samedi 29 février 2020

Journapalm 203

Le vent commença à souffler durant la nuit, aplanissant les valons et les collines de sa râpe à bois invisible. Sur les routes les voitures se retournèrent et les arbres furent déracinés. 
En ville, les façades des immeubles n’offraient qu’une maigre protection. Les carrefours exposés en plein courant d’air se transformèrent en places d’exécution publique. Le vent y arrachait les têtes des Hommes aussi simplement qu’un décapsuleur sur une bouteille de soda. Les corps sans tête continuaient à avancer : costumes et tailleurs qui se télescopaient tandis que les têtes roulaient et s’entassaient dans les caniveaux.

vendredi 28 février 2020

Lecture : Maurice Dantec - Le théâtre des opérations

Quand on a vingt ans au milieu des années 90 et qu’on s’intéresse aux romans de Science-Fiction, on découvre le nom de Maurice G.Dantec. Enfin, bon, la littérature de genre je m’y suis surtout adonné avant mes vingt ans, puisqu’à cet âge symbolique je ne lisais plus grand-chose. Même si j’y ai souvent tourné autour, je n’ai toutefois jamais lu de roman de Dantec, pas même Les racines du mal ou La sirène rouge qui, aujourd’hui, remportent les suffrages de la critique et des lecteurs.  

Mélangeant au polar traditionnel de type série noire des ingrédients futuristes lorgnant sur les univers de Philip K.Dick (on fait pire comme référence), Dantec s’est ensuite lentement enfoncé dans des univers cyber-totalitaires mélangeant ses influences, ses délires paranoïaques et les appréhensions communes d’une génération lancée dans un chaos irréversible. Auteur critiqué, cultivant une attitude que l’intelligentsia condamnait ou portait aux nues selon le sens du vent, Dantec avait démarré à la fin du siècle précédent la publication d’un journal qu’il qualifiait lui-même de « métaphysique et polémique ». En même temps qu'il s'exilait au Canada pour choisir la société américaine dont il préférait le style de vie (il s'en explique au début de ce journal). Il succombera finalement d'une crise cardiaque à Montréal en 2016.

Le théâtre des opérations est le premier tome de ce journal, un bloc compact de 650 pages grand format dans lequel il se répand en considérations grandiloquentes et sentences définitives qui couvrent de multiples domaines (politique, économie, philosophie, littérature, géographie…) Il y revient notamment sur la guerre en Serbie qui fait alors rage, affirmant sa position sans chercher à plaire. C’est d’ailleurs une constante dans ce bouquin : il cultive le politiquement incorrect en narguant l’opinion publique, avançant des théories fumeuses volontiers provocatrices et soulignant leur caractère polémique, il se désole aussitôt que cela ne provoquera aucune réaction, constatant avec une amertume triste que finalement tout le monde se fiche de son opinion et de ses textes. Prenant partie pour tout et pour rien, dézinguant à tout va dans une attitude rappelant les délires paranoïaques d’un junkie en pleine montée, Dantec réussit toutefois à placer de temps en temps une assertion brillante, une réflexion pertinente sur notre société. Comme si au milieu de son cerveau foisonnant et ne se mettant jamais en pause, parmi des millions de pensées et d’idées foireuses, délirantes, surréalistes, négatives, résolues, suicidaires, explosives, il arrivait malgré tout à sortir quelques flèches à sauver. Sa critique de la société hédoniste et matérialiste date de 20 ans et pourtant elle met déjà le doigt sur les horreurs quotidiennes auxquelles nous nous adonnons. Dantec ne révolutionne rien, il n’a rien d’un visionnaire ni du messie 2.0 que parfois il semble vouloir incarner. Toutefois par la démesure de son propos, pour découvrir de l’intérieur un cerveau cramé par les toxicités neurochimiques des drogues et d’une société contre laquelle cet homme se battait avec son clavier, ce bouquin mérite un coup d’œil. Même si tout n'est pas toujours lucide, ni instructive, on trouve toujours une strate intéressante par laquelle découvrir le texte, l'idée ou l'homme. En laissant volontairement de côté les obsessions des polémistes écumant se demandant si Dantec était un facho ou un coco, un anarchiste de droite ou un libertaire de gauche. 

