journapalm 278

Sortant de chez elle particulièrement en retard, elle s’est mise à courir pour attraper son bus qui déjà redémarrait de l’arrêt « Hôtel de ville ». Traversant la rue piétonne à la hâte et sans regarder par côté, elle ne l’a pas vue arriver. Le choc fut terrible, elle est morte sur le coup. 
L’enquête dira ce que fichait cet éléphant dans le centre-ville de Marseille. En revanche les experts sont formels sur un point : les éléphants ne savent pas lire les panneaux de signalisation.

mercredi 13 mai 2020

Journapalm 277

En se réveillant, elle remarque tout de suite que quelque chose a changé. Un rien qui ne saute pas aux yeux mais qui, elle le sait, compte beaucoup. Elle quitte sa chambre et marche dans le couloir avec cette sensation évidente de bouleversement diffus. Derrière les fenêtres, le ciel adopte un gris bleu blafard réglementaire. 
C’est en arrivant dans la cuisine qu’elle aperçoit le corps de son mari découpé en morceaux dans des sacs posés au sol. Sur ce parquet neuf auquel elle n’est pas encore habitué et qui la ravit chaque matin lorsqu’elle le découvre.

mardi 12 mai 2020

L'extrait du... 12 mai

"New York ! D'abord j'ai été confondu par ta beauté, ces grandes filles d'or aux jambes longues.
Si timide d'abord devant tes yeux de métal bleu, ton sourire de givre
Si timide. Et l'angoisse au fond des rues à gratte-ciel
Levant des yeux de chouette parmi l'éclipse du soleil.
Sulfureuse ta lumière et les fûts livides, dont les têtes foudroient le ciel
Les gratte-ciel qui défient les cyclones sur leurs muscles d'acier et leur peau patinée de pierres.
Mais quinze jours sur les trottoirs chauves de Manhattan
– C'est au bout de la troisième semaine que vous saisit la fièvre en un bond de jaguar
Quinze jours sans un puits ni pâturage, tous les oiseaux de l'air
Tombant soudain et morts sous les hautes cendres des terrasses.
Pas un rire d'enfant en fleur, sa main dans ma main fraîche
Pas un sein maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans sueur ni odeur.
Pas un mot tendre en l'absence de lèvres, rien que des cœurs artificiels payés en monnaie forte
Et pas un livre où lire la sagesse. La palette du peintre fleurit des cristaux de corail.
Nuits d'insomnie ô nuits de Manhattan ! si agitées de feux follets, tandis que les klaxons hurlent des heures vides
Et que les eaux obscures charrient des amours hygiéniques, tels des fleuves en crue des cadavres d'enfants."


Léopold Sédar Senghor - Ethiopiques (Le Seuil)

Journapalm 276

Quelques jours après la mise en place du confinement, il a constaté que son quotidien n’était en rien bouleversé. Les semaines qui ont suivi lui ont semblé douces et tranquilles. Le monde ressemblait à une grosse bête blessée ronflant dans sa tanière. Lui, il marchait une heure par jour, limité par la loi martiale. 
Quelques heures après l’arrêt du confinement, il a décidé que cela ne changerait rien pour lui. La grosse bête réparée est ressortie de son trou pour courir dans les centres commerciaux épancher sa soif mercantile. Lui, il est retourné dans les bois.

lundi 11 mai 2020

Journapalm 275

Ici les enfants naissent dans des champignons. Dès leur retour de la maternité, ils évoluent dans un monde de sens saturés de champignons. Vue, goût, odorat : leur monde est champignon. Dès qu’ils savent marcher, ils suivent leurs parents, oncles, tantes, cousines, sœurs, frères et chiens, tous réunis dans d’immenses cueillettes. 
Cèpes, giroles et oronges constituent leur triptyque royal, auquel s’ajoutent une flopée d’autres champignons comestibles. Sur ce territoire de plusieurs cantons, la famille R n’admet aucune concurrence. Et si certains essayent, les forêts et les bois constituent d’excellents tombeaux naturels favorisant la poussée des champignons.

dimanche 10 mai 2020

Journapalm 274

Décidé à mettre fin à ses jours il se balança d’un pont autoroutier. Mal avisé, il choisit un jour d’opération escargot et tomba dans un camion benne rempli de sable. La semaine suivante, il s’allongea sur une voie de chemin de fer, ignorant que les cheminots venaient d’entamer une grève illimitée. Lorsqu’il noua une corde à la poutre de sa chambre et qu’il y passa le cou, il découvrit que la poutre était infestée de termites et se retrouva le cul par terre. Aussi, pour s'assurer de parvenir à ses fins, il décida de continuer sa vie.

