Joyce Carol Oates fêtera en juin 2018 ses 80 ans. Figure tutélaire de la littérature contemporaine américaine, cette femme singulière a écrit depuis 1964 la bagatelle de 200 livres. Et le plus étonnant c'est que ces livres sont en général d'épais pavés qui dépassent fréquemment les 400 pages. Elle n'est pas seulement une écrivain, elle est une graphomane. Une de ces personnes pour qui l'équation de la vie se résume à "écrire ou mourir". Veuve et sans enfant, la peau sur les os, Oates est un mystère dans la littérature moderne. Comment peut on écrire autant depuis tant d'années ? Où se situent les ressorts psychologiques dans cette obsession biologique pour l'écriture ? Y a t-il un sens à cette quête éperdue de la page à noircir et est-il important de le débusquer ? C'est un peu toutes ces questions qui se posent à la lecture de ce journal épais, diffus et abondant de Joyce Carol Oates.
Couvrant la décennie de 1973 à 1982, ces pages nous en apprennent davantage sur le côté privé et le rapport physiologique à l'écriture qu'entretient cette femme étonnante. Sur ses questions de professeur, sur l'opposition entre le quotidien et l'oeuvre, peut être aussi sur ses positions sur le sexe qui sont souvent très complexes dans ses romans.
Comme dans son oeuvre de fiction, le journal de Oates déborde et ne sait pas aller à l'essentiel. C'est un peu la limite de son style. Et aussi la limite du genre, car si la majorité des écrits de ce journal concernent l'écriture, une partie touche une sphère plus quotidienne qui n'apporte que peu d'éclairage sur l'oeuvre en tant que telle. Mais toutes ces pages accumulées dans une écriture que l'on imagine ramassée sur elle même et tassée sur la feuille concourent à dresser un portrait à multiples facettes de ce personnage complexe qu'est Joyce Carol Oates. En outre, il n'est pas nécessaire d'être un fervent lecteur de sa bibliographie pour se laisser emporter dans les remous de ce journal. Les questions qu'elle se pose sur son oeuvre, ses personnages, la rage parfois devant des choix narratifs qu'elle ne sait pas prendre sont des thèmes universels et passionnants. Et arrivé au terme du livre, on regrette qu'elle n'ait pas souhaité publier la suite de cette étonnante machinerie intérieure mise sur papier.
Extrait : Fascinant, l'esprit humain ; insondable. Penser que nous habitons l'oeuvre la plus magnifique, la plus ingénieuse de l'univers... à savoir le cerveau humain... et que nous l'habitons sans grâce, avec désinvolture, rarement conscients du phénomène dont nous avons hérité. Comme des gens qui, à l'intérieur d'une magnifique demeure, n'occuperaient que deux ou trois pièces sordides. Nous ne savons même pas ce qui pourrait nous attendre dans les étages supérieurs ; nous sommes réduits à contempler les motifs du plancher devant nous. De temps à autre, un rêve/une vision profonde, vraiment alarmante, franchit la barrière et nous contraint à reconnaître la présence d'une force plus grande que nous, contenue on ne sait comment dans notre conscience.
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