Il voulait devenir encreur, comme d’autres sont tirailleurs ou ferrailleurs. Encreur en Pennsylvanie, voilà qui selon lui aurait de la gueule. Vertu, Liberté et Indépendance, la devise de la Pennsylvanie aurait dû inquiéter son épouse. Mais elle accepta le déménagement à Inkerman, là où il serait encreur. C’est en découvrant qu’il avait trouvé une petite maison à l’adresse 36 Divorce Court qu’elle comprit que la Pennsylvanie c’était déjà fini.
Au sommet de la montagne, si l’on en croit les légendes des temps anciens, un chêne haut comme la Tour Eiffel et large comme le Nil abrite un caméléon aux écailles faites de l’or le plus pur. Le seigneur des Terres Inférieures a convoqué ses chevaliers les plus valeureux pour les lancer à la chasse de l’animal. Mais parce qu’il a négligé un détail, sa quête sera vaine. Nous sommes le 31 août et il y a des bouchons dingues sur le périphérique.
Après une brillante carrière de maître de conférence à l’université de Toronto, le professeur Erickson se retourne, au soir de sa retraite, sur sa carrière. Depuis son diplôme d’enseignant et ses premières années de professeur de lycée jusqu’à ses publications dans les revues spécialisées, presque toute sa vie fut une réussite… Seule son épouse, l’acariâtre Hélène, constitua un échec. Aussi, après l’avoir droguée et attachée sur la table de la cuisine, il va lui corriger le visage avec le fer à souder comme autrefois il corrigeait les copies avec son feutre rouge.
Emeline N chuta de vélo à l’âge de neuf ans et un roseau lui transperça la joue. Aucun nerf ne fut touché mais il fallut lui recoudre la langue. Pendant un mois elle ne mangea que du liquide avant de se nourrir de glace et de purée. Développant une passion pour ces aliments, elle pesait cent dix kilos à quatorze ans. Le jour de son anniversaire, elle se fit harakiri dans le bac à glaces du supermarché de son quartier. Ce jour-là, on battit un record de vente au rayon surgelés.
En temps normal dans sa tête se joue une scène campagnarde : étang, saule pleureur, cumulus de beau temps et des canards. Tout est très calme et il somnole, allongé dans l’herbe grasse. Mais depuis quelques semaines, c’est au coeur d’un chaos minéral qu’il se réveille. Il creuse avec ses mains pour se dégager mais il finit toujours par glisser dans la gueule d’un oiseau mécanique qui scintille et qui cliquète. Alors il lutte et crie très fort que non, pas la peine d’insister, il ne veut toujours pas devenir un androïde.
Le vin n’était pas encore tiré mais il le but malgré tout. Effarée par cet affront aux dictons qui soutiennent les us et les coutumes du pays, son épouse s’empressa de le dénoncer aux gendarmes. Le lendemain dès six heures tapantes, l’impertinent fut sommé de s’expliquer. Mais l’homme se justifia par une blague qui emporta les gendarmes dans un grand éclat de rire et il ne fut pas inquiété. Car, comme le dit le dicton : quand un gendarme rit à la gendarmerie, tous les gendarmes rient à la gendarmerie.
Après cinq ans de travail acharné, Jean-Pierre R venait de terminer la mise au point d’un moteur de voiture alimenté par de l’eau de pluie. Excité comme un jeune puceau entrant dans un bordel, la nuit qui suivit ses derniers tests concluants, il voulut fêter l’évènement avant de déposer un brevet à la Faculté. Mais au moment de traverser la rue pour rejoindre une brasserie en face de chez lui, il fut renversé par un chauffard ivre au volant d’une voiture électrique qu’il n’avait pas entendue.
Quand la journaliste demande à l’écrivain pourquoi celui-ci a choisi d’exercer son activité de scribe, il lui répond que c’est parce qu’en interrogeant Google Earth un jour où il s’ennuyait, le système a choisi un lieu arbitraire dans le monde et qu’il s’agissait de Monumental Writing, une sculpture représentant un scribe, érigée aux temps des grandes dynasties. Et la journaliste de se demander ce que serait devenu cet homme si Google Earth l’avait plutôt dirigé vers le mausolée de Ground Zero à Manhattan.
