Charles J est un homme peu pressé qui laisse le temps faire son œuvre. Il a attendu trois avant d’oser demander à sa collègue du service des sinistres si elle serait tentée par une sortie au cinéma.
Leur idylle est née à l’issue du générique de fin de La grande évasion et elle s’est achevée sur le parking d’un supermarché de banlieue, sept mois plus tard.
Vingt-cinq ans après, Charles revient parfois sur le parking et on l’aperçoit arpenter le goudron à la recherche du billet de l’unique séance de cinéma dont il se souvienne.
Souvent quand la nuit vient, elle se poste derrière la fenêtre juste après avoir lancé sur son tourne disque les nocturnes de Chopin. Elle estime que c’est ce qui convient le mieux à la nuit. D’ailleurs souvent elle s’adresse à des inconnus dans le métro ou à ses voisins dans l’ascenseur : « vous devriez essayer Chopin, c’est ce qui va le mieux au teint ! »
Mais ce soir-là, Chopin sort du poste et dehors il n’y a rien de plus que le béton, les poubelles que l’on sort et les fenêtres que l’on referme.
Dans un reflet du lac, au crépuscule, palpitait un morceau de draperie fauve en dessous duquel quelques insectes transgéniques se débattaient. Le monde connu n’existait plus que dans les ultimes éclats d’une étoile morte depuis longtemps déjà mais qui émettait encore une lumière vieille de vingt mille ans. Le dernier insecte du lac but la tasse à minuit douze mais personne n’en sut rien, ni ici ni à vingt mille années-lumière de là.
Elle demeurait assise par terre dans la cabine téléphonique alors qu’à l’extérieur, la neige tombait à gros flocons. Son effarement provenait de sa conscience d’une certaine synchronicité dont elle cherchait à établir le caractère universel. Mais voilà, cela n’intéressait personne, pas même le grand dictionnaire. Et surtout pas son homme qui attendait dans la neige, les pieds gelés et qui se contrefichait de savoir qu’il s’agissait de la dernière cabine téléphonique en fonction dans un pays où il n’avait plus neigé depuis trente-cinq ans.
Le coléoptère apprend la patience et l’enfant conjugue ses tables de multiplication comme une leçon étrange enseignée dans une langue étrangère.
Le printemps cogne à la porte depuis plusieurs jours, l’enfant est porté à la rêverie. Troublé par la fragilité d’une toile d’araignée piégée par la rosée du matin, il en oublie ses tables de multiplication. Et tous les coléoptères dans la prairie s’envolent de concert.
Il se souvient de ces pages blanches mais colorées, remplies de mots qui dessinaient des mondes fantomatiques par en dessous, des mondes lointains pleins d’à-côtés. L’exotisme débutait dès qu’il y plongeait la tête, ses yeux simples outils, sa voix intérieure le moyen de locomotion. La route qui défilait sous les roues de l’autobus s’oubliait, aussi ratait-il parfois son arrêt et devait-il rebrousser chemin, l’esprit encore fourmillant d’images d’ailleurs et de demains.
Après la pluie reste les herbes
les empreintes de pas
le cri des oiseaux à l’ombre
des camisoles géantes.
Des fumeroles alambiquées
des alambics parfumés
l’odeur du gazon tondu
sur le golf du sergent major.
Après la pluie il fut colonel
d’une infanterie décimée
dans les canyons du midi
reste les herbes couchées
sous les pas des canassons
aux naseaux frénétiques
reste le bruit de l’eau : ploc-ploc
avant la prochaine éclaircie.
Lorsque le gars de la sécurité tapa sur son épaule, Franck P releva la tête. Le bar scintillait et son verre était deux. Il n’estimait pourtant pas avoir tellement bu. Il chancela pour quitter le bar et chancela sur le trottoir. Pourtant, il n’estimait pas avoir abusé. Parvenu au coin de la rue, il comprit qu’il avait trop picolé en apercevant deux éléphants dans une Chevrolet Corvette. Il connaissait bien ces éléphants et quand il était à jeun, ils roulaient en Jeep.
Atteint d’une longue maladie qui voyait ses forces s’épuiser, le maire du village fit le vœu de voir un caribou avant de mourir. Le conseil municipal se réunit et envisagea les alternatives. Les finances communes ne permettant pas de payer un voyage au Canada, on décida de fabriquer un costume de caribou. Le boulanger et son ouvrier revêtirent celui-ci lorsqu’il fut prêt. L’épouse du maire releva son lit et lui demanda de regarder par la fenêtre. Apercevant un caribou gambader derrière les chênes, il rassembla ses forces, se saisit de son fusil, épaula, arma et tua l’animal.
Parce qu’il ne parvenait pas à se sentir à son aise en société ni même à comprendre les gens autour de lui, Alfred M décida de devenir caméléon. Il se disait qu’ainsi il se fondrait avec naturel dans toutes les ambiances et les atmosphères et qu’enfin il ne serait plus seul. Tout se passa très bien pour lui jusqu’au jour où il voyagea en Ecosse où il devint fou et décida de se changer en distillerie de whisky. Il mourut après six mois de beuverie ininterrompue mais très chaleureuse avec de nombreux amis.