"Cartons". Faut oser pour un titre de roman. Aujourd'hui en 2017 pour vendre un roman, il faut un titre à rallonge ou alors un titre qui contient "la fille". Si le destin - appelez ça comme vous voulez - avait voulu que Pascal Garnier survive à son cancer, nul doute qu'il aurait poursuivi son oeuvre originale et sensible, toute en atmosphères. J'ignore s'il aurait cédé à la pression des éditeurs pour se mettre lui aussi aux titres à la con dont l'unique but est de vendre toujours plus. J'ai la faiblesse de penser que non.
Quatrième de couverture : Tout commence par un déménagement - cette " catastrophe naturelle " : Brice, illustrateur de livres pour la jeunesse et compagnon de la dive bouteille, quitte son appartement lyonnais pour une grande maison plutôt isolée à la campagne. Il a choisi l'endroit avec son épouse journaliste d'ailleurs partie quelque part en Egypte. Esseulé, sans nouvelles d'Emma, Brice s'abandonne peu à peu au désespoir en squatteur de son propre logis, ne sortant plus guère du garage où sont entassés les cartons qu'il éventre au petit bonheur. Les évocations d'Emma, l'attente d'un appel qui ne vient pas, et la rencontre de Blanche, une étrange femme-elfe sans âge, sorte de spectre de l'enlisement provincial, ponctuent cette dégringolade dans l'enfer des cartons. Tout se précipite bientôt et le roman d'atmosphère vire au roman noir
"Cartons" est un roman posthume publié en 2012 chez Zulma et qui prouve s'il en était encore besoin toute la puissance de conteur de Garnier. Un déménagement à la campagne d'un homme seul, voilà un sujet qui n'est à priori pas des plus romanesques. Et pourtant, prouvant qu'il n'y a pas de mauvais sujets, Pascal Garnier parvient à en faire un bouquin qu'il est impossible de lâcher avant d'avoir tourné la dernière page.
Comme à son habitude l'auteur fait court et efficace. Moins de 190 pages d'une écriture atmosphérique et qui va à l'essentiel. Les doutes et les rêves passés à la machine, il en reste toujours des cendres sur lesquelles reconstruire quelques choses. Une façon de rire du malheur, de lui faire un croche patte. A l'opposé de ces romans "feel good" qui inondent les librairies, Garnier fait dans la pauvre humanité, celle qui renâcle, qui s'essouffle, qui combat mais qui ironise, qui se fait cynique pour oublier la douleur et qui, à la fin, ne connait pas un épilogue joyeux plein de rires d'enfants et de bonheur conjugal. Parce que le bonheur c'est quand même chiant : les gens heureux n'ont pas d'histoire, c'est bien connu. Mais des histoires qui valent le coup, Pascal Garnier en a(vait) plein... ses cartons !
Extrait : Les enfants lui avaient toujours fait peur, même quand il en était un lui-même. Ces panneaux à l'entrée des villages, Attention enfants ! comment les interpréter ? Il s'en méfiait comme de la peste. "Les enfants sont des ogres, des vampires. Il suffit de voir leurs jeunes parents, les mères aux seins taris, les pères aux mains vides pour saisir tout l'avidité de ces impitoyables cannibales. Ils nous cueillent à la fleur de l'âge et dévastent nos jardins secrets avec leurs tricycles rouges et leurs ballons pareils aux masses qu'on balance du haut des grues pour ébouler les vieux pans de murs. Ils font de nos amantes de grosses femmes qui bavotent béatement en se tâtant le ventre et de nous des idiots abrutis de fatigue poussant des caddies débordant de nourriture insipide. Ils nous en veulent d'être des nains,nous obligent à les punir puis à le regretter.Sur la plage ils jouent à nous enterrer ou creusent des trous pour nous pousser dedans. Ils ne rêvent qu'à ça, prendre notre place. Ils ont honte de nous, regrettant de ne pas être orphelins tout en nous singeant d'une façon odieuse. Plus tard ils pillent nos tiroirs, deviennent de plus en plus bêtes à mesure que leur barbe pousse, que leurs seins poussent, que leurs dents poussent. Bientôt, comme les années passées, on ne les revoit plus. Ils ne réapparaîtront que pour balancer une poignée de terre ou une rose fanée sur notre boîte et se disputer les reliefs du repas.
Pascal Garnier - Cartons, Zulma, 192 pages, 17.5 €
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