samedi 31 décembre 2022

Journapalm 1237

Revenant sur les terres de sa jeunesse, Ursuline F. se remémore les brimades et les moqueries dont elle fut victime dans la cour de récréation de cette école. Elle se souvient qu’alors elle rêvait souvent qu’une licorne blanche viendrait à son secours, qu’elle s’accrocherait à son encolure et qu’elle partirait dans un pays magique et lumineux. Cinquante ans plus tôt, constatant qu’elle en était au même point, elle pénètre dans le bar du coin et commande un verre de blanc en pensant que l’âge adulte apporte son lot de consolations.

vendredi 30 décembre 2022

Journapalm 1236

Rien ne la prédestinait à devenir le premier être humain à marcher sur la planète Mars. Enfance modeste dans un quartier pavillonnaire de la classe moyenne américaine du Missouri, premières expériences de drogue à l’âge de treize ans, victime d’un cancer à l’âge de dix-huit ans, elle était revenue de tout avec une leçon de vie qui déclenche la larme à l’œil du peuple, dans la plus pure tradition américaine. Mais la veille du départ pour Mars, elle se cassa la jambe dans son escalier et fut remplacée en urgence dans la fusée.

jeudi 29 décembre 2022

Journapalm 1235

Ils sont venus à dix mais dans cette petite cabane perchée sur un vieil arbre dont tout le monde avait oublié le nom, ils semblaient mille. Le garçon n’a pas pu réagir, on lui avait dit de ne pas se mettre sous les arbres par temps d’orage et ce mercredi-là, il faisait un temps superbe. Ils lui ont mis une raclée qui lui laisserait des souvenirs de honte et de douleur jusqu’à la fin de ses jours. Et le garçon a compris que ses parents ne lui avaient pas tout dit sur les dangers des arbres par beau temps.

mercredi 28 décembre 2022

Journapalm 1234

Le cheval bondit sur la pelouse et galopa comme si sa vie en dépendait, les yeux exorbités, les oreilles plaquées à l’arrière de sa longue tête, des filets d’écume blanche soulignant sa gueule. Personne dans le public ne l’avait vu arriver et les joueurs sur le terrain eurent à peine le temps de se jeter sur la pelouse pour éviter d’être piétinés. Arrivé à l’extrémité du terrain qu’il traversa en un éclair, le cheval sauta dans le champ voisin où il poursuivit sa course. Et tout le monde le regarda disparaître à l’horizon, enviant sa liberté folle et sauvage.

mardi 27 décembre 2022

Journapalm 1233

Si elle n’était pas une petite fille comme les autres, ce n’était pas parce qu’elle aimait les araignées ni qu’elle parlait aux fantômes mais parce qu’elle était sa fille. Bien sûr, il disait qu’il aurait autant aimé avoir un garçon mais au fond de lui, il était très heureux d’avoir une fille, surtout une avec qui il pouvait regarder les araignées dans des boites transparentes remplies de coton et de brindilles puis, le soir venu, discuter avec les fantômes de la maison. Ce n’était pas sa fille pour rien, disaient les gens, mais s’ils savaient à quel point…

lundi 26 décembre 2022

Journapalm 1232

Lorsqu’il prit sa retraite après quarante années de boucherie chevaline, Aldebert F. se sentit submergé par des émotions profondes et ambiguës. Dernier représentant de la famille à reprendre le flambeau après cinq générations, avec lui s’interrompait une longue tradition qui avait marqué le village depuis une centaine d’années. Le véganisme proclamé d’intérêt public, les nouvelles générations préféraient se nourrir d’avoine et d’herbe.
Profitant de sa pension pour se payer enfin un voyage aux Amériques, Aldebert F. fut arrêté par la police montée près des chutes du Niagara après qu’il eut tenté de mordre leur monture.

dimanche 25 décembre 2022

Journapalm 1231

Hélène K. n’avait rien de la femme faible, neurasthénique, ni même dépressive, son organisme nécessitait simplement qu’elle pût dormir neuf heures d’affilée pour être opérationnel. Aussi quand la nuit de son mariage, une atroce migraine la réveilla après six heures d’un sommeil agité à cause de l’orage, elle enfila des bottes en caoutchouc et sortit chercher la tronçonneuse. Son mariage fut l’un des plus courts de l’histoire mais selon les psychiatres, d’avoir découpé son époux en tranches épaisses n’était que la conséquence de son manque de sommeil et en aucun cas d’un rejet de son nouveau statut.

samedi 24 décembre 2022

Journapalm 1230

Depuis qu’il avait recueilli ce chien, Alphonse R. pensait qu’il tenait là un spécimen particulièrement intelligent de la race canine. Il lui apprit à ouvrir et fermer les portes, à s’essuyer les babines et à marcher sur les pattes antérieures. La nuit toutefois, en cachette de son maître, le chien quittait sa couche et allait lire Schopenhauer dans la bibliothèque.
Aussi, un matin, le chien déroba le pistolet d’Alphonse R. et lui colla une balle dans la tête. D’après le vétérinaire, le chien lassé de se sentir rabaissé à un phénomène de foire avait perdu la tête.

vendredi 23 décembre 2022

Journapalm 1229

Sur le rebord de la fenêtre
les petits soldats alignés
avec pour bouclier les grimaces
des oranges flétries qui
dessinent en contrepoint
le paysage d’une journée
qu’il va passer seul.

On lui a dit « de l’ambition ! »
« du panache, que diable ! »
il a haussé les épaules
regardé par en-dessous :
le chien glouton
a mangé les oranges
et même les soldats.

Ne reste plus rien que
les empreintes de la pluie
sur la fenêtre nue
c’est triste à regarder
un paysage vide
dans le silence
d’une maison sans oranges.

jeudi 22 décembre 2022

Journapalm 1228

Enfant, il aimait se promener dans la rue avec un revolver en plastique fiché dans la ceinture. Il disait que cela lui mettait des papillons plein le ventre.
Adulte, il aime sculpter des orifices parfaits dans les crânes de ses victimes avec un calibre 38. Lorsque les mouches rappliquent, il sourit en éprouvant la sensation d’avoir, d’une certaine façon, bouclé la boucle.

mercredi 21 décembre 2022

Journapalm 1227

On disait qu’il était né un jour d’orage d’une violence inouïe qui noya les plantations, les bêtes et les espoirs des Hommes. Difficile de dire où s’arrêtait le mysticisme et où commençaient les faits ; chaque fois qu’il prit une décision importante dans sa vie où qu’il lui arriva quelque chose de remarquable, l’orage fut de la partie, sauf le jour de sa mort. Ce jour-là, un mardi de février, le soleil brilla avec l’insolence d’un mois de mai, le mercure grimpant jusqu’à vingt degrés, comme si la Terre cherchait à célébrer quelque chose qui dépassait les Hommes.

mardi 20 décembre 2022

Journapalm 1226

Où pensait-il aller, se sont-ils demandés en le regardant passer, son corps vibrant d’une énergie dont ils ne savaient rien, animé d’une pulsion de vie qui dépassait de beaucoup tout ce qu’ils seraient jamais capables d’imaginer. Cet homme est un OVNI, ont-ils pensé pour se rassurer, et les OVNI finissent toujours par disparaître. Il n’en demandait pas tant. On l’aperçut traverser un bout de leur ciel quotidien et bientôt il n’y eut plus que son ombre pour hanter les remugles de vie qui frétillaient encore sur son passage, au milieu du grand rien constituant leur existence.

lundi 19 décembre 2022

Thomas Wolfe, géant méconnu

Bien avant les jérémiades des auteurs contemporains français qui se répandent dans des récits de l’auto-fiction confondants de bêtise, de nombrilisme et d’atteinte à la littérature, sous la bénédiction des journaux branchés et collabos dont les chroniqueurs sous valium vantent les mérites, de l’autre côté de l’Atlantique, encore une fois, l’Amérique nous donnait une leçon. Nous sommes à la fin des années 20, juste avant la terrible année du krach boursier qui allait précipiter l’économie du monde dans le chaos, quelques années avant l’année 1933 dont John Fante, en son temps, allait donner sa vision littéraire dans un toujours très bon roman éponyme (1933 was a bad year) – oui je sais, je déconne complet dès qu’il s’agit de Fante, je n’ai plus de libre arbitre. Mais il y a des auteurs à qui je passe tout : Fante, Harrison, et maintenant Wolfe. 

