mardi 31 octobre 2023

Journapalm 1541

Des fleurs dans les narines c’est une belle entrée en matière pour un joueur de guitare spécialiste des reprises de rock psychédélique des années 70. Sauf que la toxicité de la fleur de peyotl lui a été fatale et qu’il est mort le nez épaté à la façon d’un groin de cochon sauvage pas du tout psychédélique que même les survivants du groupe Pink Floyd n’ont pas reconnu au moment de pénétrer dans le hall de la gare de Lille.

lundi 30 octobre 2023

Journapalm 1540

Ils ont dégainé leurs revolvers de façon à la fois coordonnée et grandiloquente. S’ils n’avaient pas été de dangereux hors-la-loi en fuite, on leur aurait sûrement accordé le bénéfice du doute et l‘éclat de la poésie qui l’accompagne. Mais l’ouest sauvage est ainsi fait que les hors-la-loi n’ont pas de temps libre disponible pour la poésie. Alors ils ont fait parler leurs Colts et les morts sont tombés comme un jour de pluie.

dimanche 29 octobre 2023

Journapalm 1539

Allongé sur les fils d’acier tendus d’un immeuble à l’autre, le longiligne acrobate observe le mouvement de translation des nuages au-dessus de lui. Vingt-deux ans plus tôt, des Boeing venaient lécher cet endroit d’un peu trop près et une fumée épaisse croquait tout l’espace saturé de bleu. Aujourd’hui il se balade entre deux époques, loin au-dessus du niveau du sol et les gens gardent la tête baissée sur leurs téléphones portables qui leur offrent des rails de cocaïne numérique pour trois fois rien.

samedi 28 octobre 2023

Journapalm 1538

Tout au fond de ma cage mentale, dans le renfoncement de l’escalier en colimaçon se terre une créature frémissante aux yeux exorbités dont le corps est recouvert de piquants à rendre jaloux le roi des hérissons un jour de guillotine.
Un jour ils auront sa peau mais pour l’instant je parviens encore à la garder en vie, bien dissimulé dans l’anonymat de mon entre-soi.

vendredi 27 octobre 2023

Journapalm 1537

À Paris au mois de janvier on l’a aperçu dériver sur la Seine à bord d’un canoë de bois verni peint aux couleurs du Cameroun. Mais parce qu’il jouait de la harpe, nu comme un ver, toute la population a cru à une hallucination collective. Mais arrivé à la mer, une baleine atrabilaire l’a dévoré et preuve en est, elle s’est exilée au Cap d’Agde où elles poussent des borborygmes en clé de sol.

jeudi 26 octobre 2023

Journapalm 1536

Le refuge mental se trouve à proximité immédiate de son attention, dans une zone proche et protégée de son hyper conscience. Pour y accéder, nulle vitre à briser, nul marteau ou autre objet contondant mais un pas de côté à effectuer, une hygiène du quotidien comme un filet à papillons agité dans la cage aux lions. Et souvent, aussi incroyable que cela puisse paraître, cela fonctionne.

mercredi 25 octobre 2023

Journapalm 1535

Il y a parfois davantage de poésie dans la gabardine beige d’un vieil homme assis sur un banc public que dans le fleuve chargé des pluies de la veille qui traverse la ville dans l’indifférence des pigeons. Il n’existe rien de plus con qu’un pigeon, à part peut-être deux pigeons et cette pensée déclenche l’hilarité du vieil homme en gabardine beige assis sur le banc qui s’étonne et se félicite de n’être pas encore tout à fait mort.

mardi 24 octobre 2023

Journapalm 1534

Depuis quatre heures du matin elle roule sur cette autoroute et trompe son ennui en alternant l’écoute d’une station radio qui diffuse de vieux standards de jazz réorchestrés au piano et les cigarettes qu’elle fume en silence, la vitre ouverte sur un bandeau de goudron d’une autoroute du nord. Jamais l’Espagne ne lui a paru si loin et elle réalise avec tristesse que le flamenco et les cigares Montecristo ce sera pour beaucoup plus tard.

