Suis-je misogyne ? Alors franchement je me pose la question. En d'autres circonstances, il y a des questions que je ne me pose plus car j'ai déjà les réponses. Suis-je alcoolique ? Oui, surtout après une bouteille de Mercurey. Suis-je raciste ? Je ne pense pas non - encore que j'ai beaucoup de mal à supporter les Vénusiens après une bouteille de Talisker. Suis-je homophobe ? Non mais je ne suis pas complaisant non plus, en fait je m'en fous. Par contre, je me demande si je ne suis pas misogyne. Enfant, il ne fallait pas me parler des personnages Playmobil de type féminin. Et encore moins de poupées. J'ai longtemps détesté tout ce qui s'apparentait à la représentation de la femme. En grandissant j'ai compris que les femmes, c'est quand même chouette. Alors pourquoi est-ce que je lis si peu d'auteurs féminins ? Oui je sais, le simple fait de dire "auteur féminin" et pas "auteure" ou "autrice" prouve que je suis un sale misogyne rétrograde qui pue des pieds.
Non. Là, en l’occurrence ça prouve seulement que je n'utilise pas des barbarismes dégueulasses que l'on tire du néant syntaxique dont ils n'auraient jamais du sortir pour la seule raison de se donner bonne conscience. La même bonne conscience républicaine qui fait chanter la marseillaise le cœur sur la main les soirs de football mais qui se tamponne bien de préserver la langue française lors d'un texte de loi à la con qui passe dans l'anonymat de l'assemblée une nuit de juin quand tous ces élus grassement payés par nos impôts dorment dans l'hémicycle - quand ce n'est pas dans les bras de quelques rombières aux poitrines charnues de quelques bordels parisiens. Mais je me m'éloigne de Joyce Carol Oates.
Alors donc... "Délicieuses pourritures" (Beasts en VO) a été écrit en 2001.j'ai emprunté ce bouquin à la bibliothèque. Pour essayer la fiction à la sauce de cette grande dame des lettres américaine. Joyce Carol Oates, bientôt quadragénaire livre depuis le début des années soixante une production littéraire abondante, faite de nouvelles, d'essais, de romans, de poèmes.
Quatrième de couverture : Une prestigieuse université féminine de la Nouvelle Angleterre dans les années 75. On conteste plus que jamais les valeurs bourgeoises sur fond de drogues, de cigarettes, d'art et de poésie. Gillian Brauer, 20 ans, brillante étudiante de troisième année, voudrait briller encore davantage aux yeux de Andre Harrow, son charismatique professeur de littérature, qui a décidé de faire écrire et lire en classe à ses élèves leur journal intime. Il n'octroie ses compliment qu'aux confessions les plus osées, ce qui génère surenchères malsaines et incidents ravageurs parmi des filles survoltées, avide de retenir l'attention – et plus – du maître.Tentatives de suicide, incendies inexpliqués, anorexie, somnifère, tous les éléments d'un drame annoncé sont réunis avec, dans un rôle d'une épaisseur glauque, la mystérieuse Dorcas, l'épouse – française – d'Andre, sculptrice, collectionneuse d'affreux totems.
Je l'avoue, je suis entré dans ce livre un peu sur la pointe des pieds. Et ça n'a rien à voir avec de la misogynie. Non, juste la crainte de m'ennuyer, comme cela peut m'arriver lorsque je rencontre pour la première fois un écrivain de fameuse renommée. J'avoue j'ai tendance à me méfier des concerts de louanges qui mettent certains auteurs sur une sorte de piédestal qui peut figer les néo-lecteurs. De fait, les premières pages de ce livre furent un peu étranges, étalées sur une sorte de faux rythme ni enivrant ni pénible. Et puis l'ambiance s'est imposée. Une véritable force dans ce bouquin, une ambiance vraiment réussie, avec des personnages un peu fous, plein de vivacité et de passions. Alors rapidement Joyce Carol Oates a réussi à m'embarquer dans un univers qui ne m'était pourtant pas forcément proche au début. La finesse de son style, travaillé et puissant m'a convaincu et j'ai passé un excellent moment avec les personnages de ce roman.
Sous des dehors classiques et des figures que l'on pense avoir déjà lues, vues et revues, Joyce Carol Oates parvient à captiver son lecteur et à se le mettre dans la poche. Pourtant pas une partie gagnée d'avance sur un sujet mille fois abordé dans le passé, et casse gueule de surcroît. Mais elle maîtrise son sujet. On est alors prêt à la suivre dans l'escalier qui s'enfonce au plus profond de l'âme humaine, là où la morale se dissout dans une brume épaisse. Alors suis-je misogyne ? Je n'en sais rien. Mais je relirai avec plaisir du Joyce Carol Oates !
Extrait : Dois-je avouer que j'aurais aimé fumer, moi aussi? La pratique me paraissait sophistiquée, séduisante. J'enviais l'assurance avec laquelle Dominique et Marisa faisaient glisser paquet de cigarettes et briquet de leur sac à main sur la table. J'enviais la nonchalance avec laquelle les fumeurs s'offraient des cigarettes, ou en demandaient; la jalousie me perçait le coeur lorsque je voyais Marisa, cheveux soyeux tombant sur le visage, accomplir ce rituel érotique consistant à approcher sa cigarette, serrée entre ses lèvres maquillées, de l'allumette enflammée de M. Harrow, oser mettre ses petites mains en coupe autour de la sienne, puis inhaler avec volupté. "Merci, Andre!" J'enviais les fumeurs mais ne pouvais les imiter; la fumée me piquait les yeux et me faisait tousser. J'étais une enfant jouant avec des jouets d'adultes.
Joyce Carol Oates - Délicieuses pourritures, Philippe Rey,
168 pages, 14 €
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire