jeudi 18 janvier 2018

L'extrait du... 18 janvier

Je ne pouvais décemment pas passer sous silence le complot honteux des haineux de tous bords qui, sous couvert de valeurs républicaines, ont tout fait pour que Gallimard ne republie pas les pamphlets de Céline. Un amoureux de la littérature aurait pu penser que Céline méritait d'être republié dans son intégralité. En effet, seul un obtus lobotomisé peut encore aujourd'hui réfuter que Céline restera un auteur à l'intérêt littéraire plus grand que, disons, soixante quinze pour cent de la littérature contemporaine. 
Non ? Vous voulez vraiment que l'on pratique une analyse de texte comparative entre un Voyage au bout de la nuit et les textes de cette poignée des sempiternels mêmes auteurs parisiens qui s'écoutent parler sur les plateaux de télévision ? Ce même amoureux de la littérature aurait même compris et approuvé que Gallimard accompagne ces republications d'un guide ou d'un manuel en guise d'avertissement sur la portée antisémite de ces textes. Comme cela avait été fait pour la récente republication de Mein Kampf. Faut croire que Céline était plus méchant encore que Hitler puisque non, on n'aura rien. Juste à se contenter des pamphlets en version PDF que l'on peut trouver après une simple recherche Google. C'est triste. Un tel déni de liberté d'expression continue d'apporter la preuve qu'en France au XXIème siècle, au cas où on ne le saurait pas encore, on se retrouve encore inféodé à des pratiques de régimes totalitaires. Le plus drôle dans l'histoire étant que ce sont ces mêmes tristes sires (pour rester poli) qui interdisent qui se gargarisent de véhiculer des idées progressistes et de faire barrage à l'obscurantisme. Franchement, ça en est tordant !

"La grande prétention au bonheur, voilà l'énorme imposture ! C'est elle qui complique toute la vie ! Qui rend les gens si venimeux, crapules, imbuvables. Y a pas de bonheur dans l'existence, y a que des malheurs plus ou moins grands, plus ou moins tardifs, éclatants, secrets, différés, sournois... C'est avec des gens heureux qu'on fait les meilleurs damnés.
Louis Ferdinand Celine, Mea Culpa (1936)

Voilà. C'est un court extrait de Mea Culpa, publié en 1936. Il n'est fait référence dans cet extrait ni aux juifs (ce pamphlet-là n'en parle pas d'ailleurs) ni au communisme (ce qui est l'objet de ce même pamphlet). Il ne s'agit pas non plus du plus bel extrait de l'oeuvre de Céline. Mais c'est simplement pour dire que l'on peut encore en France au XXIème siècle avoir envie de lire cette littérature là, malgré les idées qu'elle colporte. Parce que la littérature est au-dessus des hommes, qu'il s'agisse de ceux qui l'écrivent ou de ceux qui la lisent, et bien entendu bien davantage encore au-dessus de ceux qui la critiquent sans même la lire.


jeudi 11 janvier 2018

L'extrait du... 11 Janvier

L'extrait du jour provient du roman "Délicieuses pourritures" de l'écrivain américaine Joyce Carol Oates qui va fêter en juin 2018 ses 80 ans. Il s'agit de l'unique livre que j'ai lu d'elle, à ce jour. Graphomane acharnée, elle a ,depuis son premier livre en 1964, écrit près de 200 bouquins ! Sa production est telle que son éditeur américain n'a pas le temps de tout publier. Plusieurs fois pressentie pour le Nobel de littérature, les Suédois ne l'ont encore jamais honorée. Peut être justement à cause de cette abondante oeuvre gothique, sombre et singulière ? Venant de lire les extraits de son journal qu'elle a consentie à publier, je suis intrigué par cette femme dotée d'une psyché singulière. Anorexique, obsédée par l'écriture, sans enfant, mariée au même homme pendant des décennies, elle détonne dans le paysage littéraire contemporain.  