lundi 23 octobre 2023

Journapalm 1533

Elle lui avait donné rendez-vous à Maisons-Alfort mais parce qu’il était sourd d’une oreille depuis l’enfance, il avait compris Gare de Belfort. Monsieur était en outre un grand timide : face au doute né de cet étrange rendez-vous, il n’avait pas osé lui demander de répéter. Il prit un train de nuit pour se présenter à l’heure dite à la Gare de Belfort. Le train percuta un camion à un passage à niveaux bourguignon et il mourut sans jamais la voir, ni elle ni même Maisons-Alfort.

dimanche 22 octobre 2023

Journapalm 1532

Brooklyn ne rentrait pas sur la feuille A4 que tu tenais dans les mains mais tu as mis ça sur le compte d’un courant d’air causé par le passage d’un métro aérien sans chauffeur ni passagers. Et quand le vent est retombé, tu t’es retrouvé les bras ballants devant les deux yeux rouges qui scintillaient au gond du tunnel, sans aucun détail très clair de Brooklyn ailleurs que dans ton imagination.

samedi 21 octobre 2023

Journapalm 1531

Ça ne parait pas comme ça, mais parfois les choses les plus banales sont celles qui nous touchent le plus et qui, lorsque nous en sommes privés, déshumanise le monde et le transforme en une pâte informe et froide.
Venir fleurir la tombe d’un être cher, c’est peut-être la dernière chose qui nous relie encore à l’espèce humaine. Et dont nous sommes pourtant souvent empêchés malgré l’extension de la 5G et la courbe exponentielle de l’utilisation de l’intelligence artificielle.

vendredi 20 octobre 2023

Journapalm 1530

Les châteaux de sable constituèrent longtemps son activité favorite, à laquelle il s’adonnait avec une énergie débridée et communicative. Il fallait le voir courir en culottes courtes sur la plage à marée basse, sa pelle et son seau en guise de glaive et de plastron, les cheveux au vent, hurlant des mots qui s’envolaient dans les nuages. Il n’a suffi que d’une seule mine antipersonnel pour lui faire passer le goût de la liberté et des châteaux de sable.

jeudi 19 octobre 2023

Journapalm 1529

Il fut un temps où elle utilisait les crochets pour confectionner des tricots ajustés et chauds qui habillaient ensuite son mari et ses enfants quand ceux-ci allaient aux champs ou à l’école. Un jour elle eut quarante ans et décida qu’une vie plus aventureuse l’appelait. Elle disparut sans laisser d’autre traces que les corps sans vie des membres de sa famille, des crochets de tricot plantés dans leurs yeux.

mercredi 18 octobre 2023

Journapalm 1528

Il fut un temps où elle utilisait les crochets pour confectionner des tricots ajustés et chauds qui habillaient ensuite son mari et ses enfants quand ceux-ci allaient aux champs ou à l’école. Un jour elle eut quarante ans et décida qu’une vie plus aventureuse l’appelait. Elle disparut sans laisser d’autre traces que les corps sans vie des membres de sa famille, des crochets de tricot plantés dans leurs yeux.

mardi 17 octobre 2023

Journapalm 1527

Elle plante dans cette rue comme d’autres font le trottoir, mais ce n’est pas vraiment sa faute si la tenue réglementaire de convoyeuse de fonds souligne sa taille mannequin ainsi que sa poitrine généreuse. Ils lui ont confié un fusil à pompe pour revendiquer une dégaine plus sérieuse mais cela n’a fait qu’exciter davantage tous les détraqués de la ville.

lundi 16 octobre 2023

Journapalm 1526

Elle grignotait de vieilles tranches de yéti qu’elle conservait au congélateur depuis deux ans et qu’elle aimait sortir de leur prison surgelée chaque dimanche. Le dernier yéti signalé à la surface de la Terre tomba un dimanche sous un coup de fusil tiré par un chasseur yougoslave. Elle estimait donc que ce plat dominical devenu une tradition constituait sa façon à elle d’ honorer la mémoire des yétis tout en profitant du repos hebdomadaire.