Extrait

Imperceptiblement, ce qui ne fut qu'une poignée de notes éparses rassemblées à la va-vite dans une fichier de mon ordinateur devint un "bazar du XXe siècle" dont l'origine fonctionnelle venait d'un besoin à peine conscient de mettre un peu d'ordre dans le chaos naissant de mes ouvrages, d'élaborer secrètement un travail de taupe dont la parution serait remise à un plus tard indéfini au cours du prochain siècle, et ainsi de m'engager dans la voie d'une discipline quotidienne, plus toxique encore que les toxiques dont je m'empoisonne la cervelle, discipline rigoureuse dont ne m'apparaît que plus tard, bien plus tard, à l'heure où j'écris ces lignes, à quel point elle m'est devenue nécessaire, à quel point elle menace mes propres faiblesses, exige de moi une éthique à la mesure des horizons esthétiques que j'essaie péniblement de dégager : une éthique de la lame, donc, la recherche d'une cohérence entre l'arme et l'organe, comme la fulgurance d'un sabre mise au service d'un désordre baroque, c'est-à-dire de ce méta-ordre qui surgit de la saturation et de la prolifération. 

Journapalm 202

Venu d’Italie, le loup amateur de Dolce Vita a retrouvé le chemin des plateaux cévenols. 
Au cours de son exil par-delà les Alpes enneigées, il a appris les subtilités de la Commedia dell’arte, ajoutant à sa discrétion naturelle l'art du déguisement. 
Et c’est grimé en cochon efflanqué qu’il s’est attiré la sympathie d’un fermier caussenard qui lui a ouvert les portes de sa ferme. Une fois à l’intérieur, le loup n’a eu qu’à ouvrir la gueule et à jouer de ses crocs pour jouir d’un festin très cinématographique.

jeudi 27 février 2020

Journapalm 201

Alphonse Gypaète appartenait à ces gens que l’on dit de la vieille école. En épousant Florence Barbus, fille de son unique concurrent, il réalisa une union fructueuse. Ils achetèrent un chalet typique savoyard et vécurent heureux jusqu’au 12 mai 2002. 
Ce jour-là, dans un accès de folie, Alphonse fracassa le crâne de ses deux enfants à l’aide d’une clé de douze. Après s’être débarrassé des corps, il adopta une attitude contrite. Quand Florence lui demanda de faire quelque chose pour les retrouver, il publia une annonce dans le journal : « Perdu deux Gypaètes Barbus – récompense. »

mercredi 26 février 2020

Journapalm 200

Antonin Deroise, originaire de l’Aude, connu pour produire des idées comme d’autres produisent des boulons : à la chaine. 
Ce matin-là, après des semaines de mise au point, il teste une bicyclette entrainée par un système de transmission multipliant par cent la poussée à effort égal. 
Un appui sur les pédales et le voilà parti. En une seconde à peine, il traverse la route. Trop vite pour freiner : il chute dans le canal du midi et coule à pic. Depuis, une petite plaque discrète signale le lieu du drame aux cyclistes qui ne la remarquent même pas.

mardi 25 février 2020

Journapalm 199

Dans le parc du Yosemite, observant l’extraordinaire verticalité d’El Capitan, Adam Adamson se dit qu’il y avait quelque chose à tenter. Après avoir réfléchi à la manière la plus spectaculaire de dévaler la formation rocheuse de 900 mètres il opta pour le base jump. 
Déposé sur le sommet d’El Capitan en hélicoptère, il sauta dans le vide. Mais avant d’avoir ouvert son parachute, il rebondit contre la falaise comme un pantin. On ne retrouva jamais son corps. D’après les indiens Ahwahnechee la falaise l’a avalé et son esprit erre maintenant dans les entrailles d’El Capitan.

lundi 24 février 2020

Journapalm 198

Quand on lui demande pourquoi il a choisi de devenir ophtalmologue, le Dr Rubens répond que c’est à cause des crapauds. 
Dans le jardin de ses grands-parents, à l’âge de huit ans, il observe deux crapauds se déplacer à la tombée de la nuit. Les amphibiens avancent mollement en se montant dessus. Mais soudain le premier bondit et apeure l’enfant qui lui assène plusieurs coups de pelle. Jusqu’à ce que le crapaud devienne une crêpe grisâtre et sanglante. Ses petits yeux continuent pourtant de rouler, comme des billes indestructibles.

dimanche 23 février 2020

Journapalm 197

Devenu vieux et éprouvant des difficultés à se déplacer, le prince d’Irlande se morfondait dans son château venté du Connemara. Ses safaris en Afrique lui manquaient, la traque du lion et de l’éléphant... Le septuagénaire devenait morose, envisageant même parfois le suicide. 
Alors ses enfants firent venir éléphants et lions par avion et les lâchèrent autour du domaine. Il y eut quelques victimes collatérales, principalement des randonneurs mais le prince d’Irlande se montrait toujours adroit un fusil entre les mains, tuant chaque lion sans coup férir.

