mardi 25 juin 2024

Journapalm 1779

Depuis qu’elle a découvert qu’elle est une authentique sorcière, Pamela Crochet ne part plus en vacances au bord de la mer. C’est dommage lui souffle son amie Suzanne car maintenant tu n’as plus à redouter les coups de soleil : tes potions magiques t’assureront un bronzage idéal. Mais se rendre sur la plage par trente-cinq degrés à l’ombre en longue toge noire est mal perçu par certains vacanciers à qui cela rappelle un peu trop les allées du centre commercial de leur banlieue.

lundi 24 juin 2024

Journapalm 1778

Au fond de la rue aux murs en pierres, une vieille bâtisse menace de s’effondrer sur les passants. La municipalité a déployé des matelas gonflables tout autour mais la maison en ruine joue les stars capricieuses : elle ne s’effondrera pas sur de vulgaires tapis de sol, elle exige des tapis au précieux tissu et de la mousse de qualité. On envoie donc un négociateur parlementer avec la demeure mais après deux heures de palabres, celui-ci s’en revient tout penaud : la maison ne veut rien savoir, elle reste de marbre.

dimanche 23 juin 2024

Journapalm 1777

C’est après quatre tentatives et alors qu’ils avaient abandonné tout espoir de devenir parents que Roberto et Paloma découvrirent lors d’une visite de routine chez la gynécologue qu’un ovule avait été fécondé et que, selon toute vraisemblance, un être humain se développait dans les entrailles de Paloma. Pour mettre toutes leurs chances de leur côté, Roberto décida de prénommer Attila l’enfant à naître. La grossesse se déroula sans accroc et au neuvième mois, Attila vit le jour. Mais Paloma succomba à une massive hémorragie de la délivrance.

samedi 22 juin 2024

Journapalm 1776

Elle est sûre d’elle et devant les officiers de la police de l’aéroport elle n’en démord pas : oui c’est bien un homme qu’elle a aperçu accroché à l’aile de l’Airbus au moment du décollage. Et oui, elle confirme qu’il portait bien un pantalon rouge, des bottes rouges et qu’il avait de longs cheveux blancs. En revanche elle n’a vu aucun renne dans les parages, ce n’est pas la peine de la mettre en garde à vue, elle n’en dira pas davantage sans la présence de son avocat, elle connait ses droits, non mais sans déconner !

vendredi 21 juin 2024

Journapalm 1775

Des milliers de rêves avortés ou de songes retournés, évanescence multiple qui a fait disparaître sous le revers de l’étoffe des centaines et des milliers de livres tous alignés les uns à la suite des autres, formant un carrelage antique aux diagonales tout à fait droites mais aux formes ventrues. Tes nuits ont passé à la moulinette les circuits syntaxiques de l’Amérique de 1949 à 2009, ensuite les sols se sont enfoncés et tes nuits t’ont toujours paru être celles d’un autre.

jeudi 20 juin 2024

Journapalm 1774

Réunies en une assemblée de visages tendus et de regards couleur gravier, les blouses blanches essayaient de te faire comprendre ce que ton esprit pris en otage par des forces sombres et insolites refusait de deviner. À chacune de leur assertion tu posais une question qui ouvrait le champ des possibles. Et les blouses blanches choisissaient leurs morts pour te renvoyer dans les cordes. Et ce n’est que lorsqu’elle a décidé qu’elle ne lirait plus que tu as compris que c’était terminé.

mercredi 19 juin 2024

Journapalm 1773

Grenier de la nation aux tiges vertes et jaunes pointées vers le ciel sémaphore, voici un pays dont tu ignores les battements cardiaques. Le vaste monde a débuté après être sorti de chez toi et avoir tourné à l’angle de ta rue. La géographie te paraissait lointaine et rébarbative lorsque tu étais enfant, tu lui préférais les certitudes de l’arithmétique. Tu n’es pas devenu ingénieur agronome ni professeur de mathématiques et tu regardes le monde défiler derrière la vitre avec une angoisse permanente.

mardi 18 juin 2024

Journapalm 1772

L’ennemi public intime se mesure en décibels. Il s’infiltre dans les interstices de ta conscience, rongeur affamé qui cherche comment grignoter en permanence chaque minuscule particule de toi laissée en suspens sur une plage d’espace-temps.
Le bruit gagne les batailles, renverse les isolements, il te colle aux basques comme un chien féroce à la gueule duquel personne ne parvient à accrocher une muselière. Et quand enfin il s’en va, ce sont tes dents qui claquent dans la nuit.

lundi 17 juin 2024

Journapalm 1771

Tu as aperçu le peau-rouge debout contre la maison abandonnée, sur le bord de la route. Tu as paris ça pour un signal et tu t’es engagé sur le bas-côté. La voiture de location a soulevé un panache de poussière dans tes rétroviseurs et les cailloux minuscules sont venus griffer les bas de caisse avec des bruits d’artillerie lourde. Lorsque tu es descendu du véhicule, le peau-rouge avait disparu et à la place, tu as trouvé un crâne de coyote et une bouteille vide de tord-boyaux avec, à l’intérieur, un serpent mort.