Jeune enfant, le 24 décembre, Hubert installait des tapettes à souris dans les pantoufles qu’il déposait devant le sapin de noël. Jeune homme, le jour de son mariage, Hubert versa de l’arsenic dans le verre de son beau-père. Jeune taulard, le lendemain de son incarcération, Hubert enfonça une lame dans la glotte de son codétenu. Jeune condamné, le jour de son exécution, Hubert arracha l’oreille de l’aumônier avec ses dents. Jeune trépassé, le jour de son arrivée devant les portes de l’Enfer, Hubert fut célébré en grandes pompes.
Depuis qu’elle a trouvé le corps sans vie d’un joueur de tuba dans l’ascenseur de sa résidence, Laurence C ne prend plus que l’escalier de service, malgré les douze étages. Elle a perdu du poids et s’est même découvert une passion pour le footing et les légumes verts qui l’aident à avaler les douze étages avec facilité.
Ce dimanche matin elle s’élance sur son premier marathon. Mais parvenue au trentième kilomètre, elle tombe raide. Le secouriste ne peut pas la ranimer et le plus troublant, c’est que l’homme joue du tuba le soir pour se détendre.
On apprend parfois aux enfants que les garçons naissent dans des choux. La Tasmanie n’est pas réputée pour sa production de choux et c’est pour une bonne raison. Abel Tasman, premier navigateur européen à explorer cette île à laquelle il donna son nom, ne naquit pas dans un chou mais il mourut dans une feuille de salade à Batavia, l’actuelle Djakarta. AV te salutant!
Parti du Nouveau-Mexique de façon précipitée, la faute à un gardien de zoo de mauvaise composition, Henry B fonçait à travers le nord du Texas à bord d’une Ford Bronco de 1978 à la carrosserie trouée. Sur la banquette arrière, une odeur nauséabonde de déjections, la faute à un chimpanzé volé au zoo de Sante Fe. Henry B ne voulait pas s’arrêter et laisser le primate faire ses besoins à l’extérieur et courir le risque que l’animal se fasse la belle.
« Tu sais quelle défense adopter ? »
L’avocat de Jérémie Maurice, tueur en série sanguinaire dont le procès démarrait le surlendemain, considéra son verre en cristal rempli de Chartreuse jaune. Puis il but une gorgée et regarda son frère d’un air léonin.
« Le juge est un ancien ingénieur, dit il. Il est donc sensible à la science. Je vais expliquer qu’un tueur en série, ce n’est jamais qu’un scientifique contrarié qui cherche, à sa façon, le mouvement perpétuel. »
Cela aurait du être un jour à marquer d’une pierre blanche. Deux cents invités, des joueurs de bouzouki, des danseurs de sirtaki, de l’ouzo à profusion et du Metaxa de première qualité. Sans parler du pope bien en chair et à la barbe fleurie, vêtu de noir devant la chapelle blanchie à la chaux.
Mais deux heures avant d’épouser Astérios, la mariée mangea un morceau de fêta dans la grange où elle s’était isolée avec son amant, cousin éloigné du mari et ennemi juré de celui-ci car né en Turquie. Bien sûr, la fêta était empoisonnée.
La dernière voiture thermique de l’humanité fut produite dans les ateliers d’une entreprise installée dans le Michigan. L’ultime pièce à assembler devait l’être par Gregory O, un ouvrier de 82 ans qui avait travaillé toute sa vie sur la chaine de montage et qui se lamentait de l’arrêt des moteurs thermiques au profit des voitures électriques. On attendait Gregory O autour de journalistes et de petits fours. Mais le retraité n’arriva jamais à l’usine, à cause d’un dysfonctionnement électrique commandant les feux tricolores d’un carrefour où il mourut au volant de son pick-up Ford diesel.
