samedi 31 décembre 2022

Journapalm 1237

Revenant sur les terres de sa jeunesse, Ursuline F. se remémore les brimades et les moqueries dont elle fut victime dans la cour de récréation de cette école. Elle se souvient qu’alors elle rêvait souvent qu’une licorne blanche viendrait à son secours, qu’elle s’accrocherait à son encolure et qu’elle partirait dans un pays magique et lumineux. Cinquante ans plus tôt, constatant qu’elle en était au même point, elle pénètre dans le bar du coin et commande un verre de blanc en pensant que l’âge adulte apporte son lot de consolations.

vendredi 30 décembre 2022

Journapalm 1236

Rien ne la prédestinait à devenir le premier être humain à marcher sur la planète Mars. Enfance modeste dans un quartier pavillonnaire de la classe moyenne américaine du Missouri, premières expériences de drogue à l’âge de treize ans, victime d’un cancer à l’âge de dix-huit ans, elle était revenue de tout avec une leçon de vie qui déclenche la larme à l’œil du peuple, dans la plus pure tradition américaine. Mais la veille du départ pour Mars, elle se cassa la jambe dans son escalier et fut remplacée en urgence dans la fusée.

jeudi 29 décembre 2022

Journapalm 1235

Ils sont venus à dix mais dans cette petite cabane perchée sur un vieil arbre dont tout le monde avait oublié le nom, ils semblaient mille. Le garçon n’a pas pu réagir, on lui avait dit de ne pas se mettre sous les arbres par temps d’orage et ce mercredi-là, il faisait un temps superbe. Ils lui ont mis une raclée qui lui laisserait des souvenirs de honte et de douleur jusqu’à la fin de ses jours. Et le garçon a compris que ses parents ne lui avaient pas tout dit sur les dangers des arbres par beau temps.

mercredi 28 décembre 2022

Journapalm 1234

Le cheval bondit sur la pelouse et galopa comme si sa vie en dépendait, les yeux exorbités, les oreilles plaquées à l’arrière de sa longue tête, des filets d’écume blanche soulignant sa gueule. Personne dans le public ne l’avait vu arriver et les joueurs sur le terrain eurent à peine le temps de se jeter sur la pelouse pour éviter d’être piétinés. Arrivé à l’extrémité du terrain qu’il traversa en un éclair, le cheval sauta dans le champ voisin où il poursuivit sa course. Et tout le monde le regarda disparaître à l’horizon, enviant sa liberté folle et sauvage.

mardi 27 décembre 2022

Journapalm 1233

Si elle n’était pas une petite fille comme les autres, ce n’était pas parce qu’elle aimait les araignées ni qu’elle parlait aux fantômes mais parce qu’elle était sa fille. Bien sûr, il disait qu’il aurait autant aimé avoir un garçon mais au fond de lui, il était très heureux d’avoir une fille, surtout une avec qui il pouvait regarder les araignées dans des boites transparentes remplies de coton et de brindilles puis, le soir venu, discuter avec les fantômes de la maison. Ce n’était pas sa fille pour rien, disaient les gens, mais s’ils savaient à quel point…

lundi 26 décembre 2022

Journapalm 1232

Lorsqu’il prit sa retraite après quarante années de boucherie chevaline, Aldebert F. se sentit submergé par des émotions profondes et ambiguës. Dernier représentant de la famille à reprendre le flambeau après cinq générations, avec lui s’interrompait une longue tradition qui avait marqué le village depuis une centaine d’années. Le véganisme proclamé d’intérêt public, les nouvelles générations préféraient se nourrir d’avoine et d’herbe.
Profitant de sa pension pour se payer enfin un voyage aux Amériques, Aldebert F. fut arrêté par la police montée près des chutes du Niagara après qu’il eut tenté de mordre leur monture.

dimanche 25 décembre 2022

Journapalm 1231

Hélène K. n’avait rien de la femme faible, neurasthénique, ni même dépressive, son organisme nécessitait simplement qu’elle pût dormir neuf heures d’affilée pour être opérationnel. Aussi quand la nuit de son mariage, une atroce migraine la réveilla après six heures d’un sommeil agité à cause de l’orage, elle enfila des bottes en caoutchouc et sortit chercher la tronçonneuse. Son mariage fut l’un des plus courts de l’histoire mais selon les psychiatres, d’avoir découpé son époux en tranches épaisses n’était que la conséquence de son manque de sommeil et en aucun cas d’un rejet de son nouveau statut.

