samedi 31 juillet 2021

Journapalm 720

Au troisième coup de fusil il se réveilla enfin. Depuis qu’il était enfant, Ross B. dormait d’un sommeil de plomb dont il éprouvait toutes les peines du monde à s’extirper. Toutefois les sèches détonations de la Winchester provenant de la rue produisirent leur effet et il se leva d’un bond, écumant de sueur et de semences de rêves encore confus. D’un geste tremblant le shérif se saisit de son arme et se dirigea lentement vers la porte, son pantalon trempé d’urine.

vendredi 30 juillet 2021

Journapalm 719

Il s’est retiré dans un wagon du Transcanadien pour quatre jours de voyage entre Toronto et Vancouver. Sans téléphone portable, sans ordinateur, sans montre non plus et à aucun moment cela ne lui coûte. S’il se retrouvait un jour impliqué dans une catastrophe naturelle, il en profiterait pour disparaitre. Ces quatre jours loin du quotidien, à soixante-dix kilomètres heure de moyenne sont une aubaine pour reprendre le contrôle de la manche à air posée au large du Cap Horn qui lui sert de tête.

jeudi 29 juillet 2021

Journapalm 718

Emile R. regarda sa montre, satisfait d’avoir pu embarquer dans l’avion, au premier rang de la deuxième classe. Attendant en vain l’hôtesse et les indications en cas d’évacuation de l’appareil, il fut étonné de n’apercevoir personne. Et quand il se retourna, il aperçut des dizaines de plantes installées sur les sièges du Boeing : cactus, araignée frisée, yucca, cycas du Japon, pachira, areca, noline recourbée, bégonia, kentia, zamioculcas dans leurs pots fixés aux fauteuils du Transatlantique. Il eut soudain la sensation que les plantes le regardaient et il se recroquevilla sur son siège, terrifié.

mercredi 28 juillet 2021

Journapalm 717

Ce fut un saut spectaculaire, à travers la baie de St Tropez, qui tira les retraités de leur sieste aigre et qui sortit les milliardaires de leur léthargie bouffie. La Lamborghini quitta la route départementale au niveau du lieu-dit « La bosse » dans un virage mythique pour avoir fait les beaux jours d’un rallye routier dans les années soixante-dix. Le bolide traversa un bout de ciel dans un silence étonnant puis s’écrasa dans une crique où, par une chance inouïe, il évita les yachts avant de couler à pic, devenant la première Lamborghini aquarium de Méditerranée.

mardi 27 juillet 2021

Journapalm 716

Sur la route frappée d’éclats anciens et striée de plaques de goudron abimé, il va, zigzague, l’échine courbée et la tête lourde de mille souvenirs. Fatigué de trop nombreuses vies gaspillées à courir des buts dont il a oublié le sens, il cherche simplement à traverser la chaussée pour se rendre sur la plage. Il n’est pas sept heures du matin, la circulation n’existe pas encore et la mer clapote doucement, comme pour personne. Mais aujourd’hui il n’arrivera pas à destination, la faute à un vieux chien pouilleux et aveugle qui lui a fait perdre l’équilibre.

lundi 26 juillet 2021

Journapalm 715

Il est venu ici en courant, dans une nuit de novembre plus longue que celle d’un solstice d’hiver, le bruit de ses semelles pour unique tempo dans la gamme d’ébènes qui l’entouraient. Il n’a vu ni les montagnes ni les reliefs, ni les façades fissurées des maisons en ruines, ni la misère des gens d’ici. Il a traversé les lieux en ne voyant que le halo de sa lampe frontale qui tendait une ligne de vie entre sa tête et ses jambes. Les rares indigènes encore debout l’ont regardé passer en silence, et ses foulées résonnaient plus fort encore.

dimanche 25 juillet 2021

Journapalm 714

Après avoir apposé le verrou sur l’armoire à sucreries, vidé toutes les bouteilles d’alcool dans l’évier puis jeté le papier où il notait le code d’accès à son ordinateur, il a recouvert les vitres de papier journal. Alors il a enfoncé des cotons dans ses oreilles et il a éteint la lumière avant de s’asseoir sur son canapé. Cette fois il était paré à attendre la mort. Et promis, ce coup-ci il serait drôlement patient.

samedi 24 juillet 2021

Journapalm 713

Enfant elle démontrait déjà des aptitudes ainsi qu’un goût marqué pour la logique. Adolescente, elle adoptait la position morale de constamment mettre en application ce qu’elle énonçait.
Jeune adulte, elle répétait qu’elle voulait vieillir dans un coin au beau milieu des États-Unis.
Quinquagénaire, elle déménagea à Rugby, Dakota du Nord, auto proclamée comme étant la ville située au centre géographique des États-Unis.
Morte, on l’enterra dans une tombe au milieu du cimetière de Rugby en affichant simplement ses initiales A - A ainsi que ses dates de naissance et de décès : 1980 – 2080.

vendredi 23 juillet 2021

Journapalm 712

Il s’agit d’un cinéma de quartier comme on n’en voit presque plus et qui attire une population clairsemée d’habitués chaque vendredi soir. On y joue des films d’horreur gothiques de l’entre-deux-guerres aux copies restaurées. Tous les employés sont bénévoles, de Patricia la dame gironde qui vend les billets à l’entrée jusqu’à Roland le projectionniste qui, pendant l’entracte, passe dans les rangs distribuer des friandises grimé en créature de Frankenstein. Alors quand un spectateur décède d’une crise cardiaque pendant la projection, on attend la fin du film pour appeler les secours et interrompre la magie.

jeudi 22 juillet 2021

Journapalm 711

Allongé sur le fond d’une barque posée sur la plage, il observe un ciel étoilé comme jamais auparavant il n’a eu l’occasion d’en contempler. Et il se concentre sur le bon côté des choses. D’accord il a échoué sur une île déserte loin de toute route maritime. D’accord il n’a rien à manger. D’accord il est salement blessé. D’accord l’endroit est infesté de crabes agressifs et aussi gros que des chiens. Mais son billet de loterie gagnant - certes trempé - se trouve toujours au fond de la poche de son pantalon.

mercredi 21 juillet 2021

Journapalm 710

Malgré ses recherches intensives, il ne trouva pas de lama à Lamma Island et il s’endormit épuisé le soir venu, seul, anonyme et poussiéreux dans ses chaussures chauffées à blanc par les pérégrinations infructueuses. Rêvant de lama asiatique crachant des flammes et déambulant dans les rues de la petite île avec la même nonchalance que certaines vaches sacrées en d’autres lieux.
Le lendemain il décida de se de faire gourou d’une nouvelle secte adorant le lama aperçu dans son rêve. Et il rencontra un vif succès populaire auprès de la population de l’archipel hongkongais.

mardi 20 juillet 2021

Journapalm 709

L’auteur adulé se lève tôt, réveillé par les bruits de moteurs qui montent de la route. Quand il entre dans la salle de bains, une ombre le fait sursauter. Tournant la tête il le voit, l’imitateur, là ! Debout devant la vasque blanche, qui le nargue avec son air supérieur. Le sang de l’auteur ne fait qu’un tour, il saute au cou du plagiaire. En brisant le miroir, il entaille ses doigts, le sang perle sur ses mains. La lutte est acharnée, le copieur se débat.
Le lendemain on le retrouve mort dans sa salle de bains, les veines tranchées.

lundi 19 juillet 2021

Journapalm 708

Ils ont atterri au Québec enchantés par l’attrait de la nouveauté, l’exotisme mesuré grâce à une langue connue et la beauté des paysages enneigés. Après huit mois ils en sont repartis la queue basse et impatients de rentrer à la maison; malgré leur jeune âge et leur malléabilité, Clermont Ferrand leur manquait trop. Tout le monde n’a pas la carrure pour se confronter à soi-même lors d’un lointain exil.

dimanche 18 juillet 2021

Journapalm 707

On réserva la mythique Scala de Milan des années à l’avance au cas où le maestro souhaiterait venir en Lombardie, on prit soin de constamment laisser disponible une suite au dernier étage d’un palace dans chaque capitale. Le virtuose japonais décida de se produire quatre soirées à Milan, Paris, Barcelone et Genève.
Comme exigé, on lui apporta une tasse de thé à la trente sixième minute de son récital à Milan mais il s’ébouillanta la bouche avec l’eau et quand son visage se nécrosa, révélant un masque dissimulant un Martien pourvu de douze yeux, le public quitta la salle.

samedi 17 juillet 2021

Journapalm 706

Après son explosion de colère, titanesque et antique, elle ouvrit la boite de Scrabble et piocha au hasard la lettre K.
« Très bien, maintenant tu ne recules pas, on part vivre six mois dans une ville qui commence par la lettre K ! » Après ça, elle chercha sur internet et elle lui proposa deux choix : Kagoshima ou Kaliningrad… Le volcan du Sakurajima au Japon ou les ciels immense de l’enclave Russe. Lui, abasourdi, ne répondant pas, elle trancha : « Alors ça sera six mois chacun ! »

vendredi 16 juillet 2021

Journapalm 705

Après avoir consciencieusement massacré toutes les tribus indiennes qui freinaient sa conquête d’un Ouest aux pieds ensanglantés, l’homme blanc propose maintenant de faire dormir les voyageurs dans des tipis alignés le long de la route. Le motel est tenu par des Hollandais immigrés de deuxième génération qui ne connaissent de la conquête de l’ouest que les histoires de Buffalo Bill. En été, pour trente-cinq dollars la nuit, on peut dormir sur une couche posée à même le sol et transpirer de chaud derrière les toiles tendues du tipi. En hiver, motel fermé, les propriétaires font du ski dans le Colorado.

