lundi 30 septembre 2019

Lecture : Antonio Moresco - La petite lumière

Ce court roman de 120 pages publié chez Verdier est une preuve supplémentaire que nul besoin de pondre des gros pavés pour taper juste. Quelle prose ! Quelle puissance d'évocation ! Assurément l'une de mes plus belles lectures de l'année. L'incipit du livre donne le ton de l'histoire : "Je suis venu ici pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant". Raconté à la première personne, ce livre est donc le récit d'une absence, d'un renoncement au monde.
Une fois le narrateur parti et isolé, une lumière pourtant, l'intrigue. Une petite lumière qui scintille la nuit, au loin, dans l'interstice entre deux mondes, de l'autre côté d'un gouffre, d'un vide... Et dont il finit par partir à la rencontre. 
Ce qu'il va y trouver est à la fois poétique, surprenant et métaphysique. Le tout raconté dans un style impeccable, précis et superbement interprété par le traducteur Laurent Lombard. On est emporté par le mystère et par la langue, on est transporté par cette méditation au ton juste qui évoque plusieurs influences mais qui trace son sillon propre dans une voix bien personnelle. Un de ces bouquins à mille lieux des littératures formatées dont les merdias nous rabattent les oreilles à longueur de temps, surtout en cette période de prix et de flagorneries dégoulinantes de St Germain des Près. 

Extrait
Le soleil vient tout juste de s’effacer derrière la ligne de crête. La lumière s’éteint. En ce moment, je suis assis à quelques mètres de ma petite maison, face à un abrupt végétal. Je regarde le monde sur le point d’être englouti par l’obscurité. Mon corps est immobile sur une chaise en fer dont les pieds s’enfoncent de plus en plus dans le sol, et pourtant, de temps en temps, j’ai le souffle coupé, comme si je chutais, assis sur une balançoire aux cordes fixées en quelque endroit infiniment lointain de l’univers.
Le ciel est traversé par les dernières hirondelles qui volent, çà et là, comme des flèches. Elles passent en rase-mottes au-dessus de moi, s’abattant tête la première sur de vastes sphères d’insectes suspendus entre ciel et terre. Je sens le vent de leurs ailes sur mes tempes. Je vois distinctement devant moi le corps noir, plus caréné et plus grand, de quelque insecte englouti par une hirondelle qui le suivait le bec grand ouvert en lançant des cris. Le silence est tel que j’arrive même à entendre le craquement de son corps qui continue à souffrir, broyé et démembré, dans le corps de l’autre animal qui remonte grisé dans le ciel.

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