Le café lui fit du bien. À son estomac peut être moins, mais ce n’était pas son problème. Elle avait toujours eu une digestion facile et un transit réglé comme du papier à musique. Pourtant, les appareils de l’aéroport avaient détecté que quelque chose clochait. Même pour quelqu’un qui n’a jamais eu de problèmes gastriques, cinquante-cinq capsules de cocaïne dissimulées dans l’estomac, ça finit par encombrer.
Elle roule depuis une heure sur une route de montagne tourmentée et aride. Le soleil a, depuis un moment déjà, entamé sa descente vers l’horizon. Les sapins et les épicéas se succèdent par paquets compacts sur le bord de la route. La radio ne capte aucune station et aucun bar ni restaurant ne sera accessible avant sept cents kilomètres. Mais elle conduit avec le sourire, toutes ses possessions empilées sur la banquette arrière, heureuse de repartir à zéro. Reste à trouver un endroit où décharger le cadavre de son mari qui pourrit dans le coffre de la voiture.
Il ouvre la porte de la salle de classe un peu avant 08h00, une habitude à laquelle il reste attaché malgré les années et la confiance qu’il y a acquise. Il aime disposer d’un peu de temps pour lui, au calme, avant l’invasion des élèves et leurs humeurs tonitruantes.
Mais aujourd’hui, il ne les entendra pas arriver dans le tumulte de leur insouciance. Car à 08h30, lorsque les élèves entreront dans la classe, ils trouveront leur professeur qui se balancera au bout d’une corde.
À l’hôpital psychiatrique du Vinatier, il a été accueilli par une standardiste aux yeux de cabillaud mort. Quand il a eu fini de remplir le questionnaire et qu’il le lui a remis, elle a grimacé.
- Ça ne va pas être possible, on a déjà douze Napoléon !
- Ah. Et si je choisis Picasso, à la place ?
- Si vous voulez… Mais ne vous avisez pas à venir peinturlurer les murs !
- Même si je porte un bicorne ?
Sur l’horloge asthmatique, il est 105h03 et les aiguilles s’entrecroisent comme des lianes dans un coin d’Amazonie.
L’enfant qui se réveille enfonce l’index dans sa narine droite, tourne, creuse, gratte, cure et l’index extirpe une sorte de limace à lunettes qui possède une minuscule bouche : « Il est beaucoup trop tard pour se curer le nez ! » Et la limace, furieuse, saute dans la jungle de la tapisserie.
Allongée sur une butte de goudron fraichement fondu, la femme girafe somnole en rêvant de micocouliers et de baobabs.
Quand elle se concentre, il lui semble entendre le bruit de la pluie, clapotis régulier à la fréquence rassurante. Là où elle oublie les canyons désertiques qui strient sa peau, les cicatrices bleues qui hachurent son corps et le liquide purulent qui s’écoule de ses plaies béantes et qui la maintient coincée sur la butte de goudron.
Quelque chose avait changé depuis son départ. Il le sentait dans l’air, une atmosphère différente de celle qu’il avait toujours connue. Les années avaient passé, cet endroit n’était plus le même, mais il ne savait dire qu’est-ce qui était différent.
Quand il ouvrit la porte de chez lui, il aperçut les cadavres calcinés de ses parents et de ses frères, comme tous les autres, et cette même odeur de plastique fondu qu’ailleurs en ville.
Ce qu’il ne comprenait c’est pourquoi il résistait, lui, à la température de neuf cent degrés qui décimait la Terre.
Elle collectionnait les calembours d’endives tandis que lui préférait empiler les cactus pois chiches. Leur appartement penchait dans la rue entre les cinquième et sixième étages d’un immeuble troué comme du gruyère.
À l’angle du salon, une fuite d’huile de vidange dont personne ne connaissait l’origine gouttait sur les passants qui brandissaient le poing en retour en abreuvant d’injures les propriétaires.
