lundi 30 novembre 2020

Journapalm 477

Sur la piste aux étoiles aujourd’hui pour le plus grand bonheur des petits et des grands, le caméléon ventriloque, le lion cycliste, l’ours jongleur se succèderont devant vous dans des tours tous plus incroyables les uns que les autres. La boutique à confiserie restera ouverte durant l’intégralité du spectacle pour régaler vos papilles et durant l’entracte le président de la république en personne viendra au centre de la piste vous interpréter un morceau de claquettes. Et maintenant applaudissez !

dimanche 29 novembre 2020

Journapalm 476

C’est une voie ferrée borgne et édentée qui court sur deux cent soixante kilomètres : une paille dans l’œil du cartographe pressé. Elle enjambe une rivière qui serpente entre les monts séparant deux départements et les voies de circulation plus modernes l’ont oubliée. N’y circule plus qu’un vieux train pour seconder le travail des bœufs qui charrient le bois d’un hameau à l’autre. Comme à l’abri du reste du monde, les indigènes se gardent bien d’ébruiter l’affaire, craignant la furie des tour-opérateurs et les téléphones brandis au bout de perches.

samedi 28 novembre 2020

Journapalm 475

Fatigué de jouer l’homme serpillère en semaine, il occupait ses dimanches à marcher sur le sentiers rocailleux d’un Sud andalou plus sec qu’une vieille éponge tombée derrière un meuble. Marchant des heures à la rage du soleil, la peau autour de son cœur se tannait en même temps qu’elle s’opacifiait. Là pour quelques heures, sur les pistes poussiéreuses, il pensait tenir en main son destin avant de rentrer chez lui et de préparer sa maigre sacoche pour le lendemain, les doigts tremblants.

vendredi 27 novembre 2020

Journapalm 474

Lorsque les eucalyptus auront tous brûlé il faudra bien que les koalas se décident à se prendre par la main et à se trouver un vrai boulot. En Australie je ne sais pas mais chez nous il n’y a pas d’eucalyptus mais il parait qu’il suffit de traverser la rue pour en trouver, du boulot.

jeudi 26 novembre 2020

Journapalm 473

L’avocat fume sa cigarette dans la salle des pas perdus, plongé dans ses réflexions sur l’affaire en cours : sauver sa cliente de la prison ne va pas être une tâche facile. Qu’elle ait dérobé un régime de bananes, certes, qu’elle les ait placées au congélateur, passe encore… Mais pourquoi diable a-t-il fallu qu’elle y fourre encore vivants les singes capucins fournis avec les bananes ?

mercredi 25 novembre 2020

Journapalm 472

Au sortir de l’église, le boucher de Saint Philippin vit fondre sur lui une grue au cou distendu en provenance d’un improbable pays indemne de toute dépression automnale. Malgré l’évidente imminence du choc, l’oiseau planait en toute quiétude, fendant l’air d’un auguste vol dénué de tout mouvement parasite. L’observant converger vers son crâne, l’homme pieux fut soudain frappé par une sorte d’épiphanie volatile lui intimant l’ordre d’abandonner la boucherie pour se consacrer à l’élevage d’animaux ovipares de la classe des vertébrés tétrapodes. Mais le bec de la grue se planta dans son front, tuant là l'homme et ses projets.

mardi 24 novembre 2020

Journapalm 471

Rétif à toute idée d’organisation du temps au prétexte qu’il était un fox terrier, Brutus monta les marches du palais de justice de Lyon en ignorant que la date du jour était le 15 mars. Depuis qu’un accident pétrochimique avait empoisonné trois cent mille habitants de l’agglomération, la ville se retrouvait livrée aux bêtes. Brutus lui-même, poussé par la faim découvrait depuis peu la prédation intraguilde et à ce titre il se rua sur son propre père assis sur les marches et le dévora en conservant toutefois un port altier, comme le dictait son ascendance anglaise.

lundi 23 novembre 2020

Journapalm 470

On lui demanda de se présenter à l’arrêt de bus, place de la République à 9h15. Elle ignorait de quelle ligne de bus il s’agissait et toute la nuit elle retourna la question dans son lit, matérialisant l’endroit, se relevant pour imprimer le plan de circulation et l’étudier, sélectionnant les six lignes de bus putatives et cherchant laquelle correspondrait le mieux à celle qu’utiliseraient des ravisseurs. Il s’agissait d’un exercice difficile pour quelqu’un qui n’avait jamais rien ravi à personne. Alors elle laissa la chance décider pour elle et jeta un dé avant de se rendormir.

dimanche 22 novembre 2020

Journapalm 469

C’est un bord de rivière qui pourrait en être un autre, un bout d’affluent de quelque chose dans une campagne où le soleil obéit aux injonctions des poètes. Certains viennent potron-minet pour en capturer un morceau et le mettre dans une boite pour plus tard, comme ces restes de repas que l’on met dans une boite au restaurant pour emmener chez soi. Et les chevaux morts qui jonchent le chemin de halage, qui va les ramener chez eux ?

samedi 21 novembre 2020

Journapalm 468

En séchant, la peinture a dessiné sur la table du jardin une croix maladroite ni vraiment rouge ni tout à fait jaune. Le vieil indien paralysé qui n’observe plus le monde qu’à un mètre vingt de hauteur considère le renflement coloré puis appuie sur ses roues pour s’en approcher avant de tourner autour en ahanant dans une langue obscure. Et lorsque les premières gouttes de pluie s’abattent dans le jardin, inondant la table, il se met à rire comme la première fois.

vendredi 20 novembre 2020

Journapalm 467

Elle comprenait en les apercevant qu’elle ne saurait jamais les noms des arbres. Il en poussait pourtant autour de son enfance en Charente, tout autour d’elle encore et à tout moment, des tordus et des ventrus, des faméliques et des opulents, des caduques et des persistants. Mais elle vivait comme les autres, entre une rocade et une station de train, le cerveau prisonnier de l’oppression publicitaire sur les murs de briques. Alors, les noms des arbres… Elle y penserait peut-être à l’ombre d’une pierre tombale sous un cyprès.

jeudi 19 novembre 2020

Journapalm 466

Dehors les rideaux de pluie viennent frapper contre la vitre mais personne ne leur ouvre car personne ne comprend leur morse humide. 
On a remisé la Remington poussiéreuse sur une table de la véranda que l’on n’utilise pas, la faute à une infiltration d’eau qui chaque automne rend la table impraticable. 
Quelqu’un aurait pu penser à la déplacer mais la Remington ne crache plus, son clavier est édenté comme ce vieux chanteur de folk irlandais qui ne chante plus, alors autant la laisser là, comme un chien mécanique oublié sous la pluie.

mercredi 18 novembre 2020

Journapalm 465

Elle aurait aimé suivre ses amies après l’école pour se faire offrir un ballon en forme de cheval et pour manger une barbe à papa rose plus grosse que sa propre tête. Il aurait pu lui offrir l’usine qui fabriquait les ballons de baudruche ainsi que l’atelier où l’on assemblait les machines à barbes à papa. Mais il ne l’emmenait jamais à une fête foraine. Il répétait que les forains ne sont pas des gens fréquentables et elle ne comprenait pas pourquoi il disait cela.

mardi 17 novembre 2020

Journapalm 464

Agitation sonore au fond de l’autobus : une sauterelle joue les passagers clandestins et sème le chaos dans les jambes des enfants. Le chauffeur insomniaque et sourd entend « chanterelle » et démarre le véhicule en rêvant d’omelettes aux champignons. Trois cents mètres plus loin, la sauterelle a remonté l’allée centrale et saute sur ses genoux. Surpris, le chauffeur braque le volant, l’autobus défonce le parapet du pont et saute dans le vide.

lundi 16 novembre 2020

Journapalm 463

Habitués à se fuir les hommes ne se sont bientôt plus reconnus. Parfois on en apercevait un plus téméraire que les autres approcher un congénère, paupières tombantes et rictus de surprise sur le visage, tournant autour de l’individu, le reniflant comme s’il s’agissait d’un morceau de viande… jusqu’à refermer ses mâchoires sur ses flancs et lui arracher un lambeau de chair.

dimanche 15 novembre 2020

Journapalm 462

Le chant d’un oiseau le réveille, à moins que ce ne soit la brise du matin. Il ouvre les yeux et prend conscience de l’état de son corps douloureux, roulé en boule. Il se déplie lentement, se redresse doucement et pose les pieds sous le banc. 
Le temps passe.
Le soleil apparait au-dessus des immeubles de l’autre côté du fleuve, des voitures roulent dans la rue, des messieurs en costumes et des femmes en tailleurs se pressent au travail, des gens courent dans le parc, d’autres promènent leurs chiens. Mais lui, il ne va rien faire de tout cela.

