samedi 31 octobre 2020

Journapalm 447

Les énormes traces fraiches laissées dans la neige s’enfoncent jusqu’à l’orée d’une forêt de pins remplie de dodus volatiles aux sombres atours. Aboyant depuis qu’ils ont démarré la traque, les chiens pisteurs commencent à manifester leur désapprobation en tirant sur leurs laisses dans la direction opposée. Mais le petit homme aux jambes arquées et à l’œil de verre grince ses ordres et tous avancent vers la forêt où le yéti voleur de gruyère suisse a trouvé refuge.

vendredi 30 octobre 2020

Journapalm 446

La grandeur du monde ne l’éblouit pas vraiment, aussi préfère-t-il se dissimuler dans l’interstice de l’existence, sur la face cachée du quotidien. Là, protégé par les larges épaules de l’ombre, il observe le déroulement des choses en lorgnant par le trou de la serrure : la faim, le plastique, les maladies, toutes les désolations et le chaos paraissent bien moins inquiétants de la sorte. 
Pénétrant dans l’armoire poussiéreuse de la maison de campagne, il pensait ne rester que trois semaines, juste de quoi reprendre son souffle. Mais voilà vingt ans qu’il a disparu et que personne ne s’en émeut.

jeudi 29 octobre 2020

Journapalm 445

Habitué à tout, il ne s’étonne plus de rien et parcourt son chemin au milieu du chaos en lisant l’annuaire des Hauts de Seine 1982. C’est un ouvrage un peu lourd dans ses mains racornies et que ses bras chétifs peinent à porter, un pensum répétitif mais farci d’éclairs oulipiens à défaut de chocolat. Une carte IGN lui aurait été plus utile mais son bureau n’a pas résisté au passage d’un char à voile gonflé de vent et de C4. Alors il va sur la plaine noircie de cendres dans la compagnie des noms obscurs d’un temps révolu.

mercredi 28 octobre 2020

Journapalm 444

Cathédrales écroulées, temples brûlés, synagogues rasées, mosquées dynamitées, gratte-ciels plastiqués : le paysage des villes soudain devenu horizontal, des grues ont été érigées. De hautes grues qui tracent des T jaunes et oranges dans le ciel gris. 
On les a laissées là, tendues vers le ciel comme des cierges métalliques attendant une bénédiction qui ne vient pas. Protégées par des agents de sécurité armés de fusils mitrailleurs qui enchaînent les rondes à leurs pieds, sous les regards fuyants des passants apeurés le jour, sous les regards craintifs des chiens errants la nuit.

mardi 27 octobre 2020

Rognons. 1er jet terminé

27 juillet... 27 octobre. 

353 pages. Premier jet terminé. 



Journapalm 443

L’homme-orchestre a cessé de faire croasser les grenouilles, à présent les soirs d’équinoxe il souffle dans une cornemuse et d’étranges créatures palmées quittent les rivières et les étangs saumâtres pour venir se mêler des affaires des humains. Elles ont la peau scrofuleuse et les appendices couverts de furoncles mais leurs poitrails concaves arborent tous le même badge officiel qui les dit assermentés. Dès lors nous sommes mis en demeure de leur confier nos jeunes enfants déraisonnables ainsi que nos vieux parents irrésolus.

lundi 26 octobre 2020

Journapalm 442

J’ai roulé dans la nuit de novembre où les vaches
ronflent dans les près  en rêvant de nuages fragmentés
quand les phares leur envoient des décharges 
de xénon entre les cornes
leurs pattes flanchent mais les steaks endormis résistent 
à l’appel du vide. 

Un souffle de vent nocturne puis un meuglement
surgissent du néant 
la voiture cahote le moteur ahane 
je pense aux engoulevents 
et l’ombre de Jim se dessine en surimpression
sur les frontières granitiques de la nuit.

dimanche 25 octobre 2020

Journapalm 441

Depuis son terrier sous le pont ferroviaire, il perçoit la vague rumeur du monde, étouffée et distante. Dans la chaleur souterraine, il s’endort bientôt, le cœur battant un peu trop vite et l’esprit ouvert à de multiples rêves étranges et inquiétants. Au petit matin, le bruit des moteurs le réveille en sursaut. Les sens aux aguets, l’enfant jette un œil à travers l’orifice du terrier et aperçoit les hommes avancer dans sa direction. Il voit leurs bottes lourdes dans les feuilles mortes et il entend le ronronnement de la veilleuse de gaz dans le lance-flammes qui approche.