Or donc, dans les bureaux des éditions Scribner, l’éditeur Maxwell Perkins qui allait rester dans les annales pour avoir contribué à la découverte d’Hemingway et de Fitzgerald, se penche sur le manuscrit tentaculaire d’un inconnu originaire de Caroline, un certain Thomas Wolfe, géant par la taille et par le talent – mais cela, il ne le sait pas encore notre bon vieux éditeur. Perkins découvre le manuscrit torrentiel de « Look Homeward, Angel », premier volet de ce qui n’est pas encore un cycle autobiographique romancé de quatre volumes que Thomas Wolfe, titan de la littérature américaine, aura le temps d’écrire avant de mourir prématurément. Mais cela non plus, Perkins ne le sait pas encore. Ce que l’éditeur sait, en revanche, c’est qu’il tient dans les mains un manuscrit qui possède quelque chose de plus que les autres, quelque chose de différent. Les autres maisons d’édition de New-York n’en ont pas voulu mais Perkins va accepter d’éditer ce roman fleuve malgré les centaines de pages en trop, les paragraphes agités et sauvages comme des cours d’eau qu’aucun barrage ne peut retenir. Parce qu’il est comme ça Wolfe, un hyper actif de l’écriture, un fou littéraire comme il en nait trop peu ou comme il nous en arrive trop peu, la faute aux Fourches Caudines du marché de l’édition, formaté, petit esprit, rabougri sur ses convictions, refusant la folie sauf quand elle est vulgaire ou politisée. 

Wolfe porte bien son nom. C’est un être solitaire dont le hurlement retentit dans la nuit depuis 1929. Bientôt un siècle que Scribner a publié « Look Homeward, Angel » et pourtant son auteur reste inconnu de la plupart des lecteurs du monde qui, en revanche, sont abreuvés d’écrivaillons minables et arides comme des déserts mazoutés. Au moment où on honore du prix Nobel de littérature une représentante de l’auto-fiction dans ce que ce genre a de plus mauvais, de plus anti-littéraire et de plus sec, il est bon de se rappeler que Wolfe, en son temps, donnait au récit autobiographique ses lettres de noblesse. Voilà que de l’autre côté de l’océan, à côté de Melville et de Faulkner qui publie en cette même année 1929 « le bruit et la fureur », une autre étoile dingue et folle illumine le ciel de la littérature américaine.
Thomas Wolfe écrit comme Motorhead jouait du rock and roll : fort, très fort. Et Wolfe, comme Lemmy, était un punk sans école, avant-gardiste et dément. Un punk avant même la création du mot, avant même la conception du genre. Malgré ses défauts, ses dialogues parfois à peine passables, ses exclamations sentimentales parfois niaises, Wolfe est un auteur de l’excès et ses phrases possèdent ce que des milliers d’écrivaillons minables ne parviendront jamais à produire : des tripes et du volume, du charisme et de la personnalité et cette musique qui nous charme l'oeil, voire l'oreille pour peu qu'on les lise à haute voix. Peu importe ce que Wolfe nous raconte dans les aventures de la famille Gant, ses mots nous touchent dans ce que nous avons de plus intime et de plus profond, il plonge sa rame dans le lac de nos tripes et il nous attrape pour nous embarquer avec lui. Peu importe l’épaisseur de l’ouvrage (la version poche éditée dans les années 1980 tutoie les mille pages), les phrases coulent comme une musique familière qui nous rappelle la fragilité et le miracle de la langue, celle que parlent les grands noms de la littérature, celle qui nous émeut et nous transporte, celle qui nous fait nous sentir vivant et nous donne envie de pousser la porte d’une librairie en espérant trouver un autre miracle. Cela tombe bien puisqu’en janvier 2023, va paraitre aux éditions Bartillat une nouvelle édition de « Of time and the river » le deuxième roman de Wolfe publié en 1935 et dont la dernière adaptation française date de 1984… Achat obligatoire pour soutenir l'initiative et lecture obligatoire pour lire de la bonne et véritable littérature. Nous en avons plus que jamais besoin en ces temps d'obscurantisme pédant où n'importe quel crétin analphabète et déraciné peut vendre sa dysenterie textuelle aux maisons de la rive gauche qui s'en feront des gorges chaudes, relayées par d'autres sombres ayatollah du mauvais goût sévissant dans les pages littéraires des Inrocks ou de Télérama. Fuck the System, lisez Wolfe ! 

