Ce lundi j'ai épuisé toutes les cartouches de luminosité de la journée.
Aux heures où se lèvent les fractales laiteuses, je me faufilais dans un tube estampillé TCL pour débarquer dans la gare fourmilière Lyonnaise.
Là, dans le confort aseptisé d'une voiture TGV de première classe, les oreilles bourdonnant légèrement, je devenais spectateur de ma vie. Dehors, sur l'autre face du monde résumé à un parallélogramme de jour naissant, j'observais l'univers retravaillé par les réducteurs de tête.
Le siège isolé, la tablette pour l'ordinateur, la petite lumière sur le côté : autant de signaux matériels pour confirmer ma présence inattendue en ces lieux.
Dans le tube estampillé RATP je me maquillais en rat d'apparat, la tête encore pleine des notes de fictions à venir relues de part et d'autre du Morvan. Sous les jupes de Paris, ça palpitait et ça crépitait de vie mais sans l'oppression habituelle, merci le relâchement d'août.
En fin de matinée, je me retrouvais dans un second TGV, quittant la capitale en direction de Bordeaux. Là encore, un siège isolé, de la musique dans les oreilles pour atténuer les alentours et la mise au propre des notes de prochains romans. Comme autant de crochets plantés dans la paroi du monde pour me raccrocher à la vie.
Les quatre vingt minutes passées dans un taxi blanc comme un beluga me confrontaient à la valeur du temps qui passe, à la signification de celui que l'on perd; constamment. Le Médoc scintillait de lumières : le bleu du ciel, le vert des vignes, le blanc des murs d'enceinte. Sur cette petite route qui rejetait Bordeaux derrière moi, je me sentais détendu, presque soulagé, malgré les heures sans intérêt à venir. Dans un pied de nez à l'effroyable machine du quotidien, j'osais un sursaut comme une fuite vers l'océan, ses promesses d'oubli et d'autre monde.
Retrouvant ma voiture, j'entamais dans l'après-midi un retour vers mes contrées d'adoption, additionnant les kilomètres de goudron le long de ce tapis griffé A89 mais parfois baptisée Transeuropéenne pour briser la dictature des codes. La tête encombrée de pensées tour à tour perturbées, éclopées, mal finies, hésitantes, maladroites, ambitieuses, lunaires, didactiques, joyeuses, et parfois aussi, apocryphes. Juste pour tromper l'inanité de la conduite vers nulle part et tout à la fois.
Comme un lundi, j'ai fini par retrouver mon appartement de l'ouest Lyonnais. Juste au moment où les orages de début de soirée rappelaient l'imminence de la nuit qui s'approchait déjà, imparable, force tutélaire insensible à tout, responsable de rien. Rappelant notre condition de bouts de bois pourris flottant à la surface d'un océan trop vaste, livrés à la furie des courants contre lesquels il est vain de lutter.
Je venais de traverser la France, ou presque. Je venais de perdre des heures derrière un volant mais ça n'était rien car plus tôt j'avais mis à profit des heures habituellement gaspillées en vains soubresauts dans une cage appelée bureau. (Pas) comme un lundi j'avais pu expérimenter la chance d'être un homme libre. Et de me rappeler que la littérature justifie tout le reste.
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