Après avoir accumulé les diplômes des écoles les plus prestigieuses, collectionné les récompenses et les prix, jonglé d’un poste à responsabilités à un job qui rapportait gros, Emil Z se souvint de ses origines modestes et des leçons de frugalité que lui inculquaient ses parents. Il contempla son garage rempli de voitures de sport, sa piscine où batifolaient des mannequins siliconés et décida de changer. Il paya ce qu’il fallait pour changer de nom et effacer ses origines : désormais on devrait l’appeler Emil Rockfeller.
Parce qu’enfant elle aimait voir des films dans lesquels jouait Pierre Richard, puis qu’elle se prit de passion pour les romans de Richard Ford, les nouvelles de Richard Yates et la poésie de Richard Brautigan, Maryse décida de ne sortir qu’avec des types qui portaient le prénom Richard. Ne supportant pas d’être éconduit, un type né un 3 avril pour la Saint Richard, mais que ses parents manquant de tact avaient prénommé Ursule décida de se venger. Il lui fit boire de l’arsenic et tandis que Maryse agonisait, il se fit cuire un bon coeur de lion.
Edgar V. mangeait avec les doigts son riz basmati, ses carottes irlandaises, son goulash hongrois, ses petits pois des Flandres, son chou-fleur français, son kebab turc, son hareng hollandais et ses kiwis d’Océanie.
Lorsqu’il mourut d’une indigestion sur la ligne bleu des Vosges, aucun médecin ne parlait un nombre suffisant de langues pour déterminer quel aliment était responsable de son trépas.
Son obsession pour le sucre ne pouvait pas bien se terminer. Et parce que son épouse au visage certes ingrat mais qui l’aimait d’amour tendre lui suggéra d’entreprendre un régime, il la coinça contre la gazinière et écrasa son visage sur la poêle à crêpe bouillante. Tandis qu’elle hurlait, il siffla un air des Frères Jacques. Lorsque ses lèvres, son nez et ses yeux eurent fondu, il trancha le masque de peau qui se décollait de son faciès et jeta à leur chien avec un peu de confiture.
Ce n’était pas un ours ni même un loup qui s’était rendu coupable d’un tel massacre : les animaux ne manifestent pas une telle perversité dans leurs attaques. Alors on se mit en quête du coupable et on perquisitionna les immeubles alentour. Après deux jours de traque, on débusqua un grizzly aux yeux fous dans la cave d’un notable. Ce dernier jura que son ours était un plantigrade bien éduqué incapable de faire du mal à quiconque. On désigna un ouvrier un peu attardé que l’on pendit et la population recommença à dormir sur ses deux oreilles.
Elle n’emporta pas de parapluie parce que son parapluie était trop lourd pour ses bras maigres. Depuis qu’elle voulait devenir mannequin, elle se privait de manger et ne se nourrissait que d’eau et de salade. En arrivant à son rendez-vous, la pluie éclata et le responsable du casting eut l’idée d’improviser une séance de photos sous la pluie. Elle défila et sourit à l’objectif malgré les trombes d’eau qui la faisaient frissonner. Deux jours plus tard, elle mourut de pneumonie sans même toucher son unique cachet de mannequin.
Le train avait une dizaine de minutes de retard. Il décida de se jeter un verre avant. Une sombre histoire de toc et de croyances ésotériques sur la malédiction des nombres impairs le conduisit à en commander un second. Hélas, un compagnon de zinc le lui offrit et par politesse, il lui rendit la pareille mais trois étant impair, il en reprit un quatrième. Lorsque le train partit, accoudé au bar, il essayait de se souvenir combien de verres il avait avalé. C’était encore le cas deux heures plus tard lorsque le train dérailla, sans survivant.
De tous les scénarios possibles, ou du moins plausibles, en finir sur un banc public rive gauche dans la vieille ville de Prague n’aurait même pas approché le top 50 des plus probables. Sa fin de vie lui tomba dessus de façon fortuite et très inattendue. Le froid de novembre était vif et agressif, Prague ne ressemblait pas du tout à Sète. Mais il s’endormit sur ce banc et il eut une mort lente, comme dans une chanson de Brassens.
Il lui a sorti le grand jeu : un film romantique dans un cinéma drive-in, une margarita chez le meilleur pizzaiolo de la ville puis un feu de camp avec un paquet de marshmallows. Avec un plan d’attaque pareil, il ne doutait pas qu’il atteindrait son objectif. Mais on l’avait mal renseigné : elle préférait les films d’action et les tournedos saignants. Alors, dès la dixième minute du film, elle l’éjecta sur le siège arrière, prit le volant et s’élança pour un rodéo mécanique qui se termina contre un poteau électrique.
Un lapin, deux lapins, trois lapins… Parvenu à cent, il ne dormait toujours pas. Désemparé, il réveilla sa fiancée et se plaignit de ne pas trouver le sommeil. À l’extérieur de la tente, l’orage faisait rage et des éclairs zébraient le ciel. Soudain la foudre s’abattit sur un chêne et une branche tomba sur la tente et tua l’insomniaque. La fiancée approuva et se félicita d’avoir investi dans une application météo aussi précise.