dimanche 15 octobre 2023

Journapalm 1525

À l’issue du voyage, elle s’est allongée dans le silence d’une crypte à l’intérieur de laquelle les eaux d’infiltration produisaient une musique douce et répétitive qui finit par l’endormir. Elle rêva de mondes merveilleux et de créatures fantastiques. À son réveil un chien s’excitait sur sa jambe en la regardant avec des yeux vides de tout. Et la semaine reprenait.

samedi 14 octobre 2023

Journapalm 1524

Léon aimait, plus que toute autre chose, les quenelles de brochet et le tiercé. Son plus grand plaisir dans la vie consistait à se préparer chaque dimanche un plat de quenelles qu’il dégustait devant la retransmission des courses à Vincennes. Son épouse délaissée a fini par le quitter pour un homme qui tenait une boucherie chevaline et qui le dimanche aimait aller déranger les pêcheurs de brochet.

vendredi 13 octobre 2023

Journapalm 1523

Chaque matin à six heures très précises, quel que soit la météo, Lucien B. sort sur son minuscule balcon avec son tuba et il se met à jouer une marche funèbre. Les voisins excédés lui ont envoyé plusieurs fois les gendarmes mais Lucien B. dont le père charmait les serpents au Caire lui a transmis le don et le tuba ensorcelle à chaque fois les hommes en bleu.

jeudi 12 octobre 2023

Journapalm 1522

L’enfant porte des culottes bouffantes qui descendent jusqu’à ses genoux marqués par des traces de corps et des cicatrices déjà anciennes. Les semelles de ses chaussures baillent et se déforment. Torse nu, chétif, sale, les côtes affleurant sous sa peau laiteuse, l’enfant se tient immobile, un gros rat mort serré entre ses mâchoires. Et ses yeux sont immenses d’un sentiment dont tu ignores tout et qui te terrorise.

mercredi 11 octobre 2023

Journapalm 1521

En dégringolant du ciel courroucé, la pluie abandonne des sillons noirs sur les façades. Des tatouages apparaissent, sorte de messages dont on ignore la portée exacte mais qui impressionnent les enfants les plus prompts à s’aventurer dehors une fois l’éclaircie de retour. Les maisons ont été numérotées par l’orage et l’incendie général procédera par une extinction méthodique : chaque bâtiment sera détruit en suivant l’ordre croissant de façon très scrupuleuse.

mardi 10 octobre 2023

Journapalm 1520

Hier soir l’Inde avait la possibilité de regarder en direction de la Lune, histoire de voir si entre deux cumulonimbus aux franges dorés elle pouvait apercevoir un scarabée national et cliquetant se poser sur la surface du satellite aux mers tranquilles. Manque de chance il y avait la retransmission d’un match de cricket à la télévision et les Indiens ont préféré le vert du cricket des pelouses intranquilles.

lundi 9 octobre 2023

Journapalm 1519

La note sur le bristol disait : « ils iront à la mort comme on va à l’usine, en rangs serrés sur des trottoirs fourmillant de bruit de mandibules ». Je l’ai relue trois fois, cherchant à y déceler un sens caché : peut-être s’agissait-il d’un message codé ? Impossible à dire et personne ne connaissait la réponse : je me retrouvais à nouveau seul face à cette fiche cartonnée posée sur la table comme un hérisson crevé au milieu de la route. Se retrouver le dernier homme en vie sur Terre n’allait décidément pas être une sinécure.

dimanche 8 octobre 2023

Journapalm 1518

Ces ténèbres ont quelque chose de rassurant et de toxique. Elles sont comme posées là, en apesanteur au-dessus du monde, toniques et élastiques à la fois. Il n’est pas question de noirceur de l’âme pas plus que de pessimisme avarié. Le noir a recouvert ce côté du monde et la pendule de la cuisine s’est arrêtée entre le tic et le toc. Mais dans les pommiers en fleurs, le rouge-gorge continue ses vocalises et dans le champ mitoyen les génisses poursuivent leur dégustation lascive d’herbes grasses. On s’habitue aux ténèbres comme à tout le reste.

