Tombé du lit à 6h12 un jour de congé, tu t’es fait couler un café dans la minuscule cuisine en regardant avec gravité les carreaux blancs disjoints. Des larves sortaient des anfractuosités de caoutchouc, se tortillaient mollement puis s’enfonçaient dans un interstice. Ça aurait pu être une belle journée consacrée à un loisir quelconque : pêche, shopping ou philatélie mais non, la grossièreté de l’existence allait t’obliger à boire ton café froid.
Elle le regarde comme s’il s’agissait d’un spectre ou bien d’un zombie, d’un humanoïde pétrifié survivant de l’irruption du Vésuve. Son rythme cardiaque s’emballe de façon ascension du Col du Galibier un 15 août alors il s’approche et ses antennes rétractables émettent un message radio : non il ne vient pas de Pompéi mais de Neptune, il ne mord pas mais mange volontiers des teckels en fin de soirée. Ce fut un choc pour elle, éleveuse de bassets depuis trois générations, elle décéda d’une crise cardiaque.
Tu ne pouvais rester à ta place, il fallait sans cesse que tu te lèves et que tu te penches sur le monde d’en bas pour en évaluer les risques et en mesurer les besoins. Tu veillais dessus comme du lait sur le feu mais ça n’a pas suffi. Un moment d’inattention seulement et la nouvelle a fait le tour des journaux du monde : Mike Tyson a éteint Dieu d’un terrible uppercut.
Les grillages gondolaient dans l’azur, frêles et malléables et le canal ne mesurait qu’un mètre de large. Lorsqu’on a enfermé l’oiseau bleu dans sa cellule californienne, on prêchait encore le pardon et la seconde chance. Les murs en béton ont poussé comme des champignons et le canal s’est élargi jusqu’à tutoyer la mer. Cette fois c’est sûr : l’oiseau bleu ne sortira plus jamais de sa cage.
Son chien débarqua de nulle part après avoir disparu six ans plus tôt sans donner de nouvelles. D’accord c’était un animal mais elle l’avait dressé à ouvrir et refermer les portes et à rapporter le journal. La moindre des choses eut été de la tenir informée de la raison de sa fugue. Le chien confus plaida l’amnésie et comme elle n’avait plus lu un seul journal depuis six ans, elle passa l’éponge.
Dans ses songes artificiels, il se rêvait souvent plus patient et plus diplomate que ce que son caractère ne le lui permettait. Les exploits physiques et les attraits de la jeunesse ne l’intéressaient guère, il misait davantage sur la patience et la sagesse dans l’esprit d’une quête. Au fond il se détestait avec la plus grande abnégation mais chaque jour, les drogues le lui faisaient oublier quelques heures.
L’ogre perdait l’appétit et la nouvelle faisait le tour du pays. Partout on chuchotait dans le secret des alcôves que l’ogre ne pouvait pas avaler plus de quatre enfants sans souffrir de terribles maux d’estomac. Un généreux guérisseur décida de se rendre chez l’ogre pour lui prodiguer des soins. Et comme l’ogresse le trouva fort à son goût, elle assassina son homme et le remplaça par le guérisseur. Alors plus personne ne broncha dans le pays.
Cent mots, telle est la limite à ne pas dépasser pour respecter la règle du jeu. Souvent tu te dis que c’est un peu court et qu’il en faudrait bien davantage pour l’ampleur, les décorations et tout le tralala. Mais ensuite tu réalises que cent, c’est déjà bien assez, qu’il faut bien se fixer une limite sinon les ballons montent trop haut dans le tralala jusqu’à exploser là où le froid règne en maitre et ensuite ils disparaissent dans des pays un peu trop tristes.
Depuis le premier pilier du Brooklyn Bridge tu regardes le Sud de Manhattan en apercevant un rat gigantesque – le daron suprême comme l’appelleraient les autres rongeurs – sortant de l’East River et se jetant sur les immeubles avant de les grignoter un à un. Par chance tu te réveilles dans ta chambre d’hôtel au Nord de Central Park et tu entends ta femme assoupie qui grince des dents
Longtemps il s’interrogea sur l’orientation à donner à sa vie, hésitant beaucoup et questionnant les mouches qu’il regardait voler derrière les vitres des salles de cours. Ne sachant quelle voie choisir de la magie ou de la pâtisserie, il se perdit beaucoup en conjonctures avant de trouver la réponse : il confectionnerait des sortilèges glacés !
L’hiver dernier elle a mis ses affaires en ordre puis sans y mettre trop d’émotion, elle a tourné les talons. Certains ont cherché à la suivre quelques temps avant de réaliser qu’ils s’épuisaient et de retourner, pantelants, à leur vie d’avant. À présent qu’elle a disparu, ils se sont perdus en conjoncture sur les raisons de ce départ, oubliant qu’aucune science ne peut tromper la mort.
