mardi 31 décembre 2019

Journapalm 143

La vie superficielle ne lui convenait plus, disait-il. Il voulait voir la nature au plus profond, explorer le cœur des choses. Après deux ans de laborieuses économies, il a pris un vol pour Winnipeg, Manitoba. Deux jours dans la ville à côtoyer la civilisation puis il a gagné les plaines de l’ouest, extatique à l’idée de se confronter à une nature XXL. Comme le grizzly qui l’a surpris au détour d’une prairie et qui l’a décapité d’un coup de patte. Les petits oursons qui se promenaient avec leur père ont joué un petit moment avec sa tête. 

lundi 30 décembre 2019

Journapalm 142

Toute son existence durant, il a cherché la discrétion. Il a vécu en s’efforçant de ne jamais déranger personne. Après sa mort, on a célébré ses funérailles un dimanche 6 mai, le jour où, depuis toujours, toute la famille a l’habitude de se réunir. Personne n’a eu à poser de jour de congés pour les obsèques. Pendant la messe, du fond de son cercueil, on le sentait gêné de tant d’attention. Dans le corbillard, il s’est fait tellement petit qu’il a fini par disparaître. Les pompes funèbres cherchent toujours le cercueil. 

dimanche 29 décembre 2019

Journapalm 141

Robert Carrédos est mort ce matin. Durant toute sa vie, il ne fit montre d’aucune originalité. Pire, il versa dans l’adulation. En hommage, il appela son chat Bébert et déménagea à Meudon. Bon d’accord, il vivait à Clamart et cela ne lui couta guère. Non, le plus facile fut pour lui de se convertir à l’antisémitisme. Il suffisait de laisser trainer ses oreilles autour de lui, de devenir une sorte d’éponge et de laisser resurgir la haine naturelle que chacun porte en soi. En revanche il n’écrivit jamais aucun voyage de valable.

samedi 28 décembre 2019

Journapalm 140

Gouffres, grottes, avens, chaos, abîmes, creux : la région pullule de cavités ouvertes qui attirent adolescents en manque de sensations et touristes en manque de fantaisie. Les pouvoirs publics investissent en infrastructures pour les recevoir et embauchent régulièrement des agents d’accueil et des guides. 
Depuis deux ans toutefois le nombre de candidats est en chute libre. Plusieurs guides victimes d’accidents pendant la visite, ça fait désordre. Une paroi rocheuse a même été récemment recouverte de motifs rupestres traduits par d’éminents spécialistes : « Stop à l’invasion touristique ! Dernier avertissement avant qu’on lâche le mammouth domestique ».

vendredi 27 décembre 2019

Journapalm 139

On lui suggère. On l’interroge. On le presse. On lui signale. On l’espionne. "Alors ça vient, l’inspiration ?" 
Toujours à le pousser pour qu’il rédige leur foutu papier en lui rappelant le délai qui arrive bientôt à expiration. Avec les mêmes questions dès qu’il les retrouve au petit déjeuner, à midi, le soir. Son quotidien devient un labyrinthe dont chaque allée est occupée par un de ces tyrans à tête en point d’interrogation. 
Il n’en peut plus de cette agitation continue, aussi décide-t-il de partir pêcher. Son testament pourra attendre un jour de plus. 

jeudi 26 décembre 2019

Journapalm 138

Sourd aux avertissements de ses compagnons, le jeune homme saute dans le pré et se présente devant le taureau. Les nombreux verres de pastis jouent leur rôle anti-inhibiteur. Il se tient droit et avance lentement, les épaules en arrière, le front haut. Le taureau se montre impassible face à ses tentatives d’excitation comme cette étoffe rouge qu’il agite devant lui. L’animal continue de brouter paisiblement. L’homme insiste un peu puis décide de repartir. Quand il aura retrouvé sa lucidité, il décidera d’arrêter son apprentissage de boucher pour se consacrer à l’étude des papillons. 

mercredi 25 décembre 2019

L'extrait du... 25 décembre

"Galen effectua un cercle lent sous le soleil. Il n'y avait pas d'ombre.L'asphalte noir irradiant la chaleur. Les humains avaient créé les modes de vie les plus merdiques. Maisons de retraite, voitures, asphalte, coincés dans les déserts comme ici, des endroits où l'on ne pourrait supporter de vivre un jour de plus. Ils auraient été plus avisés de continuer à se balader tout nus sans rien inventer. Ainsi, les humains pourraient marcher vers une rivière, un lac ou un bosquet d'arbres. Ils ne seraient jamais obligés de rester debout dans un four long d'un millier de kilomètres."

