vendredi 31 janvier 2020

SoRichard : 2ème jet & 11 jours

Après onze jours de réécriture, j'ai atteint le premier tiers du deuxième jet de "SoRichard", nom de code du roman en cours. 
11 jours, 100 000 signes. Facile ! Bon, c'est pas l'Everest mais avec le travail alimentaire et le quotidien à gérer, c'est toujours ça de pris. L'objectif d'avoir terminé la réécriture avant la fin du mois de Février est toujours atteignable.

21/01 :   9400 signes
22/01 :   6400 signes
23/01 :   8900 signes
24/01 :   3000 signes
25/01 : 10800 signes
26/01 : 13900 signes 
27/01 :   5500 signes
28/01 :   8000 signes
29/01 :   5600 signes
30/01 :   7000 signes
31/01 : 13100 signes

Journapalm 174

Robert voulait devenir le syndicaliste le plus radical et le plus incorruptible de l’histoire. Chaque soir avant de s’endormir il lisait les livres de chevet des marxistes les plus célèbres du siècle. Chaque matin après avoir déféqué dans ses toilettes décorées de la carte d’état-major datant de l’époque bénie de Staline, il exécutait une génuflexion devant le portrait de Karl Marx accroché sur la porte. En tête des cortèges, pilier de grève jusqu’au-boutiste, il devint le cauchemar de son patron. Mais quand ce dernier lui offrit une épaisse enveloppe de billets pour baiser sa femme, il accepta.

jeudi 30 janvier 2020

Lecture : Auður Ava Ólafsdóttir - Le rouge vif de la rhubarbe

La dramaturge, poète et romancière islandaise Auður Ava Ólafsdóttir qui a passé une partie de sa jeunesse étudiante à Paris a publié un premier roman en 1998, à l’âge de quarante ans, dont le titre original Upphækkuð jörð, littéralement "Terre surélevée" n’a été traduit qu’en 2016 chez Zulma sous le titre « Le rouge vif de la rhubarbe ». C’est-à-dire après la publication en français de ses trois romans suivants.

C’est le premier contact que je noue avec cette autrice nordique. Plus le temps passe et plus j’apprécie les écrivains qui savent aller à l’essentiel et ne pas étirer leurs intrigues sur des centaines et des centaines de pages… En la matière, ce petit roman pèse moins de 160 pages, une longueur parfaite. L’histoire est celle d’une jeune fille de quatorze ans qui vit dans la campagne islandaise loin d’une mère qui travaille à l’étranger, et confiée à la garde d’une femme qui vit chichement dans ce morceau de terre isolée, et qui s’occupe en confectionnant de la confiture de rhubarbe. Inutile de chercher du suspense ou une intrigue forte dans ce court roman, il s’agit d’une œuvre qui joue sur les atmosphères douces amères, un brin mélancoliques. Le schéma narratif se résume à une succession de pièces narrées les unes à la suite des autres, pour former une sorte de patchwork à l’intérieur duquel évoluent les quelques personnages qui en constituent l’univers. L’héroïne adolescente souffre d’un problème congénital touchant ses jambes et dont on apprendra l’origine plus tard dans le livre. Elle se déplace avec des béquilles en rêvant d’escalader la montagne toute proche pour voir plus loin, métaphore évidente de son besoin d’évasion. Pour retrouver sa mère absente ? Un père inconnu ?

Auður Ava Ólafsdóttir raconte une histoire simple en décrivant des odeurs, des scènes quotidiennes, avec une émotion et des nuances qui m’ont rappelé la plume du québécois Jaques Poulin dont j’avais lu quelques livres à la fin des années 90 chez Actes Sud.
Le personnage de la mère reste un peu distant, elle envoie des lettres à sa fille qui permettent d’entretenir un lien que l’on sent un peu brisé ou tout au moins désincarné. On espère parfois que les choses vont évoluer mais finalement ce livre suit une route qui lui est propre, loin de toute considération d’efficacité ou de grand chantier littéraire. Ce n’est clairement pas l’objet de ce roman, qui offre une parenthèse d’un peu plus de deux heures pour découvrir un paysage calme et reposant, parfois un peu naïf. Un voyage immobile qui fait du bien par là où il passe.
J’ai d’ores et déjà ajouté « Rosa Candida », autre roman de Auður Ava Ólafsdóttir à ma pile de lectures en attente.