"Andre Harrow était verbeux, tyrannique. Il était gentil et condescendant. Il ne cessait de nous interrompre tout en nous exhortant à « dire ce que nous pensions, si ne voulions pas que quelqu’un le fasse à notre place ». Lorsqu’il parlait, il s’animait et transpirait ; il essuyait son visage empourpré et son nez, d’un revers brusque de la main ; il dégageait une franche odeur de transpiration masculine, comme un cheval surmené.
À la différence de nos autres professeurs qui pendant les cours restaient assis ou plantés derrière leur pupitre, M. Harrow bondissait sur ses pieds chaque fois qu’une idée lui venait. Il marchait de long en large en faisant de grands gestes, parlait avec animation, le visage luisant. Ses yeux cherchaient les nôtres.
À Catamount, on pensait qu’Andre Harrow savait « tout ». C’est-à-dire, tout ce qui valait la peine d’être su. Les aphorismes de Nietzsche, déclamés staccato : « Ce qui est fait par amour se fait toujours par-delà le bien et le mal » ; « Il n’y a pas de phénomènes moraux, seulement une interprétation morale des phénomènes ». Il récitait des poèmes de Blake, Shelley, Whitman, Yeats et Lawrence avec une telle ferveur que l’on comprenait que la poésie valait que l’on meure pour elle. Pourtant M. Harrow n’était pas lui-même poète, semblait-il. Nous nous demandions pourquoi.)
M. Harrow s’habillait décontracté, mais avec une certaine recherche. Il portait des jeans avec des blazers bleus en cachemire, des pantalon kaki avec de beaux pulls tricoté main. Il portait des tee-shirts noirs qui épousaient son torse étroit bien musclé ; il portait une ceinture de cuir ornée d’une boucle d’argent proéminente qui attirait l’attention sur sa taille presque anormalement fine. Il portait des joggeurs, des chaussures de marche. Par temps chaud, des sandales. Les jours même à peine ensoleillés, des lunettes d’un noir tropical, comme si la lumière lui blessait les yeux.
Son humour pouvait être cruel (il citait certains de nos vers pour souligner leur faiblesse) mais il n’était jamais méchant. Si nous essuyions une larme, si nous nous mordions les lèvres pour ne pas pleurer, nous étions aussi flattées.
Il s’intéresse à moi. Il pense à moi. Je compte pour lui."

Joyce Carol Oates, Délicieuses pourritures (Philippe Rey)

mardi 9 janvier 2018

Entre parenthèses...

C'est donc parti. 
Je me suis lancé une nouvelle fois dans la grande aventure de l'écriture au long cours. Commencer un nouveau roman, c'est toujours impressionnant et on a chaque fois l'impression qu'on n'y arrivera tout simplement pas. On a beau avoir pris des notes pendant des mois auparavant, avoir passé des semaines à préparer le sujet, dressé des plans, rédigé des fiches de personnages, préparé un découpage de l'histoire... au moment de prendre le stylo et de commencer à écrire le premier jet, on se sent fébrile. Il parait que ça fait ça à tous les auteurs, même les bons qui ont de la bouteille. Et j'avoue que cette frousse, cette tension permanente est très plaisante à vivre. Pour tout dire, on se sent frémir d'une étincelle qui fait se sentir vivant et il s'agit là d'une sensation franchement irremplaçable. 

Ce projet, baptisé temporairement Parenthèses, est donc officiellement lancé depuis le 4 janvier et le démarrage du premier jet. Le premier chapitre est terminé depuis le 8 janvier, je me suis lancé dans le deuxième chapitre ce matin à 4h30. Et comme j'en ai pris l'habitude, ce premier jet qui sera destiné à la poubelle (façon de parler) sera écrit entièrement à la main. Je vais suivre le plan prévu en vingt-deux chapitres et voir où cela me mène, sans me limiter en taille ou en modifications imprévues, c'est le principe du premier jet. Et tout ce qui en fait le charme. Trouver des voix, se laisser surprendre par des personnages aux réactions nouvelles et poser les fondations du deuxième jet qui suivra au printemps.

lundi 8 janvier 2018

L'extrait du... 8 Janvier

Le double extrait du jour est tiré du livre "Contes d'Odessa" qui recense plusieurs textes écrits dans l'entre deux guerres par l'auteur russe Isaac Babel. Disponible en multiples versions de poche (je possède et je me replonge régulièrement dans celle d'Actes Sud mais ce livre est également disponible dans l'excellente collection L'imaginaire Gallimard).

