Journapalm 841

Né dans un panier de ronces, Urbain T. portait bien mal son prénom. On suspecta son père de l’avoir choisi à dessein, anticipant déjà le caractère patibulaire de l’enfant qu’il engendra. Gamin vicieux, il devient un adolescent retors, réfractaire à toute discipline et multipliant les coups pendables. Alors que tous ses professeurs lui promettaient une vie de trafics miteux et de violences incessantes qui l’enverraient en prison, Urbain se découvrit une ambition politique. Une fois élu de la République, il put alors s’adonner à tous ses vices en toute impunité.

Journapalm 840

En fondant de plus en plus vite, le permafrost s’apprête à libérer quantités de virus que l’on pensait éradiqués depuis des siècles. Par ailleurs des chercheurs viennent de découvrir les ossements d’un dinosaure endémique du Groenland.
Conseil : lorsqu’un T-Rex Groënlandus se réveillera, tiré de sa sieste éternelle par la fonte du permafrost, offrez-lui du Beaujolais Nouveau, avec un peu de chance, ça le tuera. Au pire, il en restera idiot.

Journapalm 839

Dans une société où à longueur de journée, la plupart des individus passaient leur temps à s’émouvoir d’une parole blessante, d’une attitude rétrograde ou d’un comportement qui ne suivait pas la doxa en vigueur, deux amis qui ne supportaient plus un tel environnement se décidèrent à l’exil.
Ils recherchèrent un endroit où, à leur image, les indigènes ne faisaient pas de chichis. Démontrant une fois encore le principe de l’exception qui confirme la règle, ils trouvèrent leur paradis à mille kilomètres au sud de Tokyo, sur la minuscule île de Chichi.

Journapalm 838

Après avoir voulu uriner dans un placard puis cherché ses céréales dans la bibliothèque, Ursule B. s’étonna de ne pas trouver de brique de lait dans le lave-vaisselle. Enfin assis à table, il décida qu’il devrait peut-être retourner se coucher pour se reposer davantage. Mais lorsqu’il trouva une voiture qui n’était pas la sienne dans un garage qui n’était pas sa chambre, il comprit qu’il s’était trompé de maison.

Journapalm 837

Depuis que les médias de l’Empire n’ont rien d’autre à se mettre sous la dent qu’une grippe même pas espagnole, ils ne se soucient plus de ce qu’il advient de Kim Jong-un. Il faut dire, à leur décharge, que depuis qu’a démarré la pandémie, Kim s’est laissé pousser la barbe et qu’il a monté un groupe de folk music avec Alexandre Loukachenko, Vladimir Poutine et Xi Jinping. Aux dernières nouvelles ils répètent tous les premiers samedi du mois dans un ancien kolkhoze sibérien pour réchauffer le cœur des prisonniers politiques.

Journapalm 836

Accoudé au comptoir du bar, Geronimo s’enivrait avec méthode, suivant les préceptes inculqués par son grand-père après que la dernière réserve indienne ait été contrainte à abandonner ses terres. Officiellement il s’agissait d’un accord à l’amiable et équitable. En vérité… Au diable la vérité !
Geronimo enchainait les verres de vodka pamplemousse tandis que sur les terres de ses ancêtres, la première façade du nouvel entrepôt Amazon sortait de terre, un gigantesque sourire jaune tourné vers les clients du dernier bar indépendant de l’État.

Journapalm 835

Dans les ruines d’un stade olympique où la végétation a repris son dû, les enfants jouent à la guerre avec des armes automatiques abandonnées par l’envahisseur. Bien sûr, les morts sont nombreux mais les milices qui dirigent le pays disent que c’est la rançon de la gloire.
Le pays est l’un des plus pauvres du monde, tellement pauvre explique l’un des chefs miliciens, qu’ils n’ont plus de terrain de football. Mais leurs femmes sont très fertiles et les enfants qui atteignent quinze ans sont ensuite vendus aux familles mafieuses d’Europe comme caïds déjà formés et prêts à l’emploi.

Journapalm 834

Elle disait souvent qu’une nuit sans lune sur l’Interstate 64, aux abords de Shelbyville, Kentucky, elle avait aperçu deux traits de lumière apparaître dans le ciel puis disparaître à une vitesse prodigieuse. Cherchant à étayer ses dires, elle trouva sur Internet qu’à Shelbyville se tenait un rassemblement de chevaux annuel auquel venait assister William Shatner, le capitaine Kirk de Star Trek qui à 90 ans avait voyagé dans l’espace à bord de Blue Origin. « Voilà, il n’y a aucune coïncidence là-dedans ! » répétait-elle en secouant la tête devant une assiette de steak de cheval.

