Elle se souvient d’une rédaction à l’école où on lui avait demandé d’écrire un texte dans lequel elle devait imaginer être une bille coincée dans la rainure d’une cloison depuis deux générations. Aujourd’hui, après avoir publié dix romans, elle regarde le curseur qui clignote sur l’écran de son ordinateur, en haut de la page vierge et elle se demande ce qu’en penserait son vieil instituteur.
Elle avait appris à sa fille, alors encore enfant, comment piéger des bêtes dans la forêt et comment les dépecer pour conserver la viande plusieurs jours. L’enfant savait procéder pour couper, trancher et séparer la peau des bêtes de leur enveloppe. Mais elle gâcha tout en devenant végétarienne et collectionneuse de timbres.
Le reste de l’année on ignore où il se terre. Mais du 15 décembre au 15 janvier, on l’aperçoit aller et venir sur l’avenue, une pelle sur l’épaule, portant un épais pantalon treillis et des chaussures de sécurité qui s’accordent mal avec son maillot de corps rouge sur lequel est écrit « Santa Claus is dead ». Certains disent qu’ils l’ont aperçu creuser le goudron avec frénésie mais ce n’est pas mon cas. J’ai l’impression qu’il attend que j’ai le dos tourné pour se mettre à creuser.
Claustrophobe, il évitait les ascenseurs, les caves et les vols transatlantiques. Il fuyait la spéléologie, les toilettes publiques, ainsi que les cabines téléphoniques et les tunnels. Il vécut dans un camping de Ouarzazate où il dormait à la belle étoile. Il mourut sans murs ni plafond, piétiné par un chameau schizophrène qui avait peur de son ombre.
En ce temps-là, tu sentais le sang pulser dans ton corps, tes jambes prêtes à s’élancer dans cent directions différentes. Tu brûlais d’espoir et d’envie, tu trouvais le monde excitant et immense, t’imaginant déjà en aventurier jamais rassasié de découvertes, de paysages, d’expériences.
Et puis quelque chose de très pénible et de très stupide s’est produit, dont on t’avait pourtant prévenu mais que tu n’as pas vu ni senti venir. Tu es juste devenu un autre vieux con, bon pour la casse.
Adeline H. aimait le saucisson chaud, les quenelles et le tablier de sapeur. Elle avait grandi dans le restaurant tenu par ses parents, deux cordons bleus férus de bal musette et du Tour de France.
Adeline H. avait treize ans quand son père mourut un dimanche tandis qu’il pédalait dans le Beaujolais, fauché par un tracteur conduit par un ivrogne.
Il ne faut pas chercher plus loin la raison de son acharnement d’avocate de la sécurité routière. Mais le drame, c’est que depuis l’accident, elle ne mange plus que de la salade et des choux de Bruxelles.
Parce qu’il craignait l’orage et les fantômes, Albert C décida de vivre dans une maison neuve à San Diego, ville californienne où, selon les statistiques, on ne dénombre que 2,4 orages par an. Il s’y installa avec femme et enfants après avoir quitté le Pays Basque. Hélas, une semaine après leur installation, leur propriété et la famille fut engloutie par un séisme d’une ampleur biblique. Après sa mort, il revint hanter le Pays Basque où, jusqu’à la fin des temps, il dut subir les orages.
Sept maisons plus loin que la sienne vivait un vieil homme dont on disait qu’il fut un ogre dans sa jeunesse, au temps où les ogres portaient des chemises brunes. Malgré son vif intérêt pour les choses de l’Histoire, elle ne put aller sonner chez le vieil homme car elle avait toujours eu du mal à compter les intervalles. Pensant se trouver au bon endroit, elle sonna à la sixième porte, qui était celle d’un sorcier qui pratiquait la magie noire et qui la transforma en oppossum.
Plutôt que de réviser, il lisait. Quand ses parents, craignant la neurasthénie, lui intimaient l’ordre de sortir prendre l’air, il s’éclipsait à regrets mais emportait un roman dans sa poche. Atteint de constipation chronique, il ne se déplaçait jamais aux toilettes sans prendre un livre.
Peu bavard, il eut une carrière discrète et sans remous dans l’administration. Le jour où il disparut, on trouve un roman de Dino Buzzati dans le creux laissé par son corps dans son lit.
Claustrophobe, il évitait les ascenseurs, les caves et les vols transatlantiques. Il fuyait la spéléologie, les toilettes publiques, ainsi que les cabines téléphoniques et les tunnels. Il vécut dans un camping de Ouarzazate où il dormait à la belle étoile. Et il mourut sans plafond ni murs castrateurs, piétiné par un chameau schizophrène.