Extrait :
"Elle avait promis à maintes reprises de ne pas descendre seule traîner sur le ponton. Avec ses béquilles, elle risquait de trébucher sur les déchets de poisson et de tomber dans la mer. 
— Le ressac t’emportera, lui disait Nína.
Personne n’aurait pu imaginer qu’au lieu du ponton, Ágústína mettrait le cap sur sa plage privée. C’est qu’elle est du genre téméraire. À la voir crapahuter avec ses béquilles, on aurait pu croire le contraire. Pendant ce temps-là, Nína épluchait les pommes de terre sans se douter de rien."
(...)
"Les doigts de pied au bord extrême et les genoux tremblants de vertige. À quelques brasses au-dessous d'elle, il y a un nid d'aigle. Elle touche de l'orteil une pierre, qui hésite sur l'arête avant de basculer. L'oiseau prend lentement un essor majestueux, comme un hélicoptère de sauvetage à la recherche d'une petite fille perdue dans la montagne. Non, comme un vieux bombardier blindé. L'ombre lourde de sa voilure pèse sur elle et occulte un bref instant le soleil tout neuf. Quand on est parvenu à trente mille pieds d'altitude, les fleurs de givre s' épanouissent distinctement sur le hublot de l'avion."

(Zulma, trad.Catherine Eyjólfsson)

Journapalm 173

Nous avons décollé un 13 juillet en début de nuit. Sous le cul du Boeing éclataient les feux d’artifice de la région parisienne. Dans le silence ouaté de l’avion, des explosions muettes sans odeur de poudre brûlée, juste des champignons de couleurs qui apparaissaient et disparaissaient au hasard de l’obscurité. 
J’ai somnolé un peu et quand j’ai rouvert les yeux, je n’étais plus là. Dans le bourdonnement du moyen-courrier, nous foncions vers l’Islande et derrière les hublots, le jour éternel de l’été polaire nous attirait comme des aimants. Sans le savoir, nous quittions la France pour toujours.

mercredi 29 janvier 2020

Journapalm 172

 
Bastien n’en peut plus. Encore des haricots verts ? Mais j’en ai mangé à midi à la cantine ! Sa génitrice est inflexible, elle n’a rien prévu d’autre et ne souhaite pas chercher un légume de substitution. Elle a sa conscience pour elle : les légumes verts c’est bon pour la santé.
L’âme amère, Bastien mange ses haricots résigné et dégoûté. La nuit, lorsque sa mère sera endormie, il ira piétiner les plants de haricots dans le jardin. Mais avant de sortir, il enfilera les chaussures de son frère aux semelles bien distinctives. 

mardi 28 janvier 2020

Lecture : William Carlos Williams - Paterson

William Carlos Williams (1883-1963) fut diplômé de médecine de l’université de Pennsylvanie en 1906, puis vint en Europe y apprendre la pédiatrie à l’université de Leipzig. Ensuite il pratiqua la médecine durant quarante années dans son village du New Jersey. L’histoire pourrait s’arrêter là et si tel était le cas, personne ne parlerait plus de cet homme mort depuis soixante ans. Sauf que William Carlos Williams pratiqua en parallèle de son activité principale de médecin une intense carrière littéraire qui le vit toucher à la poésie, au journalisme, à la fiction et à l’essai.

Rompant avec ses contemporains succombant aux délices de la vieille Europe, marquant sa différence avec Ezra Pound et T.S. Eliot, Williams va tracer sa propre route qui est avant tout celle d’un homme à la recherche de ses racines. Né d’un père anglais et d’une mère portoricaine, il ne se sent pas américain dans l’âme. Est-ce ce besoin d’origines qui va le pousser à décomposer la poésie au point de la moderniser à lui seul ? Bousculant les habitudes de l’époque, il agrémente ses poèmes d’éléments du concret et ose de nouvelles métriques poétiques. L’expérimentation se faisant chez lui habitude et sacerdoce, il fonde le mouvement objectiviste. Chantre de la poésie contemporaine, il va devenir une influence revendiquée pour de nombreux auteurs de la génération suivante (dont Allen Gisberg et Gary Snyder).
Paterson, New Jersey
« Paterson » est le nom de la ville de sa région de naissance qui sera également celle de sa mort. C'est également le titre de ce qui est pour de nombreux critiques, de son œuvre phare, publiée en cinq parties entre 1946 et 1958. Traduite en France en 1981, épuisée, il faut attendre 2005 pour que les éditions José Corti la rééditent.
Il s’agit d’un très long poème qui s’étire géographiquement des Chutes du Passaic, près de Paterson, jusqu’à New York. Composé de multiples parties où les passages en vers et en prose sont enchâssés dans une sorte de montage, ce poème alterne donc la versification (scènes urbaines) et la prose (articles, extraits de journaux ou de notes, correspondance). Forme inédite de la poésie, cette façon qu’ont les deux composantes de se répondre apporte un ton résolument moderne pour lire des lignes qui ont pourtant été rédigées dans l’après-guerre. L’objectivisme de Williams prend tout son sens dans ces vers. Lu en une seule traite, le recueil souffre parfois d’impressions de redites et de longueurs qui nuisent à la qualité subjective ressentie. C’est de mon point de vue une lecture qui doit se faire en plusieurs fois, entrecoupée d’autres ouvrages, pour mesurer toute la richesse stylistique et formelle que Williams y déploie.
On devine que l’entreprise de traduction française menée par Yves di Manno en 1981 (et qui a été revue pour cette réédition) n’a surement pas été de tout repos.