jeudi 15 juillet 2021

Journapalm 704

Revenue d’un séjour aux îles Féroé, elle décréta qu’elle souhaitait y déménager et s’y installer pour le restant de ses jours. Quelque peu déstabilisés par cette annonce soudaine, ses parents et amis l’en dissuadèrent.
Que ferait-elle là-bas ? De quoi vivrait-elle ?
Elle répondit par une absorption massive de barbituriques après avoir modifié son testament. Alors, suivant ses dernières volontés, on procéda aux démarches administratives pour l’enterrer au cimetière de Tjørnuvik, le village le plus septentrional des îles Féroé. Et tout le monde s’accorda pour reconnaître la beauté du lieu, à flanc de montagne au-dessus de l’Atlantique Nord.

mercredi 14 juillet 2021

Journapalm 703

Quand il s’installe à sa table de jardin pour le spectacle, il regarde l’herbe grasse qui recouvre les murs de la propriété et qui, lentement, submerge le banc en pierre. C’est un étouffement progressif qu’il compte bien laisser se poursuivre jusqu’à la disparition complète du banc. Il se sert un café bien chaud et combat le froid de novembre enveloppé dans une pelure informe, défigurée par le temps et confortable. Tous les matins à 10h59 le train express régional passe au fond de son jardin et le déplacement d’air fait trembler les cerisiers qui marquent l’entrée de son terrain.

mardi 13 juillet 2021

Journapalm 702

Dorénavant, tout astrophysicien qui utilisera le terme "trou noir" sera condamné à se faire couper la barbe. On ne doit plus dire trou noir mais trou obscur et John Wheeler, le premier scientifique à avoir utilisé ce terme, sera banni de tout manuel d’histoire de la science. On ne devra plus dire son nom, les photos le représentant seront brûlées et si d’aventure certains allumés se sont piqués de le représenter sur un quelconque support, celui-ci sera détruit et ses auteurs traduits en justice pour collaboration.

lundi 12 juillet 2021

Journapalm 701

Au milieu de la steppe immense, une route déserte dont le goudron se craquelle sous l’effet de la chaleur et qui file droit devant à travers l’étendue déserte… Des kilomètres carrés de vide, de poussière, d’herbes sèches, des kilomètres de néant au goût d’apocalypse. Et puis soudain, un passage piétons peint en blanc, comme un clin d’œil en souvenir des temps d’avant, ou bien une ligne de vie pour les spectres précautionneux.

dimanche 11 juillet 2021

Journapalm 700

Au-delà des landes brûlées et des forêts réduites à l’état de cendres, le bucheron ventru et son taureau à l’étonnante robe bleue poursuivent leur itinéraire en direction de l’océan. Armé de sa hache meurtrière qu’il sait manier avec la dextérité d’un samouraï avec son sabre, le bucheron ne recule jamais. Et lorsque les spectres en costume Armani et mallettes en cuir pleine fleur abondent vraiment, le taureau bleu passe devant, ses cornes et son cou démesurés ouvrent la voie. Déjà les embruns flottent dans l’air et cannibalisent l’odeur du feu, bientôt l’horizon aquatique et ses promesses d’exil.

samedi 10 juillet 2021

Journapalm 699

Assis à sa table face à un mur gris, vierge de toute décoration, indemne de toute distraction, il se tient immobile sans parler, en tête à tête avec ses hémisphères cérébraux. Il imagine, il construit puis déconstruit, il projette, il entreprend, sa main bouge enfin, appuie la pointe du stylo sur la feuille blanche et… rien. Il pense à Mishima, à sa tête coupée, à son laborieux seppuku et à ses livres rangés dans la bibliothèque derrière lui. N’est pas Yourcenar qui veut, il n’a même pas réussi à être Belge, échouant à quelques kilomètres. Tant pis, il réessayera demain.

vendredi 9 juillet 2021

Journapalm 698

Elle se plaignait de ne pas suffisamment apercevoir la mer, aussi de temps en temps fermait elle les paupières pour se l’imaginer. Un cliché mental comme un leitmotiv pour compenser les dérives entre son quotidien et son besoin d’ailleurs. Bientôt cette méthode ne suffit pourtant plus et elle promenait en permanence un visage défait, façon voilier après une tempête. La photo de l’océan, encadrée en format panoramique dans son salon ne lui suffisait plus non plus. Alors un matin elle partit, équipée d'un simple sac à dos. On retrouva sa voiture vide stationnée au bord de l’océan, à moitié ensablée.

