"La classe de neige" est le roman par lequel Emmanuel Carrère s'est imposé au grand public en 1995, raflant le Prix Femina de cette année-là. Succès populaire, adapté au cinéma, il est curieux de constater que suite à ce livre-là, Carrère n'a plus jamais écrit de nouveau roman, choisissant la voie du récit comme il s'en est expliqué à de multiples reprises.
A partir d'un environnement tout à fait classique et connu, la classe de neige, Carrère construit un scénario piquant et captivant. On aimera ou non son style sans fioriture mais déjà proche du ton journalistique qui marquera ses récits suivants. On appréciera ou pas la brièveté de ce roman qui semble parfois trop bien ficelé à tel point qu'arrivé à la fin, on a l'impression de s'être fait endormir et de n'avoir rien vu venir. Ou pas. J'ai trouvé la plongée dans l'histoire très finement rapportée par un auteur qui maîtrise son sujet sans paraître le montrer. L'univers de l'enfance y apparaît sous des couleurs décharnées et sombres, différentes de ceux à quoi le titre d'apparence espiègle laisse penser. Et tout cela fonctionne à merveille, Carrère a placé ses chausse trappes de manière efficace, le lecteur n'a pas d'autre solution que de se faire absorber.
On se retrouve à la fois pressé de connaître la vérité de cette histoire de disparition d'enfant et à la fois inquiet de comprendre que l'on a découvert la réalité et le drame derrière tout cela. Le personnage principal de l'enfant parlera à tous ceux qui n'ont pas oublié leurs propres doutes d'individu solitaire devant composer avec l'apprentissage de la collectivité.
Court roman à l'ambiance grisâtre comme un jour de neige sans soleil, ce roman est maîtrisé de bout en bout. S'appuyant sur des ressorts classiques mais toujours efficaces, Carrère ne révolutionne rien, n'invente pas grand chose mais il fait prendre tous les ingrédients de la fiction réussie avec beaucoup de doigté.
Extrait : La plupart des élèves déjeunaient habituellement à la cantine, mais pas Nicolas. Sa mère venait le chercher ainsi que son petit frère, encore à l’école maternelle, et ils prenaient tous trois le repas à la maison. Leur père disait qu’ils avaient beaucoup de chance et que leurs camarades étaient à plaindre de fréquenter la cantine, où l’on mangeait mal et où survenaient souvent des bagarres. Nicolas pensait comme son père, et si on le lui demandait se déclarait heureux d’échapper à la mauvaise nourriture et aux bagarres. Cependant, il se rendait compte que les liens les plus forts entre ses camarades s’établissaient surtout entre midi et deux heures, à la cantine et dans le préau où on vaquait après le repas. Pendant son absence, on s’était envoyé des petits suisses à la figure, on avait été puni par les surveillants, on avait conclu des alliances et chaque fois, quand sa mère le ramenait, c’était comme s’il avait été nouveau et devait reprendre à zéro les relations nouées le matin. Personne à part lui n’en gardait le souvenir : trop de choses s’étaient passées durant les deux heures de cantine.
Emmanuel Carrère - La classe de neige, Editions POL . 176 pages, 13 €.
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