samedi 7 octobre 2023

Journapalm 1517

L’accumulation des souvenirs d’une vie par derrière les tapisseries forme la couche spectrale d’un vide qui ne l’est plus tout à fait. Un espace mystérieux, à coup sûr ventripotent qui baille dans le vent et qui grince dans les couches poussiéreuses d’une maison qui n’est plus. Les images du passé sont des instantanés délavés, des résurgences adipeuses qui couinent et qui miaulent dans les interstices du quotidien

vendredi 6 octobre 2023

Journapalm 1516

À l’endroit où le canal d’évacuation se déverse dans la mer, il a planté au plus profond un mât dans le sable. Chaque matin à 8h08, il hisse les couleurs du pays aborigène et honore la mémoire des Anciens. Ce matin pourtant à l’heure dite, il ne s’est pas présenté devant le mât et aucune couleur n’a été hissée : ni le rouge de la terre, ni le jaune du soleil, ni le noir de la peau. Et les crocodiles sont restés dissimulés sous les eaux saumâtres du temps râpé à digérer benoitement.

jeudi 5 octobre 2023

Journapalm 1515

Quand on lui demanda ce qui lui ferait plaisir, son visage marqua le stop. Elle y mit toute son application. Même un examinateur tatillon du permis de conduire lui aurait dit qu’il ne faudrait peut-être pas exagérer. Alors elle se renfrogna, se gratta le crâne un moment puis les nuages quittèrent ses yeux comme le brouillard le fait parfois en ressortant de l’autre côté d’une montagne après un tunnel. On lui demanda de cesser avec ses métaphores routières. Adoptant un sourire rempli de contrition, elle finit par hocher la tête puis elle se mit à klaxonner.

mercredi 4 octobre 2023

Journapalm 1514

Ton père n’est pas un personnage de fiction. Il n’est même pas un personnage de satire ou que l’on pourrait utiliser pour une œuvre quelconque. Tu ne parviens pas à écrire ces sept lettres, huit espaces compris, sans ressentir un malaise. Ton père ne donne pas envie de lui consacrer une ligne. Et c’est peut-être la raison pour laquelle depuis plus de trente-trois ans tu remplis autant de pages. Comme des bouts d’ailleurs semés au petit bonheur en espérant qu’ils ensemencent une terre d’adoption où tu pourrais trouver refuge, serrant les dents en attendant que l’orage passe.

mardi 3 octobre 2023

Journapalm 1513

La graphomanie l’a sauvé de plusieurs infanticides putatifs.
Une descendance suicidaire rétorque qu’elle aurait préféré un aïeul plus attentif à la qualité plutôt qu’à la quantité.

lundi 2 octobre 2023

Journapalm 1512

Sujet à des crises d’angoisse et la proie d’un sommeil agité, il fut un enfant souffreteux et contrarié. Pour apaiser ses tourments, son père lui distribuait des cachets destinés aux chevaux qu’il partageait en quatre avant de les lui donner comme des sucreries.
Personne ne peut dire à quel point ses importants problèmes psychiques devenu adulte ont été causés par cette étrange médication. En revanche tout le monde sait d’où lui vient sa passion pour le tiercé.

dimanche 1 octobre 2023

Journapalm 1511

Déguisé en Bonaparte, un tricorne rouge baissé sur les yeux, le grand-père remonte l’avenue Sadi Carnot d’un pas encore leste. Dans deux minutes (précision d’orfèvrerie suisse, eu égard à la proximité du pays helvétique) un tir de mortier va pourtant le cueillir et l’envoyer valser par-dessus les barricades. Deux cent douze ans après la débâcle russe, l’armée Napoléonienne connaîtra son ultime victoire. Mais de cela, aucun historien ne parlera. L’approche scientifique de l’Histoire en exclut toute poésie alternative.