samedi 24 décembre 2022

Journapalm 1230

Depuis qu’il avait recueilli ce chien, Alphonse R. pensait qu’il tenait là un spécimen particulièrement intelligent de la race canine. Il lui apprit à ouvrir et fermer les portes, à s’essuyer les babines et à marcher sur les pattes antérieures. La nuit toutefois, en cachette de son maître, le chien quittait sa couche et allait lire Schopenhauer dans la bibliothèque.
Aussi, un matin, le chien déroba le pistolet d’Alphonse R. et lui colla une balle dans la tête. D’après le vétérinaire, le chien lassé de se sentir rabaissé à un phénomène de foire avait perdu la tête.

vendredi 23 décembre 2022

Journapalm 1229

Sur le rebord de la fenêtre
les petits soldats alignés
avec pour bouclier les grimaces
des oranges flétries qui
dessinent en contrepoint
le paysage d’une journée
qu’il va passer seul.

On lui a dit « de l’ambition ! »
« du panache, que diable ! »
il a haussé les épaules
regardé par en-dessous :
le chien glouton
a mangé les oranges
et même les soldats.

Ne reste plus rien que
les empreintes de la pluie
sur la fenêtre nue
c’est triste à regarder
un paysage vide
dans le silence
d’une maison sans oranges.

jeudi 22 décembre 2022

Journapalm 1228

Enfant, il aimait se promener dans la rue avec un revolver en plastique fiché dans la ceinture. Il disait que cela lui mettait des papillons plein le ventre.
Adulte, il aime sculpter des orifices parfaits dans les crânes de ses victimes avec un calibre 38. Lorsque les mouches rappliquent, il sourit en éprouvant la sensation d’avoir, d’une certaine façon, bouclé la boucle.

mercredi 21 décembre 2022

Journapalm 1227

On disait qu’il était né un jour d’orage d’une violence inouïe qui noya les plantations, les bêtes et les espoirs des Hommes. Difficile de dire où s’arrêtait le mysticisme et où commençaient les faits ; chaque fois qu’il prit une décision importante dans sa vie où qu’il lui arriva quelque chose de remarquable, l’orage fut de la partie, sauf le jour de sa mort. Ce jour-là, un mardi de février, le soleil brilla avec l’insolence d’un mois de mai, le mercure grimpant jusqu’à vingt degrés, comme si la Terre cherchait à célébrer quelque chose qui dépassait les Hommes.

mardi 20 décembre 2022

Journapalm 1226

Où pensait-il aller, se sont-ils demandés en le regardant passer, son corps vibrant d’une énergie dont ils ne savaient rien, animé d’une pulsion de vie qui dépassait de beaucoup tout ce qu’ils seraient jamais capables d’imaginer. Cet homme est un OVNI, ont-ils pensé pour se rassurer, et les OVNI finissent toujours par disparaître. Il n’en demandait pas tant. On l’aperçut traverser un bout de leur ciel quotidien et bientôt il n’y eut plus que son ombre pour hanter les remugles de vie qui frétillaient encore sur son passage, au milieu du grand rien constituant leur existence.

lundi 19 décembre 2022

Thomas Wolfe, géant méconnu

Bien avant les jérémiades des auteurs contemporains français qui se répandent dans des récits de l’auto-fiction confondants de bêtise, de nombrilisme et d’atteinte à la littérature, sous la bénédiction des journaux branchés et collabos dont les chroniqueurs sous valium vantent les mérites, de l’autre côté de l’Atlantique, encore une fois, l’Amérique nous donnait une leçon. Nous sommes à la fin des années 20, juste avant la terrible année du krach boursier qui allait précipiter l’économie du monde dans le chaos, quelques années avant l’année 1933 dont John Fante, en son temps, allait donner sa vision littéraire dans un toujours très bon roman éponyme (1933 was a bad year) – oui je sais, je déconne complet dès qu’il s’agit de Fante, je n’ai plus de libre arbitre. Mais il y a des auteurs à qui je passe tout : Fante, Harrison, et maintenant Wolfe. 

Or donc, dans les bureaux des éditions Scribner, l’éditeur Maxwell Perkins qui allait rester dans les annales pour avoir contribué à la découverte d’Hemingway et de Fitzgerald, se penche sur le manuscrit tentaculaire d’un inconnu originaire de Caroline, un certain Thomas Wolfe, géant par la taille et par le talent – mais cela, il ne le sait pas encore notre bon vieux éditeur. Perkins découvre le manuscrit torrentiel de « Look Homeward, Angel », premier volet de ce qui n’est pas encore un cycle autobiographique romancé de quatre volumes que Thomas Wolfe, titan de la littérature américaine, aura le temps d’écrire avant de mourir prématurément. Mais cela non plus, Perkins ne le sait pas encore. Ce que l’éditeur sait, en revanche, c’est qu’il tient dans les mains un manuscrit qui possède quelque chose de plus que les autres, quelque chose de différent. Les autres maisons d’édition de New-York n’en ont pas voulu mais Perkins va accepter d’éditer ce roman fleuve malgré les centaines de pages en trop, les paragraphes agités et sauvages comme des cours d’eau qu’aucun barrage ne peut retenir. Parce qu’il est comme ça Wolfe, un hyper actif de l’écriture, un fou littéraire comme il en nait trop peu ou comme il nous en arrive trop peu, la faute aux Fourches Caudines du marché de l’édition, formaté, petit esprit, rabougri sur ses convictions, refusant la folie sauf quand elle est vulgaire ou politisée. 

