lundi 30 septembre 2019

Lecture : Antonio Moresco - La petite lumière

Ce court roman de 120 pages publié chez Verdier est une preuve supplémentaire que nul besoin de pondre des gros pavés pour taper juste. Quelle prose ! Quelle puissance d'évocation ! Assurément l'une de mes plus belles lectures de l'année. L'incipit du livre donne le ton de l'histoire : "Je suis venu ici pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant". Raconté à la première personne, ce livre est donc le récit d'une absence, d'un renoncement au monde.
Une fois le narrateur parti et isolé, une lumière pourtant, l'intrigue. Une petite lumière qui scintille la nuit, au loin, dans l'interstice entre deux mondes, de l'autre côté d'un gouffre, d'un vide... Et dont il finit par partir à la rencontre. 
Ce qu'il va y trouver est à la fois poétique, surprenant et métaphysique. Le tout raconté dans un style impeccable, précis et superbement interprété par le traducteur Laurent Lombard. On est emporté par le mystère et par la langue, on est transporté par cette méditation au ton juste qui évoque plusieurs influences mais qui trace son sillon propre dans une voix bien personnelle. Un de ces bouquins à mille lieux des littératures formatées dont les merdias nous rabattent les oreilles à longueur de temps, surtout en cette période de prix et de flagorneries dégoulinantes de St Germain des Près. 

Extrait
Le soleil vient tout juste de s’effacer derrière la ligne de crête. La lumière s’éteint. En ce moment, je suis assis à quelques mètres de ma petite maison, face à un abrupt végétal. Je regarde le monde sur le point d’être englouti par l’obscurité. Mon corps est immobile sur une chaise en fer dont les pieds s’enfoncent de plus en plus dans le sol, et pourtant, de temps en temps, j’ai le souffle coupé, comme si je chutais, assis sur une balançoire aux cordes fixées en quelque endroit infiniment lointain de l’univers.
Le ciel est traversé par les dernières hirondelles qui volent, çà et là, comme des flèches. Elles passent en rase-mottes au-dessus de moi, s’abattant tête la première sur de vastes sphères d’insectes suspendus entre ciel et terre. Je sens le vent de leurs ailes sur mes tempes. Je vois distinctement devant moi le corps noir, plus caréné et plus grand, de quelque insecte englouti par une hirondelle qui le suivait le bec grand ouvert en lançant des cris. Le silence est tel que j’arrive même à entendre le craquement de son corps qui continue à souffrir, broyé et démembré, dans le corps de l’autre animal qui remonte grisé dans le ciel.

Journapalm 053

Lorsqu’il s’est redressé et qu’il a cherché à avancer, il s’est empêtré dans une gangue froissée et bruyante. Les parois de sa grotte ne présentaient toutefois aucun caractère rigide, construites au contraire d’une matière légère et pliante. En approchant sa lampe torche de ces murs insolites, il a aperçu des lignes colorées qui ne suivaient aucun axe rectiligne, ainsi que des noms familiers. Soudain, il a réalisé qu’il s’agissait de dizaines de cartes routières dépliées et assemblées les unes aux autres autour de lui. Alors il a déchiré un bout d’Inde et il est passé à travers l’Océanie pour s’échapper.

dimanche 29 septembre 2019

Journapalm 052

Ses rêves suivent une trajectoire chaotique mais qui toujours boucle sur elle-même. Elle a remarqué cette caractéristique cyclique il y a vingt-cinq ans environ, au moment où elle a commencé à travailler. Peut-être parce ce que son imagination nocturne a suivi le même assagissement que sa vie. 
Elle a un rêve fondateur, celui d’une gare de seconde zone du nord de l’Ecosse. Chaque fois qu’elle rêve de cette gare, elle sait qu’il s’agit d’un appel envoyé par son inconscient, le début d’un nouveau cycle, le signal qu’elle doit prendre des congés. 

samedi 28 septembre 2019

L'extrait du... 28 septembre

"Je l’avais bien dit à Addie que ça ne portait pas bonheur d’habiter sur une route, quand on est venu la faire par ici, et elle m’a dit, que c’était bien une réponse de femme : « Ben t’as qu’à te lever et déménager. » Mais je lui ai dit que ça ne nous porterait pas bonheur parce que le Seigneur a fait les routes pour voyager ; c’est pour ça qu’il les a couchées à plat sur la terre. Quand Il veut que les choses soient toujours en mouvement, Il les fait allongées, comme une route ou un cheval ou une charrette, mais quand Il veut que les choses restent tranquilles, Il les fait en hauteur, comme un arbre ou un homme."


