lundi 16 septembre 2024

Journapalm 1855

Devant la salle de spectacles, une poutre en bois fait le tour du bâtiment. Les spectateurs, avant d’entrer, sont priés d’y attacher leurs chevaux, leurs chiens et leurs enfants. Pour les personnes imprévoyantes, des colliers à clous et des laisses à lanière recouverte de verre pilé sont disponibles à l’accueil contre une somme modique qui sera rendue à la restitution du matériel. Ceux qui craignent que leur animal ou leur enfant pleure un peu trop pendant leur absence peuvent recourir aux services d’une nourrice. Ici on peut assister aux décapitations l’esprit serein, les organisateurs ont pensé à tout.

dimanche 15 septembre 2024

Journapalm 1854

Comme un coup de sabot dans les genoux, tu tombes par terre, tes jambes en defcon 2 et soudain la boue ne te dérange plus. Après tout il ne s’agit que d’un peu d’eau et de terre mélangés : pour un peu, un sorcier de l’Est ferait de toi un golem, un golem un peu étrange qui boite et qui serre les dents, qui jure à voix basse en regardant les chevaux s’éloigner en hennissant, dans une prairie dont tu ne connais pas les frontières.

samedi 14 septembre 2024

Journapalm 1853

« La pulpe des cactus à Acapulco est bien plus fraiche que celle d’un piment poivré à Perpignan. En revanche, rien ne vaut une bonne anchoïade élaborée à Collioure, même si on ne l’accompagne pas d’une bière aromatisée à la Téquila. »
Le critique gastronomique Henri D. est mort juste après avoir noté ces lignes dans son journal intime, à la date du 10 novembre. Et depuis, pas un jour de passe sans qu’un cuisinier désœuvré n’illustre ces propos en élaborant sa vision personnelle de l’anchoïade à la pulpe de cactus.

vendredi 13 septembre 2024

Journapalm 1852

À l’ombre de l’arbre pélican tu sens ton corps en dérive douce, ta géographie intime comme en lévitation dans un monde futuriste qui croquerait dans la pomme du présent. Mais Ève ne crache pas les pépins, elle ne laisse rien du fruit à l’origine de l’arbre pélican, même si tu te demandes qui de l’œuf pomme ou de la poule arbre pélican est venu le premier. Peut-être trouveras-tu la réponse dans les rainures du sable, à la verticale du gosier de l’arbre pélican, à l’endroit où tu as rangé ce livre de Pynchon bien trop ample pour ta vie étriquée.

jeudi 12 septembre 2024

Journapalm 1851

Il n’existe pas de 25 août, le jour a été banni des calendriers modernes un dimanche de printemps lorsque les employés grévistes du Temps Universel ont décidé de hausser le ton. Certains avancent que la date du 25 août a été sacrifiée en mémoire de la naissance de Jorge Luis Borges. Or, quand ils réalisèrent que celui-ci était né un 24 août, les responsables de la disparition calendaire du 25 août demandèrent la modification mais il était déjà bien trop tard, même si Borges reposait dans l’autre monde depuis vingt ans déjà.

mercredi 11 septembre 2024

Journapalm 1850

Le lundi matin au-dessus de son bureau, fixé au mur sur une planche en bois vernie, un renard naturalisé en position d’attaque semblait défiait ses visiteurs.
Le vendredi après-midi, en lieu et place du renard naturalisé se trouvait la tête du directeur plongée dans un bocal de formol, ses yeux et sa bouche figés d’effroi pour l’éternité.
Depuis, tout le monde recherche la comptable qui travaillait dans ce bureau décoré de façon si peu conventionnelle.

mardi 10 septembre 2024

Journapalm 1849

« Une échelle, vite, une échelle ! » Toujours, depuis l’enfance, le petit Nicolas G. démontra un caractère renfrogné et colérique marqué par l’impatience. Publié avant d’avoir atteint l’âge de vingt-deux ans, barbu bien avant l’heure, mature sexuel à l’âge de dix ans, il mourut de vieillesse et d’épuisement psychique alors qu’il n’avait pas encore quarante ans. Aussi, personne ne sait dire pourquoi au moment de mourir, il réclama une échelle et non un ascenseur.

lundi 9 septembre 2024

Journapalm 1848

Roberto Bolaño n’a pas écrit à Bolinas, même s’il fut publié en France chez Christian Bourgois, point commun avec Richard Brautigan qui, lui, a écrit à Bolinas. Ils partageaient en outre leurs initiales, leur naissance sur le continent des Amériques et leur mort prématurée : à 49 ans pour Brautigan, à 50 ans pour Bolaño. Ils se sont éteints dans une ville dont le nom commence par la même lettre que leur patronyme : Bolinas pour Brautigan, Barcelone pour Bolaño. Au fond, entre l’un et l’autre il n’y eut que 5946 miles et quelques livres.