Wolfe porte bien son nom. C’est un être solitaire dont le hurlement retentit dans la nuit depuis 1929. Bientôt un siècle que Scribner a publié « Look Homeward, Angel » et pourtant son auteur reste inconnu de la plupart des lecteurs du monde qui, en revanche, sont abreuvés d’écrivaillons minables et arides comme des déserts mazoutés. Au moment où on honore du prix Nobel de littérature une représentante de l’auto-fiction dans ce que ce genre a de plus mauvais, de plus anti-littéraire et de plus sec, il est bon de se rappeler que Wolfe, en son temps, donnait au récit autobiographique ses lettres de noblesse. Voilà que de l’autre côté de l’océan, à côté de Melville et de Faulkner qui publie en cette même année 1929 « le bruit et la fureur », une autre étoile dingue et folle illumine le ciel de la littérature américaine.
Thomas Wolfe écrit comme Motorhead jouait du rock and roll : fort, très fort. Et Wolfe, comme Lemmy, était un punk sans école, avant-gardiste et dément. Un punk avant même la création du mot, avant même la conception du genre. Malgré ses défauts, ses dialogues parfois à peine passables, ses exclamations sentimentales parfois niaises, Wolfe est un auteur de l’excès et ses phrases possèdent ce que des milliers d’écrivaillons minables ne parviendront jamais à produire : des tripes et du volume, du charisme et de la personnalité et cette musique qui nous charme l'oeil, voire l'oreille pour peu qu'on les lise à haute voix. Peu importe ce que Wolfe nous raconte dans les aventures de la famille Gant, ses mots nous touchent dans ce que nous avons de plus intime et de plus profond, il plonge sa rame dans le lac de nos tripes et il nous attrape pour nous embarquer avec lui. Peu importe l’épaisseur de l’ouvrage (la version poche éditée dans les années 1980 tutoie les mille pages), les phrases coulent comme une musique familière qui nous rappelle la fragilité et le miracle de la langue, celle que parlent les grands noms de la littérature, celle qui nous émeut et nous transporte, celle qui nous fait nous sentir vivant et nous donne envie de pousser la porte d’une librairie en espérant trouver un autre miracle. Cela tombe bien puisqu’en janvier 2023, va paraitre aux éditions Bartillat une nouvelle édition de « Of time and the river » le deuxième roman de Wolfe publié en 1935 et dont la dernière adaptation française date de 1984… Achat obligatoire pour soutenir l'initiative et lecture obligatoire pour lire de la bonne et véritable littérature. Nous en avons plus que jamais besoin en ces temps d'obscurantisme pédant où n'importe quel crétin analphabète et déraciné peut vendre sa dysenterie textuelle aux maisons de la rive gauche qui s'en feront des gorges chaudes, relayées par d'autres sombres ayatollah du mauvais goût sévissant dans les pages littéraires des Inrocks ou de Télérama. Fuck the System, lisez Wolfe ! 

Journapalm 1225

Il ne croyait ni à la sorcellerie ni aux jeux de hasard, il ne buvait jamais d’alcool et veillait à se coucher avec le soleil. Quand il mourut, personne n’en sut rien et il ne laissa derrière lui qu’une lointaine réminiscence de bleu, couleur de ses yeux.
Dans l’autre monde, il fut accueilli à bras ouverts par une confrérie de sorcières aveugles qui jouaient au poker tous les vendredi soir en éclusant de formidables quantités de vin et il découvrit sur le tard les joies d’une vie dissolue.

dimanche 18 décembre 2022

Journapalm 1224

Comme elle vieillissait, chaque soir elle craignait le moment de se mettre dans son lit, redoutant de ne jamais se réveiller le lendemain. Souhaitant ardemment mourir sans souffrir ni se rendre compte de rien, elle espérait pourtant partir dans son sommeil mais la perspective de cesser de vivre et de connaitre l’étrange expérience de la mort la terrorisait. Mais chaque matin elle se réveillait, jour après jour, soulagée en ouvrant les paupières. D’après son fils, elle aurait deux-cent cinquante ans à la fin du mois.