samedi 24 octobre 2020

Journapalm 440

Réfugié sur une île du Pacifique effacée des cartes, le peintre s’adonnait à sa passion loin d’un monde moderne décérébré comme un poulet de batterie sous traitement hormonal. Fort d’un stock de milliers de toiles vierges et de centaines de pinceaux d’avance, il mangeait, dormait, peignait sans se soucier d’autre chose. Lorsqu’il fut en panne de pigment vert, celui qu’il utilisait en majorité, il piégea un perroquet et le fit bouillir pour fabriquer une teinte verte d’un incroyable rendu sur la toile. Et qui n’avait rien de volatile.

vendredi 23 octobre 2020

Journapalm 439


- Enfin voyons, rendez-vous compte ! Un éléphant n'aurait jamais pu entrer dans une motocyclette à panier adjacent ! 
- Oui, je comprends, parce qu’il serait trop gros pour y contenir… 
- Mais non ! Parce qu’en Inde, on dit « side-car » !

jeudi 22 octobre 2020

Journapalm 438

Commençant par écrire sur le désespoir dans les bas-fonds d’une ville fermée à tout sauf à l’oubli, il a attisé la colère des féministes, vent debout contre l’absence de femmes fortes dans le livre. 
Plus tard, il a écrit sur le génocide des tribus indiennes par les conquérants du nouveau monde. Personne ne s’intéressant au bouquin, mais tous commentant la réaction des féministes qui ont salué le personnage de femme forte qui portait l’œuvre… Et ceux qui la veille voulaient sa peau, à présent l’acclamaient. 
Alors il a cessé de publier pour enfin écrire ce qu’il voulait.

mercredi 21 octobre 2020

Journapalm 437

Une enfance passée à subir une instruction partisane et une éducation approximative, une activité professionnelle enchainée à un écran rempli de lignes truffées de chiffres, une carrière d’épouse et de mère dévouée à des individus pervers et égoïstes… Arrivée devant la porte du paradis, Suzanne refusa d’entrer. « Non Saint Pierre, c’est sympa mais là franchement je voudrais profiter un peu et penser à moi ». Le barbu au sceptre étincelant lui adressa un clin d’œil avant d’appeler le groom du Styx, un troll fan de blues qui emmena Suzanne derrière sa Harley Fat Boy direction l’Enfer.

mardi 20 octobre 2020

Journapalm 436

Kristof naquit dans une boulangerie du Morvan au mitan des années 70 dans une famille qui pétrissait du pain depuis six générations. Son père portait des bacchantes et des bottes en plastique blanche, sa mère des toilettes de prix achetées à Paris. Kristof aurait aimé un petit frère mais on lui expliqua que cela représentait trop d’organisation pour une si petite boulangerie. Il réclama un teckel mais comme sa mère était allergique aux poils de chien, à la place on acheta une Renault 14. Un mois après, ses parents se tuèrent sur un passage à niveau.

lundi 19 octobre 2020

Journapalm 435

Elle galopa jusqu’au château, sauta du chameau qui lui servait de monture et assomma deux gardes occupés à jouer aux osselets. Défonçant la porte vermoulue d’une pichenette, elle sauta dans l’ascenseur qui sentait la camomille et où deux hauts parleurs intégrés diffusaient du Sinatra.  Sixième étage annonça la voix de synthèse lorsque les portes s’ouvrirent. Tête en avant, sabre au clair, elle se lança dans la mêlée et envoya valdinguer plusieurs gardes en plein tournoi de ping-pong. Alors elle délivra le prince bègue, bedonnant et impuissant avec lequel elle s’échappa à dos de canard sauvage.

dimanche 18 octobre 2020

Journapalm 434

Sur les ruines d’une abbaye cistercienne, un peu avant minuit, éclairé par le halo blanc d’une puissante lampe électrique, le vieil homme fouille les décombres carbonisées à la recherche du Livre des Origines. En rond à une vingtaine de mètres autour de lui, la foule scrute la nuit et attend, impatiente et tendue. Tous savent que seul le Livre pourra les libérer des fléaux qui, se succédant depuis un siècle, ont conduit leur société sur le seuil de son anéantissement.