dimanche 8 septembre 2024

Journapalm 1847

Adam n’aurait jamais imaginé verser un jour dans la taphophilie, un terme dont il ignora l’existence jusqu’à ses quarante-deux ans. À cette époque, il se mit à souffrir d’angoisses et de crises d’insomnie. Après avoir consulté plusieurs spécialistes et essayé de multiples traitements, il s’enfonça dans une mélancolie profonde qui revêtit bientôt les atours d’une dépression. Au même moment, il découvrit qu’arpenter les allées silencieuses d’un cimetière l’apaisait. Devenu amateur de taphophilie, Adam va beaucoup mieux, même s’il n’est toujours pas parvenu à placer le mot au scrabble.

samedi 7 septembre 2024

Journapalm 1846

Souvent le ciel se voile de lettres charbon, alphabet ambigu qui sent la viande oubliée sur le feu. Des milliers d’étourneaux qu’un seul bruit a suffi à rendre fous et qui s’éparpillent dans l’azur contrarié, comme guidés par une impulsion électrique venue de nulle part.
L’enfant qui te suit lève la tête et s’égare dans un entre-monde dont tu as depuis longtemps été chassé. Tu connais bien ces sensations et tu ne parviens pas à te résoudre à appuyer sur la détente.

vendredi 6 septembre 2024

Journapalm 1845

Chez le voisin qui habite un peu plus bas sur l’avenue, on aime les traditions. Les jours qui ont précédé Noël, le voisin a acheté un immense sapin qu’il s’est fait livrer par camion et dont il a coupé la cime afin de le faire entrer dans sa maison. Avec ses enfants, ils ont décoré le sapin de boules colorées et de guirlandes lumineuses. Et comme il était pyromane, le soir de noël, le voisin a aspergé d’essence le sapin avant d’y mettre le feu. Nous avons eu droit à un joli ballet de gyrophares et de sirènes de pompiers cette année pour le réveillon.

jeudi 5 septembre 2024

Journapalm 1844

La gravité de cette planète était telle que les candidats au suicide qui se jetaient du haut des immeubles mettaient parfois des semaines avant de s’écraser au sol, plusieurs centaines de mètres plus bas. Aussi il n’était pas rare que les désespérés meurent de faim et d’épuisement avant de terminer broyés sur le plancher des vaches.

mercredi 4 septembre 2024

Journapalm 1843

Le wagon sentait l’eau de Cologne et la vanille. Du plafond bombé et décoré de frises rococos tombait un éclairage de fin du monde. Parvenue sur le seuil du wagon, la femme marqua un temps d’arrêt et interrogea du regard les trois occupants. Mais ceux-ci étaient des lézards à collerette – certes vêtus de costumes élégants et qui lisaient le journal en dégustant leur thé mais qui ne savaient pas parler. Inquiète, la femme rebroussa chemin et s’installa dans un wagon de soudards aux bouches avinées et aux faciès déments mais doués de parole.

mardi 3 septembre 2024

Journapalm 1842

Au fond du jardin, derrière les grilles rouillées de ce qui fut autrefois un refuge, tu as découvert les restes d’une motocyclette à panier adjacent et de construction russe. Elle est sous une bâche poussiéreuse constellée de fientes d’hirondelles. Tu pourrais te demander d’où sort ce véhicule exotique et comment il a bien pu atterrir chez un grand-père mutique au front haut mais non, la seule chose qui te turlupine, c’est de savoir où nichent ces satanées hirondelles.

lundi 2 septembre 2024

Journapalm 1841

D’après la vieille femme penchée qui vit au-dessus de la baie des Enfers, le dernier naufrage à s’être produit à proximité des côtes remonte à plus de trente ans. Bien qu’elle soit âgée, elle assure en garder un souvenir très net. Son père faisait partie des victimes, dit-elle, raison pour laquelle cela est resté précis dans sa mémoire. D’autres jours pourtant, elle nous dit que son père est tombé au champ d’honneur, le corps traversé par un éclat d’obus sur la front. La réalité se trouve donc quelque part entre les tranchées de la Somme et l’océan.

dimanche 1 septembre 2024

Journapalm 1840

Sur l’esplanade, à l’ombre des platanes à l’écorce volage, tu bois un chocolat chaud dans le froid mordant de décembre. Tes yeux sont restés les mêmes et pourtant le décor est devenu flou autour de toi. Les odeurs se sont travesties mais tu as oublié dans quel sens et dans quel ordre. On te dit de te laisser aller et de ne pas chercher à lutter. Tu lèves la tête et tu contemples le ciel bleu en te demandant combien de temps encore tu pourras venir déguster un chocolat chaud sous les platanes de ton enfance.