Patrick Modiano fait partie des rares auteurs français à avoir reçu le prestigieux Nobel de littérature. Vous me direz "ça nous fait une belle jambe" et vous n'aurez pas tort. C'était en 2014 et je me souviens m'être dit que je n'avais jamais rien lu de ce type. Et dans une vidéo que je regardais sur internet où il était interrogé sur son acte d'écrire, je trouvais ce personnage déroutant, avec son regard à tâtons dans un visage évanescent, comme perdu dans son propre bureau. Et cette voix douce, hésitante, qui ne parvenait à finir aucune phrase... Il m'est tout de suite apparu sympathique. Trois ans plus tard, j'ai enfin lu un Modiano.
"Accident nocturne", paru en 2003, débute par un accident de la circulation, place des Pyramides, à Paris, en pleine nuit. Le narrateur se fait renverser par une Fiat conduite par une énigmatique femme qui lui évoque un souvenir confus, remontant à sa propre jeunesse. Légèrement blessée à la tête et lui à la jambe, ils se retrouvent tous deux dans un hôpital, au plus sombre de la nuit. Quand les heures s'étirent comme insensibles à tout, comme dans un de ces rêves abscons mais pourtant terriblement réels. Un homme a rejoint cette femme puis elle disparait et le narrateur lui-même, soigné, est remis à la disposition de sa vie. Sauf qu'il est un peu perdu dans cette vie, comme il l'est dans cette nuit. Convaincu que cette femme ne lui est pas étrangère, qu'elle a un lien avec son propre passé qui lui file entre les doigts à la façon d'un objet sur lequel il n'a pas de prise, le narrateur se met en quête de la retrouver. Occasion d'une divagation parisienne à la recherche d'un passé, d'un but.
Voilà. Il parait que c'est très classique chez Modiano. Tous ces ingrédients-là. C'est parfois un peu confus mais jamais pénible à lire, en tous cas ça ne laisse pas indifférent et c'est à mes yeux la preuve de la qualité d'un auteur. Rien de pire que de ne rien ressentir. Ici ce n'est pas le cas, on est pris par l'histoire, même si parfois, on sent que la bobine se déroule un peu trop et que certaines scènes se perdent un peu. Il n'en reste pas moins quelques passages lumineux qui m'ont vraiment emballé : « J’aurais voulu me fondre dans le paysage. Déjà, à cette époque, j’avais le sentiment qu’un homme sans paysage est bien démuni. Une sorte d'infirme. Je m'en étais aperçu très jeune, quand mon chien était mort et que je ne savais pas où l'enterrer. Aucune prairie. Aucun village. Pas de terroir. »
Extrait : « Quelle structure familiale avez-vous connue ? J'avais répondu : aucune. Gardez-vous une image forte de votre père et de votre mère ? J'avais répondu : nébuleuse. Vous jugez-vous comme un bon fils (ou fille) ? Je n'ai jamais été un fils. Dans les études que vous avez entreprises, cherchez-vous à conserver l'estime de vos parents et à vous conformer à votre milieu social ? Pas d'études. Pas de parents. Pas de milieu social. Préférez-vous faire la révolution ou contempler un beau paysage ? Contempler un beau paysage. Que préférez-vous ? La profondeur du tourment ou la légèreté du bonheur ? La légèreté du bonheur. Voulez-vous changer la vie ou bien retrouver une harmonie perdue ? Retrouver une harmonie perdue. »
Patrick Modiano - Accident nocturne, Gallimard, 17€, 147 pages
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