David Vann - Impurs 
(Gallmeister / Trad. Laura Derajinski)

Journapalm 137

La sempiternelle magie de Noël. Les mêmes musiques, émissions, discours, messes, cadeaux, sapins, décorations, menus, conversations. Au cinquième whisky, écœuré, il tituba jusqu’à la cuisine. Saisissant le plat, il alla jusqu’au balcon sous le regard inquiet des mêmes parents, enfants, belle-mère, épouse.
- Mais qu’est-ce que tu fais, chéri ?
- Que faites-vous, Gérard ? 
Agrippant fermement le plat par les anses, il balança la dinde par-dessus le balcon. Elle plana un moment puis éclata le pare-brise d’une voiture de police. 
On se souviendrait de ce Noël. Satisfait, Gérard retourna à l’apéritif et annonça « Dinde 1, Poulet 0 ».

mardi 24 décembre 2019

Journapalm 136

Elle a transformé son handicap en force. Privée de l’odorat, elle s’est spécialisée dans les interventions que plus personne n’acceptait. Réparer les chiottes, déboucher les éviers remplis de vieux cheveux agglomérés, cartographier les égouts… Et puis ils ont automatisé tout ça, comme le reste. Des robots l’ont remplacée. Périmée, elle s’est reconvertie dans l’assassinat à la demande, ayant réalisé que depuis qu’elle ne sent plus, elle ne ressent plus rien. 
Professionnelle avisée, elle tue sans sourciller ; spécialiste du meurtre familial, surtout les nourrissons remplis de merde fraîche et les ancêtres qui puent le vieux. 

lundi 23 décembre 2019

Journapalm 135

Dans le village audois, les enfants courent en bandes désorganisées aux abords de la fête foraine. Le vent d’autan qui souffle depuis quelques jours électrise l’air et attise la nervosité. 
Augustin fête ses quatorze ans. Assis au premier rang du train fantôme qui s’élance, il ressort à l’air libre trois minutes après, le visage impassible. Descendant du wagon, il annonce que contrairement aux années précédentes, il n’a pas eu peur et qu’il va porter plainte contre le forain. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’il vient de devenir adulte. Et qu’on ne peut pas porter plainte pour cela. 

dimanche 22 décembre 2019

Journapalm 134

Il n’en pouvait plus de toutes ces idées qui assaillaient son esprit en permanence. Le réveillant la nuit, le maintenant hors du monde le jour… Devenu « Le Grand Écrivain » de tous les livres de France et dictant ses scripts à une armée d’écrivaillons marionnettes, il se sentait dans la peau du tenancier d’une maison close. Les éditeurs le pressaient d’inséminer toujours plus les rédacteurs pour commercialiser toujours toujours plus vite plus de livres. Son cauchemar a pris fin un 22 mars, jour de son rendez-vous pour une lobotomie non déclarée dans une clinique Suisse.  

samedi 21 décembre 2019

Journapalm 133

Tendant une corde d’un pic rocheux à l’autre, il se prépare à traverser. Àl’instant d’attacher son harnais, il hésite. Cette sécurité lui semble vulgaire et dénaturée. Alors il traverse sans, concentré sur son fil, plusieurs centaines de mètres au-dessus du vide. Arrivé à un mètre de son but, il regarde en bas, contemple le vide. Quelques secondes d’hésitation puis il se laisse tomber. Un choix. Une chute de quatre secondes. La durée de son ultime satisfaction : celle d’avoir choisi la fin plutôt que de la subir. 