samedi 22 février 2020

Journapalm 196

Le grizzly imprudent se décide à traverser la route puis marque un temps d’arrêt. Une odeur, un grondement de moteur… Il renifle dans l’air, attend quelques secondes. Le grondement se rapproche.
Dans un tumulte de musique hip-hop, un break Mazda passe devant lui, une planche à voile pliée sur le toit. Ici, en plein milieu du Yellowstone ! Décidément, les hommes deviennent tous fous. Dépité, le grizzly fait demi-tour et retourne se coucher quelques semaines de plus.

vendredi 21 février 2020

Lecture : Pascal Garnier - Parenthèse

Au hasard de mes pérégrinations de bouquinistes en librairies, je récupère à gauche et à droite des livres que d'autres lectures ou des articles sur le net m’ont incité à ajouter à ma LDLPPT (Liste De Lectures Pour Plus Tard) que je tiens quelque part dans un coin de ma tête ou/et sur ce blog. Tel un vieux monsieur un peu diffracté de la cafetière, j’ai mes tocs et mes manies, mes auteurs de cœur et mes étagères de livres tout autour de mon appartement pour me rassurer un peu face à l'absurdité d’un monde dont je n’ai jamais compris ni le but ni l’absence de but…. Etre ou ne pas être, thé ou café, fromage ou dessert, beatles ou stones… la dualité de l’existence et son monolithe planté au milieu sur lequel aurait été gravé MATCH NUL. Après cette bien trop longue introduction, je reprends le fil de cet avis de lecture pour parler de mes auteurs appréciés qui présentent la double caractéristique d’être assez nombreux et très différents. Derrière mon trio de champions intouchables (Jim Harrison, John Fante, Richard Brautigan) et les éternels outsiders qui les suivent (Charles Bukowski, David Vann, Raymond Carver, Larry Brown pour les anglo saxons ainsi que Michel Houellebecq, Sylvain Tesson pour les francophones) beaucoup d’auteurs… dont chez les Français, Pascal Garnier (1949-2010). 

Auteur de nouvelles et de romans policiers, de romans de jeunesse et de romans que je qualifie de naïfs synthétiques (une qualité partagée avec Brautigan) Garnier a laissé derrière lui des bouquins noirs teintés d’un humour décalé. Tour à tour édité chez POL, Fleuve noir et pour finir chez Zulma dans des bouquins aux maquettes toujours superbes, j’essaye de satisfaire ma manie de collectionneur psycho rigide en les acquérant et surtout en les lisant tous. Parenthèse était le dernier qu’il me manquait. C’est donc maintenant terminé, je ne pourrais jamais que relire Pascal Garnier. Ce qui est tout de même une sacrée consolation quand on connait l’efficacité de la plupart de ses romans (surtout les derniers, il est parti trop tôt). Dans Parenthèse il évoque le destin de trois femmes tondues à la libération dont les destins vont se retrouver mêlés bien des années plut tard, une fois devenues des mères de famille qui retrouvent les lieux de l’infamie subie. Je n’ai pas été emporté dans le flux narratif comme cela était généralement le cas avec d’autres livres de Garnier. Les saupoudrages de flashbacks m’ont un peu éloigné de l’histoire du fils de l’une de ces trois femmes qui, après une existence de larcins et de coups pendables, va commettre une boulette de trop. Comme toujours dans les bouquins de Garnier, on partage le quotidien de gens simples, des sans grade, parfois même des ratés sur lequel l’auteur braque un projecteur humaniste et dénué de complaisance. 

 Pascal Garnier – Parenthèse (PLON)

Journapalm 195

En bas, les arbres lui cachaient la vue. Montée sur le faîte de toit, la petite fille regarda à nouveau : les collines dissimulaient l’horizon. Le dimanche avec son père, elle randonnait dans les montagnes. Mais les nuages bouchaient la vue. Comme dans les avions qu’elle prenait de temps en temps l’été. 
Plus tard, devenue astronaute elle tenait sa revanche. Catapultée dans l’espace, elle verrait enfin ce qu’on lui cachait depuis toujours. Mais dès sa première mission, une étincelle causa une explosion sur le pas de tir. Sa navette et ses occupants furent volatilisés.