William Faulkner - Tandis que j'agonise 
(Folio, traduction Maurice Edgar Coindreau)

Journapalm 051

Sur le journal de bord tenu par le capitaine 6-RB08, il s’agissait de leur 82èmemonde. Un chiffre encore éloigné des 134 du record absolu détenu par 46-VR09 mais déjà très impressionnant. 
Les explorateurs intergalactiques se posèrent de nuit dans un désert éloigné de toute mégalopole. Seule une faible lumière signalait la présence d’un bar. Prenant l’apparence de l’espèce locale, ils entrèrent dans ce dernier et commandèrent un breuvage appelé Budweiser. Après deux gorgées ils quittèrent le bar et décollèrent aussi sec en direction du 83èmemonde. 

vendredi 27 septembre 2019

Journapalm 050

Après des heures de punition enfermé dans sa chambre pour y étudier toutes ses leçons, l’enfant a obtenu une réduction de peine en fin d’après-midi. La journée évanouie derrière, dans un tumulte insouciant là-bas, dehors, sans lui. 
Il a regardé par la fenêtre de sa prison, y a aperçu les autres gamins, libres et insouciants. Le cœur gonflé de sentiment d’injustice et de soif de liberté, il a fait vœu de se venger de son père. Plus tard, dans des années... Lorsque ce père sera devenu un vieux monsieur fatigué sans défense. Et lui, un adulte sans pitié.

jeudi 26 septembre 2019

Journapalm 049

Il se réveille, étouffant de chaud. Son cerveau tape à l’intérieur de sa boite crânienne, pareil à la cloche de Big Ben. Posé au sol, le radio réveil annonce 12/10 - 02h35 dans un halo rouge hypnotique et baveux. Quelques instants plus tôt, il se trouvait sur le parcours de golf à proximité des falaises d’Étretat. Il allume la lumière au-dessus de son lit, se saisit du carnet à spirales posé sur sa table de nuit, tourne les pages et écrit : « 12 octobre – Rêve d’Étretat numéro 816 ». Ensuite il éteint et essaye de trouver la paix. 

mercredi 25 septembre 2019

Journapalm 048

Depuis l’enfance il voue une admiration sans borne à cette portion de route sillonnée de platanes qui longe, quelques centaines de mètres durant, le canal du midi. Il y a des souvenirs lumineux qui crépitent dans sa tête comme un sachet de bonbons qui piquent la langue et dans lequel il pioche dès qu’il se sent chanceler. Il a photographié son lieu refuge puis l’a fait développer sur une affiche de cinéma vierge. Alors tous les soirs, dans son maigre T2 qui donne sur le boulevard périphérique, il s’assieds par terre et contemple cette route.

mardi 24 septembre 2019

Journapalm 047

D’aussi loin que l’on se souvienne, personne ne l’a jamais aperçu boire d’alcool. Ni occupé à se préparer une ligne de coke, distrait à tirer sur un joint, à croquer un acide ou un quelconque comprime aux stupéfiantes vertus. Aussi nul n’a compris quelle raison l’a poussé à ouvrir les fenêtres de sa chambre en pleine nuit et au plus froid de l’hiver puis à se jeter du troisième étage. Son corps a dessiné une silhouette de scène de crime dans la fine couche de neige. Mais on ne retrouvera aucun meurtrier.

lundi 23 septembre 2019

La collection


Les nouvelles éditions de mes six livres parus à ce jour sont donc disponibles sur le site de l'imprimeur à la demande LULU. Et bientôt chez Jeff Bezos mais franchement commandez les chez LULU, je gagne davantage :) 
Pour rappel, pas de changement dans le fond, les livres restent les mêmes - si ce n'est qu'ils adoptent tous la même maquette un peu plus grande - mais le changement majeur concerne le papier crème à l'intérieur, plus agréable à la lecture car pas brillant.

