Sa collection de casques militaires de la seconde guerre mondiale commença à proximité de Bercelonnette un lundi de janvier 1962, après qu’il eut inspecté un blockhaus oublié. Elle s’ interrompit en mai 1968 lorsqu’à l’occasion des évènements à Paris, il reçut un pavé d’un gabarit conséquent sur le crâne. Par un funeste manque de clairvoyance, il ne portait pas de casque.
Les pirates n’ont pas eu le temps de réagir, malgré leur système d’alerte raccordé à un supercalculateur des plus modernes, équipé de la technologie la plus avancée. Les systèmes de surveillance météorologiques n’ont pas failli, les capteurs fixés aux mats du galion ont rempli leur office et la technique n’a souffert d’aucune anomalie. Pourtant le bâtiment déchiqueté par la foudre a sombré par cinquante mètres de fond. Aucun des pirates à bord n’a pu réagir, tous étant cuits à point dans l’alcool.
Poussin appartient à cette catégorie d’hommes forgés dans les repères éducatifs du siècle dernier. Il ne parle pas la langue de bois et il se fiche de heurter ou de choquer les adeptes de l’inclusion majuscule.
On a arrêté Poussin après qu’il ait reproché à un collègue de revendiquer son homosexualité avec un peu trop d’arrogance.
Depuis, Poussin est exposé au fond d’une pièce aveugle en sous-sol et les employés sont conviés à venir lui cracher dessus et lui uriner dessus. D’après le DRH, Poussin est le tout premier individu à occuper un poste de vespasiennes humaines.
Entrant dans la gare de Perpignan en coup de vent, la grosse dame à talons se mit à pousser un hurlement animal si aigu que les chiens des clochards affalés dans l’entrée se prirent pour des loups et l’imitèrent. Un contrôleur désoeuvré venant à sa rencontre lui demanda si quelqu’un l’avait confondu avec une chanteuse d’opéra. Elle fondit en larmes et répondit que bien pire, un flic bien mal éduqué l’avait confondue avec une louve des steppes.
La question du suicide lui pose un problème insoluble, chaque fin de journée plus obscure que la précédente sans qu’il ne trouve de réponse adéquate. Le professeur perd l’appétit, puis le sommeil et la raison. Ses étudiants le voient décliner, arriver en retard aux cours que, bientôt, il ne peut plus assurer.
On le retrouve inconscient un matin d’octobre, cadavérique sac d’os allongé dans son cabinet de curiosités aux fenêtres brisées, les pages de plusieurs encyclopédies ouvertes et tournant dans le courant d’air.
Il sait, au fond de lui, qu’il ne résoudra rien en tuant tous les corbeaux du parc. Pourtant il continue de charger sa carabine 22 long rifle et de les descendre comme à la fête foraine. Il faut le voir, le coude appuyé sur le rebord de sa fenêtre, un œil fermé, l’autre qui aligne sa cible et après la détonation, son bref rire d’enfant diabolique. Son père affirme qu’il cherche à se venger d’une mère qui a quitté le foyer pour s’enfuir avec un biographe d’Edgar Poe mais lui, il ne l’a jamais confirmé.
D’après les vétérinaires de la mission, l’ours Alpha a attrapé un rhume en fouinant dans les poubelles de Paul Léautaud. Les docteurs en littérature moderne qui pointent au service public pour être grassement rétribués de leur condition de minus habens patenté avancent qu’une telle chose est impossible. Car à l’époque de Paul Léautaud, on n’utilisait pas encore les mouchoirs en papier. Oubliant un peu vite que si le premier être vivant à avoir été en orbite était un chien, le premier animal à avoir voyagé dans le temps était un ours.
Demain tu auras dix-huit ans, la vie devant toi, une éternité et le plus bel âge pour en profiter. Tu vivras des rêves, des heures perdues, des jours gâchés à ne rien faire, tu feras des nuits blanches, des envieux, des jaloux, des régimes et tu iras en vacances ailleurs pour devenir l’autre toi-même sans vraiment savoir qui est ce toi dont on te parle comme d’une étrangère. Quand tu reviendras, tu te souviendras de demain comme d’un mirage évanescent que l’autre toi attendra encore.
Elle aurait pu devenir chanteuse des variétés, miss camping Valras Plage, coiffeuse au centre commercial sur la RN quelque chose, barmaid au bowling derrière le Leclerc de la ZI nord, vendeuse de jeans chinois déstockés dans une friperie communautaire, assistante de direction pour un requin à faible émoluments coincé dans un aquarium grand comme une Renault Clio. Mais elle avait découvert les livres de Blaise Cendrars et depuis, sa vie courrait loin devant ses rêves.
Des oiseaux barbares aux balcons
dessins de guerre en panoramique
les vieux résistants ont baissé la garde
on les voit chaque après-midi assis
sur les bancs crasseux de parc
émietter du pain sec pour les pigeons
ou bien les canards domestiques.
Il y a trois matins de cela ils défonçaient
les crânes dans la vallée sans se soucier
des oiseaux témoins
leurs mains épaisses rouges de sang
gluantes de boyaux et de lymphe
l’odeur de l’agonie multipliée
ne leur coupait même pas l’appétit.
Il peint des bocages depuis l’âge de dix ans. Sa mère originaire du Pays d’Auge assure qu’il rend hommage à son ascendance paysanne, son père originaire de Louisiane soutient qu’il honore le pays des bayous infestés de créatures dissimulées dans les eaux stagnantes des marais. Il hausse les épaules et continue de peindre des bocages car il ne sait rien faire d’autre.
Son père et son grand-père étaient morts pour la patrie aussi n’hésita t-il pas à s’engager dès que le vent de la paix tomba. Fier dans son uniforme de puceau, il partit au combat avec un sourire carnavalesque et des œillets à la boutonnière. Mais dans le train qui le conduisait à la zone de combats, il attrapa une sévère dysenterie. On retrouva des œillets tout autour de la cuvette sur laquelle il gisait mort.
Enfant, elle s’endormait tard, insistant pour apercevoir les étoiles qu’elle voulait compter sans en oublier une seule, même si elle n’était pas vraiment sûre de ce qui venait après dix-huit. En grandissant, les étoiles l’ont toujours fascinée, bien plus que l’arithmétique. Cela ne nous étonna pas lorsque le matin de ses dix-huit ans, nous trouvâmes sa chambre vide et un mot d’adieu collé sur le frigidaire annonçant qu’elle voulait voir à quoi ressembler le ciel de l’autre côté du monde.
Tu as pointé le doigt au hasard, en espérant toucher Big Sur, mais ta main a glissé sur un espace insécable et tu as renversé la conserve de haricots en sauce sur la moquette ; presque sans bruit, comme une page qui se tourne un après-midi de printemps. Elle t’a lancé un regard… t’avais jamais vu le noir avant, et elle t’a dit que t’irais à Big Sur tout seul, parce que tes histoires de vieux fou ça ne l’amusait plus, surtout avec l’estomac vide.