vendredi 20 décembre 2019

Journapalm 132

Le vent a commencé à souffler dans la nuit. Certains témoins disent à 22h, d’autres à minuit. Le gendarme préposé à l’enquête a consigné les deux horaires, et tous les détails qu’il a recueillis, même les plus farfelus. Comme on le lui a appris à l’école de gendarmerie. 
Quand la femme lui a expliqué qu’elle avait vu Brutus, son taureau de plus d’une tonne se faire emporter par une rafale et monter à plus de cent mètres du sol, il a à peine tiqué avant d’écrire la déposition. Bien que la femme se déplace avec une canne blanche.

jeudi 19 décembre 2019

Journapalm 131

C’est davantage par ennui que par volonté de nuire qu’ils ont jeté des anneaux dans le port. Et puis des anneaux en plastique, ça n’allait pas faire mal à grand monde. Sauf que depuis quelques jours, un dauphin renégat fuyant le large s’était réfugié dans le port. 
Après avoir ingéré les anneaux, ceux-ci se sont agglomérés dans son estomac pour former un anneau gastrique naturel. Les semaines qui ont suivi, le dauphin a maigri et perdu ses forces, devenant une ombre. Mais les autres dauphins l’ont trouvé si beau qu’ils lui ont demandé de nager sur un podium. 

mercredi 18 décembre 2019

L'extrait du... 18 décembre

"Des hommes d'affaires balançant leur attaché case rentraient chez eux, marchant d'un pas fatigué dans les feuilles mortes. De temps en temps, un de ces cadres supérieurs soulevait d'un coup de pied un geyser de feuilles cuivrées, puis jetait un coup d’œil autour de lui, tout penaud, comme s'il craignait de se faire verbaliser pour un délit d'immaturité."

Tom Robbins - Jambes fluettes, etc. 
(Gallmeister, trad. François Happe)

Journapalm 130

Assis dans le tas de sable du jardin public, Kevin s’amuse. Il lève la main et lâche des billes au-dessus d’une colonie de fourmis en imitant le bruit d’une mitraillette avec sa bouche. Les autres enfants le regardent. Certains parents l’observent de loin, circonspects. Sa mère finit sa cigarette et le rejoint. « On y va, Kevin ? Oh non maman, encore un peu s’il te plaît. »
La mère regarde sa montre : « D’accord Kevin mais cinq minutes. » 
Le gosse renouvelle le lâcher de billes : « J’adore respirer l’odeur du napalm le matin. »

mardi 17 décembre 2019

Journapalm 129

Quand il s’est intéressé au revêtement du pont supérieur, il n’a pas compris. Ils cherchaient quoi, au juste, l’accident ? Mais le bateau a pris la mer comme ça, le pont supérieur condamné. 
Le temps a passé, ils ont traversé des tonnes d’eau et sont arrivés devant la banquise. 
Le pont supérieur n’était plus condamné. Alors les mousses ont couru comme des dératés sur ce pont trampoline en poussant des hurlements libérateurs. Les corps ont volé dans l’air, mouettes elliptiques à quatre pattes. Ils ont percé la glace en retombant et disparu là-dessous à tout jamais.

lundi 16 décembre 2019

L'extrait du... 16 décembre

"Vous vous apitoyez sur vous-même. Vous avez l'impression de rater quelque chose et vous savez pas quoi. Vous êtes tout seul à l'intérieur de votre vie. Vous avez un métier et une famille et un testament pleinement exécuté, déjà, à votre âge, parce que toute l'idée c'est de mourir bien préparé, mourir dans la légalité, avec tous les papiers signés. Mourir liquide, pour qu'ils puissent convertir en espèces. Dans le temps vous aviez les mêmes dimensions que l'univers observable. Maintenant vous êtes une miette perdue."

