Ce chien, tu aurais pu le prendre pour un fauteuil Chesterfield et t’asseoir dessus le soir, près du feu. Mais dans ce bout de désert, le cactus et les rochers rouges n’offrent aucune matière apte à la combustion spontanée. Tu as aperçu un serpent se faufiler dans les entrelacs du désert puis tu as mordu dans un cactus pour te souvenir du goût du lait. Et le chien est parti en courant, langue pantelante, ventre à terre.
Tu te tiens debout, malgré la fatigue et l’ennui. D’autres que toi sont venus et déjà repartis, ils ont été brillants et inspirés, le jury a hoché la tête, conquis, souriant, leurs yeux pétillant en stéréo derrière leurs lunettes. D’autres que toi ont été plus vifs, plus profonds, plus inspirés, plus sûrs, plus appliqués, et tu dois maintenant jouer ce jeu dont tu ne comprends pas les règles. L’enthousiasme général ne te touche pas, leurs paroles pleuvent sans te toucher, pareilles à des fientes lâchées par des oiseaux itinérants dans un ciel dont la couleur t’est étrangère.
Un jour, peut-être le matin ou bien le soir, tu estimeras que le temps sera venu. Il ne s’agira pas de dresser des bilans, d’établir un codicille, on ne tiendra pas de grands discours. Tu le sentiras, tout au fond de toi, comme une disparition progressive, une absence, démarrée des décennies plus tôt.
Tu te posteras derrière la fenêtre et tu observeras le monde qui tangue derrière la vitre embuée, les paysages de glace qui se craquellent. Et dans l’écho de la cloche, tu entendras le signal du départ, peut-être le matin ou bien le soir.
Après avoir écartelé les deux cent mille lecteurs acharnés que compte le pays, les diplômés des grandes écoles de commerce ont brûlé tous les livres qui colportaient une pensée contraire à la Doxa. Puis ils ont détourné les vaches promises à l’abattoir pour les faire rôtir au coeur du brasier. Mais à l’aube suivante, les vaches revenues d’entre les morts savaient l’art de la parole. Elles sont devenues sacrées et les hommes leur ont érigé des temples et des autels sacrés.
Après avoir écartelé les deux cent mille lecteurs acharnés que compte le pays, les diplômés des grandes écoles de commerce ont brûlé tous les livres qui colportaient une pensée contraire à la Doxa. Puis ils ont détourné les vaches promises à l’abattoir pour les faire rôtir au coeur du brasier. Mais à l’aube suivante, les vaches revenues d’entre les morts savaient l’art de la parole. Elles sont devenues sacrées et les hommes leur ont érigé des temples et des autels sacrés.
Encouragé par son propre père à rompre avec la tradition familiale, Enrique H. quitta l’Andalousie pour Tolède et préféra à la confection d’huile d’olive celle de l’acier des épées. Enrique H. eut le mauvais goût de compter fleurette à une femme mariée à un obscur et jaloux garde forestier connu pour son habileté au maniement des armes. Transpercé par un sabre forgé dans la région, Enrique H. mourut sur la place Zocodover après s’être vidé de son sang qu’il avait couleur huile d’olive.
Parce qu’il jalousait la célèbre fontaine des quatre sans cul de Chambéry, le maire d’une commune voisine prit en otage la femme d’un célèbre biochimiste se vantant d’avoir cloné un mammouth à partir de matériel ADN trouvé dans la glace. Le maire lui commanda quatre mammouths naturalisés pour en fabriquer une fontaine monumentale. Mais le biochimiste préférait la liberté à sa femme et refusa. De rage, le maire fit empailler la malheureuse et l’exposa sur la place de sa ville, son postérieur étant, il est vrai, de fort appréciable volume.
Docteur, il faut que vous me receviez tout de suite.
Allons, Maurice, il est 21h00, à cette heure-ci les gens raisonnables dînent en famille.
Je vis seul.
Mais moi non ! J’ai une épouse, des enfants, et de nombreuses maîtresses.
Docteur, lorsque je presse mes tempes entre mes mains, je me mets à vomir un liquide verdâtre et grumeleux.
Hé bien, ne le faites pas !
Je ne peux pas m’en empêcher docteur, c’est plus fort que moi !
Demandez donc à votre femme de se rendre utile. Qu’elle vous tranche les mains et tout s’arrangera, vous verrez…
Elle lui en voulait beaucoup d’avoir laissé mourir de faim Kim, son chimpanzé. Il restait bien Loubard, le bonobo éjaculateur précoce mais il était un peu trop con et obsédé pour qu’elle s’y attachât vraiment.
Selon les premières conclusions de l’enquête, elle avait jeté un flacon d’acide sur le visage de son fiancé avant de le scalper à l’aide d’une lame de rasoir. Comment avait-elle pu ouvrir un refuge pour primates en détestant à ce point les hommes poilus dépassait l’entendement. `
Il pourrait être chevalier ou robot à cerveau positronique, une ancienne silhouette au pardessus poussiéreux, ou bien la vision rêvée d’un biochimiste à cravate de cow-boy.