jeudi 20 février 2020

Journapalm 194

Quand le quotidien se racornissait comme du papier d’emballage resté trop longtemps ouvert, il rêvait de San Francisco. 
Il pensait au Golden Gate, à la baie, aux fleurs sur la colline, aux Cable Cars et à la Ford Mustang qui course la Dodge Charger dans Bullitt. 
Longtemps il en rêva avant de se payer le billet. Arrivé sur place il a dormi dans un hôtel miteux, partageant son lit avec des cancrelats, réveillé par les cris des toxicos en train de se piquer sous sa fenêtre. Et les bagnoles, toutes Coréennes, ne décollaient jamais dans les rues.

mercredi 19 février 2020

Lecture : Gérard Oberlé - Heptaméron avec chardonnay

Ami de Jim Harrison, amateur de fous littéraires, bibliophile averti, expert près la cour d’appel, amateur de bonne chère et de bons crus, vice consul de Patagonie, Gérard Oberlé se rend aussi (et donc ?) responsable d’écrire des livres. Publié en 2019 chez Grasset, Heptaméron avec chardonnay est un recueil truculent et enthousiaste de sept nouvelles qui partagent un point commun : le chardonnay. On aurait pu trouver titre moins en raccord avec le propos... Chassignet, le personnage récurrent des romans d’Oberlé effectue son retour dans ce recueil. Nul besoin toutefois d’être un érudit en bouquin du vice consul de Patagonie pour apprécier ce personnage ainsi que les situations le mettant en scène. 
Des histoires qui mêlent des ambiances et des personnages de la campagne bourguignonne ou franc-comtoise n’oubliant jamais l’alpha et l’oméga de l’auteur : les livres et le vin. On ressort de cette lecture comme après un agréable repas agrémenté de bons cépages servis à température idoine et dégustés en bonne compagnie. J’y ai même retrouvé une histoire de vengeance de chef amérindien et d’oiseau dont il fait son allié qui bien sûr ne peut qu’évoquer l’univers de l’immense Jim Harrison. Il y a pire comme amitié littéraire. 

Et pour le plaisir de l’écoute, le rappel de l’émission « La grande librairie » consacrée à ce livre en 2019. 

Extrait:
"Monsieur Galmiche était une très vilaine bête que j’ai un peu fréquentée ces dernières années. J’avais reçu, il y a trois ou quatre ans, une lettre brève et sans gêne signée Professeur Justin Galmiche : « Monsieur, je viens d’apprendre que vous possédez un exemplaire duRecueil des Ordonnances de la Franche-Comté de Jean Petremand publié à Dole en 1619. Je vous serais reconnaissant de le mettre à ma disposition pour quelques mois. Cet ouvrage renferme des informations dont j’ai besoin pour compléter un travail en cours. Cordialement. »
J’allais répondre du tac au tac que je n’étais pas une bibliothèque de prêt, mais l’aplomb du bonhomme avait éveillé ma curiosité. Le mandement portait l’adresse d’un lieu-dit perdu dans les collines surplombant Saint-Honoré-les-Bains, une adresse insolite pour un spécialiste de régionalisme franc-comtois. J’ai répondu avec la plus jésuitique déférence que j’étais très heureux d’obliger un chercheur et qu’il pouvait prendre le livre chez moi à sa convenance. 
Trois jours plus tard, j’ai reçu un nouveau billet, tout aussi laconique et comminatoire : « Je vous remercie, monsieur, mais je m’absente rarement. Veuillez, s’il vous plaît, déposer l’ouvrage à mon domicile. Cordialement, Professeur Justin Galmiche. » J’ai apprécié le s’il vous plaît. J’étais impatient de voir à quoi ressemblait l’olibrius. Dans la semaine j’ai piqué un galop en direction de Saint-Honoré et des premiers reliefs du Morvan. Après m’être fourvoyé sur des petites routes mal signalisées, j’ai fini par atteindre la tanière du despotique sieur Galmiche. C’était une grande et coquette bâtisse bourgeoise en brique claire avec des pierres angulaires apparentes, le genre de nid douillet que les marchands de biens appellent maison de maître. Des curistes aisés et des médecins de l’établissement thermal se sont payé des manoirs de ce style sous le Second Empire, après que les sources de Saint-Honoré furent déclarées d’utilité publique. Enfouie dans une clôture très compacte de thuyas, de lauriers et de troènes, une ancienne grille en fer forgé indique l’entrée. Sur un des piliers, une plaque de cuivre étincelante annonce « Galmiche et sonnez s.v.p.» "