samedi 9 mai 2020

Journapalm 273

Il disait que sa mission ne serait achevée que lorsqu’on trouverait un livre dans chaque panier des clients à la caisse des supermarchés. Dans un siècle dominé par les obscurantismes et l’allégeance au dieu libéral par des joueurs en bourse aux trompettes de plastique, il pensait que la littérature pourrait sauver la civilisation. Il n’en était pas à sa première utopie. Plus jeune, il avait créé une revue de poésie contemporaine qu’il distribuait à la sortie des stades de football les jours de matches.

vendredi 8 mai 2020

Journapalm 272

Fuyant les avenues bondées et les trottoirs encombrés de la ville, il a pris le premier vol disponible pour un désert de sable et de dunes. 
Arrivé au cœur de l’aridité solitaire à dos de chameau grabataire, il a posé les pieds au sol avec le sentiment de toucher le paradis. Jouissant du silence et de la solitude quelques instants avant qu’une caravane de plusieurs centaines de marchands ambulants ne vienne s’installer autour de lui, marquant le début de la grande braderie annuelle du désert.

jeudi 7 mai 2020

Journapalm 271

- Mais qu’est-ce que vous croyez docteur ? Quand on craque, on craque ! On ne choisit pas le moment.
- Je sais bien madame mais tout de même, en plein supermarché... 
- C’est arrivé comme ça je vous dis, je n’ai pas calculé ! 
- Oui mais tout de même. De là à fracasser le crâne de votre mari avec un espadon ! 
- Mais j’étais devant le rayon surgelés, c’est comme ça, je n’y peux rien !

mercredi 6 mai 2020

Perdu au supermarché : la version de Ginsberg

I'm all lost
I'm all lost
I'm all lost
I'm all lost in the supermarket (...)


En 1979, les Clash chantaient qu'ils étaient paumés dans le supermarché. Mais plus de vint ans auparavant, de l'autre côté de la grande mare étiquetée Océan, Allen Ginsberg écrivait un poème rempli lui aussi de supermarché, de grande distribution américaine et de Walt Whitman. En voici un extrait, tiré de la version de Christian Bourgois Howl et autres poèmes (traduction Robert Cordier).

"Un supermarché en Californie

Voilà ce qui me vient à ton propos ce soir, Walt Whitman, car j’ai arpenté les contre-allées, gêné par un mal de tête, et j’ai regardé la pleine lune à travers les arbres. Fatigué et affamé, cherchant des images à consommer, je suis entré dans un supermarché aux fruits de néon, en rêvant à tes énumérations !
Quelles pêches et quelles éclipses ! Des familles entières qui font leur course en pleine nuit ! Des allées pleines de maris ! Les femmes dans les avocats, les bébés dans les tomates — et toi, Garcia Lorca… Que faisais-tu parmi les pastèques ?
Je t’ai vu, sans enfants, Walt Whitman, vieux tripoteur solitaire, farfouiller dans les viandes du réfrigérateur, tout en matant les jeunes livreurs.
Je t’ai entendu poser des questions à chacun. Qui a tué ces côtes de porc ? Combien les bananes ? Veux-tu être mon bon ange ? J’ai fait des allées et venues entre les étincelantes piles de boîtes de conserve en te suivant, suivi à mon tour, imaginais-je, par le vigile du magasin.
Nous avons parcouru ensemble des allées dégagées, unis par nos chimères solitaires, goûté des artichauts, savouré des friandises glacées, sans jamais passer à la caisse.
Où aller maintenant, Walt Whitman ? Les portes ferment dans une heure. Quelle direction indique ta barbe ce soir ? (Je pose la main sur un livre de toi, je rêve à ton odyssée dans un supermarché et je me sens idiot.)
Marcherons-nous toute la nuit dans des rues désertes ? Les arbres ajoutent de l’ombre à l’ombre ; les lumières dans les maisons seront éteintes et nous nous sentirons tous deux solitaires.
Flânerons-nous en regrettant l’Amérique de l’Amour, le long d’automobiles bleues, jusqu’à notre petite maison silencieuse ?
Ah, cher père, chère barbe-grise, vieux professeur de courage,
Quelle Amérique était la tienne, quand Charon a cessé de pousser son bac, que tu es descendu sur la berge fumante et que tu as regardé son bateau disparaître sur les eaux noires du Léthé ?"