samedi 14 novembre 2020

Journapalm 461

Elle arrive trempée devant la gare et reste encore quelques instants sous le violent orage pour s’assurer de bien lire le nom sur le panneau. Des gares, il y en a huit dans la ville, alors elle doit être sûre… Quand elle pénètre à l’intérieur de l’immense verrière, la chaleur humaine et les piaillements de la foule lui soulèvent le cœur. Derrière ses lunettes pleines d’eau et de buée, elle n'aperçoit que des silhouettes brumeuses et des dos sombres. Son fils est pourtant certainement ici mais une nouvelle fois, elle ne le trouvera pas.

vendredi 13 novembre 2020

Journapalm 460

Alfred s’en allait sans plus de fierté que de but vers des contrées éloignées et vaguement imbéciles à en juger par les prévisions météorologiques que l’on y annonçait. Posé sur une haridelle aux paupières tombantes, Alfred serrait la bride de sa monture sans conviction, le bassin de guingois, les épaules distendues et ses jambes arquées boursouflées de scrofules. On le vit passer le long de la route nationale et on lui adressa des invectives sauvages qui ne semblèrent en rien le déranger. Imperturbable sur son étrange canasson, Alfred visait l’horizon de son œil de verre dépoli.

jeudi 12 novembre 2020

Journapalm 459

Carlos s’est mis à écrire en détention comme d’autres se mettent à lire la Bible. Il le concède lui-même, il n’avait pas le choix : c’était ça ou devenir fou. Il savait pourtant qu’il s’agissait d’une voie sans issue, d’une autoroute qui se transformait en pierrier rempli de ronces épineuses mais personne ne pouvait l’en dissuader. Alors il a demandé à l’administration pénitentiaire un stylo, du papier et il s’est mis à écrire sur le ciel bleu, les montagnes et l’air pur. En lisant ça, les matons l’ont dérouillé puis lui ont demandé d’écrire des choses vraies.

mercredi 11 novembre 2020

Journapalm 458

Les tirailleurs sénégalais ayant dormi du sommeil du juste ont ouvert leurs yeux vides comme un seul homme. Et tous de tendre leurs bras pour gratter la terre de leurs doigts centenaires avant de quitter la fosse et de marcher vers la ville nouvelle. Avançant sur les routes d’un pas lent et martial, un regard amer dans leurs orbites décharnées, leurs têtes de morts rebondissant en claquant sur leurs colonnes vertébrales désossées, semant dans leur sillage des gouttes d’eau croupie, des asticots multicolores et des poussières de sang.

mardi 10 novembre 2020

Journapalm 457

Depuis que le maître des lieux y interdisait les soirées scrabble, Berthe s’ennuyait ferme à l’ambassade. On lui suggéra de profiter de la vaste bibliothèque mais elle rétorqua que la lecture lui causait d’insupportables céphalées. 
L’ambassade perdue au fin fond de la campagne normande était une cellule certes verdoyante mais non moins dorée dont Berthe rêvait de s’échapper. Aussi la visite d’un représentant en espadrilles et en anchois de Catalogne s'avéra une révélation. Dès le lendemain elle plia bagages pour rejoindre le représentant et Collioure où elle s’improvisa marchande d’espadrilles de grandes tailles à carreaux.

lundi 9 novembre 2020

Journapalm 456

Après avoir vainement essayé une corde attachée à une poignée de porte puis à un crochet de boucher, le malheureux Helmut D qui souffrait d’une atroce rage de dent enroula la corde autour d’une lourde pierre de trente kilos. La douleur lui faisant gagner en muscles ce qu’elle lui faisait perdre en capacité de raisonnement, il monta en haut d’un pont et jeta la pierre dans la rivière. La gravité faisant le reste, Helmut D mourut noyé.

dimanche 8 novembre 2020

Journapalm 455

« C’est grand Liverpool, surtout la nuit ! » Il repose son verre et la regarde. Derrière sa pinte de Guinness, ses maigres épaules et ses yeux verts semblent égarés dans un monde absurde. La probabilité de la retrouver ? Une chance sur un million ! Et pourtant il l’a retrouvée ici comme une chaloupe royale arraisonnée par un bateau pirate. Dans l’atmosphère de fin du monde d’un pub enfumé, devant un port aux eaux immobiles, au cœur d’un hiver qui ne ressemble à aucun autre.