L'extrait du... 23 septembre

"Je n'ai jamais considéré la nature comme un parcours du combattant où nous devrions nous casser le cul pour accéder au ciel, ni comme un baume nous permettant d'oublier nos épouillages réciproques, ni comme la consolation d'une vie consacrée à acheter bon marché et à vendre cher. La bible de mon père se trompait sur toute la ligne. La terre n'est pas faite pour nous soulager, mais pour sa propre munificence changeante, dont nous constituons une petite part. Voilà que je radote comme Noémie qui se demande fréquemment et à voix haute pourquoi le moindre arpent de l'Ouest doit être confortablement aménagé pour les vaches, à l'exclusion de tout autre créature. Le peuple de ma mère a été sacrifié, entièrement, au profit des vaches, alors que ces gens auraient joyeusement vécu parmi elles si l'on avait partagé la terre plutôt que de s'en emparer."


Jim Harrison - La route du retour  
(10/18 - traduction Brice Matthieussent)

Journapalm 046

Elle lui a dit qu’elle reviendrait, sans lui préciser quand, au juste. Il n’a pas écouté la suite, trop abasourdi par l’annonce de son départ. Et il l’a attendue. Figé au bureau, figé chez lui, figé dans la rue. Jusqu’à se faire licencier puis perdre son appartement. Depuis il vit calfeutré dans sa vieille Renault 21 à proximité de l’aéroport Charles de Gaulle. Et chaque jour il vient jusqu’à l’aérogare et dévisage les arrivées en provenance de Kiev. Sans jamais l’apercevoir dans la masse des gens qui débarquent. Espérant que demain, peut-être… 

dimanche 22 septembre 2019

Journapalm 045

Les unes après les autres, les étoiles se sont éteintes et ont disparu du ciel d’été. Un peu comme à l’issue de la fête sur la place du village, lorsqu’on débranche les guirlandes multicolores et les lampions musicaux, juste avant que ne partent les forains.
L’enfant a déjà connu plusieurs fins d’été difficiles avec plusieurs départs des convois de caravanes sur la route. Mais il comprend bien que la fin des étoiles n’annonce rien de bon pour la suite. 

samedi 21 septembre 2019

Journapalm 044

Pour fêter le centenaire du vieux poète beat, je me suis rendu à San Francisco à la fin de l’été. J’y ai pris un cable car avec lequel j'ai déjeuné dans le ciel et contemplé le golden gate. 
Lorsque je suis arrivé devant la librairie City Lights, mon cœur a produit un dératé étrange. Je suis resté un moment sur le trottoir, les yeux grand ouverts dans la brise océanique. Quand je suis entré, j’ai demandé Lawrence Ferlinghetti mais le jeune type dépenaillé a tiré sur son joint et éclaté de rire dans un nuage de fumée grise. 

vendredi 20 septembre 2019

Journapalm 043

Bâtie au sommet d’une colline, la petite chapelle a résisté à plusieurs guerres. Inaccessible autrement qu’à pied et au prix d’une importante marche à travers champs et bosquets, elle n’est que rarement la cible de vandalisme. Ce matin-là, le curé du diocèse effectue sa visite quotidienne. En pénétrant dans la chapelle, il est frappé de stupeur en apercevant un hêtre au large tronc dans l’autel, dont la cime menace de percer le toit. De mémoire d’ecclésiastique c’est la première fois que du vin de messe renversé dans l’autel produit un tel effet.

jeudi 19 septembre 2019

L'extrait du... 19 septembre

"Il prétend que Dieu, c'est à dire l'auteur de nous et de nos alentours, est mort avant d'avoir fini son ouvrage ; qu'il avait les plus beaux et vastes projets du monde et les plus grands moyens ; qu'il avait déjà mis en oeuvre plusieurs des moyens, comme on élève des échafauds pour bâtir, et qu'au milieu de son travail il est mort ; que tout à présent se trouve fait dans un but qui n'existe plus, et que nous, en particulier, nous sentons destinés à quelque chose dont nous ne nous faisons aucune idée. Nous sommes comme des montres où il n'y aurait point de cadran, et dont les rouages, doués de raison, tourneraient jusqu'à ce qu'ils fussent usés, sans savoir pourquoi et se disant toujours : puisque je tourne, j'ai donc un but."

