Lors de la publication de "Microfictions 2018" aux éditions Gallimard, les radios et les journaux spécialisés se sont largement fait l'écho de ce monument de mille pages signé de la main de Régis Jauffret. Quelques mois après cette parution, le bouquin a même écopé d'un bandeau rouge mentionnant qu'il avait décroché le prix goncourt de la nouvelle.
La nouvelle est historiquement un genre que goûtent peu les lecteurs Français, qui lui préfèrent l'ampleur du roman. En tant qu'auteur, la nouvelle est un exercice périlleux nécessitant de faire preuve de brièveté. Une vertu difficile dont l'efficacité est un corollaire qui ne se commande pas. Certains pourtant s'en sortent très bien. Et Régis Jauffret est passé maître dans l'art de la très courte nouvelle. Bien que contrairement à ce que plusieurs critiques des ondes l'ont annoncé à la sortie de ce recueil, non Jauffret n'a pas inventé la microfiction.
En 2007, le même Jauffret avait commis une première mouture de textes très courts baptisés "Microfictions" et qui rassemblait 500 textes d'une page et demi chacun. Les thèmes chers à l'auteur s'y retrouvent, essentiellement des histoires sombres de misère sociale, affective, sexuelle, quand ce ne sont pas les trois à la fois.
Autant le dire tout de suite, si l'on est un dépressif chronique, il sera difficile de lire d'une traite ces 1000 pages éprouvantes. Viols, incestes, pressions psychiques, destins brisés, assassinats sanglants, sexe : rien ne nous est épargné. Cela confine parfois au grotesque, flirte avec la farce, en fait des tonnes, tend franchement à la redite, aussi... Mais au final on continue pour voir si Jauffret tient la distance. Certains textes sont plus faibles que d'autres, certains ont une chute brillante quand d'autres ont une fin sèche. Une page et demi, ça ne laisse pas de temps à l'éparpillement, il faut aller à l'essentiel, désossé le texte et on ne peut qu'apprécier le travail littéraire.
J'ai aimé cette lecture malgré la tendance au TROP. Trop de noirceur, trop de redondances, c'est un exercice de style certes mais qui aurait gagné à être plus court lui aussi.
Je vais malgré tout reprendre un peu d'air avant de me plonger dans la mouture 2018 et les 500 nouveaux textes livrés par Jauffret. D'autant plus qu'aux dernières... nouvelles, il serait en train de préparer un troisième recueil !
Extrait - "Cailloux bleus"
- Je suis écorchée vive.
Je souffre et je n'oublie rien. Même les gens qui me bousculent sans l'avoir voulu me causent une insupportable douleur. Mon mari m'a laissée tomber il y a huit ans, et chaque soir je persiste à l'attendre, comme ce 7 juin 1999 où il n'est définitivement plus rentré. Il est parti avec une femme, avec un homme mais le plus humiliant pour moi c'est qu'il n'est parti avec personne. Il a encore préfèré la solitude à ma présence. On m'a dit qu'il vivait dans l'isolement. Lorsqu'on l'apercevait dans une réception, il ressemblait à un homme de béton dont les yeux brillaient comme deux cailloux bleus. Si on lui adressait la parole, il répondait en riant, mais on sentait qu'il était encore entre ses quatre murs et qu'il envoyait des mots par la fenêtre sans y prêter plus d'attention que s'il jetait sa poubelle (...)
Je souffre et je n'oublie rien. Même les gens qui me bousculent sans l'avoir voulu me causent une insupportable douleur. Mon mari m'a laissée tomber il y a huit ans, et chaque soir je persiste à l'attendre, comme ce 7 juin 1999 où il n'est définitivement plus rentré. Il est parti avec une femme, avec un homme mais le plus humiliant pour moi c'est qu'il n'est parti avec personne. Il a encore préfèré la solitude à ma présence. On m'a dit qu'il vivait dans l'isolement. Lorsqu'on l'apercevait dans une réception, il ressemblait à un homme de béton dont les yeux brillaient comme deux cailloux bleus. Si on lui adressait la parole, il répondait en riant, mais on sentait qu'il était encore entre ses quatre murs et qu'il envoyait des mots par la fenêtre sans y prêter plus d'attention que s'il jetait sa poubelle (...)
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