Don DeLillo - Outremonde (Actes Sud, trad.Marianne Véron)

Journapalm 128

Deux jours de neige plus tard, la faim le tenaille comme jamais. Il sort, contemple le spectacle : les arbres déguisés en sapins d’apparat, les cours d’eau gelés. Et le silence absolu, étouffé. Il n’entend que son estomac qui lance des gargouillis impatients. 
Dans le lac gelé, il creuse un orifice pour sa canne à pêche quand il aperçoit un corps humain dériver sous la glace. L’homme a les yeux écarquillés et plusieurs poissons affamés s’acharnent sur ce qu’il reste de son nez. 
Il soupire, il n’attrapera rien aujourd’hui. 

dimanche 15 décembre 2019

Journapalm 127

- J’étais là, dit le mendiant… je dormais. Vaguement entendu les enfants… couraient sur la place. 
- D’accord, répond l’inspecteur, mais où sur la place ? C’est important, il faut être précis. Tu as vue jouer la petite qu’on a retrouvé noyée dans le bassin ? 
Le miséreux s’est redressé avec difficulté. Même en s’appuyant sur la vitre de l’abribus, il penchait. 
- De quel bassin vous parlez exactement ? 
Regard noir du flic. 
- De celui plein de foutus boules de platanes ! 
- Alors faut être précis, inspecteur, c'est important. On dit des glomérules, pas des boules…

samedi 14 décembre 2019

Journapalm 126

Il n’aime pas vraiment ces yaourts aux fruits mais il collectionne les pièces de puzzle qu’ils glissent sous l’emballage. Une mappemonde de trois cents pièces, ça en fait des yaourts dégueulasses. En général, il les balance aux WC, profitant que sa mère soit scotchée devant la télé. Ensuite il fonce dans sa chambre et ajoute la pièce à son puzzle de mappemonde. Par le jeu des échanges à la récré, celle-ci est complète en moins de deux ans. Au soir de ses douze ans, il saute dedans à pieds joints et disparaît, quelque part du côté de l’Océanie. 

vendredi 13 décembre 2019

Journapalm 125

Quand il n’eut plus rien à manger, il considéra son chien, un setter anglais à la robe tachetée qui le regardait de ses yeux tellement humains. Tu le sais, tu es mon meilleur ami. Gorky s’assit et sa queue frotta le sol à la façon d’un plumeau. Mais tu restes là, à dormir toute la journée, tu es inutile ! Autant que je te bouffe… En plus tu n’as jamais été bon chasseur. Gorky se redressa sur ses pattes postérieures et rétorqua espèce de con, tu ne vas jamais chasser, tu regardes les jeux télévisés du matin au soir !

jeudi 12 décembre 2019

Journapalm 124

Afin d’agrémenter leurs manifestations d’un vernis bon enfant, les organisations syndicales ont accepté la proposition de la Confédération Paysanne de réintroduire le lancer de tomates pourries comme un acte militant de vindicte populaire. Le Comité National Olympique a indiqué qu’il en étudiait le caractère Olympique en vue des JO de Paris en 2024. Les motifs de mécontentement ne manquant pas, la France serait favorite de la discipline pour remporter une médaille d’or. Ce qui plongerait le pays dans une liesse lui faisant oublier tous ses griefs contre le gouvernement ; bel exemple d'alliance réussie entre syndicats et dirigeants.

mercredi 11 décembre 2019

Journapalm 123

En se tenant parfaitement au milieu de la route, il échappe aux voitures depuis quelques centaines de mètres. Posant un pied puis l’autre sur les pointillés blancs, il ne dévie pas de sa trajectoire. Les automobilistes l’évitent, non sans invectives et avertisseurs sonores. Cela ne le trouble guère, il est en mission. Explorant la chaussée comme avant lui Vasco de Gama les océans, il traque l’inconnu. Son mystère réside dans l’interruption des pointillés au kilomètre 28. Là où la route effritée devient un gouffre sans fond, aspirant à lui voitures, arbres, montagnes. Et des kilomètres de vaches. 

mardi 10 décembre 2019

L'extrait du... 10 décembre

"Je lui ai porté un toast en dévissant le bouchon du Mogen David, la bouteille brandie, et j’en ai ingurgité une lampée... Pour moi, chevaucher le Mogen David, c’est comme sauter un gorille femelle de trois cent kilos. Ce n’est pas vous qui tenez les commandes. C’est le gorille qui dit quand c’est fini. Pareil avec le vin."