Journapalm 193

Vivant en lisière de forêt sans cueillir de champignons, il s’est mis à collectionner les paradoxes. Il n’avait que douze ans. Bientôt il s’étonna du nombre de faits étranges que la vie quotidienne mettait en relief. Alors à quatorze ans il s’est mis à collectionner les coïncidences. Après plusieurs crises de démence après l’âge de seize ans, on l’a placé dans un centre de soins psychiatriques. Ce n’était pas un chouette cadeau d’anniversaire. 
Après trente ans d’internement, il ne sait toujours pas s’il doit considérer son existence comme une suite de paradoxes ou de coïncidences.

mardi 18 février 2020

SoRichard : deuxième jet terminé

25 jours et 305 000 signes plus tard, l'écriture du deuxième jet de "SoRichard" est terminée. 
Après une première quinzaine de février studieuse avec des réveils  quotidiens à 4h30 pour écrire, j'ai donc terminé plus tôt que prévu cette phase de réécriture. 

Je vais profiter d'une semaine de vacances à la fin du mois pour relire ce manuscrit et préparer le troisième jet qui sera écrit en mars. Après un nouveau cycle de relectures et de corrections, le roman devrait être disponible courant juin. Il sera plus court que les précédents mais il clôturera un cycle de quatre romans dont les thèmes s'entrecoupent.

Journapalm 192

Lui dit qu’il n’est pas méchant. Peut-être, mais foncer sur les voitures stationnées tête la première et rebondir sur la portière ne constitue pas un comportement normal, même pour un chien recueilli dans un refuge pour animaux maltraités. Sa précédente propriétaire a été euthanasiée après qu’on découvrit qu’elle le frappait. 
Une association gouvernementale a décidé de mener une enquête contre le vieil homme. On l’accuse de ne pas suffisamment bien s’occuper de son chien fou. D’après la loi animaliste de 2022, il s'expose à une peine de deux ans en centre de réhabilitation.

lundi 17 février 2020

L'extrait du... 17 février

"Et à cause de ce fils de pute,
Franz Josef d’Autriche…
Et à cause de fils de pute de Napoléon Barbiche….
On a collé Aldington sur la Colline 70, dans une tranchée
creusée à travers les cadavres 
Avec un tas de gosses de seize ans
Réclamant à grands cris après leur mère,
Et il envoya un mot à son commandant :
Je peux encore tenir dix minutes
Avec mon sergent et une mitrailleuse.
Et on le réprimanda pour légèreté.
Et Henri Gaudier y est allé,
et l’on l’a tué,
Tuant ainsi une bonne masse de sculpture,
Et ce vieux T.E. Hulme y est allé,
Emportant un tas de bouquins de la bibliothèque,
London Library, et un obus les enterra dans un trou,
Et la bibliothèque exprima son agacement.
Et une balle le frappa au coude
…après avoir traversé le type qui était devant lui,
Et il lut Kant à l’hôpital de Wimbledon,
dans l’original,
Et le personnel de l’hôpital n’aimait pas ça."


Ezra Pound - Les Cantos - XVI (trad.Yves Di Manno)

Journapalm 191

Les reportages s’enchainaient sans temps mort, les intervenants s’exprimaient sans fausse note. Pour son neuf cent soixante-quatrième et dernier journal télévisé, Léopold Sagnier s’apprêtait à partir sur un succès, à l’image de l’ensemble de sa carrière de présentateur. Il mit de côté sa dernière fiche et annonça la météo en prenant conscience que cette fois, la fin approchait pour de bon. 
Entre les prévisions de températures et de précipitations, la présentatrice dégrafa de son dos un 38 Spécial à canon court et se fit sauter le caisson en direct. L’audience monta comme jamais.

dimanche 16 février 2020

Journapalm 190

Tapie dans un massif de buis au cœur de la nuit, la bête attend le passage des coureurs. Elle renifle les corps, entend les respirations, décrypte les lumières des frontales. Ils courent en file indienne sur le sentier à flanc de ravin, à deux pas de sa tanière. Littéralement. Deux pas. Ce qu’il lui faut pour s’y réfugier après avoir bondi et, d’un geste précis, agrippé le coureur entre ses pattes. 
Au fond de son abri, la bête mastique le coureur démembré. Déçue de constater qu’avec l’explosion du bio, ses proies sont de moins en moins grasses…

samedi 15 février 2020

Journapalm 189

Muni de son large filet, il part chasser les papillons entre deux rediffusions d’une série américaine minable. Depuis qu’il a quitté Lyon pour la campagne normande, il a l’impression de revivre. Même quand il pleut, même le dimanche quand rien ne survient. Sa femme ne l’a pas suivi, ses enfants lui ont dit d’aller se faire voir. 
Il a malgré tout choisi l’exil comme d’autres prennent une maîtresse. Il ne voulait pas d’une autre femme, ni d’une autre ville, juste d’un coin à papillons. Et le samedi aller marcher vers les falaises d’Étretat.