Mais voilà, il est tombé en panne d’essence avant d’atteindre Monument Valley et sa Jeep climatisée a refusé d’avancer plus loin. Alors il a marché dans le chemin sans bordures, en direction d’un demain dont il ne savait rien, sinon qu’il rencontrerait un vieil homme au visage ridé et aux favoris broussailleux assis au milieu de la piste des Navajos
Dès la sortie de la maternité, l’homme savait que leur choix serait difficile à assumer. En grimpant dans le taxi en compagnie du nouveau-né et de la mère, à la question du chauffeur, il répondit : on l’a baptisé Ponce Pilate. Alors le chauffeur haussa les épaules et remit son compteur à zéro. Désolé m’sieur dame mais je suis bouddhiste et je m’en lave les mains moi aussi. Et le taxi s’éloigna dans un nuage de gaz d’échappement très zen.
Le journal apocryphe d’un chasseur de chimères posé sur sa table de nuit, l’enfant aux cheveux bancs sonde la nuit qui s’épaissit. Il se souvient qu’autrefois, une voix aimante et douce lui murmurait à l’oreille des récits légendaires pour tromper le sommeil. Les lunes absentes ont lancé des osselets en pâte à sel dans un ciel d’équinoxe et il ne reste plus de cette voix qu’un lointain murmure qui s’amenuise au plus fort de la nuit. Alors l’enfant remue son corps fatigué et attrape le livre pour s’autoriser un surplus de vie avant que sonne le glas.
Tu as levé la tête et aperçu les fournaises de la ville qui se reflétaient dans l’atmosphère. Un scintillement mordoré qui se produit une ou deux fois l’an, as-tu cru lire quelque part. Entre ici et là-bas s’étend la mer, jaune ou grise selon l’heure, salée jusqu’à l’écoeurement.
Tu as rassemblé tes affaires, tes esprits, tes grains de peau et tu as enjambé l’espace intercalaire ; pensant à découper la mer en petits cubes indépendants plus digestes pour traverser la nuit, ton attention entortillée au clocher de l’église qui se brouille à l’horizon.
Quand elle fut lassée de supporter ses moqueries et ses chemises à fleurs, la postière du Puy en Velay enfonça dans l’artère jugulaire de son mari la lame du couteau avec lequel, autrefois, son père tuait le cochon.
Le sang de l’époux se mit à couler avec de formidables glouglous qui résonnèrent dans la cuisine tandis que le tissu de sa chemise à fleurs virait au grenat. Certains cochons meurent en silence dans une sorte de pied de nez à la jactance qui les animait de leur vivant.
Ce régiment-là partait à l’aube et ses troupes jouaient plutôt dans la catégorie des ombres que celle des donjons aux douves intimidantes. Ils partirent peu nombreux mais ils arrivèrent moins encore, le chemin avait lessivé leurs corps et blanchi leurs âmes. Silhouettes d’haridelles au rebord de la mort, à genoux même debout, l’odeur des corps en décomposition plein les chairs. Ce régiment-là hantera longtemps les mémoires sur les chemins du sud qui scintillent au crépuscule.
Réveillé par le tambourin des pieds
et coulent les baves indociles
l’étage du dessus abrite la folle
mégère apprivoisée qui papillonne
collectionne les images d’Épinal
tant de clichés au mètre carré
elle pourrait se renommer Kodak.
Tu te lèves le dos moulu ton corps a
traversé la nuit comme un voyage d’Ulysse
et un réveil encore loin d’Ithaque
souviens-toi de l’oracle chauve
dix mille jours et pas un de moins
ton purgatoire au matin se teinte d’un violet
qui a le goût de l’enfance.
Souhaitant constater la véracité de la théorie du chaos, Philibert D, lorsqu’il eut capturé une mouche, lui arracha les ailes puis les pattes. Devant cet acte de cruauté gratuit, sa sœur militante à la SPA s’empara du premier objet à proximité – une casserole en fonte – et lui en administra un formidable coup à la tête. Désormais, Philibert sait qu’une mouche qui perd ses ailes à un endroit de la cuisine, entraine une déflagration en provenance du côté opposé de la pièce.
Mine aux éclats de saphir, sous la chaleur mortifère d’un enfer à ciel ouvert, des bouts d’or et de charbon mêlés dans les cheveux. Hier encore, il courait dans les rues d’Hobart, chantant et riant, sorte de criquet fou à la conjonction de Twain, London et Golding. Son corps forgé par des hanches puissantes et douces d’une mère depuis condamnée au bûcher, il mènera la société de l’île à sa perte. Mais les ouvriers le suivent, à cause de l’éclat saphir qui danse dans ses yeux lorsqu’il parle d’ailleurs.
Depuis l’embarcadère, elle se dresse, Babel d’atomes, de chair, de sang, de muscles, de tendons : paquet dense d’os et de nerfs qui ressemble à un tableau anonyme dansant dans tous les esprits. Apparition, fantasmagorie, elle endosse les costumes, revêt les masques, alterne les enveloppes sur sa silhouette de flèche, avec dans le regard un trou béant. Si l’on se penche au-dessus de ses orbites, on chute dans un monde sans frontières ni limites, avalés dans un puits insondable. Dans une heure elle disparaitra, aspirée par un gouffre sous marin où elle pensera croiser son reflet authentique.