Journapalm 1225

Il ne croyait ni à la sorcellerie ni aux jeux de hasard, il ne buvait jamais d’alcool et veillait à se coucher avec le soleil. Quand il mourut, personne n’en sut rien et il ne laissa derrière lui qu’une lointaine réminiscence de bleu, couleur de ses yeux.
Dans l’autre monde, il fut accueilli à bras ouverts par une confrérie de sorcières aveugles qui jouaient au poker tous les vendredi soir en éclusant de formidables quantités de vin et il découvrit sur le tard les joies d’une vie dissolue.

dimanche 18 décembre 2022

Journapalm 1224

Comme elle vieillissait, chaque soir elle craignait le moment de se mettre dans son lit, redoutant de ne jamais se réveiller le lendemain. Souhaitant ardemment mourir sans souffrir ni se rendre compte de rien, elle espérait pourtant partir dans son sommeil mais la perspective de cesser de vivre et de connaitre l’étrange expérience de la mort la terrorisait. Mais chaque matin elle se réveillait, jour après jour, soulagée en ouvrant les paupières. D’après son fils, elle aurait deux-cent cinquante ans à la fin du mois.

samedi 17 décembre 2022

Journapalm 1223

Tremblant de froid, l’estomac dans les talons, il regardait à travers la fenêtre le festin des ogres rassemblés à la table panoramique du grand banquet. Et à chacune des généreuses cuillères qu’il les voyait avaler goulûment, il ne pouvait s’empêcher de trembler à l’idée que quelque part, en ce monde fou et sombre, en proie au désespoir, des parents éplorés recherchaient leurs enfants disparus depuis plusieurs jours.

vendredi 16 décembre 2022

Journapalm 1222

Cet homme aimait tant les arbres que jamais la nuit en dormant il ne sciait du bois. Doué pour les mathématiques, quand il ronflait il produisait des 2 au lieu de z. D’aussi loin que ses parents s’en rappelaient, cela avait été le cas mais ils ne l’auraient pas cru si, au cours de l’enfance de leur garçon, on leur avait prédit que celui-ci serait un jour récipiendaire de la médaille Fields et qu’il choisirait de vivre dans les forêts.

jeudi 15 décembre 2022

Journapalm 1221

Sa mère lui répétait souvent qu’à l’impossible nul n’est tenu. Après sa disparition, il continuait d’y penser et la réminiscence de cette voix aimée hantait encore sa conscience, à la manière d’un fantôme répétant une sorte de mantra. Pourtant il essayait toujours de produire le meilleur travail au bureau, de se montrer un père parfait pour ses enfants et de maintenir son mariage à flots malgré les frustrations et les difficultés. Même s’il savait que c’était impossible et que de son vivant elle lui disait de lâcher l’affaire, il voulait rendre sa mère fière de lui.

mercredi 14 décembre 2022

Journapalm 1220

On disait de lui qu’il n’était doué pour rien et que lorsque ses parents ne seraient plus de ce monde, il se retrouverait seul et livré à la férocité d’un monde auquel il n’était pas préparé. Mais on ignorait tout de cet enfant. Devenu orphelin, il s’enfuit pour échapper aux services sociaux, s’enfonçant dans la nuit terrible et profonde d’un hiver à la rigueur échevelée. Conjuguant l’art de la fugue et l’anonymat, on le perdit de vue et du reste. Il réapparut dix ans plus tard, devenu dictateur d’un pays du centre Afrique, en cheville avec les industriels chinois.