samedi 17 octobre 2020

Journapalm 433

Les zébrures laiteuses désertèrent le ciel du jour au lendemain. La conséquence d'un ordre supplémentaire asséné par le démiurge DonKim 6 et avec lequel il fallut se débrouiller. Privés de la présence rassurante de ces marques tracées dans le ciel qui balisaient les couloirs directionnels de leurs migrations, les hommes se sentirent désemparés. Les appareils électroniques bannis par extinction de la technologie, ils ne possédaient plus de moyens pour s’orienter, tout sens de l'orientation naturel ayant disparu depuis cent ans. Alors commencèrent les guerres de territoires les plus sanglantes du XXIVème siècle.

vendredi 16 octobre 2020

Journapalm 432

Assis au volant de sa Jeep brinquebalante, bercé par le bourdonnement sourd de son gros v6 hors d’âge, il observait les brumes aurorales descendre sur les falaises, s'insinuer dans les interstices rocheux et dériver en banderoles filamenteuses sur la forêt. Fasciné, il observait les sapins verts encapuchonnés de nuages, comme prisonniers de gigantesques cocons atmosphériques. Soudain le feu passa au vert et un connard klaxonna derrière lui.

jeudi 15 octobre 2020

Journapalm 431

Lorsqu’elle se penche devant la minuscule fenêtre format timbre-poste de sa chambre, elle imagine les prairies vallonnées qui distribuent le vert comme des milliardaires californiens à un gala de charité. Elle ne peut toutefois pas quitter son nid sans lumière naturelle, à cause de la tempête de sable qui empêche toute sortie extérieure depuis six ans. Le président de la Terre a promis que Terre 2 serait totalement habitable d’ici douze ans. Alors sur le fichier de son ordinateur, elle ajoute une croix sur le tableau de décompte de son départ.

mercredi 14 octobre 2020

Journapalm 430

Ce n’est pas de la mélancolie : dans ses souvenirs, son enfance n’a pas été une époque bénie d’insouciance heureuse. Pourtant dès les premières notes de cet air ancien, des images du lointain lui reviennent, la musique agissant comme une machine à remonter le temps. Il se souvient de ses envies d’enfant, de la façon dont il croyait que le monde fonctionnait et comment il imaginait, confusément, que sa vie tournerait. Pendant que la musique joue, sa mémoire défile, les souvenirs de dépilent et il réalise que l’idée de la mort prochaine lui semble naturelle, familière et souhaitable.

mardi 13 octobre 2020

Journapalm 429

Erwan avait tant picolé qu’il ne parvenait plus à prononcer son prénom. Allant de table en table il lâchait un borborygme en guise de présentation, plongeant les clients dans une gêne confuse. Erwan quitta le bar et rentra chez lui en bicyclette de location. Des témoins l’entendirent cracher d’obscures interjections ressemblant fortement à son prénom déformé par l’alcool et la fatigue. 
Le lendemain le journal annonça qu’on venait de repêcher dans le canal un cadavre qui selon toute vraisemblance serait celui d’un dénommé Erwenn, le pigiste échouant à son tour à orthographier correctement le prénom du défunt.

lundi 12 octobre 2020

Journapalm 428

L’ascenseur étincelant atteignit la vitesse de six étages par seconde puis dépassa les douze étages seconde. Les personnes se trouvant à l’intérieur se mirent à trembler, sentirent leurs organes lancés dans un grand huit interne, certains se mirent à vomir sur les pantalons de leurs voisins. Lorsque l’ascenseur franchit la barre des seize étages seconde, la plupart des gens perdirent connaissance ou tombèrent à la renverse en poussant des cris de bêtes. Et puis l’ascenseur perça la verrière de l’immeuble et sauta en l’air à la manière d’une puce. Soudain tout redevint calme et tranquille.