Journapalm 270

Elle rêvait de Big Sur et de l’odeur iodée des vagues du Pacifique qui bruissent sur les plages de Californie. Il l’emmenait en pèlerinage à Paris sur les lieux où se déroule l’action des Rougon-Macquart. Elle ne lisait que Kerouac et la beat generation, il ne jurait que par Zola et le naturalisme fin XIXème. 
Leur histoire vouée à l’échec s’est achevée à Plougonvelin, sur la pointe Saint-Mathieu… Pas vraiment à mi-chemin de Paris et de la Californie, mais avec le cri des mouettes du Finistère pour bande son.

mardi 5 mai 2020

L'extrait du... 5 mai


"La dictature parfaite: une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s'évader. 
Un système d'esclavage où, grâce la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l'amour de leur servitude."

Aldous Huxley - Le meilleur des mondes 
(Pocket, Trad.Jules Castier)

Journapalm 269

En prévision des jours où l’amour s’étiolerait, il prit l’habitude de réaliser des tirages papier de leurs moments heureux. Le moindre week-end au bord de l’océan, la moindre sortie au restaurant devenant un prétexte à une séance photos. Les semaines suivantes, il prolongeait les tendres parenthèses en disposant ces dernières dans des albums qu’il rangeait par ordre chronologique dans la bibliothèque. 
Bien des années plus tard, cherchant de la place dans le salon, elle suggéra de monter les albums au grenier. Il comprit que le moment était venu de faire sa valise.

lundi 4 mai 2020

Journapalm 268

Elle se tient à un mètre de la falaise mais n’ose pas vraiment regarder en-dessous. La dernière fois qu’elle est venue voir le Grand Canyon, elle n’avait pas vingt-cinq ans, elle était moins sujette au vertige. C’était Alain surtout, qui adorait cet endroit. Ils y retournèrent ensuite dix fois au cours de leur mariage. 
Cette fois, Alain l’accompagne dans une urne métallique. Lorsqu’elle renverse celle-ci au-dessus du vide, les cendres s'envolent en un éclair. Et elle pense que c'est tout de même drôlement rapide pour des funérailles aussi chères.

dimanche 3 mai 2020

Journapalm 267

Comme il se targuait d’être un professeur de géographie accompli, elle lui demanda de citer les cinquante états des USA en deux minutes. Sûr de lui, il accepta le défi sans hésiter. Et oublia l’état du New Hampshire. 
- C’est troublant que tu aies précisément oublié celui-ci. 
- Pourquoi ? 
- La devise du New Hampshire est : Vivre libre ou mourir
- Et alors ? 
- Et alors je te quitte. Je vais m’installer à Manchester. 
- En Angleterre ? 
- Non justement, dans le New Hampshire.

samedi 2 mai 2020

Journapalm 266

Albert eut une mère aimante et dévouée qui essaya de lui transmettre sa passion du piano. Hélas, Albert hérita surtout du caractère indolent de son raté de père, fainéant et alcoolique. 
Une lueur d’espoir brilla dans l’œil maternel lorsque Albert se mit à lire « Jouer du piano ivre comme d'un instrument à percussion jusqu'à ce que les doigts saignent un peu » de Bukowski. 
Elle espérait qu’il s’agissait d’une méthode moderne qui ferait aimer le piano à son fils. Mais en plus de rester éloigné de tout instrument de musique, Albert se mit à picoler davantage.

vendredi 1 mai 2020

Journapalm 265

La pluie tintinnabule sur le vasistas de sa chambre et l’empêche de se rendormir. Elle se tourne, fronce les sourcils comme pour effrayer le réveil mais sans succès. Dehors l’aube hésite encore. Elle se lève et sort en chemise de nuit. Cette fois c’est décidé, elle va flinguer la pluie. 
Armée d’un canon à confettis elle vise au hasard dans le ciel d’ébène et tire. Le couvercle produit un plop pastique puis les confettis s’éparpillent au-dessus d’elle avant de retomber. Alors elle rentre chez elle, trempée de confettis collants : ce-matin, la pluie est multicolore.