mercredi 30 septembre 2020

Journapalm 416

Isidore le spitz nain se fantasmait doberman. Aspirant à devenir le compagnon d’un garde-chiourme dans un camp de prisonniers au nord de la Baltique, il servait de faire-valoir à une héritière potiche intoxiquée aux réseaux sociaux et à la benzédrine exilée sur l’île de Majorque.
Dans la nuit des Baléares, le sommeil agité par les bourdonnements frénétiques de la musique techno, Isidore rêvait d’une fin héroïque au combat. Le lendemain un fêtard émergeant de son ivresse, un collier de vomi séché en bandoulière, déféqua sur le canapé et étouffa Isidore en l’utilisant comme papier-cul.

mardi 29 septembre 2020

Journapalm 415

"Il s’endormit entre 22h10 et 22h42". Le médecin légiste hésitait toujours à notifier une heure pleine, il trouvait que cela dénotait un manque de sérieux. Alors il ajoutait ou retranchait toujours quelques minutes pour que ses rapports paraissent moins académiques. Alertée par moultes réclamations de services de police goûtant peu ses rapports trop zélés, l’académie s’en mêla, se procura ceux-ci, les éplucha et les étudia sous toutes les formes après anesthésie locale, syntaxique et grammaticale. À l’issue d’une procédure longue et acharnée, on suspendit le praticien qui, de désespoir, se reconvertit en horloger.

lundi 28 septembre 2020

Journapalm 414

Le premier jour, l’idole a dit « Les oracles ont parlé. Je sais déchiffrer leurs présages ! » et le peuple a exulté. Partout dans les villes on a scandé le nom de l’idole et on a placardé son visage sur des affiches à tous les coins de rue. Les relais radiophoniques ont propagé la bonne parole, on s’est félicité aux heures de grande écoute de la chance que l’idole soit parmi eux. Au sixième jour, pour plaire aux oracles, on lui a confié les pleins pouvoirs. Et le septième jour l’idole a asservi le monde.

dimanche 27 septembre 2020

Journapalm 413,5

Cette journée-là a basculé dans un orifice du plancher de ma conscience. Elle a dévalé la pente des heures, rebroussant le temps à dos de punaise de lit. Les horloges n’étaient même plus molles mais étales, brûlées par un soleil digne de la vallée de la mort : Badwater sur Loire ou quelque chose d’approchant. Six jours c’est le temps qu’il lui a fallu pour retrouver la surface du globe, chargée de tentacules de créatures aquatiques et de feuilles de salade abandonnées sur sa carcasse émergeant exactement sur le méridien de Greenwich.

samedi 26 septembre 2020

Journapalm 413

Débarquant dans une impasse tapissée de palmiers gigantesques et de palétuviers dont les troncs dégorgeaient d’une substance vermillon pâteuse, J.S s’immobilisa et cessa les moulinets de sa machette. Levant la tête en direction des cris aigus qui rebondissaient dans les branches, il aperçut les singes jaunes qui l’observaient et estima qu’il était préférable de rebrousser chemin. Derrière lui les troncs friables s’étaient redressés, effaçant l’itinéraire découvert. Alors J.S s’assit par terre, résigné à servir de repas aux singes jaunes, dépité en réalisant que son implication dans les mouvements de défense animale n’y changerait rien.

vendredi 25 septembre 2020

Journapalm 412

Prendre les jambes à son cou, c’est très insuffisant. Et surtout ça ne sert à rien si, au bout du chemin, on les rend. Il ne faudrait jamais rendre ses jambes ou bien uniquement quand il faut rendre gorge. Alors acculé au fond d’une impasse contre un mur trop haut pour nos rêves, sans plus de jambes que de cou, il nous restera des ciseaux pour découper le monde suivant les pointillés et nous en échapper par un trou de limace.

jeudi 24 septembre 2020

Journapalm 411

Elle donna un lent coup de pinceau, sans appuyer mais en le tenant fermement entre le pouce et l’index, ses trois doigts appuyés sur la toile pour ne pas trembler. Et puis elle posa le pinceau sur le chevalet et se recula, ni vraiment déçue ni tout à fait satisfaite. Arrivée à son âge, elle se contentait de peindre sans chercher à réinventer ou à prouver, elle peignait parce qu’elle ne connaissait pas d’autre moyen d’occuper les interstices la séparant de la mort. Et que de son point de vue, ce n’était pas plus bête qu’autre chose.

