Quand on a vingt ans au milieu des années 90 et qu’on s’intéresse aux romans de Science-Fiction, on découvre le nom de Maurice G.Dantec. Enfin, bon, la littérature de genre je m’y suis surtout adonné avant mes vingt ans, puisqu’à cet âge symbolique je ne lisais plus grand-chose. Même si j’y ai souvent tourné autour, je n’ai toutefois jamais lu de roman de Dantec, pas même Les racines du mal ou La sirène rouge qui, aujourd’hui, remportent les suffrages de la critique et des lecteurs.
Mélangeant au polar traditionnel de type série noire des ingrédients futuristes lorgnant sur les univers de Philip K.Dick (on fait pire comme référence), Dantec s’est ensuite lentement enfoncé dans des univers cyber-totalitaires mélangeant ses influences, ses délires paranoïaques et les appréhensions communes d’une génération lancée dans un chaos irréversible. Auteur critiqué, cultivant une attitude que l’intelligentsia condamnait ou portait aux nues selon le sens du vent, Dantec avait démarré à la fin du siècle précédent la publication d’un journal qu’il qualifiait lui-même de « métaphysique et polémique ». En même temps qu'il s'exilait au Canada pour choisir la société américaine dont il préférait le style de vie (il s'en explique au début de ce journal). Il succombera finalement d'une crise cardiaque à Montréal en 2016.
Le théâtre des opérations est le premier tome de ce journal, un bloc compact de 650 pages grand format dans lequel il se répand en considérations grandiloquentes et sentences définitives qui couvrent de multiples domaines (politique, économie, philosophie, littérature, géographie…) Il y revient notamment sur la guerre en Serbie qui fait alors rage, affirmant sa position sans chercher à plaire. C’est d’ailleurs une constante dans ce bouquin : il cultive le politiquement incorrect en narguant l’opinion publique, avançant des théories fumeuses volontiers provocatrices et soulignant leur caractère polémique, il se désole aussitôt que cela ne provoquera aucune réaction, constatant avec une amertume triste que finalement tout le monde se fiche de son opinion et de ses textes. Prenant partie pour tout et pour rien, dézinguant à tout va dans une attitude rappelant les délires paranoïaques d’un junkie en pleine montée, Dantec réussit toutefois à placer de temps en temps une assertion brillante, une réflexion pertinente sur notre société. Comme si au milieu de son cerveau foisonnant et ne se mettant jamais en pause, parmi des millions de pensées et d’idées foireuses, délirantes, surréalistes, négatives, résolues, suicidaires, explosives, il arrivait malgré tout à sortir quelques flèches à sauver. Sa critique de la société hédoniste et matérialiste date de 20 ans et pourtant elle met déjà le doigt sur les horreurs quotidiennes auxquelles nous nous adonnons. Dantec ne révolutionne rien, il n’a rien d’un visionnaire ni du messie 2.0 que parfois il semble vouloir incarner. Toutefois par la démesure de son propos, pour découvrir de l’intérieur un cerveau cramé par les toxicités neurochimiques des drogues et d’une société contre laquelle cet homme se battait avec son clavier, ce bouquin mérite un coup d’œil. Même si tout n'est pas toujours lucide, ni instructive, on trouve toujours une strate intéressante par laquelle découvrir le texte, l'idée ou l'homme. En laissant volontairement de côté les obsessions des polémistes écumant se demandant si Dantec était un facho ou un coco, un anarchiste de droite ou un libertaire de gauche.
Extrait :
Imperceptiblement, ce qui ne fut qu'une poignée de notes éparses rassemblées à la va-vite dans une fichier de mon ordinateur devint un "bazar du XXe siècle" dont l'origine fonctionnelle venait d'un besoin à peine conscient de mettre un peu d'ordre dans le chaos naissant de mes ouvrages, d'élaborer secrètement un travail de taupe dont la parution serait remise à un plus tard indéfini au cours du prochain siècle, et ainsi de m'engager dans la voie d'une discipline quotidienne, plus toxique encore que les toxiques dont je m'empoisonne la cervelle, discipline rigoureuse dont ne m'apparaît que plus tard, bien plus tard, à l'heure où j'écris ces lignes, à quel point elle m'est devenue nécessaire, à quel point elle menace mes propres faiblesses, exige de moi une éthique à la mesure des horizons esthétiques que j'essaie péniblement de dégager : une éthique de la lame, donc, la recherche d'une cohérence entre l'arme et l'organe, comme la fulgurance d'un sabre mise au service d'un désordre baroque, c'est-à-dire de ce méta-ordre qui surgit de la saturation et de la prolifération.