samedi 17 décembre 2022

Journapalm 1223

Tremblant de froid, l’estomac dans les talons, il regardait à travers la fenêtre le festin des ogres rassemblés à la table panoramique du grand banquet. Et à chacune des généreuses cuillères qu’il les voyait avaler goulûment, il ne pouvait s’empêcher de trembler à l’idée que quelque part, en ce monde fou et sombre, en proie au désespoir, des parents éplorés recherchaient leurs enfants disparus depuis plusieurs jours.

vendredi 16 décembre 2022

Journapalm 1222

Cet homme aimait tant les arbres que jamais la nuit en dormant il ne sciait du bois. Doué pour les mathématiques, quand il ronflait il produisait des 2 au lieu de z. D’aussi loin que ses parents s’en rappelaient, cela avait été le cas mais ils ne l’auraient pas cru si, au cours de l’enfance de leur garçon, on leur avait prédit que celui-ci serait un jour récipiendaire de la médaille Fields et qu’il choisirait de vivre dans les forêts.

jeudi 15 décembre 2022

Journapalm 1221

Sa mère lui répétait souvent qu’à l’impossible nul n’est tenu. Après sa disparition, il continuait d’y penser et la réminiscence de cette voix aimée hantait encore sa conscience, à la manière d’un fantôme répétant une sorte de mantra. Pourtant il essayait toujours de produire le meilleur travail au bureau, de se montrer un père parfait pour ses enfants et de maintenir son mariage à flots malgré les frustrations et les difficultés. Même s’il savait que c’était impossible et que de son vivant elle lui disait de lâcher l’affaire, il voulait rendre sa mère fière de lui.

mercredi 14 décembre 2022

Journapalm 1220

On disait de lui qu’il n’était doué pour rien et que lorsque ses parents ne seraient plus de ce monde, il se retrouverait seul et livré à la férocité d’un monde auquel il n’était pas préparé. Mais on ignorait tout de cet enfant. Devenu orphelin, il s’enfuit pour échapper aux services sociaux, s’enfonçant dans la nuit terrible et profonde d’un hiver à la rigueur échevelée. Conjuguant l’art de la fugue et l’anonymat, on le perdit de vue et du reste. Il réapparut dix ans plus tard, devenu dictateur d’un pays du centre Afrique, en cheville avec les industriels chinois.

mardi 13 décembre 2022

Journapalm 1219

Le problème de Stéphanie, c’est qu’elle vivait dans le passé et qu’elle parlait toujours avec nostalgie de sa vie passée au Québec. Elle ne cessait de se plaindre de sa condition actuelle en comparaison du bonheur qu’elle avait connu sur les rives du Saint Laurent.
Alors un soir de trop, n’y tenant plus, décidé à combler son épouse, son mari l’étrangla pendant le film de 21 heures puis la découpa en morceaux. Depuis qu’elle y était stockée en morceaux, Stéphanie revivait dans le congélateur un hiver Québécois qui durerait trois cent soixante-cinq jours par an.

lundi 12 décembre 2022

Journapalm 1218

Les rapaces le fascinaient sans qu’il ne sût en expliquer la raison, ni en trouver l’origine, il s’agissait d’un fait, d’un ressenti qui l’animait dès qu’il marchait dans la nature. Il venait de perdre son emploi à la conserverie, il trouvait que ne plus puer le maquereau ne constituait pas une mauvaise nouvelle; pour le reste, il fallait trouver une autre manière de garnir son frigo et payer les factures. Quand il marchait dans la nature, il pensait à montreur d’ours mais un chasseur avait tué la dernière représentante de l’espèce alors pourquoi pas dresseur de rapaces ?

dimanche 11 décembre 2022

Journapalm 1217

Fatigué d’être la cible de pillages incessants dans sa boutique, un épicier décida de se protéger en acquérant un chien. Celui-ci fut trouvé dans un refuge après avoir été abandonné par son ancien propriétaire, un patron de tripot clandestin, le chien ayant développé une grave allergie à la fumée de cigarette.
Il s’agissait d’un molosse de quarante-six kilos de muscle et de rage impossible à dompter mais qui découvrit chez l’épicier les légumes et les fruits. Alors, refusant toute violence, il laissait les voleurs dépouiller son nouveau propriétaire à l’exception du rayon BIO qu’il gardait avec une jalousie féroce.