Extraits

"Car il existe un vent ou l'esprit d'un vent
dans chaque livre qui renvoie l'écho de la vie
jusqu'ici, un grand vent qui emplit les conduits
auriculaires jusqu'à ce que nous croyions entendre un vent
réel 

entraîner notre esprit."
(...) 
"Le monde est le lieu d'élection du poème.
Quand le soleil se lève, il se lève dans le poème
et quand il se couche l'obscurité descend
et le poème s'assombrit, 

on allume les lampes, les chats rôdent et les hommes
lisent, lisent - ou marmonnent, contemplent
ce que révèlent les lumières minuscules ou ce
ce qu'elles cachent ou ce que leurs mains cherchent 
dans le noir. "

William Carlos Williams – Paterson 
(José Corti, trad. Y.di Manno)

Journapalm 171

 
Quinze minutes de gloire chacun, prédisait Warhol… L’homme du vingt-et-unième siècle peut brûler un cierge chaque matin en l’honneur du dieu Youtube. Le site au logo rouge ne soigne pas davantage la solitude que les pilules bleues qui réveillent ses corps caverneux mais il aide à accomplir la prophétie Warholienne. 
Celui-là qui fait des tractions dans le vide en haut d’une grue a pris le soin de régler sa caméra pour bien cadrer son exploit. Manque de chance il chute avant la quinzième minutes. Comble de malchance, sa mort sera hors cadre. 

lundi 27 janvier 2020

Journapalm 170

La tradition voulait familiale voulait qu’il aille couper un sapin de noël le premier samedi de décembre. On n’en dérogeait pas : chaque année, le premier samedi de décembre, il montait dans sa voiture, rabattait la banquette arrière et partait en forêt. 
Une année, n’y tenant plus, il dit à son épouse qu’il existait des sapins artificiels plus écologiques. Le regard qu’elle lui adressa clôtura la discussion. Alors ce samedi-là, il découpa son épouse avant de partir et l’enterra à la place du sapin qu’il préleva. Scellant un pacte avec la forêt : s’il revenait, ce serait avec son fils. 

dimanche 26 janvier 2020

L'extrait du... 26 janvier

"Plus que jamais je suis perdu dans une Europe aveugle, indifférente au sort des nouveaux apatrides. Mes rêves de capitalisme et de monde libre, de voyage et de villes des arts et des lettres sont devenus des mouchoirs en papier usagés, utiles pendant un bref instant mais gênants après l’utilisation. Rien que des cendres. J’ai échangé la fin du communisme pour le crépuscule du capitalisme."

Velibor Čolić - Manuel d'exil (Gallimard)

Journapalm 169

« Mais si tu verras on va s’amuser, y’a plein de choses à voir à Paris, y’a même un métro aérien. » 
Jérémie ne voulait pas du tout passer les vacances à Paris. Il préférait rester ici avec ses copains d’école pour faire du vélo sur leur piste. Tout de même le métro aérien l’intriguait. Il s’imagina harnaché à un fauteuil dans un wagon accomplissant loopings et tonneaux à des vitesses prodigieuses. 
Après avoir vécu de l’intérieur la réalité du métro aérien, il écrivit à son père sur la carte postale "Paris ça craint". 

samedi 25 janvier 2020

Journapalm 168

Elle voulait danser. Du soir au matin, de l’aurore au crépuscule, danser, toujours. Lui en revanche, il se sentait cruciverbiste dans l’âme et turfiste le dimanche. Il préférait côtoyer le monde de loin, comme si celui-ci portait un virus contagieux auquel il devait échapper. Elle insistait allez, emmène-moi danser et il souriait en baissant les yeux sur ses grilles force six. Elle revint tant à la charge que n’y pouvant plus il tapota furieusement sur son ordinateur puis actionna l’imprimante. Alors il récupéra la feuille et la lui tendit. Un aller simple pour l’Argentine, pays du tango. 