Elle écoutait aux portes et aux fenêtres avec un tel engagement que ses parents l’encouragèrent à suivre des études pour devenir une espionne de haut-vol. Mais en deuxième année, elle tomba follement amoureuse d’un maharadjah qui vivait dans un palais sans porte ni fenêtre au milieu du désert. Heureuse en mariage, elle occupe désormais ses loisirs en écoutant le flanc des chameaux.
Enfant, il fredonnait une comptine dont il ne comprenait pas le sens mais qui possédait l’étrange pouvoir de repousser les murènes agressives qui s’approchaient trop près de ses jambes lorsqu’il chassait le crabe dans les roches sous-marines. Devenu adulte il ne parle toujours pas mais continue de psalmodier cette comptine pour repousser les fâcheux qui castrent ses journées.
Les sardines sang et or au fond de sa casserole, le trappeur des pleines molles cherchait un peu de réconfort dans la contemplation des montagnes. Grand lecteur aux ambitions poétiques perturbées par une tare génétique, il rêvait de créatures fantasmagoriques et de géographies mythiques. Mais les seuls tonnerres qu’on lui accordait restaient les miaulements plaintifs de quelques chatons efflanqués.
Les asticots tirebouchonnés s’égosillent dans un minuscule raffut cependant que l’eau de pluie changée en vin dégringole depuis les rangées de tuiles dérangées jusque sur les épaules capitonnées de vieux colonels aux sourcils circonflexes où elle rebondit en un ploc ploc sinistre qui éteint toute possibilité de boucherie microscopique : parfois les asticots attendent dans les zébrures du ciel hachuré l’ouverture des charniers.
Dans cette minuscule papeterie de Manhattan, quelque part entre Greenwich et Soho, tu as mis la main sur le stylo que tu cherchais et auquel la France refusait l’asile. Ça ne tenait pas à grand-chose et ça ne relevait en rien de l’extraordinaire mais ton voyage prit soudain un virage merveilleux et le trois fois rien dans cette minuscule papeterie de Manhattan quelque part entre Greenwich et Soho se transforma en un authentique miracle dont tu te souviendrais longtemps.
Sur le lac des Quatre Cantons, au croisement de plusieurs chemins de sa vie, le fils de Gargantua se hasarda une nuit à sauter à l’eau, attiré par les reflets laiteux de la pleine lune. Réalisant soudain qu’il ne savait pas nager, il s’affola et battit des mains et des pieds en poussant des cris de pourceau. Par chance une descendante de Néfertiti qui trompait ses insomnies en errant sur le lac en pédalo vint à son secours et ils adoptèrent un ragondin sacré.
Elle t’a mis au défi d’échapper à l’indicible mais à cause d’un feu d’artifice ayant explosé trop près de tes oreilles d’enfant tu as grandi sourd : tu as compris qu’elle voulait te voir "écharper l’imbécile". Par chance tu es entouré de crétins et d’incapables aussi lorsqu’il fallut en choisir un, tu fus bien en peine : choisir c’est renoncer à ce qu’on dit…
L’homme sans chapeau se promène seul sur les grands boulevards d’une ville étrangère à sa mémoire dans laquelle il a pourtant vécu toute sa vie. Des miettes de pigeons morts d’une peste insolite jonchent les trottoirs d’où ont été chassés les animaux domestiques. Là-bas, il distingue de hauts murs et des grilles rouillées, un panneau portant les stigmates d’une fusillade à laquelle il a échappé mais qu’il a oubliée, comme si cela n’était jamais advenu.
Sur les étendues périlleuses, tu n’as pas cru en la démission des âmes que prévoyaient les promoteurs des grandes purges. On te parlait des escalades entropiques et des vertiges qu’offre parfois la liberté mais tu sentais que leurs discours manquaient de recul, que leurs mots frappaient un plafond de verre. Alors tu as choisi de sauter derrière l’échancrure des jours, dans l’interstice située entre les âmes et les maux, là où tu savais que personne ne viendrait te pendre.
Quand elle disait qu’elle aurait préféré être un mouton, personne ne le prenait au sérieux. On se moquait de ses pulls tricotés en laine d’Écosse, on riait de ses goûts musicaux discutables axés sur la variété française et de son attrait pour les téléfilms mièvres aux scénarios interchangeables : du mouton elle semblait bien posséder nombre de caractéristiques. Mais personne ne comprit qu’elle parlait des moutons que produit la mer en guise de virgules les jours de tempête.