vendredi 14 février 2020

Journapalm 188

Chez les Deluc, on pratique la taxidermie de père en fils. Gérard ne pouvait y échapper depuis que son frère Fabrice a préféré élever des saumons en Irlande. Le charme des filles locales aux taches de son et aux grandes chevelures de feu… 
Gérard a appris la taxidermie comme d’autres apprennent les tables de multiplication. Époux malheureux d’Isabelle qui n’est ni aimable ni rousse, sans enfant possible, Gérard observe sa collection personnelle de renards, lapins, mulots, loups, blaireaux empaillés dans son atelier. En se disant qu’il y ajouterait bien sa femme.

jeudi 13 février 2020

Journapalm 187

Le mardi c’est piscine. Tous les autres enfants adorent le mardi. Lui, il s’inquiète. Les corps maigres et laiteux en file indienne et maillots de bain… Lui, il dépasse un peu, essaye de se cacher. Quand arrive son tour, il pense à Steve McQueen qui s’apprête à sauter à moto le grillage de la Grande Évasion. Mais quand devant tout le monde l’instituteur lui rappelle d’enfiler ses brassards, c’est comme si la maman de McQueen débarquait sur le tournage pour lui demander de mettre un casque.

mercredi 12 février 2020

Lecture : Régis Jauffret - Sévère

Inspiré d’un fait divers (l’assassinat du banquier Edouard Stern), Sévère est un roman SM. Deux personnages, 168 pages pour raconter la relation sado masochiste et amoureuse entre une femme libertine et un puissant financier. Relation amoureuse ? Chaque lecteur se fera son idée en fonction de ses mythologies personnelles…

Dans ce court roman sec, Régis Jauffret déploie son talent pour les tourments et les noirceurs de l’âme humaine. Je ne connaissais que le Jauffret des Microfictions; genre dans lequel il excelle mais que non il n’a pas inventé, contrairement à ce que racontent plusieurs éditorialistes et gratte papier de pacotille. 

Dans Sévère, par la nature même du livre, l’auteur ne déploie pas le riche éventail comique et même absurde des situations, des tons et des genres des mille pages de ses Microfictions. Sévère est un livre beaucoup plus mono maniaque et il est écrit dans un style qui fait écho à la violence des sentiments et des rapports qui lient dominant(e) et dominé(e). Et ce qui fonctionnait à merveille dans les pages incroyablement riches de son recueil de microfictions ne peut pas être appliqué ici. J’y ai par conséquent lu un roman sec mettant en scène deux personnages froids et plutôt antipathiques, ce qui n’est certes pas un défaut, mais qui a contribué à me laisser à la lisière de la forêt.
Je n’ai pas vraiment été absorbé par cette lecture rapide aux phrases volontairement courtes et simples. L’effet est certes réussi, le bouquin plutôt efficace dans son genre mais tellement froid et distant que j’en suis resté à la surface. Et puis ça tourne un peu à vide avec la sensation de relire une scène déjà lue quelques pages plus tôt. Un quart du livre aurait ainsi pu être évité sans que cela ne nuise à la compréhension ni à la caractérisation des deux personnages principaux. Je n’y ai pas trouvé l’humour ou l’horreur (encore moins les deux emmêlés) d’une démence sanguinaire. Quelque chose à même de calmer mon petit besoin de violence quotidienne. Quelque chose de suffisamment décalé pour alimenter mon petit besoin de folie exotique. Sévèrement sur ma faim donc.

Extrait
"Je l'ai rencontré un soir de printemps. Je suis devenue sa maîtresse. Je lui ai offert la combinaison en latex qu'il portait le jour de sa mort. Je lui ai servi de secrétaire sexuelle. Il m'a initiée au maniement des armes. Il m'a fait cadeau d'un revolver. Je lui ai extorqué un million de dollars. Il me l'a repris. Je l'ai abattu d'une balle entre les deux yeux. Il est tombé de la chaise où je l'avais attaché. Il respirait encore. Je l'ai achevé. Je suis allée prendre une douche. J'ai ramassé les douilles. Je les ai mises dans mon sac avec le revolver. J'ai claqué la porte de l'appartement..."