vendredi 24 janvier 2020

Journapalm 167

Des centaines de tables ont été rassemblées pour permettre aux spectateurs d’assister à la compétition. Beaucoup sont venus déguisés, pour l’aspect festif d’une compétition de fléchettes qui se déroule à la St Sylvestre. 
Dès qu’un joueur atteint le zéro ou réalise un 180, ses supporters éructent de joie, hurlent et chantent dans une joyeuse cacophonie qui s’interrompt dès que le joueur suivant va tirer. 
Les compétiteurs rivalisent d’adresse, ils font mouche presque à chaque coup. Soudain l’un d’eux se retourne et se met à décocher ses fléchettes dans les carotides des spectateurs. Les caméras n’en perdent pas une goutte.

jeudi 23 janvier 2020

Journapalm 166

Assis en cercle autour du feu, certains regardaient les flammes sans rien dire tandis que d’autres parlaient de tout et de rien. Ils parlaient pour le plaisir de jacasser ou parce que le silence les effrayait, qu’il leur renvoyait en pleine gueule l’insignifiance de leur condition ou qui sait quoi d’autre. Quand on prend conscience de ce que l’on n’est pas, et que l’on ne sera jamais, ça peut vous vriller. Moi je voulais juste me réchauffer près du feu et qu’on me fiche la paix. 
Et vous pensiez que c’était une raison suffisante pour les égorger ? 

mercredi 22 janvier 2020

Lecture : Raymond Carver - Débutants

L’avantage avec la littérature c’est qu’on n’en a jamais fait le tour. Même en lisant beaucoup de littérature anglo-saxonne depuis des années, je n’avais encore jamais lu d’ouvrages de Raymond Carver. Une anomalie pour un auteur réputé comme étant un père fondateur du dirty realism dont je suis friand, doublé d’un nouvelliste de renom. 

« Débutants » est un recueil de textes à part dans la bibliographie de l’auteur trop tôt disparu (1938-1988). En 1981 il publia «Parlez-moi d’amour , un recueil de nouvelles que son éditeur d’alors Gordon Lish avait copieusement amputées. Insatisfait du résultat, Carver essaya de faire republier ce recueil dans sa version originale et sans les coupures opérées par Gordon Lish. En vain… Il fallut attendre l’année 2009, pour que le vœu de l’auteur se réalise grâce à sa veuve Tess Gallagher. 
Il y a dans ce recueil 17 nouvelles qui ont toutes pour cadre la vie quotidienne d’américains moyens en proie à des problèmes de couple, d’alcool, de violence, de famille, de travail, quand ce n’est pas tout à la fois. Amateurs de récits lumineux, enthousiastes et optimistes, passez votre chemin ! En revanche, pour tous ceux qui aiment la noirceur de l’âme humaine et l’efficacité des récits courts, ce bouquin constitue une excellente prescription. En quelques lignes seulement, Carver parvient à distiller une ambiance réaliste, puissante et à instaurer une intrigue prenante autour de personnages plus vrais que nature. On devine derrière sa façon de narrer une scène une longue expérience d’observateur du quotidien et des déviances des hommes et des femmes. La lecture des dix-sept textes de ce recueil s’enchaine sans temps mort, à peine une nouvelle terminée que l’on se précipite sur la lecture de la suivante. Bien sûr j’ai déjà ajouté à ma liste de lectures à venir d’autres recueils de Raymond Carver. 


Journapalm 165

Le type assis au fond du wagon pesait bien cent trente kilos, facile. Chauve par nécessité, les yeux légèrement bridés et le teint de peau mat, son visage portait des traces d’ancienne vérole. Son cou dépassait de son tronc comme une épée de légende plantée dans un rocher : avec ses deltoïdes en triangle isocèle, il aurait pu être le résultat de l’accouplement d’une légende de lucha libre et d’une professeur de mathématiques d’Oxford. Quand le train est arrivé à destination, il a disparu en deux secondes dans la masse grouillante de la ville.

mardi 21 janvier 2020

Journapalm 164

Ils avaient tout pour réussir leur utopie collective : la chance, la jeunesse et l’enthousiasme qui va avec. Ils n’avaient pas encore éprouvé les renoncements et les doutes qui viennent avec l’âge. S'accaparant même les faveurs des banquiers, un exploit à une époque où on préférait soutenir un fou furieux qui voulait coloniser Mars plutôt qu’une bande de types et de femmes souhaitant repeupler les campagnes abandonnées. Et puis ça a dérapé quand Alex a quitté la communauté un matin en lâchant « si j’avais été gay, ma vie aurait été plus simple ». 

