Quand on évoque Hubert Selby JR, de façon invariable, ce qui revient en premier ce sont des romans qui transpirent le malaise et la noirceur : "Last exit to Brooklyn" le premier et le plus connu ou "Le démon" dont on raconte qu'il a directement inspiré le "American Psycho" d'Eston Ellis (ce que je pense aussi). Sans oublier celui que le cinéma s'est chargé de populariser pour lui, le "Requiem for a dream" adapté par Lynch sur grand écran.
Hubert Selby (1928-2004) est le poil à gratter de la littérature américaine bien pensante, celui qui plus que n'importe quel autre auteur s'intéressant aux déclassés et aux laissés pour compte du rêve américain l'a fait avec une prose virtuose. Dans la majorité de ses livres, il a raconté l'errance, la violence et le côté le plus obscur de l'âme humaine, la torture du quotidien des camés, des paumés, des alcooliques et du sexe. De santé fragile, tuberculeux, alcoolique au dernier degré, héroïnomane un temps, Hubert Selby disait pourtant qu'enfant il aurait voulu être un saint. Ceux qui l'ont connu parlent de lui comme d'un être doux et bienveillant qui s'exprimait d'une voix sereine et sans éclat. Il y avait assurément deux Hubert Selby : celui qui écrivait et l'autre.
Il n'a pas laissé derrière lui une bibliographie pléthorique : à peine sept romans et recueils de nouvelles entre les publications de 1964 ("Last exit to Brooklyn") et de 2002 ("Waiting Period"). Les derniers ouvrages permettent de se rendre compte qu'Hubert Selby semblait apaisé et sur la voie d'une nouvelle littérature plus intense et plus belle encore que celle de ses débuts. Il y fait montre d'une poésie qu'on ne lui connaissait pas et qui s'ajoute à l'arc maîtrisé de son style direct et percutant. Les deux font bon ménage et offrent des histoires étonnantes.
"Chanson de la neige silencieuse" fait partie de ces ouvrages de "fin de vie". Il s'agit d'un recueil de nouvelles écrites entre 1957 et 1981 et publié en 1986 aux USA. Quinze nouvelles qui permettent à Hubert Selby de s'intéresser encore aux gens modestes, à ceux qui dorment dans la rue, à tous ceux qui n'ont pas pu ou pas voulu monter dans le train de la modernité. Selby y démontre son talent de conteur aussi à l'aise avec l'écriture urbaine de l'instant, dans une frénésie à l'urgence palpable, que dans des allégories poétiques où une seule averse de neige suffit pour changer un monde sinistre en terre de rédemption propice à tous les possibles. On retrouve dans ce recueil la palette complète de tous les talents de Selby qui le rendent si particulier dans le paysage littéraire américain du XXème siècle. Il serait dommage de ne garder de lui que l'auteur du "Last exit to Brooklyn". Certes ce seul bouquin justifie à lui seul de se souvenir de Selby mais ses nouvelles en donnent une image plus complexe et plus riche encore.
Extrait : "Il suivit ses propres traces, les seules traces visibles dans la
neige.Elles lui parurent petites, et quoiqu'elles fussent les seules
empreintes visibles, elles ne semblaient pas souffrir de cette
solitude.L'idée que des empreintes puissent souffrir de leur solitude le
fit sourire; comme si les empreintes avaient une vie propre, ou comme
si elles pouvaient refléter la vie de leur auteur! Peut-être, après
tout...qui sait? D'ailleurs, ça n'avait aucune importance."
Hubert Selby JR - Chanson de la neige silencieuse , L'Olivier - 288 pages - 13€
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