dimanche 16 juin 2024

Journapalm 1770

C’est encore loin ? On arrive quand ? En devenant adulte, tu as cessé de poser les questions dont tu sais que tu n’aimeras pas les réponses. Tu roules sans regarder l’heure, le ruban de goudron est ton écran panoramique, tu entrouvres la fenêtre lorsque tu manques d’air, la sensation de fraîcheur ne dure qu’une ou deux secondes. C’est une ombre qui conduit, tu es prisonnier à l’arrière de la voiture et tu aperçois tous les arrêts que tu manques sur le bas-côté. Devenu migrant de ta propre vie.

samedi 15 juin 2024

Journapalm 1769

Ils ont demandé à tout le monde de s’aligner au fond du gymnase, dos au mur pour bien observer les gestes à répéter. Tu avais onze ans mais le grotesque de la situation est encore très frais à ton esprit : il te suffit de fermer les yeux et d’imaginer que tu y es encore, c’est aussi vrai que nature. Le jour où tu as compris que tu ne pourrais pas suivre les autres, que tu ne serais pas un papillon de plus à se faire clouer les ailes sur une planche d’anatomie.

vendredi 14 juin 2024

Journapalm 1768

Les années ont pris la tangente un soir de fin d’automne. Tout s’est déroulé très vite, les millésimes sont tombés dans une tranchée creusée pour les besoins de la fibre, même si certains avancent que cela aurait été pareil avant internet, les réseaux et le temps de cerveau disponible. Le changement de millénaire n’a pas sonné à la porte, le chien n’a pas pu aboyer, on l’a laissé faire sans opposer la moindre résistance. Pire, on a redoublé d’enthousiasme avec des feux d’artifice prodigieux. Et le millénaire d’avant a disparu comme un braqueur dans la nuit, sur une moto volée.

jeudi 13 juin 2024

Journapalm 1767

Chez Giono un jour de mai
quand le ciel s’oublie
fricassée de cumulus abscons
explosions de rien à bas bruit
les nuages s’en balancent
des calendriers des fraises et
des coquelicots en pendentifs.

Assis à califourchon sur le toit d’une mansarde
au-dessus des roseaux le Rhône avance
comme une idée l’ouvrier perce et attend
des papillons dans la tête prévisions
météo inversées le Sud perd le Nord
après la pluie le bain de minuit
la Provence crache sa bile
chez Giono aussi
il ne pleut que sur les cons.

mercredi 12 juin 2024

Journapalm 1766

À l’ombre des remparts quarante siècles
d’histoire contemplent les touristes mais
le vendeur de pans-bagnats croit que
Napoléon est le héros de fiction d’une série
sur Netflix et le nom du chien de la voisine,
celle qui éternue d’avril à juin : l’allergie
printanière va chercher loin en Provence
où l’on snobe Napoléon et tant pis pour
les Corses qui demandent un supplément
d’huile d’olive dans leur pan-bagnat.

mardi 11 juin 2024

Journapalm 1765

Assise sur une pierre sur laquelle furent étendus
les corps de plusieurs suppliciés moyenâgeux
la femme aux baskets vertes fume une cigarette
qui sent la paille mouillée ou bien ce sont
ses baskets vertes aux semelles pleines
d’insectes écrasés, faites d’une sorte
de matière éponge ou qui y ressemble :
le sang des suppliciés oublié
de toute façon les sorcières ne portent pas
de baskets vertes et il parait que
même pour les balais,
personne n’est vraiment sûr.

lundi 10 juin 2024

Journapalm 1764

Sur les collines de chênes
le souffle du dragon étend sa toile
d’araignée brumeuse
les rouges-gorges chantent
sans distinguer les écailles.

Saint Georges boit son café
pour le combat il faudra
repasser aux heures ouvrées,
on ne terrasse personne pendant
la pause syndicale, le dragon
peut toujours regarder une série
en attendant ou bien
faire des mots-croisés.

dimanche 9 juin 2024

Journapalm 1763

L’averse de grêle sur les hauteurs
d’Apt me fait penser aux embruns
au-dessus de la côte de granit rose.