lundi 20 janvier 2020

L'extrait du... 20 janvier

"J'essayais d'arrêter de boire et je sentais bien que je n'y arriverais pas en restant chez moi, mais je ne voulais pas aller dans une clinique ou un centre de cure, vous comprenez. Mon frère avait une maison où il n'allait que l'été — c'était au mois d'octobre — alors je l'ai appelé et je lui ai demandé s'il pouvait me la prêter une semaine ou deux, le temps que je me remette d'aplomb. Il a dit que c'était d'accord. Je me suis mis à faire ma valise en me disant que j'étais heureux d'avoir une famille, heureux d'avoir un frère, heureux qu'il soit prêt à me donner un coup de main. Mais là-dessus le téléphone a sonné, c'était mon frère, et il m'a dit qu'il en avait discuté avec sa femme, il m'a dit qu'il était désolé, qu'il ne savait pas comment me dire ça, mais que sa femme avait peur que je mette le feu à la maison. Tu comprends, m'a-t-il dit, tu pourrais t'endormir avec une cigarette allumée à la main, ou oublier d'éteindre le gaz. Bref, ils avaient peur que je foute le feu à leur maison, et à son grand regret il ne pouvait pas me la prêter. J'ai dit bon, d'accord, et j'ai redéfait ma valise."

Raymond Carver - Qu'est-ce que vous voulez voir ? 
(L'olivier. Trad.François Lasquin)

Journapalm 163

Après être entré dans le parc, il s’est dirigé vers les berges du lac. Le tenancier de la buvette n’a même pas prêté attention à cet homme portant un grand sac à dos en jute. Mais l’individu en a sorti un immense sécateur et s’est mis à courir après les oies en faisant jouer les lames de son outil. Il se justifiait en hurlant qu’il devait les décapiter avant qu’elles ne deviennent des pigeons. Le tenancier de la buvette a réfléchi puis a décidé de ne pas intervenir. Il y avait déjà beaucoup trop de pigeons dans ce parc... 

dimanche 19 janvier 2020

Journapalm 162

De plus en plus d’ours étant repérés dans les villages Pyrénéens, les spécialistes des comportements animaux se sont penchés sur la question, envisageant toutes les hypothèses. Suivent-ils l'exemple des ours polaires qui, ne trouvant plus assez de nourriture à cause de la fonte des glaces, viennent fouiller les poubelles des villes ?
Ce n’est qu’après avoir aperçu un plantigrade fracasser la vitrine d’une quatrième fromagerie qu’ils ont compris. Les ours ont découvert l’association chèvre miel. Les pizzerias de la région en tremblent déjà.

samedi 18 janvier 2020

Journapalm 161

En 1986, la dalle de béton de la centrale nucléaire de Tchernobyl a explosé. En 1986, Raymond Carver essayait vainement de faire rééditer un recueil de premières nouvelles sans les coupures de son éditeur. 
Les centaines de liquidateurs de l’URSS sacrifiés pour nettoyer la centrale n’ont pas survécu aux doses massives de radioactivité et sont morts irradiés. Carver est mort en 1988 d’un cancer du poumon.
Vingt-trois ans plus tard, une édition conforme au souhait du nouvelliste américain est publiée. Et il y a encore des gens qui continuent de mourir à cause de la radioactivité de Tchernobyl. 

vendredi 17 janvier 2020

Journapalm 160

Un vent tempétueux a soufflé toute la nuit, entrainant tuiles et branches dans sa furie. Le ciel épileptique transformé en gorge crachait des filaments de foudre et de feu. Le prêtre voyait l’énorme crucifix de bois au-dessus de son lit apparaitre par intermittence dans la lumière des éclairs. 
Au petit matin, le calme revenu, l’homme de Dieu a tiré sur la corde de la cloche pour battre le rappel des fidèles. Alors, dans un énorme tohubohu, la cloche d’étain a dégringolé de son logement et des milliers de chauve-souris albinos s’en sont échappées, fonçant sur le village en criant. 

jeudi 16 janvier 2020

Journapalm 159

Lorsque la cloche retentit, les deux combattants reculent chacun d’un mètre. Malgré les vivats excités du public, ils savent qu’ils ne doivent pas continuer à se battre après la cloche. C’est le signal de la fin des hostilités. 
Dans la foule des spectateurs, Stéphane se sent mal. Il redoute toujours de recevoir un mauvais coup, inattendu et retors. La vue des belligérants déclenche souvent des envies de violence. Aussi à chaque récréation, craignant de s’en prendre un, il rase les murs de la cour. Il n’y a que lorsque la cloche sonne qu’il peut souffler. 

mercredi 15 janvier 2020

L'extrait du... 15 janvier

"Depuis qu’elle lui avait appris l’été dernier qu’elle était enceinte de deux mois, il l’avait regardée changer. Elle restait muette des heures durant. Certains jours, par temps clément, il rentrait des champs pour la trouver debout dehors, à scruter la prairie comme s’il y avait quelque chose à voir. Son sommeil était agité. Elle était grincheuse. Elle triait les aliments dans son assiette. Elle souffrait de maux de tête. Jadis si fière de sa chevelure noire qu’elle coupait, lavait et brossait avec une régularité infaillible, elle la laissait désormais pousser, grise et sale. Les filles disaient qu’elle balayait parfois la maison trois fois de suite et laissait entrer le froid, mais il arrivait à Vester de rentrer et de la trouver assise sur une chaise à scruter la pièce autour d’elle. Il se faisait du souci pour elle. Il l’observait et le varron lui revenait à l’esprit – elle avait un ver sous la peau, en elle, qui dévorait la femme aimante, joyeuse et forte qu’elle avait été, et il n’avait pas d’huile de charbon pour s’en débarrasser. Un ver ? Le bébé ?"