samedi 10 décembre 2022

Journapalm 1216

Il envisageait la fuite comme une façon de reconstruire sa vie et vivait ainsi depuis un demi-siècle de fuites successives qui le voyaient changer de travail, d’appartement, de femme, d’amis et de loisirs. Tout finissait par l’ennuyer et ce stratagème lui permettait, pour un temps, de jouir de la sensation d’être un homme nouveau, apte à embrasser un futur lumineux et riche d’appétissantes promesses. Au soir de sa vie, il se retrouva seul et ignoré de tous, dans une maison froide et impersonnelle, à se demander comment il pourrait fuir la mort.

vendredi 9 décembre 2022

Journapalm 1215

Les jours de grand vent on apercevait le fou aller et venir dans la grand rue du village, un air grave sur le visage, son regard acier verrouillé sur le goudron, perdu dans ses pensées que l’on devinait absurdes et grotesques.
Mais quand on l’aperçut passer au-dessus de nous, agrippé à une sorte de machine à mi-chemin entre le parapente et l’ULM qui le maintenait en l’air tandis que le Rhône devenu fou pénétrait dans nos maisons et noyait nos enfants sous un déluge d’arbres morts et de détritus charriés depuis des kilomètres, nous cessâmes de le considérer fou.

jeudi 8 décembre 2022

Journapalm 1214

Son professeur de philosophie, amateur de sexe tantrique et de musique indienne, lui disait souvent que la mort doit être considérée comme une étape nécessaire et souhaitable de la vie afin d’assurer à celle-ci une fonction rassérénante. Elle n’était pas sûre de comprendre ni d’être d’accord. Mais quand elle eut la preuve de l’existence des fantômes en apercevant le spectre de son grand-père occupé à lire L’illustration sur les toilettes, elle trouva l’idée de mort beaucoup plus tolérable. Ses notes en philosophie baissèrent en revanche de façon singulière.

mercredi 7 décembre 2022

Journapalm 1213

Elle savait qu’il ne lui restait que vingt-et-un jours avant de quitter cette entreprise où elle avait travaillé plus de trente ans. Longtemps elle pensa y accomplir toute sa carrière mais tout le monde lui disait que ce genre de chose n’existait plus dans la société actuelle. Elle n’était pas bien sûre de savoir ce que ça voulait dire, au juste, la société actuelle, mais elle comprenait chaque jour davantage qu’elle n’y avait plus sa place. Elle se sentait comme un objet usagé pour lequel il n’existe aucune poubelle de recyclage et dont on se sait plus que faire.

mardi 6 décembre 2022

Journapalm 1212

Afin d’éviter les coups de déveine, il compartimentait sa vie comme s’il s’agissait d’une vieille batterie de voiture qu’il faut entretenir. Chaque composante de celle-ci enfouie au fond d’un orifice dédié et qui restait indépendant du voisin. Cela n’empêcha toutefois pas la surchauffe et lorsque tous les orifices de sa batterie intérieure débordèrent en même temps, il se produisit une étincelle et sa vie prit feu ; alors pendant quelques années il vécut des moments inoubliables d’une folie nourricière et extatique.

lundi 5 décembre 2022

Journapalm 1211

Malgré de longues recherches, il ne trouva pas l’interrupteur permettant d’éteindre le monde. Aussi chaque matin quand il ouvrait les yeux : bruits de moteurs, éclats de voix, raffut des machines. Si de naissance il n’avait reçu aucun talent pour les travaux manuels, en revanche il maniait plutôt bien les armes à feu.
Après avoir pris trois savants atomiques en otage, il les fit travailler de jour comme de nuit puis équipa son appartement d’ogives nucléaires. Puis il fit paraitre un avis d’expulsion dans le journal : le monde avait une semaine pour s’éteindre, ensuite, il déclencherait le feu atomique.

dimanche 4 décembre 2022

Journapalm 1210

Au tout début il crut à un reflet trompeur de l’eau au crépuscule, lorsque la surface s’irise parfois de stries d’opale. Puis il vit nettement dépasser un triangle de chair rose qui dessinait à ne pas s’y tromper la nageoire caudale d’un cétacé. Cette apparition ne dura que quelques instants, à peine une seconde avant d’être avalée par la profondeur sombre de l’océan, mais cela lui suffit. Depuis, trente ans se sont écoulées et il cherche toujours la baleine rouge, de jour comme de nuit, sur son bateau équipé de puissants halogènes et de multiples appareils photos à déclenchement automatique.

samedi 3 décembre 2022

Journapalm 1209

Passionné de légende arthurienne, Phildebert S. passait tout son temps libre dans la forêt de Brocéliande dans l’espoir de retrouver des évidences de l’existence du royaume de Camelot. Les années passant, certains auraient renoncé mais Phildebert ne perdait pas espoir. Mieux, il rencontra un matin d’octobre une dénommée Brigitte, mycologue acharnée qui passait tout son temps libre dans la forêt de Brocéliande à ramasser des champignons. Désormais ils occupaient ensemble mais séparément leur temps libre commun.