Journapalm 833

Après maintes réflexions, il lui offrit un chat. Sur le coup elle en fut très étonnée, déstabilisée même. Elle s’attendait à un joli bijou ou à un billet d’avion : cinq ans tout de même, ce n’est pas rien. Mais elle se prit d’affection pour l’animal et décida de l’appeler Max, parce que lorsqu’elle était enfant, ses parents possédaient un chat prénommé ainsi. Mais il lui expliqua que le chat s’appelait déjà Commandant Charcot. Ce n’est pas un nom très pratique, dit-elle. Alors il s’énerva, ramena Max au magasin de chats et lui rapporta un bijou à la con.

Journapalm 832

La brume formait une couche épaisse qui déposait sur la route une pellicule d’humidité froide. Rien ne semblait pouvoir traverser ce mur en suspension au-dessus des terres, même les bruits s’y enfonçaient sans en ressortir, comme absorbés par une bouche invisible tapie à l’intérieur. Aussi, ses cris restèrent sans réponse. Son pied arraché par la gueule d’un caïman, elle rampait à présent sur le sol abrutie de douleur, essayant de se mettre à l’abri. Aucun crocodile ne s’aventurait sur la route, surtout par temps de brouillard : même affamés, les caïmans se montrent prudents.

Journapalm 831

La plupart des grands anciens n’ont pas résisté au nouveau millénaire. La pluie, le vent, le froid : les bouleversements climatiques qui accompagnaient les deux nouveaux chiffres du calendrier, sûrement que ça faisait trop pour eux. Ils sont ensemble maintenant, quelque part au large des côtes du Chili, au-dessus des abysses où sont rassemblés tous les requins du monde, leurs gueules béantes ouvertes vers la surface pour dévorer tout ce qui passe à proximité, porte-conteneurs et bateaux de pêche sans distinction de taille et de matériau. Sous l’œil lubrique du vieux Burroughs qui tire sur une fine cigarette.

Journapalm 830

Né dans un quartier de Naples où les ruelles sont si étroites que les petits balcons des appartements restent perpétuellement dans l’ombre, il partit à Rome dès sa majorité. Doté d’une élasticité remarquable, il devint contorsionniste et exerça son art dans les rues comme en d’autres temps certains se faisaient montreurs d’ours. Par atavisme il couchait dans les venelles les plus sombres de la ville éternelle, fuyant les places ouvertes qui l’étouffaient. Une nuit qu’il dormait dans un minuscule tuyau d’évacuation d’eau près du Tibre, il fut surpris par la brusque montée des eaux et se changea en silure.

Journapalm 829

La bibliothèque municipale se trouve à l’angle de la cinquième avenue et d’Olive Street. En comparaison des tours de verre qui l’entourent, c’est un bâtiment décati, plutôt bas et posé là comme une idée à rebrousse-poil du présent. La plupart des gens passent devant sans le voir, mais parfois, certains y entrent. Une poignée, et pas que des vieux : c’est peut-être ça le plus rassurant dans l’histoire. Même si certains y viennent encore dans l’espoir d’y croiser le fantôme de Bukowski.

Journapalm 828

Il rêvait de posséder un crâne de ruminant agrémenté de ses interminables cornes pour le fixer au mur de son salon, mais sa femme ne voulait pas en entendre parler. La discorde dura si longtemps et pris de telles proportions que leur couple commença à se fissurer. Après des mois de crises et de tensions perpétuelles, l’épouse prit un amant qu’elle retrouvait plusieurs soirs par semaine. Et le jour de noël, elle offrit à son mari un joli miroir qu’elle lui suggéra d’accrocher au salon pour s’y contempler : ainsi son rêve se réaliserait.

Journapalm 827

Assis sur cette butte d’herbe verte battue par les vents, un père et sa fille sont comme abandonnés au monde. J’ignore de quoi ils peuvent bien parler, observant l’immensité de l’océan qui fronce les sourcils en contrebas. Quarante-trois, se répète la fille en rêvant, quarante-trois : à peine un marathon entre ce rivage et l’île de Sakhaline, l’empire du tsar et les promesses d’une folie slave qui l’emporterait très loin de la rigueur nippone.