Journapalm 186

Ils disent que l’Australie flambe. Ceux qui l’ont allumée accusent le réchauffement planétaire, ça les arrange. Ce n’est pas la faute d’une caste ou des populations, puisque c’est global, ça nous tombe dessus comme la fiente d’un oiseau à la con.
Février et les températures se déguisent en bourgeons printaniers... De ma fenêtre j’aperçois un ciel couleur Arizona et un soleil orange qui gonfle les branches nues des arbres efflanqués. Derrière ma fenêtre je rêve de loups et de forêts sombres.

mardi 11 février 2020

Journapalm 185

Encombrements du vendredi soir.  Bouchons sur l’autoroute. File d’attente à l’achat des forfaits hors de prix. Encombrements pour prendre les œufs. Bouchons aux remontées mécaniques. File d’attente à la caisse du supermarché. Encombrements pour revenir du supermarché. Bouchons à cause de la neige. File d’attente pour repartir skier. Encombrements pour faire le plein. Bouchons pour rentrer. File d’attente à la machine à café le lundi matin. 
Mais au moins il peut raconter ses vacances de rêve à la montagne et se sentir comme les autres.

lundi 10 février 2020

Journapalm 184

Apprenant que le ferry assurant la liaison entre Zeebrugge et Rosyth ne transporte plus de passagers depuis plus de dix ans, je me suis senti soudain très vieux. Il faut croire que j’ai abandonné plus que de simples souvenirs dans cette traversée de nuit pour rejoindre l’Écosse au petit matin. Quinze ans ça vous file entre les doigts en un instant, surtout quand la brume se lève sur le Loch Ness. Il ne reste alors plus qu’une vieille photo vaguement gondolée par les embruns. 

L'extrait du... 10 février

"Tu songes de temps à autre à Lambeaux. Tu as la vague idée qu'en l'écrivant, tu les tireras de la tombe. Leur donneras la parole. Formuleras ce qu'elles ont toujours tu.
Lorsqu'elles se lèvent en toi, que tu leur parles, tu vois s'avancer à leur suite la cohorte des bâillonnées, des mutiques, des exilés des mots...
ceux et celles qui ne se sont jamais remis de leur enfance...
ceux et celles qui s'acharnent à se punir de n'avoir jamais été aimés...
ceux et celles qui crèvent de se mépriser et se haïr...
ceux et celles qui n'ont jamais pu parler parce qu'il n'ont jamais été écoutés...
ceux et celles qui qui ont été gravement humiliés et portent au flanc une plaie ouverte...
ceux et celles qui étouffent de ces mots rentrés pourrissant dans leur gorge...
ceux et celles qui n'ont jamais pu surmonter une fondamentale détresse ..."

Charles Juliet - Lambeaux (Folio)

dimanche 9 février 2020

Journapalm 183

Je suis né dix ans jour pour jour après Dan Brown. En 1996 l’auteur américain a arrêté d’enseigner pour déménager à Tokyo, Japon et  j’ai arrêté mes études pour déménager à Lyon, France. En 1998 il a publié son premier roman. Si l’on en croit la conjonction des astres j’aurais dû publier le mien en 2008. Et je me dis que c’est là que les choses ont commencé à foirer pour moi. Avant d’apprendre que Brown a chanté au début des années 90 une chanson intitulée if you believe in love. Quel soulagement de ne pas avoir suivi ses traces ! 

samedi 8 février 2020

Journapalm 182

On lui a dit qu’à Rotterdam elle trouverait le plus grand port européen et qu’elle aurait tout loisir de s’évader le long de ses 42 kilomètres de quais. Marathonienne, ça lui parlait 42. Elle a donc mis les voiles pour Rotterdam, un jour pluvieux, à bord de sa Polo brinquebalante.
Elle a détesté Rotterdam et son port dont ne s’évade pas ; cap sur Amsterdam ! Marchant dans la ville, elle s’est arrêtée devant l’hôtel Prins Hendrik. On était le 13 mai : un trompettiste jouait un air mélancolique de Chet Baker en sa mémoire. Là elle s’évada enfin. 