Mélangeant au polar traditionnel de type série noire des ingrédients futuristes lorgnant sur les univers de Philip K.Dick (on fait pire comme référence), Dantec s’est ensuite lentement enfoncé dans des univers cyber-totalitaires mélangeant ses influences, ses délires paranoïaques et les appréhensions communes d’une génération lancée dans un chaos irréversible. Auteur critiqué, cultivant une attitude que l’intelligentsia condamnait ou portait aux nues selon le sens du vent, Dantec avait démarré à la fin du siècle précédent la publication d’un journal qu’il qualifiait lui-même de « métaphysique et polémique ». En même temps qu'il s'exilait au Canada pour choisir la société américaine dont il préférait le style de vie (il s'en explique au début de ce journal). Il succombera finalement d'une crise cardiaque à Montréal en 2016.
Le théâtre des opérations est le premier tome de ce journal, un bloc compact de 650 pages grand format dans lequel il se répand en considérations grandiloquentes et sentences définitives qui couvrent de multiples domaines (politique, économie, philosophie, littérature, géographie…) Il y revient notamment sur la guerre en Serbie qui fait alors rage, affirmant sa position sans chercher à plaire. C’est d’ailleurs une constante dans ce bouquin : il cultive le politiquement incorrect en narguant l’opinion publique, avançant des théories fumeuses volontiers provocatrices et soulignant leur caractère polémique, il se désole aussitôt que cela ne provoquera aucune réaction, constatant avec une amertume triste que finalement tout le monde se fiche de son opinion et de ses textes. Prenant partie pour tout et pour rien, dézinguant à tout va dans une attitude rappelant les délires paranoïaques d’un junkie en pleine montée, Dantec réussit toutefois à placer de temps en temps une assertion brillante, une réflexion pertinente sur notre société. Comme si au milieu de son cerveau foisonnant et ne se mettant jamais en pause, parmi des millions de pensées et d’idées foireuses, délirantes, surréalistes, négatives, résolues, suicidaires, explosives, il arrivait malgré tout à sortir quelques flèches à sauver. Sa critique de la société hédoniste et matérialiste date de 20 ans et pourtant elle met déjà le doigt sur les horreurs quotidiennes auxquelles nous nous adonnons. Dantec ne révolutionne rien, il n’a rien d’un visionnaire ni du messie 2.0 que parfois il semble vouloir incarner. Toutefois par la démesure de son propos, pour découvrir de l’intérieur un cerveau cramé par les toxicités neurochimiques des drogues et d’une société contre laquelle cet homme se battait avec son clavier, ce bouquin mérite un coup d’œil. Même si tout n'est pas toujours lucide, ni instructive, on trouve toujours une strate intéressante par laquelle découvrir le texte, l'idée ou l'homme. En laissant volontairement de côté les obsessions des polémistes écumant se demandant si Dantec était un facho ou un coco, un anarchiste de droite ou un libertaire de gauche.
Extrait :
Imperceptiblement, ce qui ne fut qu'une poignée de notes éparses rassemblées à la va-vite dans une fichier de mon ordinateur devint un "bazar du XXe siècle" dont l'origine fonctionnelle venait d'un besoin à peine conscient de mettre un peu d'ordre dans le chaos naissant de mes ouvrages, d'élaborer secrètement un travail de taupe dont la parution serait remise à un plus tard indéfini au cours du prochain siècle, et ainsi de m'engager dans la voie d'une discipline quotidienne, plus toxique encore que les toxiques dont je m'empoisonne la cervelle, discipline rigoureuse dont ne m'apparaît que plus tard, bien plus tard, à l'heure où j'écris ces lignes, à quel point elle m'est devenue nécessaire, à quel point elle menace mes propres faiblesses, exige de moi une éthique à la mesure des horizons esthétiques que j'essaie péniblement de dégager : une éthique de la lame, donc, la recherche d'une cohérence entre l'arme et l'organe, comme la fulgurance d'un sabre mise au service d'un désordre baroque, c'est-à-dire de ce méta-ordre qui surgit de la saturation et de la prolifération.
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