Dan Fante - Les anges n'on rien dans les poches 
(éd.10/18 - trad. Léon Mercadet)

Journapalm 122

« Le Docteur Vidal fait de la merde à l’hôpital ! »
La première fois que j’ai entendu cette phrase, de la bouche d’un enfant atteint d’un cancer en rémission, elle m’a amusé. Et puis c’est devenu une rengaine que plusieurs patients ou familles de patients disaient dans mon dos, de façon discrète. Mais certains se sont mis à la prononcer devant moi, me provoquant délibérément. Alors, avec le stress des opérations, la charge de travail, ma femme qui m’a quittée pour mon comptable, j’ai craqué. Et j’ai déféqué là, dans le couloir, à même le sol.

lundi 9 décembre 2019

Journapalm 121

Chaque fois que l’enfant éternue, un village est rayé de la carte du monte. Parfois à cause d’un ouragan, parfois à cause d’un cyclone ou encore d’un tsunami. Les catastrophes naturelles se montrent d’une imagination féroce lorsqu’il s’agit de raturer la feuille A4 du monde. 
Mais quand l’enfant devenu adulte se rendra compte de son terrifiant pouvoir, il fera alors tout pour éternuer à dessein et, avec une gourmandise sadique, il regardera trembler la civilisation suspendue à ses narines. 

dimanche 8 décembre 2019

L'extrait du... 8 décembre

"Dehors, l'aube, couleur de citron, inondait les rues désertes, s'egouttait des corniches, des rampes, des échelles de secours, des bords des seaux à ordures, émettait les blocs d'ombre entre les édifices. Les réverbères étaient éteints. Arrivés au coin, ils regarderent Broadway qui semblait une rue étroite et roussie, comme si le feu l'avait vidée. 
- Je ne vois jamais l'aube, dit Marco d'une voix enrouée, sans me dire en moi-même : Peut-être... peut-être aujourd'hui."


John Dos Passos - Manhattan Transfer 
(Folio, trad.Maurice-Edgar Coindreau)

Journapalm 120

« Le père noël n’existe pas ! » 
Pourtant, tous les jours de décembre, les enfants peuvent le trouver assis sur le parvis du centre Beaubourg. Il joue des airs de rock à la guitare sèche qu’il accompagne d’un chant guttural, brusque, mais non dénué d’émotion. Quand les jeunes enfants s'étonnent  du spectacle auprès de leurs parents, ils obtiennent presque tous la même réponse : « Tu vois, le père noël n’a pas bien travaillé à l’école alors maintenant il doit chanter dans le froid pour manger ». Brisant ainsi un destin de guitariste ou de père noël. 

samedi 7 décembre 2019

Journapalm 119

Un jour on ne la retrouvera plus. Il ne servira à rien de retourner la vaste maison victorienne à colombages. On la perdra quelque part dans cet enchevêtrement borgésien qu’est devenue la grande bibliothèque installée dans le grenier. Notre mémoire à tous sera là, évadée entre deux ouvrages d’un rayon, à une hauteur respectable du sol, si près du ciel qu'il s’écrira fiel, parmi les F de l’outre Atlantique, entre Faulkner et Fante. Nous la considérerons alors comme définitivement perdue et nous nous sentirons enfin heureux. 

vendredi 6 décembre 2019

Journapalm 118

Le spectre le plus mondain du pays vit dans les coulisses du palais de l’Elysée où son enveloppe charnelle s’est éteinte un 16 février 1899. Réputé pour les circonstances de sa mort que d’aucuns jugent plus remarquables que les accomplissements de sa vie, Félix Faure n’en finit plus de hanter les couloirs et les bureaux de l’Elysée. Quand il parle politique avec d’autres fantômes de passage, il s’intéresse surtout aux premières dames mais concède que l’épisode de la fellation de Monica Lewinsky de 1998 l’a follement amusé et lui a rappelé les grandes heures de sa propre présidence.

jeudi 5 décembre 2019

Journapalm 117

Lorsque l’hiver s’installe dans les campagnes, la taupe revit. Dans l’obscurité qui précède l’aube, la brume épaisse rend la nuit plus intransigeante encore. Privés de repères, tâtonnant dans un environnement suspect, les animaux hésitent et s’inquiètent, prêtent le flanc au doute ; dangereuse hésitation. A l'inverse, entraînée depuis la naissance à une vision réduite, la taupe devient la reine des créatures de l’aube et peut alors régner sur la campagne quelques heures.