Nouveau projet

Pas le temps de profiter du farniente. Un mois et demi après la publication de "Comme un mustang, la crinière en feu" je me suis remis à l'ouvrage avec le démarrage d'un nouveau projet qui devrait m'occuper quelques temps... 

Premier jet lancé, deux indices...

Journapalm 826

Elle ne voyait que le cabanon en tôle ondulée posé en bordure d’un chemin en terre grise, loin de toute civilisation. Il ne parlait que de la floraison des lauriers roses et de la vue spectaculaire au-dessus de la mer en contrebas. Leur projet d’aménagement ne pouvait pas bien se terminer.

Journapalm 825

Après avoir traversé un petit bout de l’univers sans trouver une seule planète digne d’intérêt, un vaisseau originaire du Petit Nuage de Magellan pénétra dans la Voie Lactée par une porte dérobée qu’un astronaute distrait avait laissée ouverte. La suite fut une quasi éradication de l’espèce humaine qui eut pour seul effet positif d’assainir la Terre de toutes les pollutions qui s’y accumulaient et d’éliminer quatre-vingt pour cent des pollueurs qui la peuplaient. Depuis ce jour, les portes de la galaxie sont condamnées et les astronautes de la Station Spatiale Internationale n’ont plus rien d’intéressant à raconter.

Journapalm 824

Depuis toujours il confondait les différentes espèces de félins. Vivant à Manhattan depuis la mort par overdose de son père chanteur d’opéra lyrique, il n’avait toutefois jamais estimé que cela pût lui manquer. Jusqu’au jour où il se retrouva seul survivant d’un accident de Jeep dans un safari en pleine Tanzanie. Et qu’il ne réalisât que la nuit dans la brousse n’a pas grand-chose à voir avec celle de Broadway.

Journapalm 823

Depuis l’enfance, Ursule T. croyait aux extraterrestres qu’il disait être à l’origine de toute vie dans l’univers. Arrivé au terme de son existence, Ursule T. ne quittait plus son lit et attendait le trépas comme certains attendent l’autobus : en proie à l’irritation face au retard de celui-ci.
Après quelques semaines supplémentaires d’impatience entre deux instants d’un sommeil dénué de rêves, le vieil homme mourut. Certains disent qu’ils virent alors un grand flash vert dans le ciel mais cela se produisit le 8 novembre, jour où un chat se fit électrocuter sur un transformateur électrique, alors… qui croire ?

Journapalm 822

La maison ne se trouvait pas : on devait venir jusqu’ici à dessein. Pas d’autre logis alentour, pas de route accessible à proximité, juste un chemin de terre à peine plus large qu’une carriole. L’hiver, la température ne dépassait jamais les neuf degrés : il vivait, dormait, mangeait, chiait emmitouflé. Mais ici personne ne venait le déranger, il pouvait jouir tout son soul de sa sauvagerie intrinsèque sans risquer de trucider quelqu’un. Ici, il vivait sans aucun masque sur le visage et cela n’avait pas de prix.

Journapalm 821

Le soleil généreux, la mer qui scintillait et le port qui résonnait du bruit des machines : fermant les yeux, écoutant les sons qui montaient de la ville, il aurait pu se croire chez lui, à Marseille. Cette pensée le rassura et il redémarra son scooter l’âme en paix, poursuivant son ascension sur la petite route tortueuse. Mais parvenu en haut du rocher de Gibraltar, il tomba dans un guet-apens tendu par les macaques qui y régnaient en maître. Il se fit dépouiller son téléphone et son portefeuille puis son scooter. Et dans son esprit, Gibraltar dépassa alors Marseille.

Journapalm 820

Après trois ans d’études dans la finance internationale, un avenir doré attendait la fille de René. Celui-ci en parlait toujours avec une grande fierté, lui qui n’avait pas dépassé la classe de 3ème avant de devenir mécanicien auto.
Pour marquer l’évènement, il l’emmena en Australie grâce à dix années de laborieuses économies. Enthousiaste devant les paysages grandioses, René P. encourageait sa fille à photographier les vastes étendues aux couleurs incandescentes et les plages au relief accidenté. Alors sa fille le regardait, étonné, et répondait qu’elle ne voyait là que des code-barres et des étiquettes ne présentant aucun intérêt.