"J’étais un petit garçon menteur. Cela venait de mes lectures. Mon imagination était toujours surexcitée. Je lisais pendant les cours, aux récréations, le long du chemin en rentrant à la maison, je lisais la nuit, sous la table, caché par la nappe qui pendait jusqu’à terre. Quand j’étais plongé dans un livre, je laissais passer sans y prendre garde toutes les affaires importantes de ce monde, comme de faire l’école buissonnière pour courir au port, d’apprendre à jouer au billard dans les cafés de la rue Grecque, ou de nager à Langeron. Je n’avais pas de camarades. Qui aurait eu envie de se lier avec un garçon comme moi ?"
(...)
"En fait, ce qu'il y a, c'est qu'à Odessa, tout jeune homme, tant qu'il n'est pas marié, veut être mousse sur un vaisseau au long cours. Et que pour notre malheur, nous nous obstinons à nous marier avec un entêtement extraordinaire." 
Isaac Babel, "Contes d'Odessa".

mardi 2 janvier 2018

2018 dans le domaine public

Au-delà des salutations de tradition en ces journées de chapelure grise sur les toitures des cités endormies, j'aime me souvenir qu'à chaque changement d'année civile, des grappes de disparus se rappellent à nous. 
Je veux parler des artistes qui viennent enrichir la monumentale bibliothèque imaginaire mais aux pages bien réelles de ces auteurs dont l'anniversaire de la mort intervenue voici quelques décennies leur permettent de "tomber dans le domaine public" (quelle vilaine expression). 
Marcel Aymé
Mais les auteurs ne sont pas les seuls concernés par cette mesure d'ouverture de leurs productions aux organes visuels et intellectuels de quelques humanoïdes qui ne sont eux pas encore tout à fait morts. 
Et en 2018, outre Marcel Aymé et Tristan Bernard qui se rappellent ainsi à notre bon souvenir, il est intéressant / amusant / étonnant (rayer la mention inutile) de constater que des personnalités telles que Henry Ford, Winston Churchill, Edward Hopper, René Magritte, John Coltrane ou Che Guevara rejoignent à leur tour cette tour de Babel de la culture mondiale ouverte à tous.

Je ne vous ferai pas l'injure de vous présenter Marcel Aymé dont les livres et les scénarios de films ont accompagné nombre d'entre nous. Je me souviens encore avec émotion de ma lecture de "La Jument Verte" alors que j'étais encore enfant, sur les conseils toujours avisés de ma mère. 
Je vous invite cependant à cliquer sur ce lien Wikipedia afin de parcourir la liste des personnalités qui passent dans le domaine public en 2018. Nul doute que pour certains, nous en entendrons parler bientôt. Pour les autres, ce serait l'occasion de les découvrir...

Et en bonus, un extrait de "La Jument verte" de Marcel Aymé (édition Folio) : 
Cultivateur et maquignon, Haudouin n'avait jamais été récompensé d'être rusé, menteur et grippe-sou. Ses vaches crevaient par deux à la fois, ses cochons par six, et son grain germait dans les sacs. Il était à peine plus heureux avec ses enfants et, pour en garder trois, il avait fallu en faire six. Mais les enfants, c'était moins gênant. Il pleurait un bon coup le jour de l'enterrement, tordait son mouchoir en rentrant et le mettait à sécher sur le fil. Dans le courant de l'année, à force de sauter sa femme, il arrivait toujours bien à lui en faire un autre. C'est ce qu'il y a de commode dans la question des enfants et, de ce côté-là, Haudoin ne se plaignait pas trop. Il avait trois garçons bien vifs et trois filles au cimetière, à peu près ce qu'il fallait.