(Gallmeister - trad.Laura Derajinski)

Journapalm 158

Il commença par collectionner des trognons de pommes trouvés dans les poubelles. Puis des insectes auxquels il manquait des ailes, des pattes. Sa chambre prenait de plus en plus l’apparence d’un cabinet de curiosités. Ses parents n’ont rien osé dire, il se calmait, ne répondait plus, ne séchait plus les cours… 
Toutefois ce n’est qu’à la mort de ceux-ci qu’il s’est vraiment transformé. Ouvert, aimable, enthousiaste, souriant avec les autres. Les corps nus et naturalisés de son père et sa mère accrochés au plafond de sa chambre parachevant l’œuvre de sa chapelle sixtine personnelle. 

mardi 14 janvier 2020

Journapalm 157

L’employé de l’ANPE me jeta un regard impatient. 
- Faut quand même réaliser monsieur, que si vous n’acceptez pas que des passants fassent leur footing le long de votre lit, qu’ils téléphonent dans votre dressing ou qu’ils fassent déféquer leur chien devant votre petit déjeuner, ça va être compliqué de devenir sans abri. 
- Attendez... Alors vous voulez dire que je vais vraiment devoir travailler ? 
- Ah ça, j’en ai bien peur oui… 

lundi 13 janvier 2020

Journapalm 156

Massés dans le virage numéro cinq du circuit, lapins, campagnols et mulots assistent au plus près à la furie mécanique. Chaque fois qu’une voiture passe devant eux, le déplacement d’air envoie valser les animaux trois mètres en arrière. Ils reniflent les odeurs d’essence et entendent le bruit des moteurs mais ne voient pas grand-chose à cause de la vitesse trop élevée des voitures de course. C’est ce qu’ils ont trouvé de plus égalitaire pour inviter la taupe à une activité en plein air ans qu’elle ne se sente lésée. 

dimanche 12 janvier 2020

Journapalm 155

Il a dix ans et visite Paris pour la première fois : un choc en venant de son village de province. Il éprouve pour la première fois de son existence l’enivrante sensation d’immensité. Sous la tour Eiffel il court après les pigeons en riant. Une vendeuse ambulante de souvenirs en plastique le sermonne alors, douchant son enthousiasme avec un regard mauvais : "Laisse donc ces bêtes tranquilles !" 
C’est à cet instant précis que sa vie bascule. Rancunier, il la retrouvera dix ans plus tard et la précipitera de son balcon. Elle sera la première d’une longue série de victimes. 

samedi 11 janvier 2020

Journapalm 154

Il ne souhaitait pas travailler. Non vraiment, pas la peine d’insister, cela ne l’intéressait pas. 
Il ne souhaitait pas non plus subir la corvée des courses ; rien ne le désespérait plus que le morne défilé de chariots entre les rayons de poulets morts conditionnés sous plastique. 
Il ne voulait pas avoir son nom sur une sonnette dans un immeuble, et subir les brimades de petits cons qui l’insultaient quand il répondait. 
Aussi, après avoir envisagé les perspectives, il a tué de sang-froid trois vieilles dames. Acceptant sa peine à vingt ans de prison avec soulagement. 

vendredi 10 janvier 2020

L'extrait du... 10 janvier

Les éditions Verdier publient ce 9 janvier dans leur très recommandable collection Jaune le livre posthume de Mathieu Riboulet trop tôt disparu. 

Dans Les portes de Thèbes, justement sous-titré "éclats de l'année deux mille quinze", Mathieu Riboulet "consigne ici la crainte récurrente qui me prend à la gorge : que l’insignifiant drame que constitue, pour moi seul ou presque, l’horizon de ma mort, ici chanté en contrepoint des tragédies tressées qui embrasent le monde où je me suis inscrit, n’incite à la méprise, au vieux soupçon d’orgueil car en effet qui suis-je pour poser mon parcours en poids équivalent aux désordres mortels qui broient tant de mes frères ?"
(...) "Car nous sommes dans un temps d'attentats, de violence, de respirations courtes, d'hébétudes transitoires, de confusions profuses, un temps de crépuscule, car nous sommes dans des villes hantées par des fantômes, hantée par des mendiants, et quand les uns nous parlent nous entendons les autres, nous tendons des aumônes, nous ramassons des balles, nous allons et venons, traînant des corps lassés, la questions de la mort nous cerne en maints endroits et nous ne savons trop où poser nos fardeaux."