vendredi 2 décembre 2022

Journapalm 1208

On lui avait donné le choix : un pot de rillettes ou des fleurs de nénuphar. Après vingt ans de prison pour meurtre, il se croyait suffisamment endurci pour supporter n’importe quel châtiment. Il choisir d’avaler un pot entier de rillettes dont il ignorait qu’elles étaient avariées, dans un parking et sous la menace d’un fusil mitrailleur. L’intoxication alimentaire se déclencha dans l’heure qui suivit. Lorsque la nouvelle de sa mort parvint aux prisonniers toujours détenus, ceux-ci organisèrent une fête de tous les diables et firent la chenille au réfectoire.

jeudi 1 décembre 2022

Journapalm 1207

Au cours d’une réunion de la pègre, décision fut prise de mettre un contrat sur sa tête. Lui, il continuait son train-train indolent, souteneur de bas étage, usant ses semelles sur les trottoirs de la ville pour relever les compteurs.
Entre le numéro 8 et le numéro 16 de la rue Vaugirard, il échappa à une rafale de mitraillette lâchée depuis une Ford roulant à tombeau ouvert. Mais à peine eut il reprit ses esprits qu’une contrebasse lui dégringola sur la tête depuis une fenêtre ouverte pour un déménagement. Il mourut en poussant un fa dièse.

mercredi 30 novembre 2022

Journapalm 1206

Le dictionnaire prend la poussière, les bouteilles de whisky entamées depuis des années aussi. Ses étagères et les éléments de sa cuisine accusent le coup, on pourrait presque les croire humains à leur façon désenchantée de témoigner du temps qui passe. Le whisky ça se conserve, dit-il en haussant les épaules, je préfère pas y toucher pour l’instant, c’est mieux. Quand je lui parle du dictionnaire, un sourire fugace éclaire son visage entre deux dépressions nuageuses. On sait jamais, répond-il, Internet c’est peut-être comme le pétrole, peut-être qu’un jour y’en aura plus.

mardi 29 novembre 2022

Journapalm 1205

Elle disait « hue en avant » et elle cravachait son petit poney couché sur le flanc, mort depuis la veille. Son père la regardait sans tourner la tête, pour ne pas qu’elle voit les larmes dans ses yeux. Le feu crépitait encore dans la cheminée, il s’agissait de l’ultime foyer d’espoir qu’il leur restait… Il ne pouvait pas lui avouer la vérité. Alors quand elle lui demandait pourquoi petit poney restait couché, il répondait « il a mangé trop de chocolat, c’est tout, c’est pas grave, il se repose… C’est pas grave. »

lundi 28 novembre 2022

Journapalm 1204

Le chien du voisin revenait toujours et laissait derrière lui des saletés dans son escalier que le vieil homme s’escrimait ensuite à nettoyer. Certains disaient qu’autrefois, le vieillard n’était pas si acrimonieux, que la frustration de l’âge l’avait rendu ainsi. Malgré ses quatre-vingt-huit ans, il maniait toujours le fusil avec dextérité. Et à cette distance, le chien n’avait aucune chance : il mourut sur la route et son corps servit de paillasson à un semi-remorque qui peinturlura le goudron avec ses tripes. Ce fut la meilleure journée du vieil homme depuis plus d’un quart de siècle.

dimanche 27 novembre 2022

Journapalm 1203

Des caméléons aux couleurs improbables s’immobilisent à la verticale du fronton, sur une tige d’arbre centenaire dont plus personne ne sait le nom et qui a servi de tombeau pour un homme auquel on avait tout pris. Une vieille légende indienne annonce que lorsque le caméléon couronné apparaitra devant les hommes, une vengeance aux dimensions bibliques se réalisera et que nul ne pourra échapper à la colère des éléments. Déjà on entend le remugle du fleuve fou qui gonfle dans le canyon, chargé des pluies de mille jours passés, fusil majuscule aux canons striés d’eau tendus vers la ville.

samedi 26 novembre 2022

Une deuxième publication en 2022

"Un casque couleur muguet" : une deuxième publication en moins de quinze jours ? Oui. Et non. 

En réalité j'ai profité d'avoir achevé le chantier de "La traversée volatile" pour publier un recueil de nouvelles écrites en 2020 et 2021 et que j'avais déjà corrigées. Je ne les avais toutefois pas encore publiées car je pensais ajouter d'autres nouvelles mais celles-ci forment un recueil homogène écrit pendant cette drôle de période des confinements sanitaires. 
La nouvelle principale et la plus longue qui donne son nom au recueil est une uchronie dont le personnage principal est un certain Ayrton Senna.