dimanche 11 octobre 2020

Journapalm 427

Ce n’est pas à cause de John Fante qu’E a voulu visiter Boulder, Colorado. C’est en tous cas ce qu’elle disait, prétendant plutôt que tout un faisceau de conjonctions la guidaient vers la ville située au pied des Flatirons. E pratiquait la course à pied et l’escalade, collectionnait les catalogues Manufrance et se laissait aller à la philatélie par nostalgie de l’enfance. Rien ne la prédestinait à venir à Boulder, au cours d’un voyage entrepris après sa séparation avec T. Et rien n’expliquait pourquoi elle décida de ne plus en repartir.

samedi 10 octobre 2020

Journapalm 426

Après l’ultime représentation, le clown enfila son pardessus élimé en poil de chameau et partit à travers les champs. Ses chaussures taille 62 aux bouts arrondis s’enfonçaient dans les sillons humides avec des « Schlaf ! » boueux et il devait lutter pour conserver l’équilibre. Derrière lui les lumières du cirque disparurent et ensuite ce furent les lueurs de la ville. Seul dans l’obscurité il trouva une route qu’il suivit, ignorant ce qu’il trouverait au bout. Allumant une cigarette, il tira dessus, sentant bien que la pluie n’allait plus tarder.

vendredi 9 octobre 2020

Journapalm 425

Cette ville aurait pu en contenir des millions d’hommes tels que lui. Et des millions d’hommes y vivaient, la plupart y survivaient plutôt, tous agglutinés dans les tunnels de ventilation, encagés au cœur de poches de Viandox humain beuglantes et avinées. Lui, il élevait des colombes sur le toit d’un immeuble de cinquante-huit étages avec Central Park en guise de bonsaï à ses pieds. Parfois, se sentant d’humeur joyeuse, il jetait dans la rue des billets verts pareils à des confettis lancés sur les astronautes de la mission Apollo. Alors en bas le chaos reprenait et le spectacle le fascinait.

jeudi 8 octobre 2020

Avis sur Buveurs de vent de Franck Bouysse

Quatrième de couv. : "Ils sont quatre, nés au Gour Noir, cette vallée coupée du monde, perdue au milieu des montagnes. Ils sont quatre, frères et sœur, soudés par un indéfectible lien.

Marc d’abord, qui ne cesse de lire en cachette.

Matthieu, qui entend penser les arbres.

Puis Mabel, à la beauté sauvage.

Et Luc, l’enfant tragique, qui sait parler aux grenouilles, aux cerfs et aux oiseaux, et caresse le rêve d’être un jour l’un des leurs.

Tous travaillent, comme leur père, leur grand-père avant eux et la ville entière, pour le propriétaire de la centrale, des carrières et du barrage, Joyce le tyran, l’animal à sang froid…"

Lorsque l’été plie bagage, emportant sable chaud et soleil implacable dans le coffre de son cabriolet rutilant 6 cylindres rageur à souhait, et que les bafouilleurs de vide emplissent leurs quotidiens scabreux de papiers vulgaires rappelant l’imminence de la rentrée littéraire, ma réaction primale (la seule authentique donc) est de m’accrocher au mur le plus proche et à paraphraser Gandalf dans cette scène du Seigneur des Anneaux où le magicien protège les arrières de la Communauté face à un dragon drôlement remonté : « Fuyez, pauvres fous ! » La suite est un peu tragique mais il s’agit d’un film, hollywoodien de surcroît, alors rien ne l’est jamais vraiment, tragique.

2020, année de pandémie ou non, nul n’échappe au bourdonnement sourd du bulldozer infâme que médias dominants, censeurs approuvés et critiques vendus aux gardiens du temple décati d’une certaine idée de la France qui a plus de plomb dans l’aile qu’une grive lâchée devant une armée de chasseurs armés de calibres rutilants dans une cage d’ascenseur, ont lancé une fois de plus sur les grands boulevards médiatiques : la rentrée littéraire.  Avec son rayon de stars autoproclamées, de têtes de gondoles qui font les beaux jours d’éditeurs aux bénéfices replets et l’armée zapatiste des écrivains nationaux qui défilent chaque année entre septembre et Toussaint sur toutes les chaines de télévision, sur toutes les stations de radio pour venir y vendre leur soupe immonde, affligeante de nullité et interchangeable. Car c’est après le départ des derniers plagistes et quand les écoliers doivent reprendre le chemin de leur fastidieux apprentissage à l’école de la République que l’écrivain français vient jouer des claquettes devant un par terre de spécialistes du néant lancés dans un concours de louanges achetées à crédit et qui résonnent aussi sincèrement que ces rires pré-enregistrés dans les sitcoms à petit budget diffusés entre deux plages publicitaires. Vous les connaissez bien, ce sont toujours les mêmes, années après années, passant d’un écran à un micro comme en d’autres lieux certaines femmes court vêtues passent d’un trottoir à l’autre. Mais tout le monde n’a pas la chance de compter sur un souteneur ayant pignon sur rue dans les beaux quartiers autour du Boulevard Saint-Germain… Alors chacun défile, aiguillonné par le rappel des chroniqueurs collaborateurs des prochaines éditions de plusieurs prix littéraires,  cette abjecte escroquerie très française, ce royaume des hypocrisies les plus basses, ce théâtre des mesquineries les plus débridées.