Pierre Michon - Corps du roi (Verdier)

Journapalm 042

Il souhaitait se faire photographier traversant le passage piéton de la pochette du disque Abbey Road des Beatles. Malgré une existence peu enviable, il ne nourrissait aucun autre rêve.
Rassemblant l’intégralité de plusieurs années de laborieuses économies, il put se payer un voyage à Londres. Après deux jours à implorer les passants de se prêter au jeu de traverser le passage piéton avec lui, il dénicha trois volontaires tandis qu’un quatrième les photographiait. Mais un conducteur alcoolisé l’écrasa avant qu’il n’atteignît le trottoir opposé. Il est mort sans jamais voir le cliché. 

mercredi 18 septembre 2019

Journapalm 041

Elle peignait déjà avant de savoir marcher. En grandissant elle n’a pas cessé. Peindre lui permettait de mieux décoder sa place dans le monde. Elle traversa les étapes successives de son adolescence en peignant. Tout ne s’expliquait pas avec des pinceaux mais tout devenait plus tolérable. 
Plus tard, elle s’est lancée dans la peinture de rue. Squares, places, trottoirs, parkings : ce n’est pas la place qui manque. Et un jour elle a disparu.
Des témoins affirment qu’elle aurait peint une grande fenêtre au sol, sur un emplacement handicapé. Et qu’elle serait passée à travers, comme absorbée par l’image. 

mardi 17 septembre 2019

L'extrait du... 17 septembre

"Nous aurons passé quarante et un ans ensemble et jamais, sans doute, de tout ce temps, nous ne nous serons vraiment rencontrés. Toujours un écran nous aura séparés et ce n'était pas ma faute ni mon fait. La lutte à mort à laquelle il m'a convoqué m'aura empêché de lui dire quelle place il occupait dans ma vie. C'est maintenant que se dissipent, comme fumées, les sentiments hostiles, la vindicte, la haine qu'il a fait naître en moi, aussi loin qu'il me souvienne, et continuellement attisés. Et je sais encore ceci : que si j'ai tenté de vivre, de m'emparer en conscience de ma vie, d'en faire un usage rigoureux, orienté, constant, c'est lui qui m'y a contraint, par le rôle qu'il a joué, le défi mortel qu'il m'a lancé."


Pierre Bergounioux - Carnet de notes 1980-1990 (Verdier)

Journapalm 040

À Backenridge, Colorado, on pratique le ski en hiver et la pêche à la mouche l’été. Chaque printemps, de jeunes types idéalistes débarquent d’Europe pour jeter leur ligne dans une des rivières du comté. Ils s’imaginent qu’en pratiquant une activité constitutive de l’âme des lieux, ils vont devenir des écrivains aussi réputés que Norman Maclean, Richard Brautiguan ou Rick Bass. Mais on les retrouve, deux jours plus tard, allongés devant la palissade vermoulue d’un entrepôt délabré, à cuver une nouvelle cuite au mauvais whisky dans un quartier populeux de Denver.

lundi 16 septembre 2019

L'extrait du... 16 septembre

"Tout est possible avec un parent. Les parents sont des dieux. Ils nous font et nous détruisent. Ils déforment le monde, le recréent à leur manière et c'est ce monde-là qu'on connaît ensuite, pour toujours. C'est le seul monde. On est incapable de voir à quoi d'autre il pourrait ressembler."