Il n’a aucun nom. Ou pas de nom connu, même s’il l’a peut-être communiqué en montant dans l’autobus. Un témoin installé au deuxième rang assure l’avoir entendu baragouiner des paroles incompréhensibles d’une voix gutturale. L’instant d’après, l’homme au crâne d’australopithèque, poilu comme un singe, a couru jusqu’au fond de l’autobus pour défoncer à coups de gourdin le crâne d’un malheureux hippie se rendant au marché. Depuis, les flics et les paléontologues se relaient dans la salle d’interrogatoire du commissariat.
En panne d’inspiration, l’auteur se mit à imaginer une fiction dont le personnage principal serait un auteur de fiction narrant une histoire dont le personnage principal serait un auteur de fiction en panne d’inspiration. Après quelques heures de cogitations intenses, l’auteur appliqua le principe de transitivité et rédigea son autobiographie. N’ayant rien à dire, il la termina en deux lignes puis décida de devenir boucher charcutier pour occuper ses mains à des quotidiens plus charnus.
Le chef de gare noyait son chagrin dans l’alcool. À chaque infidélité de sa femme avec un nouvel amant, il s’offrait une bouteille de single malt. Il aimait déguster son whisky sec et sans glaçon.
Un soir de déprime carabinée, il tira sur sa femme et plaça son corps dans un bloc de glace au fond de son congélateur. Depuis, il ne boit plus de whisky mais des sodas dans lesquels il aime jeter deux glaçons qui ont le goût de sa défunte épouse.
Leur idylle s’enflamma sur un ferry entre la Belgique et le Danemark. Elle fumait sec, portait les cheveux courts et appelait un chat un chat. Il buvait des tisanes, portait des chapeaux vertigineux et parlait peu. De retour à Bruxelles, au terme de leur escapade nordique, ils aménagèrent dans un atelier d’artiste, adoptèrent des chats errants et se mirent à la peinture. On les retrouva morts de faim, déshydratés et rachitiques lorsque le voisin en eut assez d’entendre les chats miauler sans arrêt.
Les services de vertu de la ville ont condamné le commerçant à modifier sa vitrine pour se conformer à la règle de représentativité. Il ne pouvait plus s’en tenir aux livres écrits par des hommes blancs, mais promouvoir des livres écrits par des hommes, des femmes, des trans quelque chose, des jaunes, des noirs, des rouges… Quand le libraire rétorqua qu’il changeait sa vitrine chaque semaine pour y exposer les meilleurs livres de sa boutique sans critère de sexe, de couleur ou d’orientation, on le jeta en prison pour non respect de la loi et on incendia son commerce.
Au bout du couloir, au dernier étage de la maison coloniale, dans la chambre d’écho. C’était l’endroit qu’elle avait choisi pour se tirer une balle de 357 magnum dans la bouche. Elle ignorait que, pendant son absence, son mari avait décidé de transformer cette pièce en ménagerie privée. À peine eut-elle franchi le seuil qu’un gorille à dos argenté se jeta sur elle et elle lui arracha la tête d’un coup de patte. Depuis ce jour, on entend des rires plus qu’humains monter de la chambre d’écho.
Fatigué de se rendre au supermarché chaque semaine, Henri D. détourna la rivière et jeta sa canne à pêche et puiser de belles truites. Il kidnappa une vaches, deux cochons, et quelques poules à un fermier et jeta tout ce petit monde dans son jardin.
Après un orage, une brusque montée des eaux le mit face à ses responsabilités. Désormais il se faisait appeler Noé et il s’attela à la construction d’un vaste radeau pour y embarquer tous ses animaux.
Tu as levé la tête et aperçu les fournaises de la ville qui se reflétaient dans l’atmosphère. Un scintillement mordoré qui se produit une ou deux fois l’an, crois-tu avoir lu quelque part. Entre ici et là-bas s’étend la mer, jaune ou grise selon l’heure mais salée jusqu’à l’écoeurement.
Tu as rassemblé tes affaires, tes esprits, tes grains de peau et tu as enjambé l’espace intercalaire. Pensant à découper la mer en petits cubes indépendants plus digestes pour traverser la nuit, ton attention entortille au clocher de l’église qui se brouille à l’horizon.
Éclairs de schistes dans l’oeil
c’est le regard qui prend du gîte
dans le maelstrom béton armé
des gris et des graffitis
des gaz qui ne s’échappent pas
couronne mortuaire de fleurs
grises jusqu’à l’arrêt de mort
des cigarettes à douze balles
une pour chaque partie de ton corps
élimé jusqu’au trognon
le croque mort te tamponnera
après que le toubib aura signé
RIP les souvenirs et les rêves
tout ça bien emballé au fond
d’un grand sac plastique recyclé
et tes orbites vides et blanches
autour desquelles plus rien ne tourne.