Dans ton grand cahier sans couleur tu as épluché le dictionnaire de tes rêves et secoué l’encyclopédie de tes nuits. Il en est tombé plusieurs lettres argentées, certaines plus graves que d’autres, une poignée plus aigües que les autres mais tu disais souvent que tu appréciais la musique dissonante. Un jour, c’est certain, il ne tombera plus aucune lettre et tes nuits resteront silencieuses à nos oreilles orphelines.
Braque, Cendrars et Modigliani peuvent bien s’en jeter un derrière la cravate dans un PMU du vieux Paris, qu’est-ce que ça va changer à ta vie ? Tu ne t’intéresses qu’aux auteurs qui viennent de l’Est, les Tchèques et les Russes, les Polonais et les Moldaves. Tu gardes un portrait de Kafka accroché au-dessus de ton lit et une carte des Balkans déployée dans ton bureau et sur lequel figurent des pastilles de couleur pour chaque auteur mort ou vivant, c’est là toute ta géographie intime.
Elle voulait l’appeler Winston par admiration pour Churchill mais il préférait Enzo par passion pour les bolides italiens. Leur enfant naquit sous un pommier parce qu’elle n’eut pas le temps d’atteindre la maternité et que le champ qui bordait la route paraissait plus confortable que le bas-côté. Parvenue à la dernière contraction, elle mit tout ce qui lui restait d’énergie et l’enfant poussa son premier vagissement tandis qu’au même instant, dans le champ qui bordait la route, une pomme mûre tomba avec une bruit sec. On baptisa l’enfant Isaac.
L’enfant qui a grandi dans la ville opercule a longtemps reniflé les vapeurs de napalm tandis que ses grands-parents, puis tous les anciens de son entourage tombaient un à un, les os en miettes, la chair pantelante, leurs corps en version pissenlits par la racine. Il a observé la mort des autres sous tous les angles cet enfant et maintenant il a besoin d’écouter les grondements des moteurs de B52 captés sur une cassette pour réussir à s’endormir.
Les sauvages débarquent en meutes masquées dans les avenues de la ville cannibalisée par la canicule. L’inconfort est préférable à l’esclavage aussi conservent-ils leurs passe-montagnes, cagoules et autres couvre-chefs tous plus inattendus les uns que les autres. Certains se sont même coiffés d’une serpillère rouge. Alors, lorsqu’ils galopent vers les façades de la mairie en armant leurs bombes de couleur, on se croirait au milieu d’une peinture animée du Douanier Rousseau.
Sur la colline, les mats en acier dessinent des fleurs handicapées mais parce que la novlangue est devenue une réalité et que plus personne d’autre que de vieux croûtons s’intéressent encore à la poésie, on les nomme éoliennes ; cela heurte moins les sens, un mot rempli de voyelles, il semble que ça coule de source et que c’est rempli d’écologie jusqu’à ras bord.
Avec sa journée découpée en tranches de vingt-quatre unités régulières, elle pensait maitriser le temps et ne plus se retrouver obligée de courir ici et là. Mais elle souffrait d’une diplopie sévère et ses tranches de temps mesuraient quarante-huit unités posées sur du pain à la mie bleuie qui laissait un arrière-goût de poussière dans la bouche au moment d’aller se coucher.
Ils déploient des avions de chasse au beau milieu de la ville mais ils les repeignent en vert et disent qu’il ne s’agit jamais que d’imposants nénuphars. Toi, tu n’es pas dupe et tu leur fais remarquer la peinture grise qui continue d’apparaître sur le dos des fuselages. Alors on te répond qu’il s’agit de gorilles adultes de type dominant au dos argenté qu’il convient de ne pas déranger.
Au bord du canal, là où en hiver, parfois, des hommes sautent dans l’eau pour sauver un chien et finissent par se noyer, il y a cet endroit mal isolé où des rayonnages disjoints contemplent le monde. Cela n’a rien d’étouffant ou même d’intimidant : c’est un lieu qui guérit un peu des douleurs récalcitrantes, qui agit à la manière d’un baume que les fantômes de ceux partis trop tôt te prodiguent, l’air de ne pas y toucher, entre deux rangées de livres, à l’abri de la tramontane qui, dehors, siffle dans les arbres devenus fous.
Tu as traversé ta propre vie comme d’autres traversent la rue, le nez en l’air et pas vraiment conscient de la direction à suivre. Une fois parvenu de l’autre côté de ce qui se révéla être un boulevard de ceinture, tu n’as plus reconnu ton environnement et tu as oublié la raison qui t’avait poussé à venir ici. Alors tu as envisagé de prendre une autre route pour ailleurs mais on t’a rattrapé pour te dire que ton temps de flânerie était écoulé.