mercredi 23 septembre 2020

Journapalm 410

Les pardessus anthracite vont par nombres impairs. Ils s’alanguissent dans les avenues, enjambent les ponts, ils se coulent sous les porches, s’entortillent dans les ruelles. Les pardessus anthracite sont une preuve supplémentaire que dans son plus fâcheux paradoxe, l’être humain sait allier à l’extraordinaire élasticité de son corps la plus ferme rigidité de l’esprit. L’oracle dit qu’un jour, des pardessus anthracite dissidents sortiront de la ville en nombre pair et qu’ils jetteront leurs chapeaux en l’air sans jamais les rattraper.

mardi 22 septembre 2020

Journapalm 409

Le froncement des nuages sur la ligne de crête fit perler l’humidité au fronton du territoire des hommes. Ils ne sentirent pas l’odeur de la vase tout de suite. La pluie arriva par l’ouest, à tâtons, avançant masquée. Quelques bêtes plus avisées que les autres s’enfuirent, galopant en ordre dispersé vers les montagnes. Bovins et ovins se fracassèrent dans les interstices de la terre ouverte en deux, ruminants et félins ne réussissant à y échapper que pour être submergés par une vague scélérate plus rapide que les autres. Seuls les rapaces purent survivre à l’apocalypse et gagnèrent les pitons enneigés.

lundi 21 septembre 2020

Journapalm 408

On l’avait posé en haut de l’armoire mais il aura glissé à la faveur d’un courant d’air. Ces choses-là sont légères, il suffit d’un souffle de vent pour les emporter, pour les perdre dans un interstice ou l’autre. Il pesait moins de trente kilos, c’était un petit garçon sage qui aimait lire et dessiner. Il se faisait oublier et ne réclamait jamais rien ; c’est sûrement pour cela qu’on l’a perdu.

dimanche 20 septembre 2020

Journapalm 407

Le 4x4 à la carrosserie étincelante roule à une allure de sénateur sur la piste rectiligne et poussiéreuse qui traverse les steppes orientales. Installé à l’arrière, la ceinture de sécurité appuyant sur sa jugulaire à cause de sa taille d’enfant, la vue bouchée par les sièges trop haut à l’avant, le garçon lutte contre la nausée. Il ressent à peine les ondulations qu’atténuent les suspensions haut de gamme du luxueux 4x4 mais il supporte mal l’odeur du cuir neuf. Il sait que s’il vomit, il subira la terrible colère paternelle et cette perspective suffit à lui faire serrer les dents.

samedi 19 septembre 2020

Journapalm 406

Ses mots dessinaient des pétales entre deux virgules : sa ponctuation à elle. Sur des feuilles quadrillées arrachées à un carnet dont on extrait des listes de courses ou des mots doux, des poèmes ou des blessures. Elle les semait un peu partout, ça formait une corolle blanche sur les murs gris et sur les meubles changés en écritoires.  
Quand elle est partie, elle a emmené avec elle ses feuilles quadrillées, sa ponctuation et ses mots. Les murs sont redevenus des murs, les meubles des meubles et lui, désormais il regarde les jeux télévisés.

vendredi 18 septembre 2020

Journapalm 405

Elle disait « Je veux voir le Grand Canyon de plus près » et elle se fichait bien de savoir que le Grand Canyon, ça ne signifiait pas grand-chose de « vouloir le voir de plus près ». Alors avant de dire oui, on s’est tous réunis pour en parler, un soir de juillet, chez Jean pour profiter de cette énorme plancha sur laquelle les steaks ont si bon goût. On a mangé, on a picolé aussi mais on n’a pas parlé du Grand Canyon. Un mois plus tard, elle disparaissait et on ne l’a plus jamais revue.

jeudi 17 septembre 2020

Journapalm 404

Une trop courte nuit l’a laissé empêtré dans des remugles de sommeil approximatif. Ses yeux se troublent, sa conscience s’exprime en verlan : il sort de sa hutte les pieds palmés et les oreilles en éventail. Croyant siffler son chien il déclenche la colère d’une femme girafe qui détache la laisse retenant son crocodile. Comme dans un rêve, il voit l’animal se dandiner jusqu’à lui, la gueule ouverte et lâche un « Oh un gros lézard ! » avant d’être haché par soixante-dix dents. 

mercredi 16 septembre 2020

Journapalm 403

Henry n’a jamais vu les aiguilles de sa montre à gousset indiquer onze heures ce 11 novembre. Soldat d’origine allemande, dernier mort américain sur le sol français répertorié par les archivistes de la grande guerre, il a cumulé les fautes à pas de chance. Chair à mitrailleuse d’un bataillon d’infanterie comme les autres, il est resté mort cinq ans en France avant d’être rapatrié à Baltimore, USA. Cinq mois de guerre dans un lointain pays pour cinq ans d’exil entre quatre planches de bois, c’est cher payé pour un type si peu vernis.

