La représentation au théâtre antique d’Orange a du être interrompue bien avant le final et voilà une ambulance lancée, gyrophares bleus plein la nuit et sirène hurlante à faire taire Bizet. La cantatrice chevelue et vedette Odetta Esposito a cessé de respirer dans le dernier acte de Carmen dont elle assurait le rôle principal. Pour adoucir la fin de soirée, on a tiré un drap blanc au-dessus de la scène pour y projeter une sélection de Tex Avery.
D’après les journaux en continu que régurgitent écrans et accrocs de l’information dans leur sillage, la fin du monde est proche. Ce n’est plus qu’une question de jours. Cent onze, à en croire un éminent spécialiste auto-proclamé, gourou qui murmure à l’oreille des apôtres de Wall Street. Cent onze jours c’est bien plus qu’il n’en faut pour bêcher son jardin et planter des tomates pour rendre la fin du monde plus juteuse.
C’est comme un puzzle dont tu tiendrais les pièces serrées entre tes phalanges, comme de petits cailloux trouvés dans le lit d’une rivière asséchée mais dont tu aurais perdu le modèle. Certains disent que pour dompter le monde, il faut compléter le puzzle dans l’obscurité : deux mille pièces à assembler en une journée. Tu demandes à ce qu’on te fournisse un indice mais tu n’obtiendras rien d’eux. Les cailloux trouvés dans la rivière asséchée tu peux toujours les sucer comme des bonbons à l’anis pour faire passer le temps.
Toi, tu es assis là, face à ce mur aveugle et muet, du blanc jusqu’à la chirurgie, comme une ablation du monde. Avec quelques efforts, tu pourrais rêver les choses un peu plus longtemps, histoire de combler les interstices et les trous qui dessinent le relief de ta vie passée. Mais au lieu de cela, tu cliques sur l’écran et tu regardes une webcam en direct de la plage de Gruissan où un type habillé en noir fait danser un cerf-volant en forme de dragon dans le ciel d’automne.
Ce n’est pas un endroit aux atours reluisants, il n’offre pas de panorama renversant ni de point de vue spectaculaire. À tout dire, il est, au mieux, insignifiant et il ne s’y passe jamais rien. Parfois passe un autobus de touristes mais c’est parce que le chauffeur a manqué une bifurcation quelques kilomètres plus tôt.
Mais les locaux veillent tard sur leurs terrasses les jours d’été. Il se dit qu’il y a quinze ans de cela, un parisien est passé sur la route au volant d’une Ferrari jaune. Depuis, tous attendent qu’il repasse dans l’autre sens.
Hans est un chien croisé de plusieurs races dont certaines sont éteintes depuis un siècle. Les vétérinaires se perdent en conjonctures à son sujet. Certains estiment qu’il n’a pas plus de dix ans mais d’autres affirment qu’il en a quatre-vingt de plus. Ridicule ! Grotesque ! s’étouffent les plus cartésiens. Mais quand l’un de ces éminents spécialistes pose la question à Hans et que celui-ci répond avec un accent du Yorkshire qu’il aura bientôt soixante-quinze ans, plus personne n’ose dire quelque chose.
Sa collection de casques militaires de la seconde guerre mondiale commença à proximité de Bercelonnette un lundi de janvier 1962, après qu’il eut inspecté un blockhaus oublié. Elle s’ interrompit en mai 1968 lorsqu’à l’occasion des évènements à Paris, il reçut un pavé d’un gabarit conséquent sur le crâne. Par un funeste manque de clairvoyance, il ne portait pas de casque.
Les pirates n’ont pas eu le temps de réagir, malgré leur système d’alerte raccordé à un supercalculateur des plus modernes, équipé de la technologie la plus avancée. Les systèmes de surveillance météorologiques n’ont pas failli, les capteurs fixés aux mats du galion ont rempli leur office et la technique n’a souffert d’aucune anomalie. Pourtant le bâtiment déchiqueté par la foudre a sombré par cinquante mètres de fond. Aucun des pirates à bord n’a pu réagir, tous étant cuits à point dans l’alcool.
Poussin appartient à cette catégorie d’hommes forgés dans les repères éducatifs du siècle dernier. Il ne parle pas la langue de bois et il se fiche de heurter ou de choquer les adeptes de l’inclusion majuscule.
On a arrêté Poussin après qu’il ait reproché à un collègue de revendiquer son homosexualité avec un peu trop d’arrogance.
Depuis, Poussin est exposé au fond d’une pièce aveugle en sous-sol et les employés sont conviés à venir lui cracher dessus et lui uriner dessus. D’après le DRH, Poussin est le tout premier individu à occuper un poste de vespasiennes humaines.
Entrant dans la gare de Perpignan en coup de vent, la grosse dame à talons se mit à pousser un hurlement animal si aigu que les chiens des clochards affalés dans l’entrée se prirent pour des loups et l’imitèrent. Un contrôleur désoeuvré venant à sa rencontre lui demanda si quelqu’un l’avait confondu avec une chanteuse d’opéra. Elle fondit en larmes et répondit que bien pire, un flic bien mal éduqué l’avait confondue avec une louve des steppes.