(Verdier, 80 pages)

Journapalm 153

Arrivée à Londres par l’Eurostar, la famille du petit Camille fonça vers l’hôtel réservé sur internet, à proximité de la gare de San Pancras. Quand va-t-on voir la relève de la garde ? Demain Camille, demain. Cet échange se répéta une bonne dizaine de fois, les parents ne devant leur salut qu’à la nuit. 
Le lendemain, arrivé sur place, au milieu d’une foule compacte brandissant leurs appareils photos, Camille fut déçu. Les gardes se trouvaient tous debout, il ne vit personne à relever. Se désintéressant du spectacle il reprit alors son activité favorite : son exploration nasale.

jeudi 9 janvier 2020

SoRichard : fin du premiet jet


Fin du premier jet de "SoRichard', le manuscrit de mon prochain roman. Ce premier jet démarré le 25 novembre s'est terminé le 8 janvier. 
189 pages et plusieurs Paper Mate Flair M utilisés pour les noircir (un par semaine). 

Cette première étape étant terminée, les fondations sont donc posées. Reste maintenant le plus long : la réécriture. Mais avant toute chose la relecture critique...

On zeu road again comme dirait l'autre ! 

Journapalm 152

Avant de déménager sur Lyon, pour lui une praline signifiait un coup de poing. Mais après s’être installé dans la capitale des Gaules, il découvrit l’excellente tarte aux pralines, cette spécialité locale d’amandes caramélisées à base de sucre rouge. 
Et lorsqu’il en dégusta la première fois, l’effet sur ses dents lui rappela le sens que rêvait jusqu’alors pour lui le mot praline. Sans conteste, ce dessert portait bien son nom.

mercredi 8 janvier 2020

Journapalm 151

Chaque matin à 4h10 le boulanger entrouvre la porte arrière de sa boutique pour faire entrer un peu d’air frais. Le four fonctionne à plein régime, il pétrit et malaxe, enfourne... Dépassant cent-trente kilos, tout devient plus difficile. 
Chaque matin à 4h10 la jeune femme part courir quinze kilomètres. En short, une frontale allumée autour de la tête, elle va dans le silence de la campagne s’offrir un shoot de bonheur pur, égoïste et essentiel. 
Chaque fois, le boulanger et la jeune femme s’aperçoivent furtivement, représentants fantomatiques de deux mondes qui n’en sont pourtant qu’un. 

mardi 7 janvier 2020

L'extrait du... 7 janvier

"Regarde-moi. Nous avons quarante-trois ans et nous n’avons jamais baisé en plein jour. Sans parler de l’océan, qu’on n’a jamais vu. Nous avons été à Washington une fois, mais jamais à New York. Nous n’avons jamais baisé dehors, sauf la fois où nous avons bien failli le faire, il y a trente ans. Je pense qu’on devrait changer de vie avant qu’on soit trop vieux et qu’on meure, avant qu’il soit trop tard. Tu n’as pas envie que ça change, toi? J’en ai marre de te voir te comporter comme une veuve éternelle. Ça fait six ans. Et j’en ai marre de baiser une veuve dans le noir. Je t’aime depuis que j’ai treize ans."

Jim Harrison - Nord Michigan (10/18 - trad. Brice Matthieussent)

Journapalm 150

Aldebert Cramoins devint lepidoptérophile par accident. En rendant visite à une vieille voisine qui conservait sa collection de papillons épinglés sous verre, dans son couloir. Ces couleurs, ces formes d’ailes différentes intriguèrent Aldebert puis, rapidement, le passionnèrent. 
Devenu chasseur de papillons à son tour, il démarra son activité un jour d’automne coïncidant avec le carnaval de l’école. Ayant capturé un énorme spécimen aux gigantesques ailes jaunes, Aldebert voulut l’épingler sur place afin qu'il ne s'envolât pas. 
On retrouva la petite Éloïse poignardée au petit matin dans le bois, son costume d’abeille tâché de sang. 