mardi 15 septembre 2020

Journapalm 402

Il y a les avions qui recommencent à tracer des sillons laiteux au zénith de nos journées morcelées. Et des nuages confits d’orgueil de se sentir si libres. 
Des trains à grande vitesse qui tracent des droites sur le territoire comme des lignes sur un steak haché industriel. Et des bouteilles de lait renversées dans le caniveau quand l’orage électrise nos têtes. 
Derrière la fenêtre de son bureau, il regarde tomber la pluie et se demande où se dissimule la réalité.

lundi 14 septembre 2020

Journapalm 401

Le Groenland l’attirait depuis l’enfance sans qu’elle ne sût expliquer pourquoi. Des syllabes qui sentaient l’ailleurs, des images mentales d’un endroit qui ne ressemblait à rien de familier. 
Elle avait plus de quarante ans lorsqu’elle posa les pieds au Groenland, pour deux semaines d’un voyage autour de Nuuk. Les premières images qu’elle eut de la ville furent les maisons aux façades colorées. Deux heures après avoir atterri, et alors qu’elle traversait la rue devant la célèbre cathédrale en bois rouge, elle mourut renversée par un camion transportant du poisson. .

dimanche 13 septembre 2020

Journapalm 400

Assise à sa table devant la fenêtre, elle attend. Quelque chose va finir par se produire, un événement qu’elle pourra capter et mettre en couleurs avec son nuancier de quarante-huit gouaches. 
Les heures passent, le paysage extérieur demeure inamovible. L’odeur arrive la première, la prend aux narines, piquante et cendrée. Puis elle aperçoit les hautes flammes dévorer les pins à proximité de la fenêtre. Des animaux dont elle ignorait la présence ici détalent entre la maison et le feu immense, des créatures fantastiques qu’elle veut saisir sur sa feuille Canson. Jusqu’à ce que le brasier vienne la dévorer.

samedi 12 septembre 2020

Journapalm 399

De l’autre côté de la haie, ceux-là se nourriront à nouveau de patates, comme la veille et depuis une semaine et comme demain, comme depuis quatre-vingt jours et cent soixante repas qu’ils sont tous assignés à résidence. Voûté, l’œil encore alerte, le vieux E.M les observe ramasser les patates dans leur jardin, à travers un orifice dans les troènes qui emmurent sa propriété. « Foutus voisins » peste E.M en remontant doucement l’escalier extérieur de sa maison, un imposant potiron dans les mains. Ce soir chez E.M cent soixantième repas de cucurbitacées.

vendredi 11 septembre 2020

Journapalm 398

La géométrie de son espace de vie le rassure. Aussi chaque matin, avant de quitter son domicile, il veille à l’alignement parfait des angles des meubles avec les angles des pavés. 
Parfois il reste figé devant ses fenêtres qu’il ouvre même lorsque la rue est bruyante, juste pour se délecter de l’observation des lignes droites et des pointes à quatre-vingt-dix degrés de leurs côtés. 
Dès qu’il le pourra il déménagera au dernier étage de la tour la plus haute de la ville. De là, le monde se réduira à un enchevêtrement de rectangles et de carrés.

jeudi 10 septembre 2020

Journapalm 397

La ville est devenue un fil de fer translucide vidée de ses automobiles et de ses obèses, de ses fumeurs et de ses noceurs, de ses bouquinistes et de ses fous. Parfois l’un d’eux essaye de revenir par voie fluviale et essuie une volée de plombs préalablement dépollués par la grande essoreuse du Grand Prêtre Écologiste. Après quelques instants de trouble à l’ordre d’un public lobotomisé, la ville reprend alors ses assouplissements de fil de fer abscons.

mercredi 9 septembre 2020

Journapalm 396

Allongé dans mon lit, une migraine d’outre-tombe bombardant ma conscience de Little Boy miniatures, ouvrant le livre d’Emmanuel Venet intitulé « Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud » je trouve des graines d’ailleurs disséminées entre deux pages poussiéreuses et me retrouve, pantelant, dans un de ces grands lits à cadre en bois, un édredon trop lourd sur mon corps écrasé, au milieu d’une pièce qui sent la fumée et le renfermé, avec pour seuls compagnons un appareil à électrochocs et le coucou déréglé d’une vieille horloge qui sonne en même temps que le clocher de l’église de Rodez.