David Vann - Aquarium 
(Gallmeister, traduction Laura Derajinski)

Journapalm 039

Sur la perspective Nevski il n’y a plus de type hagard qui erre tel un spectre au regard vide, une longue écharpe remontée jusque sous ses yeux, à la recherche de son nez disparu au cours de la nuit. Il n’y a que des boites de nuit branchées ou des oligarques russes sans éducation viennent s’amuser avec des jeunes filles dénudées au milieu de bouteilles de vodka vides et des sachets éventrés de cocaïne.

dimanche 15 septembre 2019

Journapalm 038

Les chasseurs sont partis à l’aube, dans des véhicules aux hautes roues aux pneus munis de larges crampons. Ils ont démarré lorsque le chef de la meute a levé le bras depuis la fenêtre de la voiture de tête. 
Les moteurs ont pétaradé dans le jour naissant et nous sommes restés là, à regarder ces phares rouges s’enfoncer dans les collines. En nous demandant quand nous pourrions, une fois devenus adultes, avoir le droit nous aussi de traquer et du tuer les réfugiés politiques. 

samedi 14 septembre 2019

Journapalm 037

Sa jeep a été livrée avec des pneus trop étroits à son goût. C’est le premier détail qu’il a remarqué en venant récupérer son nouveau 4x4. S’ouvrant de son embarras au vendeur, celui-ci lui a assuré que désormais, tous ces modèles seraient ainsi équipés. L’acheteur a haussé les épaules, dépité. En ces temps de lutte pour les droits des animaux, il n’allait pas avouer que la nuit, il aimait faire ronfler le moteur de son véhicule pour piéger les lapins dans le faisceau de ses phares avant de leur rouler dessus joyeusement.

vendredi 13 septembre 2019

Journapalm 036

Les robots sont prêts à remplacer les Hommes dans la rue. Ils le font déjà à la cuisine et au bureau, dans les usines et derrière le volant. Ils ont en outre déjà instauré leur propre système de classes. Certains exécutent sans discontinuer des tâches relevant de la mécanique basique sur les chaines de montage tandis que d’autres sont envoyés dans l’espace pour des missions d’exploration et seront demain les pionniers de la découverte de Mars. Combien de temps les classes opprimés robotiques vont-elles l’accepter ? Et qui sera le prochain Karl Marx cybernétique ?

jeudi 12 septembre 2019

Journapalm 035

Chaque premier dimanche du mois de Novembre, c’est la même procession en bas de chez Michel. Des centaines de milliers de gens qui marchent dans sa rue, en parlant des dizaines de langues et de dialectes différents. Tous à la queue pour rejoindre le stade du village et emprunter le gigantesque escalator de cent mètres de large qui disparait dans l’immense complexe de gratte-ciel. Accoudé à sa fenêtre à l’heure du déjeuner, buvant son café, Michel les regarde passer et disparaitre vers le nirvana du hard discount installé aux dix derniers étages. 

mercredi 11 septembre 2019

Nouvelle éditions à venir

Récemment j'ai pu constater que le papier crème en finition mate des livres auto-publiés se prête bien mieux à la lecture que le papier blanc en finition brillante. Dit comme ça, ça ressemble à une lapalissade.  Mais une fois le livre entre les mains, je me suis demandé pourquoi je n'avais pas opéré ce changement plus tôt. Le papier est plus agréable à la lecture mais aussi au toucher et en prime, on a l'odeur du papier ! 
Chez l'imprimeur à la demande Lulu où je publie tous mes livres depuis quelques années, cela se traduit par une augmentation du format. C'est aussi bien. Le format 9x6 pouces (22.86 x 15.24 cm) correspond à celui des livres publiés par les auditeurs traditionnels et il reste, à mon sens, le plus agréable pour la lecture. 
J'ai donc décidé de republier tous mes livres dans ce nouveau format avec un changement graphique, pour obtenir une unité commune à tous. D'ici deux ou trois semaines ceux-ci seront donc disponibles avec ce papier plus agréable. Et bien sûr, pour les gens modernes ou ceux qui aiment des bibliothèques vides, la plupart de ces bouquins sont disponibles en ebook. Et une version gratuite de "Après les parenthèses" est toujours téléchargeable GRATUITEMENT sur le site KOBO 

Journapalm 034

Sortant de chez elle ce matin-là, elle a tout de suite été saisie par un sentiment étrange, relevant tout à la fois de la perte et de l’angoisse. Vérifiant à plusieurs reprises le contenu de son sac à main, retournant s’assurer deux fois que la porte de sa maison était bien fermée, mais toujours pas soulagée en apercevant sa voiture sagement garée sur son emplacement. Mais à la place de la route conduisant jusqu’à la ville, une rivière tumultueuse haute de plusieurs mètres rebondissait à grand fracas tout autour d’elle, l’isolant sur une île réduite à l’état de point minuscule.