Journapalm 1202

Elle lui jeta un sort à l’instant même où il l’aperçut. Depuis, chaque matin dès l’aube il ouvrait les yeux et ne pouvait se rendormir, condamné à tourner et retourner dans son lit, cherchant en vain un sommeil qu’il ne pouvait trouver. Dans le silence des heures sombres de chaque nouveau jour, son attention en vitesse de croisière à l’heure où d’autres dorment encore profondément il échafaudait le modus operandi de sa vengeance. Celle-ci serait terrible et sanguinaire, violente et inattendue, à l’image des heures de sommeil qu’elle lui avait volées.

vendredi 25 novembre 2022

Journapalm 1201

Ce fut par ennui qu’il mangea sa première coccinelle. L’enfant rentrait tôt de l’école et rester seul des heures entières dans la vaste maison ne lui plaisait guère, il préférait s’adonner à de longues déambulations extérieures. Le jardin regorgeait de plantes, de fleurs, d’arbres et d’insectes. Parfois il y apercevait même des lapins, des crapauds et parfois quelques hérissons. Mais ce qu’il préférait, c’était les coccinelles que souvent il ne croquait pas tout de suite, préférant les laisser intactes sur sa langue. Il aimait les sentir déployer leurs ailes et s’envoler dans la crypte que dessinait sa bouche fermée.

jeudi 24 novembre 2022

Journapalm 1200

Des feuilles mortes dessinent les contours de silhouettes tombées au champ d’honneur, des fissures enflent sur les façades du vieux bâtiment, une froide pluie inlassable contrarie les bulleurs… Les images mentales sont légion mais on ignore si elles sont des souvenirs réels ou des souvenirs de l’évocation que l’on s’en fit en se les remémorant la première fois.
Qu’importe je sais qu’enfant on m’offrit un tricycle à tête de lion trouvé en solde le jour de Noël au Monoprix de Carcassonne et avec lequel j’arpentai longtemps un couloir qui me semblait interminable.

mercredi 23 novembre 2022

Journapalm 1199

Huit œufs par jour, ce n’était pas un régime convenable pour un homme tel que lui, amateur de philosophie antique et d’histoire romaine. Il ne pouvait pas continuer à s’alimenter de la sorte sans que ne survienne un grave problème. Comble de l’ironie, c’est un lundi de Pâques que le drame s’est produit, le septième œuf du jour brisé, un bébé crocodile a surgi de la coquille et s’est jeté sur sa carotide, plantant ses dents dans son artère jusqu’à rompre celle-ci. La suite n’a rien de philosophique ni même de religieux ; il était athée.

mardi 22 novembre 2022

Journapalm 1198

Il maniait la pelle avec une dextérité obstinée, ajoutant à l’amour du travail bien fait une dévotion monacale. Cinquante-huit, pensa-t-il en se redressant, le dos perclus de douleurs musculaires. Il s’appuya sur le manche de sa pelle et ferma les yeux un instant en s’efforçant de reprendre sa respiration. Quand il les rouvrit, le soleil déclinait et entamait sa chute finale derrière l’horizon. Si la nuit se montrait conciliante et indemne de nuages, il pourrait enterrer sa soixantième victime avant d’aller retrouver ses collègues pour un pot de départ. Il aimait toujours boire un coup après une tuerie de masse.

lundi 21 novembre 2022

Journapalm 1197

Elle aurait voulu vivre cinquante-cinq millions d’années plus tôt, à l’époque où on dénombrait plus de quarante espèces différentes d’éléphants. Il n’était alors pas question d’éléphant d’Afrique ou d’Asie, la vie devait être moins binaire, pensait-elle, les ciels moins chargés de carbone, tout était encore possible… On lui expliqua qu’il n’y avait pas d’Hommes peuplant la Terre à cette époque-là et elle haussa les épaules. Et puis elle réalisa que ce n’était pas si terrible l’Éocène car on ne pouvait pas partir à la Baule manger un crêpe Suzette sur un coup de tête.