lundi 6 janvier 2020

Journapalm 149

Il n’avait pas que des habitudes de vieil homme. D’aussi longtemps que je me souvienne de lui, il fumait toujours deux cigarettes avec son café et utilisait exclusivement des allumettes qu’il gardait dans la poche droite du vêtement qu’il portait. Et lorsqu’il estimait qu’il était temps de prendre congé, il mettait son chapeau, un feutre gris de marque Stetson. 
Ce soir-là, c’était à mon tour de le veiller. Soudain sa main amaigrie et parcheminée m’a saisi le poignet. Ses yeux bleus ont sondé les miens. « Passe-moi mon chapeau ». Il est mort dans l’heure qui a suivi. 

dimanche 5 janvier 2020

Journapalm 148

Quand il disait rêver d’être balayeur, on le regardait avec méfiance. On rêve de devenir astronaute ou acteur mais pas balayeur. Lui, si. Faire place nette, transformer une surface poussiéreuse en surface lisse, voilà ce qu'il aimait. Devenu balayeur pour la municipalité, il a vite déchanté. Rebondissant balayeur pour les réseaux ferrés, sa vie s’est illuminée. Àprésent il nettoie les voies de tous les débris qui empêchent les trains de circuler : branches, animaux errants, et même les corps des suicidés. Il est heureux, il balaye pour la collectivité et voit du pays. 

samedi 4 janvier 2020

L'extrait du... 4 janvier

« Papa disait donc, pas à Maman (qui n'était pas venue marcher avec nous, et était restée à la table de pique-nique avec sa machine à écrire), mais à nous, qu'il n'y avait pas de "mal", mais qu'il y avait un "paradis", à condition de se souvenir que le "paradis" n'était rien d'extraordinaire ni d'étonnant; peut-être simplement une promenade le long du rivage, un jour venteux de la fin septembre; rien de mémorable en soi, mais si vous vous rappelez que nous l'avons faite, que nous étions ici ensemble, que nous nous sommes arrêtés pour déjeuner à Bay Point, que même si ce n'était pas le déjeuner du siècle nous étions ensemble, tous les cinq, quoi qu'il puisse arriver par la suite ... Ça, c'est le "paradis", Compris, les gosses ? D'accord, Papa, avions-nous dit. Nous étions gênés quand Papa nous parlait comme à des adultes, trop "sérieusement".»

Joyce Carol Oates - Un livre de martyrs américains 
(Philippe Rey, trad.Claude Seban)

Journapalm 147

Allant toujours ensemble, les corbeaux forment un trio. Si bien que dans la région on les appelle les tribacs. Au café des sports, devant le zinc, on entend souvent « les tribacs volaient bas ce matin, il va geler » ou encore « j’ai pas vu les tribacs, on va se prendre un orage sur la gueule ». 
D’après un rebouteux barbu et édenté, les tribacs agissent même comme des régulateurs d’humeur. Et depuis qu’un corbeau s’est fait électrocuter sur la ligne à haute tension, les tribacs ne vont que par deux. Et les villageois ne cessent de se battre.

vendredi 3 janvier 2020

Journapalm 146

Ses parents se sont rencontrés sur les barricades. Ils l’ont conçu en levrette sur un canapé recouvert d’un drapeau rouge et l’ont appelé Karl-Ilitch. Sa mère fille de paysan, son père fils d’ouvrier l’ont toujours encouragé à se rebeller. Lors du premier spectacle de fin d’année de l’école primaire, au lieu de chanter la marseillaise, il s’est mis à beugler l’Internationale. Apprenti plombier à seize ans, il a protesté dès le premier jour car il ne trouvait aucune faucille dans sa caisse à outils. Quand son patron a ricané, il lui a défoncé le crâne à coups de marteau. 

jeudi 2 janvier 2020

Journapalm 145

Depuis toujours il cherche le coup d’avance. Brillant joueur d’échecs, il passe son temps à tromper le calendrier. Il fleurit les tombes de ses parents le 15 août, fête Noël à Toussaint, la nouvelle année pour l’Armistice, mange de la galette le 25 décembre… Bousculant ses habitudes, il n’hésite pas à changer les dates des célébrations mais toujours avec un coup d’avance sur les autres. 
Quand il s’est retrouvé enterré trois mois avant la date de sa mort, dans l’obscurité étouffante de son cercueil, il a soudain réalisé qu’il avait peut-être exagéré un peu. 

mercredi 1 janvier 2020

Journapalm 144

"Eh, c’est le jour de l’an, toi aussi tu peux picoler !"
Le notaire remplit en douce une coupelle de whisky qu’il poussa à Fox, son terrier de huit ans. Celui-ci la descendit sans coup férir.
Restée à la cuisine, madame appela soudain : "Fox, plateau mon chien !" 
Un tour qu’elle lui avait appris des années plus tôt : le plateau de verres qu’il transportait de la cuisine au salon, en équilibre sur sa truffe. Un tour qu’il n’avait jamais manqué jusqu’à ce jour et dont sa maîtresse était très fière.