mardi 13 décembre 2022

Journapalm 1219

Le problème de Stéphanie, c’est qu’elle vivait dans le passé et qu’elle parlait toujours avec nostalgie de sa vie passée au Québec. Elle ne cessait de se plaindre de sa condition actuelle en comparaison du bonheur qu’elle avait connu sur les rives du Saint Laurent.
Alors un soir de trop, n’y tenant plus, décidé à combler son épouse, son mari l’étrangla pendant le film de 21 heures puis la découpa en morceaux. Depuis qu’elle y était stockée en morceaux, Stéphanie revivait dans le congélateur un hiver Québécois qui durerait trois cent soixante-cinq jours par an.

lundi 12 décembre 2022

Journapalm 1218

Les rapaces le fascinaient sans qu’il ne sût en expliquer la raison, ni en trouver l’origine, il s’agissait d’un fait, d’un ressenti qui l’animait dès qu’il marchait dans la nature. Il venait de perdre son emploi à la conserverie, il trouvait que ne plus puer le maquereau ne constituait pas une mauvaise nouvelle; pour le reste, il fallait trouver une autre manière de garnir son frigo et payer les factures. Quand il marchait dans la nature, il pensait à montreur d’ours mais un chasseur avait tué la dernière représentante de l’espèce alors pourquoi pas dresseur de rapaces ?

dimanche 11 décembre 2022

Journapalm 1217

Fatigué d’être la cible de pillages incessants dans sa boutique, un épicier décida de se protéger en acquérant un chien. Celui-ci fut trouvé dans un refuge après avoir été abandonné par son ancien propriétaire, un patron de tripot clandestin, le chien ayant développé une grave allergie à la fumée de cigarette.
Il s’agissait d’un molosse de quarante-six kilos de muscle et de rage impossible à dompter mais qui découvrit chez l’épicier les légumes et les fruits. Alors, refusant toute violence, il laissait les voleurs dépouiller son nouveau propriétaire à l’exception du rayon BIO qu’il gardait avec une jalousie féroce.

samedi 10 décembre 2022

Journapalm 1216

Il envisageait la fuite comme une façon de reconstruire sa vie et vivait ainsi depuis un demi-siècle de fuites successives qui le voyaient changer de travail, d’appartement, de femme, d’amis et de loisirs. Tout finissait par l’ennuyer et ce stratagème lui permettait, pour un temps, de jouir de la sensation d’être un homme nouveau, apte à embrasser un futur lumineux et riche d’appétissantes promesses. Au soir de sa vie, il se retrouva seul et ignoré de tous, dans une maison froide et impersonnelle, à se demander comment il pourrait fuir la mort.

vendredi 9 décembre 2022

Journapalm 1215

Les jours de grand vent on apercevait le fou aller et venir dans la grand rue du village, un air grave sur le visage, son regard acier verrouillé sur le goudron, perdu dans ses pensées que l’on devinait absurdes et grotesques.
Mais quand on l’aperçut passer au-dessus de nous, agrippé à une sorte de machine à mi-chemin entre le parapente et l’ULM qui le maintenait en l’air tandis que le Rhône devenu fou pénétrait dans nos maisons et noyait nos enfants sous un déluge d’arbres morts et de détritus charriés depuis des kilomètres, nous cessâmes de le considérer fou.

jeudi 8 décembre 2022

Journapalm 1214

Son professeur de philosophie, amateur de sexe tantrique et de musique indienne, lui disait souvent que la mort doit être considérée comme une étape nécessaire et souhaitable de la vie afin d’assurer à celle-ci une fonction rassérénante. Elle n’était pas sûre de comprendre ni d’être d’accord. Mais quand elle eut la preuve de l’existence des fantômes en apercevant le spectre de son grand-père occupé à lire L’illustration sur les toilettes, elle trouva l’idée de mort beaucoup plus tolérable. Ses notes en philosophie baissèrent en revanche de façon singulière.

mercredi 7 décembre 2022

Journapalm 1213

Elle savait qu’il ne lui restait que vingt-et-un jours avant de quitter cette entreprise où elle avait travaillé plus de trente ans. Longtemps elle pensa y accomplir toute sa carrière mais tout le monde lui disait que ce genre de chose n’existait plus dans la société actuelle. Elle n’était pas bien sûre de savoir ce que ça voulait dire, au juste, la société actuelle, mais elle comprenait chaque jour davantage qu’elle n’y avait plus sa place. Elle se sentait comme un objet usagé pour lequel il n’existe aucune poubelle de recyclage et dont on se sait plus que faire.