jeudi 8 juillet 2021

Journapalm 697

Un lapin frappé de grande curiosité cessa de gambader en se trouvant nez à nez avec un pipeline installé au milieu d’un plateau de Mandchourie. À la suite de plusieurs tentatives infructueuses, il finit par trouver l’entrée de ce qu’il pensait être un gigantesque terrier. Et comme il était à la fois très sociable et particulièrement obtus, il chercha à rencontrer le propriétaire des lieux. Il mourut après quelques secondes seulement d’une asphyxie massive après avoir trop longtemps inhalé les vapeurs de bière dans laquelle il pataugeait.

mercredi 7 juillet 2021

Journapalm 696

D’abord à peine perceptible le bourdonnement gagna en intensité jusqu’à le faire redresser, les sens en alerte. Fouillant le ciel il repéra le point sombre sur l’horizon qui, aussitôt, zébra l’azur d’un panache clair et vaguement brouillé par la chaleur de la combustion à l’intérieur des réacteurs. Avant même que le jet n’atteigne l’autre rive du ciel, un second apparut et suivit la même trajectoire dans un formidable tonnerre pétaradant.
Lorsque les chasseurs disparurent au loin, il se rallongea dans l’herbe en pensant que le progrès ultime serait d’inventer une guerre silencieuse.

mardi 6 juillet 2021

Journapalm 695

Les maisons aux façades colorées émergent de la brume qui efface tous les détails du quotidien de Reykjavik. La capitale septentrionale reste à dimension humaine, les gens s’y connaissent ou s’y reconnaissent et la brume n’y change rien. C’est la première fois que je vois quelqu’un ramasser un portefeuille dans la rue et ne pas chercher à fouiller à l’intérieur, mais au contraire aller demander à chaque personne arrêtée devant un magasin si c’est à lui – et chacun de répondre ah non, merci.

lundi 5 juillet 2021

Journapalm 694

Alignés sur leurs rayonnages silencieux, les livres ne se sont pas rendus aux urnes. Pas de scandale ni de protestation indignée dans les journaux, les livres n’ont rien proclamé, rien revendiqué et restent à leur place, sereins et sûrs de leur force. Aucun ne cherche le pouvoir ou ne se hausse du col - même si certains ont la tête de l’emploi. Il n’y aura aucune grève, pas de manifestation ou de putsch militaire dans la bibliothèque.

dimanche 4 juillet 2021

Journapalm 693

Une vache ou une pâtisserie géante en résine fixés sur le toit plat d’un restaurant installé à l’intersection de deux axes très fréquentés. Les moteurs des voitures, des camionnettes, des semi-remorques, la fumée des échappements, le goudron qui se lézarde… jusqu’aux pensées des conducteurs coincés dans les encombrements, bloqués derrière un feu rouge, composant avec leur frustration… jusqu’à abandonner le flot et grimper sur le trottoir avant de quitter leurs véhicules. Un morceau de pâtisserie ou un bout de steak avalés sur un coin de zinc à l’intérieur du restaurant, et oublier le temps.

samedi 3 juillet 2021

Journapalm 692

Toute une vie ne lui suffira pas à reconnaitre chaque arbre pour le nommer comme il se doit. Ce n’est pas une question d’alphabet, ni de problème de vue, cela ne concerne pas la façon de dompter la lumière, de décoder la courbure des troncs, de discerner la composition des feuillages ou d'interpréter la forme des branches. Il est né au centre-ville de Los Angeles, n’en a jamais dépassé les limites et son œil n’a appris qu’à déchiffrer les alignements de murs et de panneaux publicitaires, alpha et oméga de son existence de vagabond dépourvu d’ambition.

vendredi 2 juillet 2021

Journapalm 691

Dans la machine dix fois tourné, retourné, ton corps extirpé, enroulé sur lui-même puis étiré sur un fil barbelé, ta viande exposée dans une chambre froide qui mesure trois stades de football dans un pays ensablé, brûlant et toxique. Ton monde devenu une décalcomanie monochrome collée sur l’aile d’un gigantesque bombyx mori dévorant la tapisserie. Tu t’allonges et tes borborygmes émettent une musique poussiéreuse aux échos familiers et décadents, un refrain éternel qui laisse des clés de sol charbonneuses dans le sillage de ton âme.

jeudi 1 juillet 2021

Journapalm 690

Au terme d’un voyage de plusieurs mois, le vaisseau parti de Floride se pose sur Mars, évènement retransmis en direct sur Terre. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un individu va poser le pied sur la planète rouge. Le colonel Ramirez, premier cosmonaute à sortir du vaisseau descend l’échelle. Il pense à l’alunissage d’Armstrong en 1969 et à la phrase qu’il se répète depuis des mois. Mais intrigué par un objet brillant enfoncé dans le sol à proximité de l’échelle, Ramirez s’agenouille et creuse ; face caméra, il reste muet en découvrant une bouteille de Coca.