Réunis autour d’un banquet qu’ils avaient pris soin de garnir de corbeilles de fruits et de céréales, de graines germées et de fleurs comestibles, ils attendaient l’arrivée des extraterrestres avec une impatience électrique. La soucoupe volante apparut dans le ciel vers 01h30 du matin, décrivit une trajectoire accidentée puis vint se poser dans la clairière. Les entités non humaines rampèrent jusqu’aux convives qui les attendaient puis s’immobilisèrent devant le banquet. L’un d’eux régla une sorte de passoire qu’il portait devant un orifice glaireux au centre de son corps invertébré et maugréa « merde, c’est des végan ! »
Autrefois il mangeait des topinambours et des jonquilles mais les troubles digestifs et les régurgitations pendant les séances plénières faisaient mauvais effet. Il essaya l’abstinence mais les crampes d’estomac douloureuses qu’il ressentait s’accompagnaient de bruits de tuyauterie très incommodants.
Aussi un jour décida-t-il de manger au petit déjeuner un des membres du conseil d’administration qui devait assister à la réunion du matin. Il le fit revenir dans une poêle avec du beurre, des petits oignons et de l’échalote. Bien qu’il s’agît d’un homme retors et frustre, il le trouva très tendre et passa une réunion agréable.
Souhaitant vivre l’aventure, il décida un jour de quitter sa maison pour vivre dans une cabane qu’il construisit dans son jardin, sous les yeux effarés de sa famille. Après plusieurs semaines en autarcie à se laver dans le Rhône, à manger graines et fleurs, il avait perdu quinze kilos, ses cheveux et sa barbe lui donnaient l’air d’un sauvage. Mais lorsqu’un épisode cévenol s’abattit sur la région et qu’un formidable orage emporta sa cabane dans le Rhône tumultueux, il vécut la vie qu’il rêvait de mener. Il fut néanmoins englouti par un tourbillon d’eau avant d’atteindre la mer.
Posé sur le tapis de sol, l’enfant babille en jouant avec ses cubes de couleur. Son grand frère lève un instant de son téléphone portable ses yeux hachurés d’abus de vidéos débiles. Il regarde un instant l’enfant avec une mine désabusée et supérieure : que c’est crétin de jouer avec des cubes de couleur !
La télévision allumée diffuse pour personne un reportage sur le parc de Yellowstone. Alors soudain l’enfant lève un cube jaune en l’air et dit ses premiers mots : "caillou jaune" puis il rit comme rient les innocents.
Elle souhaitait faire le tour du monde mais elle ne savait pas dans quel sens démarrer. Plusieurs fois elle prépara un grand sac à dos que son petit corps frêle peinait à porter mais à peine sortait-elle sur le trottoir qu’elle s’immobilisait, incapable de décider s’il convenait de partir par la gauche ou par la droite. La situation se reproduisit souvent et petit à petit elle remplissait moins son sac à dos. Parvenue à soixante ans, son sac devenu léger comme une plume, elle joua à pile ou face et après avoir lancé la pièce, plus personne ne la revit.
Son cheval portait un nom d’empereur et galopait avec une grâce miraculeuse dans les hautes herbes des plaines gorgées de soleil. Le vent sifflait une douce mélodie à ses oreilles et les senteurs printanière titillaient ses narines. Mais quelqu’un éternua et elle ouvrit les yeux. Assise sur un cochon en céramique, elle poursuivait un canard bleu en tenant contre elle son fils qui ne comprenait pas qu’il devait attraper le pompon qu’agitait le forain.
Se réclamant du cubisme il peignait des cadres à l’intérieur d’autres cadres sans jamais se lasser. Sur le marché de l’art, sa côte fluctuait beaucoup mais restait toujours à des niveaux hors des cadres standards. Les cadres dirigeants se l’arrachaient alors que les non cadres ne pouvaient pas l’encadrer. Un jour il surprit le monde et sortit du cadre en peignant un cadre à l’intérieur d’un rond et les journalistes écrivirent dans des encadrés qu’il essayait de résoudre la quadrature du cercle.