mardi 10 septembre 2019

L'extrait du... 10 septembre

"Le mondial de football. Fête planétaire. Des milliards de gens rivés au même spectacle, au même instant. Toute différence culturelle abolie le temps d'une émotion partagée. Le triomphe de la mondialisation. Au milieu de cette belle réjouissance, un bémol : pendant que les ballons s'envolaient aux buts, des milliers de supporters s'envoyaient des putes. Quarante mille filles de l'Est, d'Afrique et d'ailleurs ont été apportées en Allemagne pour la fête, afin qu'en plus des jeux et du pain, il y ait de la chair à suffisance. A Berlin, on a construit de nouveaux bordels, tout confort. Pas un bleu, hélas , n'a daigné dire un mot sur le sujet. On les entend pourtant s'exprimer sur des enjeux graves: les banlieues, le racisme, l'immigration. Ce qu'ils disent importe car ils bénéficient d'une caisse de résonance telle que n'en possèdera jamais aucun penseur. Ce qu'ils disent à un retentissement, des favelas du Brésil aux jungles des Moluques. Mais que quarante mille femmes soient réduites en esclavage à la périphérie des stades ne leur a pas arraché un mot."

Sylvain Tesson - Géographie de l'instant (Pocket)

Journapalm 033

Septembre sur la route de l’école, apprentissage de la résilience, usine à formater des échines courbées, fabrique d’esprit bornés aux consciences bornées, aux rêves interchangeables. Ces collégiens qui attendent leur bus par grand matin d’automne ignorent encore dans quel guêpier ils ont mis le doigt, la main, le bras… Leurs sourires sont encore innocents, ils n’en voudront à leurs parents que beaucoup plus tard, lorsqu’ils seront devenus adultes. Quand alors, pour se venger de leurs géniteurs, ils leur offriront une mort lente et solitaire dans un mouroir assermenté.

lundi 9 septembre 2019

L'extrait du... 9 septembre

"Vous me faîtes rire avec votre angoisse métaphysique, c'est la frousse qui vous étreint, la peur de la vie, la peur des hommes d'action, de l'action, du désordre. Désordre que les végétaux, les minéraux et les bêtes ; désordre que la multitude des races humaines ; désordre que la vie des hommes, la pensée, l'histoire, les batailles, les inventions, le commerce, les arts ; désordre que les théories, les passions, les systèmes. C'a toujours été comme ça. pourquoi voulez-vous y mettre de l'ordre ? Quel ordre? Que cherchez-vous ? Il n'y a pas de vérité. Il n' y a que l'action, l'action qui obéit à un million de mobiles différents, l'action éphémère, l'action qui subit toutes les contingences possibles et inimaginables, l'action antagoniste. La vie. La vie c'est le crime, la vol, la jalousie, la faim, le mensonge, le foutre, la bêtise, les maladies, les éruptions volcaniques, les tremblements de terre, des monceaux de cadavres. Tu n'y peux rien, mon pauvre vieux, tu ne vas pas te mettre à pondre des livres, hein?"

Blaise Cendrars - Moravagine (Grasset)

Journapalm 032

Joachim n’aime pas son chat. Ses parents pensaient bien faire en le lui offrant pour rompre sa solitude, alors qu’il n’avait que trois ans. Ils ont pensé que lui donner un chat serait plus facile qu’un petit frère. Mais Joachim n’a jamais aimé ce chat retors et calculateur. À l’âge de neuf ans, quand il lui a planté un couteau de cuisine dans les flancs, Joachim n’a rien éprouvé. Mais à présent que la mâchoire démantibulée du chat et ses crocs pointus ont pris place dans la gueule de sa peluche favorite, Joachim se sent apaisé.

dimanche 8 septembre 2019

Journapalm 031

À l’intérieur de la gare, il y a des courants d’air. L’humidité dessine des parenthèses de buée sur les portes vitrées. La vieille dame assise seule sur un banc près du quai attend le 8h24 pour Perpignan. 
Étonnée de ne voir personne, elle cherche un panneau d’affichage mais tous sont en panne.
Elle a un peu froid, resserre ses mains gantées de dentelle sur son sac à main. Dans une heure elle quittera la gare, se souvenant soudain qu’elle est désaffectée. Et que son fils est mort depuis vingt-cinq ans. 