mardi 6 décembre 2022

Journapalm 1212

Afin d’éviter les coups de déveine, il compartimentait sa vie comme s’il s’agissait d’une vieille batterie de voiture qu’il faut entretenir. Chaque composante de celle-ci enfouie au fond d’un orifice dédié et qui restait indépendant du voisin. Cela n’empêcha toutefois pas la surchauffe et lorsque tous les orifices de sa batterie intérieure débordèrent en même temps, il se produisit une étincelle et sa vie prit feu ; alors pendant quelques années il vécut des moments inoubliables d’une folie nourricière et extatique.

lundi 5 décembre 2022

Journapalm 1211

Malgré de longues recherches, il ne trouva pas l’interrupteur permettant d’éteindre le monde. Aussi chaque matin quand il ouvrait les yeux : bruits de moteurs, éclats de voix, raffut des machines. Si de naissance il n’avait reçu aucun talent pour les travaux manuels, en revanche il maniait plutôt bien les armes à feu.
Après avoir pris trois savants atomiques en otage, il les fit travailler de jour comme de nuit puis équipa son appartement d’ogives nucléaires. Puis il fit paraitre un avis d’expulsion dans le journal : le monde avait une semaine pour s’éteindre, ensuite, il déclencherait le feu atomique.

dimanche 4 décembre 2022

Journapalm 1210

Au tout début il crut à un reflet trompeur de l’eau au crépuscule, lorsque la surface s’irise parfois de stries d’opale. Puis il vit nettement dépasser un triangle de chair rose qui dessinait à ne pas s’y tromper la nageoire caudale d’un cétacé. Cette apparition ne dura que quelques instants, à peine une seconde avant d’être avalée par la profondeur sombre de l’océan, mais cela lui suffit. Depuis, trente ans se sont écoulées et il cherche toujours la baleine rouge, de jour comme de nuit, sur son bateau équipé de puissants halogènes et de multiples appareils photos à déclenchement automatique.

samedi 3 décembre 2022

Journapalm 1209

Passionné de légende arthurienne, Phildebert S. passait tout son temps libre dans la forêt de Brocéliande dans l’espoir de retrouver des évidences de l’existence du royaume de Camelot. Les années passant, certains auraient renoncé mais Phildebert ne perdait pas espoir. Mieux, il rencontra un matin d’octobre une dénommée Brigitte, mycologue acharnée qui passait tout son temps libre dans la forêt de Brocéliande à ramasser des champignons. Désormais ils occupaient ensemble mais séparément leur temps libre commun.

vendredi 2 décembre 2022

Journapalm 1208

On lui avait donné le choix : un pot de rillettes ou des fleurs de nénuphar. Après vingt ans de prison pour meurtre, il se croyait suffisamment endurci pour supporter n’importe quel châtiment. Il choisir d’avaler un pot entier de rillettes dont il ignorait qu’elles étaient avariées, dans un parking et sous la menace d’un fusil mitrailleur. L’intoxication alimentaire se déclencha dans l’heure qui suivit. Lorsque la nouvelle de sa mort parvint aux prisonniers toujours détenus, ceux-ci organisèrent une fête de tous les diables et firent la chenille au réfectoire.

jeudi 1 décembre 2022

Journapalm 1207

Au cours d’une réunion de la pègre, décision fut prise de mettre un contrat sur sa tête. Lui, il continuait son train-train indolent, souteneur de bas étage, usant ses semelles sur les trottoirs de la ville pour relever les compteurs.
Entre le numéro 8 et le numéro 16 de la rue Vaugirard, il échappa à une rafale de mitraillette lâchée depuis une Ford roulant à tombeau ouvert. Mais à peine eut il reprit ses esprits qu’une contrebasse lui dégringola sur la tête depuis une fenêtre ouverte pour un déménagement. Il mourut en poussant un fa dièse.