Aimant par-dessus tout escalader les frontispices des églises, les absides et les arcs-boutants des chœurs des cathédrales, il perdit l’équilibre un jour de séisme et effectua une chute fatale, emporté avec les pierres d’un édifice sacré parisien. Comme on ne retrouva pas son corps, englouti par les pierres, on mit dans son cercueil l’équivalent de son poids en débris des murs sacrés, espérant que son âme saurait s’en contenter afin d’éviter ses tourments.
Ils commencèrent par sonder les plages le dimanche, un détecteur de métaux chacun, le frère et la sœur, suivant leur père qui leur dictait ses instructions. Puis ils vinrent le mercredi aussi et pendant les vacances. Devenus adultes, ils le suivirent sous la terre, creusant tunnels et galeries à la recherche du précieux métal. Pendant ce temps dehors passaient des montgolfières et des oiseaux rares, des orchestres de jazz et des carnavals de lumières. Quand leur père mourut sous terre, ratatiné comme une vieille souche, sans or, ils étaient déjà vieux et sortirent enfin voir à quoi ressemblait le monde.
Il déambulait sur l’avenue et s’immobilisait au-dessus de toute les plaques de canalisation d’eau. Alors, à l’aide d’une tige métallique terminée par un crochet aimanté, il démontait chaque plaque et plongeait la tige dans l’excavation cylindrique pratiquée dans le goudron. Son outil insolite était relié à une machine qu’il portait sur l’abdomen et qu’il manipulait de sa main libre. Je le regardais faire depuis la terrasse du café et attendais qu’il parvînt à mon niveau pour lui demander ce qu’il fabriquait. Mais il tomba dans un orifice plus gros que les autres et n’en ressortit jamais.
C’était un jour de grandes pluies, un de ces jours où l’on regarde le ciel gris crever ses abcès humides et boursouflés en se demandant à quoi ressemblaient les jours de pluie à l’époque où nos ancêtres vivaient dans des cavernes.
Elle lisait un journal à la cuisine, les lèvres serrées et les yeux cernés de boursouflures d’inquiétude. Elle finit par lever la tête pour le fixer avec une intensité presque douloureuse avant de lui faire remarquer que cela faisait longtemps qu’ils n’étaient pas allés à Étretat et que les falaises et les galets de la plage lui manquaient.
Pour son anniversaire, elle souhaitait recevoir des oiseaux de couleur, façon d’égayer sa chambre lorsqu’il n’était pas là. Il lui acheta un passereau sur internet qu’ à la commande il fit teindre en vert, sa couleur favorite. Mais lorsque le livreur se présenta, la teinture avait coulé et obstrué les trous pratiqués sur le colis afin de permettre au passereau de respirer. Elle pleura beaucoup en découvrant l’oiseau mort dans sa boite puis une fois la tristesse passée, elle décida de se consacrer aux oiseaux empaillés.
Quatre-vingt-un crabes s’en allaient sur le chemin rocailleux qui serpentait jusqu’au sommet du calvaire. Le bruit de leurs mandibules formait un chant masticateur polyphonique et étrange qui rythmait leur avancée en rebondissant contre les murs de schistes. Lorsqu’ils atteindraient le sommet et but de leur périple, d’autres crabes les auraient rejoints et ils éteindraient le monde en refermant sur lui leurs pinces séculaires.
Ce n’était pas une journée pour se rendre à des funérailles. Le ciel d’un bleu électrique se voyait chasser par des stratus aussi blancs que les lys qui décoraient l’église. Les hululements des chouettes berçaient la vallée et le vent brisait le silence de cathédrale qui engourdissait le cœur des forêts. Il aurait voulu marcher sous les épicéas, surprendre un cerf, apercevoir un renard sur la piste qui serpentait puis il aurait grimpé en haut du piton rocheux et serait resté là, immobile et vivant, dans le calme rédempteur de la nature, en paix avec lui-même.