samedi 7 septembre 2019

L'extrait du... 7 septembre

"En observant les autres dans la douce torpeur provoquée par le whisky, je réalisai à quel point mon attachement à la vie était faible. Je n’étais pas impliqué, même en tant que simple observateur, et encore moins en tant que pèlerin. Disons que je n’étais ni dans les tribunes pour voir le match, ni sur le terrain pour jouer. J’étais plutôt dans les sous-sols, observant avec indifférence la structure de base toute entière. Mes amis n’existaient plus, ma femme non plus. Je n’avais ni État, ni patrie, ni gouverneur, ni président. C’est ce qu’on appelle être nihiliste, mais je trouve que c’est un mot beaucoup trop fort pour désigner le vide..."


Jim Harrison - Un bon jour pour mourir 
(10/18 - Traduction Brice Matthieussent)

Journapalm 030

Enfant, il rêvait de manèges complexes et de grand huit gigantesque. L’été, lorsqu’ils partaient dans le médoc, apercevant les wagons jaunes posés sur les hauts rails près de l’océan, il savait que les vacances commençaient vraiment. 
Devenu adulte, il a toujours échoué à revivre un tel enthousiasme pour qui ou pour quoi que ce soit. Aussi ce soir va-t-il s’installer tout en haut du grand huit de la foire du trône. Dans la queue il attend son tour, équipé de corde, mousqueton et baudrier, d’un réchaud à gaz et d’un duvet. 

vendredi 6 septembre 2019

L'extrait du... 6 septembre

"Quelle est donc, camarades, la nature de notre existence ? Regardons les choses en face : nous avons une vie de labeur, une vie de misère, une vie trop brève. Une fois au monde, il nous est tout juste donné de quoi survivre, et ceux d'entre nous qui ont la force voulue sont astreints au travail jusqu'à ce qu'ils rendent l'âme. Et dans l'instant que nous cessons d'être utiles, voici qu'on nous égorge avec une cruauté inqualifiable. Passée notre première année sur cette terre, il n'y a pas un seul animal qui entrevoie ce que signifient des mots comme loisir ou bonheur. Et quand le malheur l'accable, ou la servitude, pas un animal qui soit libre. Telle est la vérité. Et doit-il en être tout uniment ainsi par un décret de la nature ? Notre pays est-il donc si pauvre qu'il ne puisse procurer à ceux qui l'habitent une vie digne et décente ?"

George Orwell - La ferme des animaux 
 (Gallimard, traduction Jean Queval)

Journapalm 029

À la verticale de son parapluie déployé, passant exactement en son centre. Empruntant une ligne invisible mais bien réelle qui part d’un point GPS très précis et qui se perd ensuite quelque part dans la stratosphère. C’est par là qu’il s’est enfui.
Un départ soudain et brumeux, un soir de pluie. Des témoins ont à peine eu le temps d’apercevoir ses pieds disparaitre vers le haut, comme happés par une force insaisissable. Il aurait même prononcé les derniers mots de Gogol : « Une échelle ! Vite, une échelle ! »

jeudi 5 septembre 2019

Journapalm 028

L’unique pied de vigne de la région, planté par un original ; l’unique fossé pas nettoyé ni protégé par une glissière de sécurité ; l’unique virage à angle droit ; l’unique plaque de gravillons non signalée ; l’unique intersection avec un chemin agricole d’où sortait l’unique tracteur du canton ; l’unique moment où elle a regardé l’écran de son téléphone portable : face à la conjonction des éléments ligués contre elle, elle ne pouvait raisonnablement pas en réchapper.

mercredi 4 septembre 2019

Journapalm 027

Ce chien n’a rien demandé à personne. Il n’a d’ailleurs jamais compté sur qui que ce soit, jamais rien attendu de qui que ce soit, homme ou congénère. S’il parlait, il serait invité sur un plateau de télévision et raconterait qu’il est un self-made dog. Aussi trouve-t-il profondément injuste de mourir ainsi, submergé par l’affection d’une flopée de mouches vertes qui picorent son corps recouvert d’ecchymoses et de sang, après qu’il ait été renversé par cette camionnette.