Parfois, néanmoins, surgit un éclair dans la grisaille assommante dans lequel est plongé le milieu littéraire français en état de mort cérébrale depuis un moment déjà. Sur le charnier géant que constitue la rentrée littéraire, il arrive qu’une plante séduisante parvienne à pousser et que son autrice ou son auteur se glisse entre les mailles du filet de plus en plus ténu de la médiocrité érigée en vertu cardinale. Cette année, l’exception se nomme « Buveurs de vent » de Franck Bouysse. Pour son écriture ambitieuse qui nous rappelle qu’en France il existe encore au moins une personne qui sait inventer un monde, des personnages, une ambiance, le tout servi par une écriture appliquée, travaillée, au cours de chapitres courts, intenses, puissants, il faut lire ce bouquin. Outre le fait d’être bon, celui-ci nous signale que la France n’est donc pas encore totalement vendue aux escrocs de l’autofiction nombriliste et mal écrite, aux tacherons dépourvus d’idée et de style (sans savoir lequel des deux leur fait le plus défaut dans cet océan de néant) qui se succèdent sur les mêmes plateaux de télévision et les mêmes émissions de radio. Il existe en France de véritables écrivains qui savent polir des phrases, s’attacher à la forme et au fond, ce qui nous change de la majorité des autres n’ayant de prise ni sur l’un ni sur l’autre. Franck Bouysse vous offre un roman qui ne sent ni le réchauffé ni le déjà vu, écrit avec classe et qui mérite la plus grande attention de la part de ceux qui se targuent d’aimer la littérature. Je vous laisse le soin d’aller lire le résumé du bouquin, ce n’est pas l’objet de cet avis. En revanche je signale que « Buveurs de vent » est le meilleur bouquin français que j’ai pu lire depuis des années. 

Merci Franck Bouysse de nous faire oublier la cohorte des innombrables smicards du style, des légions de SDF du talent. Tous ces autres pour lesquels il suffit d’écouter la radio, de lire les chroniques confondantes de vide de critiques bouffis de suffisance et de bêtise dans les journaux les plus célèbres pour obtenir la liste des nanars les plus affligeants de la rentrée. Après tout ce n’est pas très compliqué, ce sont les mêmes noms qui reviennent chaque fois… Pour ceux-ci, il faudrait pouvoir faire coïncider la rentrée littéraire avec la Toussaint, le grès des cimetières, les bourrasques qui soufflent du nord et les chrysanthèmes s’accordent bien avec ce qu’on y trouve : du néant mortifère, du vide, des chiures de pigeons souffreteux, mais absolument pas de littérature.

Journapalm 424

Invité à s’entretenir de la fracture sociale dans les villes moyennes du Nord de l’Europe, Helmut F, sociologue atteint de calvitie et de sénilité précoces se présenta sur les plateaux de la télévision publique autrichienne vêtu d’une veste de smoking, d’un caleçon décoré de petits oursons et portant aux pieds des mocassins à glands en peau de nubuck. Il se gratta la gorge puis, après en avoir expulsé une grenouille, il se lança dans une diatribe contre la politique d’urbanisation au sortir du dernier choc pétrolier. Aussitôt la régie lança la coupure publicitaire et contacta les secours psychiatriques.