Elle rêvait du Québec et des baleines que l’on y rencontre du côté de Tadoussac, à Saguenay-Saint-Laurent. Mais un défaut de prononciation hérité de l’enfance et dont elle ne pouvait se défaire par nostalgie la faisait prononcer phalène et non baleine.
Après un long vol transatlantique elle arriva à Tadoussac et demanda à voir les phalènes. Comprenant qu’elle parlait des papillons de nuit, un local la conduisit dans une forêt à la tombée du jour où elle fut dévorée par un ours à lunettes un peu trop à cheval sur la lexicographie.
Emile R. avait pour habitude de sortir dehors avec un parapluie sombre aux baleines solides terminés par des aiguillettes mates, pourvu d’une poignée en bois fin rehaussé d’un godet doré, d’un coulant brillant et d’un mât qui se terminait pas une noix également dorée.
Il le perdit un jour de novembre et se rendit aux objets trouvés le lendemain. Mais le préposé de l’accueil eut bien du mal à noter la description de l’objet qu’Emile lui en fit, ignorant tout de l’anatomie d’un parapluie.
La première fois qu’il se fit traiter de phacochère au collège, Lucas ne réagit pas, convaincu qu’on venait de le comparer à une porte cochère, ce qui ne relevait pas de l’insulte à ses yeux. La seconde fois, le ton employé transpirait l’affront et il demanda à son offenseur de répéter. Celui-ci s’exécuta avec une délectation évidente en articulant bien. Retournant chez lui, Lucas chercha dans le dictionnaire et vit la gravure représentant le mammifère que l’on nommait phacochère. Vingt ans plus tard, adulte, Lucas s’affirmait comme l’un des trois spécialistes mondiaux de l’étude des phacochères de Somalie.
Ayant hérité de sa mère une croyance absolue en spiritisme et en prévision de son éventuel retour du royaume des morts, il avait dressé sur une feuille la liste de ses possessions terrestres qu’il avait punaisée sur la porte de sa chambre. Las ! Quand après son trépas, son esprit revint hanter les lieux, il constata que dans son état de fantôme, sa myopie perdurait, lui rendant impossible la lecture de la feuille cartonnée. Sa jeune épouse prévoyante avait de toute façon déjà tout récupéré et profitait de son joyeux veuvage aux Seychelles avec son amant, un prêtre défroqué.
Marc L. en était arrivé à un point de sa vie où toutes les personnes qu’il côtoyait changeaient drastiquement une composante de leur quotidien : métier, employeur, épouse, époux, sexe, habitat, plus rien n’échappait à ce que les chroniqueurs appelaient le grand changement.
CRS épris de son métier qui vivait encore chez ses parents, Marc ne souhaitait rien changer. Pourtant à l’occasion d’une manifestation parisienne pour laquelle il assurait le maintien de l’ordre, il abandonna son poste pour suivre un lapin dans les égouts et jusqu’à l’extérieur de la capitale par les réseaux souterrains.
Lors de son enfance, pendant les carnavals comme à la moindre occasion, elle aimait revêtir des haillons noirs, un chapeau pointu et maquiller son visage en y dessinant furoncles et poireaux disgracieux.
Soixante ans plus tard, elle n’a plus besoin d’aucun artifice pour ressembler à une harpie, au physique naturel de la sorcière elle y ajoute maintenant le caractère.
La pluie, toujours la pluie ! grommela le vieil homme en ouvrant ses volets devant un rideau de pluie fine, identique à la veille, annonciatrice du lendemain. Avec dix ans de moins, il aurait pris sa voiture, destination un pays plus sec quelques semaines, le temps de mettre son esprit en vacances. Et ces connasses de la télé qui racontaient tout le temps que la Terre se réchauffait… Devant la pluie ce matin-là, le vieil homme décida de prendre le train avec son fusil et de monter à la capitale pour faire la peau du chef de la météo.