vendredi 7 février 2020

Journapalm 181

Derrière son bureau, une porte dérobée permettait d’accéder à une cave avec terre battue au sol, température constante toute l’année et hygrométrie adaptée. Il y stockait ses bouteilles dans des casiers, classées par appellation et par millésime. 
Mais quand les médecins lui annoncèrent qu’il devait renoncer au vin, il noya son chagrin dans les mots. Il vendit son trésor et dans la cave, remplaça ses bouteilles par des livres. 
Certains soirs de vague à l'âme, il venait encore parfois tourner ses livres comme autrefois il tournait ses bouteilles. 

jeudi 6 février 2020

Journapalm 180

Le réveil le surprit alors qu’il chutait de l’Empire State Building. Dans son rêve il ne trouvait jamais King Kong et demandait à parler au responsable. Bien que légitime, sa colère ne lui ressemblait pas. Il la sentait bien monter en lui sans la reconnaître. Il ouvrit les yeux et siffla ses pensées. Sur la table de nuit il était 6h50. 
Après la douche il s’habilla mais impossible de dénicher une paire de chaussures, aucune ne lui convenait. Il décida donc de se rendre au bureau pieds nus. Il rejetterait la faute sur King Kong. 

mercredi 5 février 2020

Journapalm 179

Dans la salle des pas perdus, elle sacrifie au rituel des allées et venues incessantes, tournant sur elle-même à la façon d’un derviche perdu. D’autres corps autour d’elle émettent des signaux corporels équivalents, tout est question de trajectoires et d’évitements. 
Pourtant, à l’écart sous un œil de bœuf par lequel la lumière matinale pénètre dans la salle à la hussarde, un homme attend, impassible. Il étudie une fissure dans le mur. Et en l'observent, elle ressent l’intime conviction que cet homme-là sera, ce soir, le seul libéré du quotidien.

mardi 4 février 2020

Journapalm 178

En attendant Gertrude, il tourne dans les rayons d’une librairie du vieux Lyon. Ou tout du moins ce qu’il pense être le vieux Lyon. Il ne s’y connait guère en matière de datation citadine et son sens de l’orientation approximatif ne s’est jamais accordé avec la géographie de la cité des Gaules. 
Les rayonnages de la librairie le rassurent, ils dessinent l’unique cartographie ayant un sens au cœur d’une vie qui en manque cruellement. Lorsqu’il aperçoit un petit livre vert façon pomme Granny Smith portant le nom de Gertrude sur la couverture, il comprend que sa quête prend fin. 

lundi 3 février 2020

L'extrait du... 3 février

"J'ai marché, marché, l'esprit en mode primal, vide de toute pensée à l'exception d'une seule : aller de l'avant. J'ai continué jusqu'à ce que mon corps se rebelle et que je ne puisse plus mettre un pied devant l'autre. Alors j'ai couru."

Cheryl Strayed - Wild (10/18 - Trad. Anne Guitton)

Journapalm 177

Alphonse Allais aurait apprécié cette petite bourgade où les trains les plus modernes desservent la gare toutes les quinze minutes. Les voyageurs y descendent sur un quai nu, sans façade de briques ni mur publicitaire. La première chose que l’on distingue en sortant du wagon silencieux, c’est le ciel. C’est rare ça, le ciel, de nos jours. Et juste après on aperçoit une prairie où broutent quelques vaches blanches tachées de noir (à moins que ce ne soit le contraire). Voilà, c’est la ville à la campagne (ou le contraire). 

dimanche 2 février 2020

Journapalm 176

Il n’aime pas le dimanche. Enfin dans le dimanche, c’est surtout le lundi qui déraille. Si l’on reportait la messe du dimanche au lundi, les gens y retourneraient peut-être, ça leur donnerait une bonne occasion de se remettre à croire en quelque chose. Le ministère du travail serait bien forcé de donner son absolution aux absents du lundi matin.
Il oublie ces pensées aberrantes quand son voisin de rang hurle de joie au passage sur la ligne de Fleur des Émirats, la pouliche donnée à dix-huit contre un dans la troisième. Foutu dimanche, réagit il, encore perdu !

samedi 1 février 2020

Journapalm 175

Il ralentit devant une station-service au milieu d’une zone désertique. Plus désertique encore que la plaine de la Crau d’avant les téléphones portables. Des murs lépreux, des panneaux publicitaires délavés par le soleil et le tout qui mijote sous un soleil éreintant. Un décor de film, ou de roman de Djian.
Il entre dans la boutique, cherche la jeune fille en jupe courte et au regard tentateur qui va avec le décor. Derrière le comptoir une vieille matrone moustachue le dévisage. 
Mais où est la fille sexy ?
Alors la sorcière lui balance un magazine porno à la figure.