dimanche 20 novembre 2022

Journapalm 1196

Fatiguée de son bourg qui de ville n’avait selon elle que le nom, elle décida un soir de Saint Sylvestre solitaire de quitter sa grise vie provinciale pour les lumières de la capitale. Démarches administratives pour démarrer la nouvelle année sous le ciel plombé où cinq millions d’individus cuisent à l’étouffée… Bienvenue chez vous, annonçaient les publicités. Elle scintilla d’excitation et rêva de soirées d’art, de spectacles et de magie… Jusqu’à la réalité d’un appartement insalubre à trente kilomètres du cœur nécrosé de la capitale, entre les seringues d’héroïne et les passes à trente euros. Bienvenue chez vous…

samedi 19 novembre 2022

Journapalm 1195

Parvenus au quatrième étage, ils ouvrirent leurs blousons pour capter un peu de fraicheur. Le vent du nord s’engouffrait à travers la fenêtre brisée. Leurs torses humides de sueur frémirent au contact de l'air. Ils se regardèrent en souriant, éreintés par la somme d’efforts déployés depuis des jours, heureux de renouer avec un élément qui les reliait à la Terre. Il suffit parfois de quelques jours de terreur, privé de sa liberté pour oublier ce que l’on est. Alors ils utilisèrent leurs blousons comme parachutes et sautèrent dans le vide.

vendredi 18 novembre 2022

Journapalm 1194

Elle pensait que la foudre ne tombe jamais au même endroit. Alors elle a choisi un arbre qui fut jadis de haute futaie mais qui n’était maintenant qu’un orme scalpé au cœur démembré et à moitié carbonisé. Elle a pénétré à l’intérieur de son foyer encore chaud de la foudre tombée et là, dans son antre brune et palpitante, mettant la main sur un arc-en-ciel dirigé vers les cieux gonflés de pluie, elle s’est retrouvée propulsée dans un monde nouveau où les moineaux avaient la taille de condors et où le mot orage n’existait plus.

jeudi 17 novembre 2022

Journapalm 1193

Désert acrylique devant les yeux. Le grès des tombes retient la pluie comme dans une chanson idiote qui s’installe dans la tête, les pieds en éventail sur un bord de mer. Elle pense aux pyramides d’Égypte et à une avenue barrée de poussières sablonneuses en provenance des steppes arides. Elle voudrait s’allonger et dormir. Des cactus ont poussé sur le tableau et ont croqué les tournesols. Vincent était là, se souvient-elle. Mais la lumière s’est éteinte et sa vie ressemble à une éclipse solaire sur une autre planète, dans un tableau futuriste.

mercredi 16 novembre 2022

Journapalm 1192

En ouvrant la porte de chez elle ce matin-là, elle n’imaginait pas trouver un bateau échoué sur le parking de son immeuble. Des lions de mer déplaçaient maladroitement leurs corps encore humides sur le goudron et les enfants du quartier leur jetaient des cailloux en riant. Refermant la porte du hall d’entrée, elle fit comme si de rien n’était et rejoignit sa voiture, pressée de retrouver sa cellule journalière pour bourrer son esprit de tâches inutiles avant de rentrer chez elle et de pleurer sur sa vie terne.

mardi 15 novembre 2022

Journapalm 1191

Les soirs d’automne, lorsque les silhouettes fantomatiques des arbres effeuillés dansent dans les chaudes lumières vespérales, il repense à cette photo qu’il prit vingt ans plus tôt à Rome. Un cliché du Château Saint-Ange un soir de novembre, écrasé par un ciel rose orangé sur lequel des centaines d’étourneaux forment un nuage compact d’individus sombres qui se découpent sur le mausolée d’Hadrien et le Tibre en contrebas. Quelque part il y a sa silhouette à elle, électrique et lumineuse, mais il n’est plus sûr d’où, comme disparue de la photo en même temps que de sa vie.

lundi 14 novembre 2022

Toussaint printanière : avis de naissance

Ce fut une Toussaint printanière. En grande partie du fait de cette météo ensoleillée, un peu pour la fin d’un projet d’écriture. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Après deux faux départs, plusieurs versions, « La traversée volatile » aura mis un an à se matérialiser. Comme souvent, le roman achevé est bien différent de l’idée de départ ainsi que de l’intention initiale. C’est peut-être là que réside ce qui pousse à écrire : en se lançant dans un projet de roman, on ne sait jamais ce qu’il va en sortir. Comme pour les publications précédentes, deux versions sont disponibles : papier et Kindle.


Quatrième de couverture :
Alors qu’il approche de la cinquantaine, Alain Codec cherche à retrouver la fibre créatrice qui lui a permis il y a quelques années d’écrire et faire éditer deux romans aux tirages confidentiels. Mais depuis cinq ans, il passe plus de temps à faire le même cauchemar récurrent qu’à trouver l’inspiration. Un cauchemar qui le hante depuis son enfance et pour lequel il refuse obstinément d’aller consulter. Profitant de l’absence de son épouse et de ses enfants pour un long week-end de mai, il compte bien s’atteler aux fondations d’un nouveau roman. Mais sur la route de la création on emprunte parfois un étrange chemin qui peut nous faire remonter aux origines même de qui l’on est.