samedi 7 novembre 2020

Journapalm 454

Une nuit de pluie tombant en rideaux de charbon, six pélicans convergèrent au-dessus d’un village abandonné. Ils se rassemblèrent au-dessus de l’église au moment où les cloches sonnaient trois heures. 
 - Alors comme ça, on sonne encore les cloches dans ce village fantôme ? s’étonna le pélican le plus jeune. 
- L’automatisation nous tuera tous, grommela le plus vieux pélican en contemplant, morose, la sculpture métallique de cigogne fixée au sommet du clocher. 

vendredi 6 novembre 2020

Journapalm 453

Ce matin Moby Dick n’a pas daigné remonter à la surface. Se sentant légèrement grippé, le cétacé s’est fait porter pâle, ce qui n’a choqué personne. En période de pandémie, la faune sous-marine ne s’embarrasse pas de procédures compliquées ni ne s'avise de contrôler les grands mammifères échoués sur leurs bancs de sable. On a simplement remboursé les bateaux de touristes et on est passé à autre chose.

jeudi 5 novembre 2020

Journapalm 452

On lui a promis que tout s’arrangerait après un passage chez le barbier. Que toutes les bestioles écumantes qui rampaient sous son crâne seraient vaincues par les mains expertes d’un maître du rasage. Qu’il fallait simplement que l'on prenne soin de lui parce que lui, manifestement, ne savait plus comment faire. 
Alors il entre, s’assoit où on lui dit, range ses pieds, toutes ses jambes et ses mains sous la vaste blouse blanche, disparaît là-dessous, ne reste que la tête et les doigts immenses du barbier tenant l’instrument étincelant. Maintenant le fil du rasoir est prêt à trancher.

mercredi 4 novembre 2020

Journapalm 451

D’une façon étrange, lorsqu’il monta sur le ring, il ne ressentit ni tension ni appréhension d’aucune sorte. Pour la première fois de son existence, son corps lui sembla un bon petit soldat, obéissant et parfaitement au point, un rouage bien huilé et conscient de sa perfection. Ce fut ensuite que les choses se détraquèrent, et cet uppercut dévastateur qui lui brisa la mâchoire constitua le premier signal d’une longue série de chutes.

mardi 3 novembre 2020

Journapalm 450

Les yeux levés vers le ciel étoilé, Emmanuel se demandait si quelqu’un l’observait depuis l’espace intersidéral et si une présence intelligente lui révélerait un jour tous les secrets expliquant l’univers. Dans le silence de la nuit, il se sentit soudain porté par un excès de mysticisme dont la puissance le fit trembler un peu. Estimant toutefois qu’il n’aurait certainement pas de réponse aujourd’hui et comme il faisait un peu froid, il secoua son pénis, expulsa la dernière goutte d’urine et remonta sa braguette avant de courir derrière ses amis qui, déjà, s’éloignaient sur la route.

lundi 2 novembre 2020

Journapalm 449

On les a fait dîner tôt et on leur a donné leurs médicaments à huit heures, juste avant de les coucher. On les voulait en forme et fringants sous leurs grands canyons de rides et solennels derrière leurs yeux aveugles. 
Les premiers rayons de soleil apparaissaient sur l’horizon plissé de la mer que déjà on les avait levés, peignés puis enfermés dans leurs tenues kakis, leurs mains froides et calleuses cachées sous des gants blancs. La suite ce serait la fanfare, le lever de drapeau dans la morsure de novembre et les cris des mouettes dans le ciel bouché.

dimanche 1 novembre 2020

Journapalm 448

Le vieil homme fouilla l’obscurité à tâtons, ses mains calleuses palpant la pierre dure, déchiffrant la géométrie complexe des objets à la recherche d’une solution. Son cerveau embrumé ne parvenait à reconnaitre aucun angle ni aucun caillou, comme si tous ces obstacles avaient poussé au cours des dernières heures de sa captivité. Nerveusement à bout, son corps épuisé par la privation de nourriture et de sommeil, son esprit commençait à accepter sa condition de détenu. Alors il se rassit par terre, appuya son dos contre un mur et à nouveau, il attendit.