mardi 3 septembre 2019

Journapalm 026

Assis au fond de sa cellule crasseuse, frappé de doutes, écrasé de chaleur, il ne trouve pas le sommeil. Pareil au moteur poussé dans les tours d’une voiture qui ne parvient pas à monter un trottoir. Il ne peut s’empêcher de penser que s’il était né en Islande, cela ne lui serait pas arrivé. 
Mais voler de la glace en pleine journée d’août à Casablanca, cela ne pouvait pas bien se terminer, ni pour lui, ni pour la glace.

lundi 2 septembre 2019

Du papier qui ne brille pas

Je me suis lancé dans l'auto-publication en 2016 à l'occasion de la fin de l'écriture du roman "Brûler à Black Rock. J'avais alors comparé plusieurs sites d'impression à la demande et j'avais choisi de confier la fabrication de mon livre au site américain Lulu. Il m'a fallu un peu de temps pour appréhender les exigences de la publication à la demande, les contraintes de mise en page, de fabrication des couvertures... Lorsque j'ai reçu le premier exemplaire entre les mains, j'étais plutôt satisfait. Mais dès le début, les premiers lecteurs m'ont indiqué que la brillance des pages pouvait être améliorée. Je ne partageais pas leur avis et emporté par l'élan de la correction du fond, en traquant des coquilles oubliées, je m'étais concentré sur le texte.

Les années ont passé, j'ai écrit de nouveaux romans, un recueil de nouvelles, et cette fois c'est moi qui me suis dit que ces pages brillantes gâchaient le plaisir de lecture. Cherchant de nouvelles solutions d'impression à la demande, j'ai notamment effectué un test sur le site Book On Demand (BOD) mais sans aller jusqu'au bout puisque les tarifs pour le lecteur sont plus élevés que sur Lulu. Or, j'essaye de garder en ligne directrice de proposer des bouquins les moins chers possibles. C'est d'ailleurs pour cela que je fixe le prix plancher, c'est à dire le prix le plus bas qu'autorise le site de l'imprimeur à la demande. Pour information je touche 10 centimes d'euro par livre vendu. Et comme je ne fais aucune publicité et que je ne parle pas ailleurs qu'ici de mes bouquins... ça ne va pas chercher loin. 
A gauche : avant / A droite : après
Bref, j'ai décidé de rester chez Lulu mais de passer sur un autre format de livre car le site ne propose pas de la publication au format A5 avec du papier mat. Le format utilisant ce papier non brillant est le format des romans traditionnels des grandes maisons d'édition. J'ai conservé le format A5 de l'épreuve word du fichier que j'envoie à l'imprimeur, donc en terme de paginations aucun changement. Le livre est juste un peu plus haut, et surtout le papier n'est plus brillant. 
J'ai reçu l'exemplaire de démo hier et franchement c'est mieux. Je ne sais pas encore si je vais rééditer tous mes anciens livres selon ce format mais c'est bien possible. 

Journapalm 025

Les deux familles ne se parlent pas depuis si longtemps que plus personne ne se souvient quand leur brouille a débuté. On trouve toujours quelqu’un pour assurer qu’il en allait ainsi dans son enfance déjà, et dans l’enfance de ses parents. 
Leurs chiens passent leur temps à se battre et aucun d’eux n’intervient lorsque les cabots se mordent les uns les autres. On dit même que dans les deux familles, on tient le compte des victoires de chaque chien sur les chiens adverses. Et qu’on les célèbre le soir venu devant un feu de camp. 

dimanche 1 septembre 2019

Journapalm 024

Il y a eu un bruit énorme mais à présent le silence a repris le pouvoir. Dans la lumière diaphane de cette aube d’automne, on aperçoit des cerfs trottiner à l’orée de la forêt. Une brise légère soulève les feuilles des arbres et informe les animaux sauvages de l’état de la route. Ils ne savent pas combien de voitures sont enchevêtrées mais l’odeur du sang les prévient avant tout le monde.