Les ocres font ce qu’ils peuvent : des murs
sans barreaux aux échelles et tu ouvres
le parapluie sur lequel sont inscrits
les mots boiteux d’un haïku de Kerouac
oublié dans un carnet lors de son voyage
en Bretagne vers la fin de sa vie.

samedi 8 juin 2024

Journapalm 1762

Ses pattes fichées dans l’herbe grasse, un rouge-gorge qui se prend pour un merle plante le bec dans le sang de la terre. Un lombric qui se prend pour un serpent se met à siffler, pris au piège. L’instant d’après, le tonnerre gronde, l’éclair frappe le peuplier et une grosse branche écrase merle et lombric. Fin des problèmes de dédoublement de personnalité des êtres vivants du jardin, beaucoup plus efficace qu’une prescription médicale.

vendredi 7 juin 2024

Journapalm 1761

Au bout de cette rue pavée, à l’écart des pins qui goutent, des collégiens en short et cagoule attendant un camarade avec lequel rentrer chez eux. Les mains dans les poches, ils mâchent du chewing-gum et s’invectivent en se traitant de petit pédé qui pue. Parfois une bagarre éclate et les chats errants s’enfuient en leur jetant des regards bistres. Demain nous serons mercredi et la galère ne mesurera qu’une demi-journée de long. En attendant il faut rentrer chez soi et retrouver des parents dépassés.

jeudi 6 juin 2024

Journapalm 1760

Il n’était pas prévu que leur voyage se prolongeât à proximité du Colorado. Mais les abysses du Grand Canyon lui donnèrent des idées de liberté. Il fut tout de même très étonné de constater que le vieux du truc du « recule encore un peu » put fonctionner encore aussi bien. Mais après tout, sa femme avait toujours été très crédule.

mercredi 5 juin 2024

Journapalm 1759

On lui a dit qu’il s’agissait d’un spécimen très spécial, particulier à plus d’un titre, au pelage blanc comme la neige à cause d’une spécificité génétique des plus rares. L’homme aux paupières cousues a acquiescé en entendant ces mots puis il a creusé dans la nuit en attendant que la jeune femme de l’association annonçât son verdict. Celle-ci a secoué la tête puis elle a dit qu’un ours noir, même albinos, ça ne serait jamais aussi efficace qu’un labrador pour faire le job de guide.

mardi 4 juin 2024

Journapalm 1758

Tu aurais pu naitre araignée,
cafard ou bien lézard,
scorpion au dard venimeux,
serpent au venin mortel, mais le destin
t’a fait du genre des Hommes :
gargouillis grotesques devant lesquels s’ébaubit
toute la clique
des oncles des tantes, cousins et voisins
même le chien à mémère qui aboie
comme un roquet
pour souligner son admiration canine,
ils étaient tous à tes pieds aussi
t’as juste eu à avancer,
grandir à peine et devenir un politicien
cafard scorpion et serpent
en une seule incarnation.

lundi 3 juin 2024

Journapalm 1757

Quand il pénètre dans l’aéroport et qu’il lève la tête vers le panneau d’affichage des prochains vols, il est saisi par une impression de déjà-vu. La façon dont il se sent un peu nauséeux, l’ordre des vols annoncés et même leurs numéros : comme s’il avait déjà vécu ce moment. Et puis le trouble s’amenuise avant de disparaitre tout à fait lorsqu’il monte dans l’avion. Deux heures plus tard, au moment où le Boeing décroche et pique droit dans l’océan, il est certain de n’avoir encore jamais vécu ce moment.

dimanche 2 juin 2024

"épicéa" : 5 semaines pour la 5ème version

La météo pluvieuse du mois de mai m'aura permis de venir à bout de la cinquième version du roman démarré il y a un an et demi. Cinq semaines pour réécrire une quatrième fois en intégralité ce roman qui m'aura décidément posé beaucoup de difficultés. Abandon du projet, reprise, réécriture, changements de cap, abandon de certains fils narratifs qui n'apportaient rien... Mais cette fois ça y est, la version définitive - ou presque - est écrite. Bien sûr il va maintenant falloir relire ce tapuscrit au calme, l'améliorer, le corriger mais il ne s'agira que de cosmétique et de maigres modifications. La structure n'évoluera plus, le plus gros du travail est donc fait. Je vais laisser reposer deux ou trois semaines avant de m'y remettre pour cette phase de relecture. En attendant, j'ai des nouvelles à corriger.

Journapalm 1756

Cet homme-là, à force d’accumuler les déconvenues et de multiplier les malheurs en était parvenu à un point où il ne ressentait plus rien. Les déconvenues et les coups de déveine, les malheurs petits ou grands glissaient sur lui avec bonhomie. Aussi personne ne s’étonna lorsqu’il annonça démissionner de son emploi d’inspecteur des impôts pour devenir fakir et passer ses journées sur des charbons ardents en se gargarisant à l’essence tandis qu’il s’enfonçait des lames dans l’estomac.

samedi 1 juin 2024

Journapalm 1755

Une seule décision différente aurait tout bouleversé de ta vie. Un seul changement de cap à vingt-deux ans sans qu’à l’époque tu ne te doutais que tu envoyais rouler les dés avec de telles conséquences. La suite ne fut qu’une succession de décisions infimes sur le moment mais qui toutes mises bout à bout ont fait de toi celui que tu es devenu. Et les nuits d’insomnie, tu te réveilles inquiet de savoir ce que sont devenus tous tes autres toi.