Le jour de ses dix ans, François L reçut une montre, un ordinateur et une encyclopédie. Son père, visiblement ému, l’attira à lui et lui annonça : tu seras un homme, mon fils. Mais la réaction de sa progéniture ne fut pas celle attendue. François se dégagea avec impatience et répondit qu’il envisageait de changer de sexe dès ses seize ans. Et que son père pouvait se garder ses cadeaux rétrogrades de boomer, il voulait le dernier iPhone.
Après avoir vidé un énième compte d’épargne pour s’offrir une troisième Porsche, Bernard C trouva un mot sur la porte du frigidaire : « J’en ai assez de tes enfantillages, je te quitte. Mon avocat te contactera. »
Le lendemain, Bernard C reçut un appel de la gendarmerie d’Orléans. Sa femme était décédée dans un accident, sa Renault Kangoo s’était enroulée autour d’un poteau de téléphone. Après avoir raccroché, Bernard C se servit un schnaps puis appela la concession Porsche pour rajouter quelques options.
Le baron vivait dans son château aux confins du cercle arctique depuis plus de cent douze ans et ces derniers temps, il trouvait le temps long. Autrefois, il supportait les rigoureux hivers en s’enivrant de rhum et de cognac. Mais les chaleurs extrêmes de ces dernières décennies le privaient des soirées arrosées et des gueules de bois qui les suivaient. Sa dépression fut soudaine et profonde. Ne pouvant se suicider puisqu’il était déjà mort, il n'eut d’autres choix que de de boire de l’eau et il devint le premier fantôme à rejoindre une association d’alcooliques anonymes.
Superman vieillissant fut bientôt obligé de porter des lunettes correctrices pour y voir clair. Mais parce qu’il était Superman et qu’il avait une réputation à tenir, il refusa de s’abaisser à porter des lunettes.
Le 11 septembre 2001 il se trouvait à Manhattan et il entendit le Boeing approcher des tours jumelles. Son sixième sens le fit se presser dans une cabine téléphonique afin d’y revêtir son costume de superhéros. Mais parce qu’il n’y voyait rien, il se précipita dans des toilettes de chantier au lieu de la cabine téléphonique. Et on sait ce qu’il advint des tours jumelles.
Quand ils t’ont dit qu’un Français avait relié les deux tours du World Trade Center en marchant sur une corde, sans filet ni harnais de sécurité, tu t’es esclaffé. Ils t’ont assuré que c’était authentique, que cela remontait à 1974 mais que l’on disposait de photos et de films. Mais comme on te l’a appris durant un cours d’Instruction Civique Républicaine, tu as mis en doute la véracité de ces images, affirmant que l’IA les avait générées. Et ils ont eu l’audace de répondre que ni l’IA ni l’Internet n’existaient à cette époque !
Elle se souvient d’une rédaction à l’école où on lui avait demandé d’écrire un texte dans lequel elle devait imaginer être une bille coincée dans la rainure d’une cloison depuis deux générations. Aujourd’hui, après avoir publié dix romans, elle regarde le curseur qui clignote sur l’écran de son ordinateur, en haut de la page vierge et elle se demande ce qu’en penserait son vieil instituteur.
Elle avait appris à sa fille, alors encore enfant, comment piéger des bêtes dans la forêt et comment les dépecer pour conserver la viande plusieurs jours. L’enfant savait procéder pour couper, trancher et séparer la peau des bêtes de leur enveloppe. Mais elle gâcha tout en devenant végétarienne et collectionneuse de timbres.
Le reste de l’année on ignore où il se terre. Mais du 15 décembre au 15 janvier, on l’aperçoit aller et venir sur l’avenue, une pelle sur l’épaule, portant un épais pantalon treillis et des chaussures de sécurité qui s’accordent mal avec son maillot de corps rouge sur lequel est écrit « Santa Claus is dead ». Certains disent qu’ils l’ont aperçu creuser le goudron avec frénésie mais ce n’est pas mon cas. J’ai l’impression qu’il attend que j’ai le dos tourné pour se mettre à creuser.
Claustrophobe, il évitait les ascenseurs, les caves et les vols transatlantiques. Il fuyait la spéléologie, les toilettes publiques, ainsi que les cabines téléphoniques et les tunnels. Il vécut dans un camping de Ouarzazate où il dormait à la belle étoile. Il mourut sans murs ni plafond, piétiné par un chameau schizophrène qui avait peur de son ombre.
En ce temps-là, tu sentais le sang pulser dans ton corps, tes jambes prêtes à s’élancer dans cent directions différentes. Tu brûlais d’espoir et d’envie, tu trouvais le monde excitant et immense, t’imaginant déjà en aventurier jamais rassasié de découvertes, de paysages, d’expériences.
Et puis quelque chose de très pénible et de très stupide s’est produit, dont on t’avait pourtant prévenu mais que tu n’as pas vu ni senti venir. Tu es juste devenu un autre vieux con, bon pour la casse.