Mais parce qu’ils ne se supportaient plus, elle portait un masque sur les yeux et lui du coton dans les oreilles. Et les plaintes du voisinage leur étaient tout à fait étrangères.
Depuis qu’il savait marcher, l’enfant passait son temps autour du vieil arbre fracassé par la foudre au fond du jardin. Il préférait rester là plutôt que de s’amuser, jouer, dessiner ou même nager. Son père, inquiet pour sa santé mentale, décida de couper l’arbre et de le déraciner. Une fois les racines extirpées de la terre, il aperçut un gouffre immense au fond duquel flambaient d’immenses brasiers où se consumaient pour l’éternité les pensionnaires de l’Enfer. Et c'était, il est vrai, un spectacle fascinant.
L’ascension de la face sud n’est pas plus facile que celle de la face nord. Il arrive toujours un moment où tes forces te lâchent, où tes pieds creusent, où tes mains griffent, sans que jamais tu ne parviennes à monter plus haut. Là, quand tes muscles tétanisent et que tu te sens prêt à lâcher, tu fermes les yeux, l’odeur de la garrigue te revient, les rochers d’une enfance, tu te souviens de celui qui n’aurait jamais renoncé et tu mets le doigt sur tout ce qu’il te manque.
Défenseur de la cause animale, Victor B. ne supportait plus la vue des abattoirs et des élevages en batterie. Malgré ses efforts et ses dénonciations, la situation ne s’améliorait pas.
Aussi se mit-il à boire pour oublier et pour prendre un peu de recul sur les évènements. Ivre, il voyait des éléphants roses flotter dans le ciel, libres de toute entrave.
Elmer Davidson a disparu des mémoires et des manuels d’histoire tandis que son frère devint célèbre avec William Harley une célèbre marque de motocyclettes.
Elmer préférait les gorilles aux moteurs, l’odeur de la jungle à celle de l’essence. Il disparut à l’âge de 25 ans lors d’une expédition à Kinshasa où il fut écrasé par un singe savant qui conduisait un side-car.
D’après Gérard, Adolf Hitler n’est pas mort et des scientifiques fous à la solde du führer ont cloné celui-ci puis l’ont croisé avec un robot mixeur. La créature échappe à la surveillance des gardes et sort les nuits de pleine lune pour découper en tranches gitans, invertis et fils d’Israël. Gérard n’en dort plus.
La femme de ce dernier, qui est une croisée bretonne lycaon à ascendance cocker doit le rassurer en lui sifflant des marches militaires polonaises qui l’aident à s’endormir.
Si Paul Gauguin n’avait pas été ruiné il ne serait pas devenu le peintre que l’on connaît. Aujourd’hui des traders et des PDG sont prêts à payer des fortunes pour acquérir un Gauguin.
Brett Easton Ellis n’a pas précisé si Patrick Bateman est plutôt branché Gauguin ou Bacon, nous laissant imaginer ce qui nous convient. Preuve que la littérature est supérieure au capitalisme.
C’est un fantôme très poli qui tient la porte et qui laisse sa place dans l’autobus qui roule tout autour de l’île. Les autres fantômes le raillent et le moquent mais lui croit que les bonnes manières sauveront le monde des morts.
Devenu la risée de son île des trépassés, il décide de s’en aller hanter d’autres horizons mais parce qu’il n’a pas les fonds nécessaires pour payer la traversée et qu’il ne veut pas frauder, il reste à quai et salue les fantômes qui embarquent en passagers clandestins.
Elle se demandait où passait la matière que remplaçaient les trous du fromage. Elle ne comprenait pas que les trous étaient là de façon naturelle. Son père lui expliquait pourtant plusieurs fois par semaine mais elle continuait à poser la question. Persuadée qu’il s’agissait d’un coup de son petit frère qui aimait faire des trous partout. Alors elle assomma son frère dans son sommeil et le disséqua à la recherche de la matière dont étaient faits les trous mais à la place des trous elle trouva des circuits imprimés et des boulons, des interrupteurs et des diodes.