mardi 8 septembre 2020

Journapalm 395

M. emménagea dans le Morvan au début des années deux mille avec l’intention de prendre du recul sur la vie et en finir avec les attentats islamistes, le réchauffement climatique, la pollution, les antennes relais, les OGM, les marées noires, les actualités en continu qui alimentent psychoses et névroses et facilitent les thromboses. 
Vingt ans plus tard, devenu un bibliophile boulimique et bienheureux, M. vit dans un corps de ferme transformé en librairie d’occasion ouverte sept jours sur sept. Il ne possède ni télévision ni téléphone portable mais une cave remplie de vins de Bourgogne.

lundi 7 septembre 2020

Journapalm 394

Après avoir enfilé ses chaussettes fantaisie achetées la veille, le fraîchement retraité de l’administration regarde ses pieds posés sur le parquet de sa chambre. Il n’a pas l’habitude de les voir se tordre de rire dans des couleurs criardes et sous des motifs gais. Pendant des décennies ses pieds ont conjugué le fil d’Écosse et le noir, ne s’accordant qu’en de rares occasions certaines nuances de gris. Il hésite un moment, se dit qu’il ne peut pas sortir ainsi chaussé et puis il se décide et se mêler aux autres pensionnaires de la maison de retraite.

dimanche 6 septembre 2020

Journapalm 393

Le 4x4 produit en Allemagne n’existait qu’en version gris tourterelle et chez le constructeur bavarois, on ne transigeait jamais avec ce principe remontant à 1926 et la mise au point du premier camion à transmission intégrale. Alors, quand il reçut ses trois véhicule pour les repérages de son prochain tournage en Afrique Noire, le cinéaste Alfred Moore fit repeindre le sien en vermillon éclatant. 
Il y eut une embuscade au passage d’une rivière où un groupe de rhinocéros chargea les trois véhicules. Les 4x4 gris tourterelle en réchappèrent mais les animaux réduisirent en bouillie le 4x4 vermillon et ses occupants.

samedi 5 septembre 2020

Journapalm 392

Le mur ambulant déménage chaque jour d’un endroit à l’autre de la principauté. C’est un mur de briques troué dans sa partie supérieure pour une manipulation plus aisée. Le porteur ne se déplace qu’à bicyclette, et passe littéralement son bras à travers le mur pour le transporter sur son épaule lorsqu’il pédale. Les occasions ne manquent pas pour faire appel aux services du mur ambulant : impression avant travaux, mesures, photos de décor. Et chaque fois le porteur pédale pour se rendre d’un rendez-vous à l’autre. Et sur la route on voit passer le mur à bicyclette.

vendredi 4 septembre 2020

Journapalm 391

C’est un cimetière confortable et moderne bâti au sommet d’une bute, à l’ombre de grands arbres à feuilles persistantes et posé sur une baie jouissant d’un climat océanique. Aussi, personne ne s’explique pourquoi cette nuit tous les morts ont quitté leurs tombes pour s’enfuir à bord de plusieurs bus aux étincelants fuselages, abandonnant dans leurs sillages des sépultures vides.

jeudi 3 septembre 2020

Journapalm 390

Rex est un vieux chien, ce qui signifie qu’en langage vétérinaire, il est sept fois plus vieux qu’un vieil homme : c’est donc un très vieux chien. Ses yeux sont si bleus qu’ils semblent blancs : à présent il ne distingue plus que des formes approximatives et de vagues tâches sombres. Il n’entend plus rien depuis deux ans déjà. Toutefois avant de mourir, il aimerait monter dans un grand huit une dernière fois. Mais les manèges ont disparu, ça ne rapporte pas assez et puis les forains font peur aux gens.

mercredi 2 septembre 2020

Journapalm 389

Je voulais aller à Providence alors j’ai allumé l’ordinateur, lancé le monstre polymorphe fabriqué par une batterie de myopes californiens et en deux mouvements de souris, je suis arrivé à Providence. Lovecraft continuait de fermer les yeux sous la dalle grise géométrique portant son nom un peu effacé, à l’intérieur du Swan Cemetery et à part le chant régulier et lointain de quelques oiseaux, la ville semblait effacée elle aussi. De l’autre côté d’un océan et à des milliers de kilomètres de là, rien de nouveau.

mardi 1 septembre 2020

Journapalm 388

Bruno profita du trimestre de confinement pour ne plus se raser. Naturellement peu velu, presque imberbe, ces quatre-vingt-dix jours d’ensauvagement barbier lui permirent d’afficher sur ses mâchoires un bataillon efflanqué de poils longs et épars. Estimant qu’il ressemblait maintenant à un homme, il se prépara longuement dans sa salle de bains le matin où le confinement fut levé. Soudain à la radio un flash d’information annonça que le port du masque devenait obligatoire dans les rues. Une heure plus tard, le regard en berne, Bruno marchait en ville avec un masque lui dissimulant le visage.