Journapalm 819

Désirant partir sur un coup d’éclat, un chat amateur de feux d’artifices grimpa sur un poste de transformation d’électricité de 63 000 volts. Il y eu un flash vert qui crépita dans le ciel noir de l’hiver puis une coupure d’électricité qui dura une dizaine de secondes. Sûrement qu’il y eut aussi une odeur de viande et de poils grillés mais de cela, les témoins n’en parlent pas.

Journapalm 818

« Entre les tueurs fous dans les écoles, les alligators cannibales et les concerts de rap où l’on se fait écraser, ne compte pas sur moi pour foutre les pieds au Texas ! »
Sa déclaration fut assénée avec une telle fermeté que je compris qu’il serait difficile de la faire changer d’avis. Même si n’étant ni scolarisé, ni alligator, ni amateur de rap, ma sœur ne cochait aucune case des risques qu’elle énonçait. Mais je me gardais bien de lui en faire la remarque, je savais que la télévision l’avait éduquée.

Journapalm 817

En montant dans ce modeste train, à coup sûr régional mais très peu express, elle ne savait pas trop à quoi s’attendre. Originaire de Belgique, sa famille vivant maintenant à Glasgow, la Catalogne n’appartenait pas à son périmètre habituel de migration. Mais cet homme voulait lui faire connaître son pays : les Pyrénées à dos de mules, les sentiers côtiers à pied et ce matin, le train qui tortillait à faible vitesse jusqu’à la gare de Perpignan. Elle haussa les épaules et alluma une cigarette : « va pour le centre du monde » lâcha-t-elle avec résignation.

Journapalm 816

Assoupi sur le banc, il a manqué le changement d’heure. Depuis qu’il vit dans la rue, il ne se préoccupe plus guère des conventions qui rythment le temps. Pas davantage que des prévisions météorologiques. S’il se met à pleuvoir, il cherche un abri, si le vent souffle du nord, il choisit de s'installer au pied d'une façade qui l’en protège. Depuis un quart de siècle qu’il n’a plus de toit, ce mode de vie lui est devenu naturel. La ville étant son foyer, il a même le luxe de changer de banc chaque fois qu’il le souhaite.

Journapalm 815

Journées portes ouvertes à la SNCF. Après l’arrêt d’exploitation de la gare de Salsepareille, village tranquille du Lot, le maire de la commune et nouveau propriétaire des locaux organise une journée portes ouvertes le 10 août. Toutefois, le chef de gare ayant découvert que son épouse le trompait et ayant mis fin à ses jours dans la gare avec son appareil à poinçonner les tickets, le public est prié de se vêtir correctement et de se comporter avec dignité par respect pour le repos du défunt dont on dit qu’il hante encore les lieux.

Journapalm 814

Une première depuis trente ans, forcément ça remue. Ce qui l’impressionne le plus en se retrouvant ici, c’est que presque rien n’a changé : les façades mitoyennes qui bordent la cour intérieure, la petite allée bétonnée qui file tout droit sur trente mètres jusqu’à la petite maison. C’est comme s’il n’était parti que quelques jours plus tôt. Alors que trente ans cela représente presque onze mille jours. Et il s’en passe des choses en onze mille jours, à commencer par la disparition de tous les gens que l’on aimait et qui vivaient ici.

Journapalm 813

Presque tous les jours, sans trop pouvoir expliquer pourquoi, elle rêvait de Missoula, cette vile du Montana où est né David Lynch et où ont vécu de nombreux écrivains. Elle travaillait dur et elle se levait bien avant tout le monde chaque matin pour aller gagner sa vie. Elle n’a jamais mis les pieds à Missoula, mais elle a passé trois jours mortifères à Bitola, une ville de Macédoine, pour un déplacement professionnel stupide, à dormir dans un hôtel défraîchi aux façades ruisselantes de pluie. Ce n’était pas le Montana mais elle n’avait rien de mieux en stock.

Journapalm 812

Nouba au cimetière. Alertés dans la soirée par des bruits de pétards et de fusées lancées depuis le cimetière de Chessy, la brigade de gendarmerie a mis fin aux agissements d’un trio de pensionnaires de la maison de retraite « Le Lys Royal » qui causaient une intense agitation entre les pierres tombales. Les deux hommes et la femme, tous octogénaires, entendaient protester contre la tradition des chrysanthèmes à la Toussaint, une brouille tenace les opposant depuis plus d’un demi-siècle au fleuriste du village.