Dès l’âge de trois ans il reçut à chacun de ses anniversaires une arme en plastique : pistolet, fusil, canon, revolver, grenade, mitraillette, carabine… Bien sûr pour ses dix ans il eut droit à une véritable carabine, 22 long rifle que son père débordant de fierté lui apprit à manipuler pour tirer sur des chiens errants. Aussi, lorsqu’à dix-huit ans, l’enfant refusa l’appel de l’armée et se déclara opposé à l’utilisation des armes, ses parents en perdirent le sommeil. Et lorsqu’il rejoignit les rangs d’une association pacifiste, le père préféra se suicider plutôt que de vivre dans le déshonneur.
Le vieux chasseur progressait lentement dans le sous-bois anarchique et feuillu où vivait le renard auquel tous souhaitaient faire la peau. Responsable d’une tuerie dans les poulaillers aux allures de génocide, le goupil échappait à tous les pièges depuis des années. On le disait immortel, on lui prêtait des pouvoirs surnaturels, certains le pensaient possédé. Mais alors qu’il arrivait près de la tanière, le chasseur fut invité à entrer par le renard qui lui offrit café et brioche. Ce qu’on ignorait, c’était le régime du renard : se nourrissant de poules la nuit, il croquait de l’humain le jour.
Traversant la moitié du globe depuis son île à l’écart des flux migratoires, il navigua sur l’océan malgré sa peur des flots, tremblant lors de coups de mer où sa croyance en Dieu fut son unique talisman. Arrivé sans dégât sur la terre ferme d’Amérique, il fit remorquer sa caisse volumineuse contenant son engin de course jusqu’au lac salé où se tenait la compétition. Mais malgré deux jours de mécanique acharnée, jamais sa moto ne démarra. Il décida qu’il s’agissait d’un signe du destin et il se fit prêcheur anglican dans une petit ville du Kentucky.
Ses parents réalisèrent que quelque chose ne tournait pas rond chez elle le jour où elle enferma le chat dans le four réglé à deux cents degrés. Par chance ils s’en aperçurent avant qu’il ne fût trop tard et interrompirent la cuisson barbare sur le champ, houspillant leur petite fille. « Es-tu devenue folle ? Tu sais très bien qu’on ne doit jamais cuire les chats sans positionner au préalable le four sur chaleur tournante ! » Elle fut privée de dessert.
Les deux frères se chamaillaient sans cesse, il s’agissait de leur mode de communication, celui d’un couple d’individus liés par les liens du sang et qui ne pouvaient pas supporter d’être ensemble pas plus que d’être séparés. Devenus des savants reconnus par de prestigieux prix scientifiques et faisant autorité dans leurs domaines de prédilection, ils se houspillaient en privé, l’un déclarant que la congélation était la découverte populaire du siècle, l’autre qu’il s’agissait du micro-ondes. La plupart du temps, ils décidaient d’une trêve le temps d’un bon repas dans une brasserie qui restait ouverte très tard la nuit.
Ils se prenaient au sérieux tous ces messieurs en costumes cintrés et toutes ces dames en tailleurs colorés. Leurs dents parfaitement alignées et leurs joues lisses reflétaient la lumière des lustres renaissance comme la neige sur le Mont Blanc un jour de nébulosité nulle. Alors comme ça ils étaient les élus, ceux qui détenaient la vérité, une poignée à décider du destin de tout le pays ? Et c’était pour en arriver là qu’on avait coupé la tête à tout un tas de gens ? Avant de se faire traiter de réactionnaire, il sortit vomir dans la rue.
Clémence M. croyait en l’astrologie et à la magie du chiffre sept. Après quelques mois d’une relation passionnée, elle épousa un universitaire de sept ans son aîné qui vouait son existence à l’étude de la physique. Toutefois, après sept ans de mariage, lassée d’être négligée par son époux qui lui préférait la science, Clémence prit un amant, puis deux, puis sept : un amant pour chaque jour de la semaine. Ce fut celui du dimanche qui la tua en la jetant dans l’escalier après une dispute. Et le mari éploré cessa d’étudier la physique pour se consacrer à l’astrologie.