mercredi 4 décembre 2019

Journapalm 116

Appuyé sur la pièce en fer forgé représentant une navette spatiale, le jeune homme fume une cigarette. Dans vingt-quatre heures, assis au fond d’une capsule formant la partie supérieure d’un gigantesque suppositoire, il sera expédié dans l’espace. Pour la première fois de son existence, il ne s’agira plus d’un simple exercice d’entrainement. Les instructeurs et les psychologues leur ont brossé le tableau de toutes les questions et des doutes qui les assailliraient les jours d’avant. Lui, tout ce qui l’inquiète, c’est qu’on ne fume pas dans la station spatiale, même dans les toilettes.

mardi 3 décembre 2019

Journapalm 115

Un porc-épic que l’on disait écorché vif et lassé du diktat des relations conventionnelles se rendit un jour dans un centre d’épilation définitive pour s’y faire retirer ses épines. Entreprenant alors une intense vie nocturne et dissolue, il multiplia les comportements à risque en revendiquant sa différence. On le retrouva mort, embroché sur une femelle qui à défaut de lui ouvrir son cœur, déploya ses épines au moment fatidique. 

lundi 2 décembre 2019

L'extrait du... 2 décembre

"Les enfants lui avaient toujours fait peur, même quand il en était un lui-même. Ces panneaux à l'entrée des villages, Attention enfants ! comment les interpréter ? Il s'en méfiait comme de la peste. "Les enfants sont des ogres, des vampires. Il suffit de voir leurs jeunes parents, les mères aux seins taris, les pères aux mains vides pour saisir tout l'avidité de ces impitoyables cannibales. Ils nous cueillent à la fleur de l'âge et dévastent nos jardins secrets avec leurs tricycles rouges et leurs ballons pareils aux masses qu'on balance du haut des grues pour ébouler les vieux pans de murs. Ils font de nos amantes de grosses femmes qui bavotent béatement en se tâtant le ventre et de nous des idiots abrutis de fatigue poussant des caddies débordant de nourriture insipide. Ils nous en veulent d'être des nains, nous obligent à les punir puis à le regretter. Sur la plage ils jouent à nous enterrer ou creusent des trous pour nous pousser dedans. Ils ne rêvent qu'à ça, prendre notre place. Ils ont honte de nous, regrettant de ne pas être orphelins tout en nous singeant d'une façon odieuse. Plus tard ils pillent nos tiroirs, deviennent de plus en plus bêtes à mesure que leur barbe pousse, que leurs seins poussent, que leurs dents poussent. Bientôt, comme les années passées, on ne les revoit plus. Ils ne réapparaîtront que pour balancer une poignée de terre ou une rose fanée sur notre boîte et se disputer les reliefs du repas."

Pascal Garnier - Cartons (Zulma)

Journapalm 114

- Ils ont eu le temps de peaufiner leur plan. 
- Comment ça ? 
- Les visites des écoles s’enchainent au printemps. 
- Et ? 
- Àla fin des visites, les fermiers remettent à chaque enfant un petit livret sur les animaux de la ferme et des ballons. 
- Des ballons ? 
- Oui, vous savez inspecteur, des ballons  de baudruche, que les enfants emportent dans le bus ensuite.
- Je vois. Mais ça n’explique pas comment huit cochons ont réussi à voler au bout d’une corde et être confondus avec des ballons…

dimanche 1 décembre 2019

Journapalm 113

Devant l’arbre de Noël réalisé en tricot, une jeune fille s’esbaudit et approuve l’initiative écologique de l’action. Elle indique au micro de la télévision locale qu’il est important de prendre soin de la planète. De retour chez elle, elle s’installe sur son ordinateur et commande par internet ses cadeaux de Noël. Ça tombe bien, c’est Black Friday, elle achète une foule d’objets fabriqués par des gosses à l’autre bout de la planète qui seront ensuite acheminés par des avions cargos raz la gueule. Les paradoxes sont solubles dans le portefeuille.