mercredi 7 octobre 2020

Journapalm 423

Revêtant une pelure qui trainait dans la remise depuis de si longs mois que plus personne ne se souvenait à qui elle put appartenir, il sortit, patienta quelques instants sur le seuil et observa le ciel étrange, pas tout à fait bleu ni vraiment noir, ainsi que les cascades de glace paralysées dans le silence de janvier. Alors il se tourna, contempla une dernière fois l’intérieur de son monde miniature avant d’effectuer le premier pas dans l’abîme que dans cette parenthèse du temps on appelait l’ailleurs.

mardi 6 octobre 2020

Journapalm 422

Les chiens ont fini par investir le quartier financier de la capitale. La rumeur bruissait depuis quelques années que la révolte grondait dans les ponts inférieurs. Mais personne ne les prenait au sérieux : de vulgaires chiens, prendre le contrôle de la place financière ? Balivernes ! Pourtant il a suffi d’une poignée de Jack Russell sous amphétamines de synthèse pour dévorer le taureau d’or sculpté au pied des gratte-ciels. Et quand les symboles financiers ont commencé à tomber les uns après les autres, l’empire des hommes a vacillé.

lundi 5 octobre 2020

Journapalm 421

Il rêva de lune et de nuages jouant à cache-cache, d’enfants déguisés pour Halloween jouant à saute-mouton sur le dos d’une sorcière patiente, de loups courant sur les collines. 
Quand le jour se leva il s’éveilla, le corps perclus de courbatures. Dès qu’il bougea, il sentit les draps humides d’une substance visqueuse. Et quand il aperçut le corps de son épouse égorgée gisant du côté de son lit sous le drap couvert de sang, il comprit qu’il n’avait pas rêvé l’attaque de lycanthropie dont il fut victime durant la nuit.

dimanche 4 octobre 2020

Journapalm 420

L’enfant s’ennuie dans l’agitation des préparatifs du repas dominical. On lui a demandé d’aider mais partout où l’on élabore une partie des mets du banquet, on le chasse vertement : "ne reste pas dans mes pattes!". 
Assis au bout de la table dans la véranda, la tête posée sur les coudes, il palpe la tension qui flotte dans la maison. Rêvant de forêts, rêvant de cerfs et de sangliers, de rivières tumultueuses et riantes. 
Après un rabrouement de plus, il quitte la maison et s’enfonce dans les bois noirs, au sein du crépuscule sylvestre, le cœur léger.

samedi 3 octobre 2020

Journapalm 419

Le jour a fuité par une fente minuscule, un interstice de rien du tout qui ne ressemblait à rien de connu dans la Grande Encyclopédie des Interstices. Les plus éminents spécialistes de la question se sont réunis, venus des coins arrondis du globe et le conclave a duré plusieurs jours au terme desquels Emmanuel le Preux a pris la parole devant un parterre de journalistes affamés de réponses pour annoncer que le jour ne reviendrait plus et qu’il fallait se faire une raison, ajoutant que tout ne peut pas toujours s’expliquer et que c’est aussi bien ainsi.

vendredi 2 octobre 2020

Journapalm 418

JB trouvait le quotidien mortifère et boursouflé. Son épouse lui fit remarquer que ces mots prêtaient à confusion et qu’elle se sentait dénigrée. JB réfléchit un instant à la confusion évoquée par sa moitié et décida qu’un instant cela faisait déjà beaucoup ; à la place il ouvrit la fenêtre de son bureau et contempla la ville. Des toits, partout, des cheminées, des rangées de tuiles, du goudron, des trottoirs, des immondices, des bestioles rampantes… S’agaçant en enjambant le garde-fou, il cria « merde ! » et s’élança dans le vide d’un quotidien devenu soudain limpide.

jeudi 1 octobre 2020

Journapalm 417

Les vaches laitières du village broutaient de l’herbe grasse et garantie sans pesticides impérialistes depuis des décennies. Les villageois refusaient le désenclavement de la vallée en sabotant tous les projets de construction d’une deux voies les reliant à la préfecture. Ne se déclarant jamais vaincus, les pouvoirs publics ont donc décidé de faire cesser la circulation du train express régional qui traversait le village toutes les heures. Quand les vaches privées du passage des trains ont cessé de produire du lait, les villageois sont revenus à la table des négociations.