John Fante s'est fait connaitre en écrivant les aventures picaresques d'un double romanesque, immigré italien rêvant de fortune américaine, le célèbre Arturo Bandini (lectures absolument indispensables). Son fils Dan, après avoir bourlingué, multiplié les jobs à la con (un pléonasme?), aligné les rails de coke, les raies des putes et les bouteilles de gnole, s'est mis à écrire. Même si Point Dume fut une belle réussite à sa façon, il n'a rien écrit de mieux que son cycle consacré à son propre double romanesque, looser caractériel et alcoolique, paumé fan de Selby et de Bukowski (excusez du peu, même au plus fort de la déglingue dans le caniveau, on garde des références) j'ai nommé Bruno Dante.
Quatre tomes forment ce que les ayatollah de la dénomination appellent une tétralogie :
- Les anges n'ont rien dans les poches (1998 : Chump Change)
- La tête hors de l'eau (2001 : Mooch)
- En crachant du haut des buildings (2002 : Spitting Off Tall Buildings)
- Limousines blanches et blondes platines (2009 : 86'd)
J'avais déjà lu ce deuxième opus dans la collection 10/18. Ce fut même avec ce bouquin que j'ai découvert que John Fante avait un fils qui écrivait. La relecture de "La tête hors de l'eau" aux défuntes éditions 13ème note a été l'occasion pour moi de me replonger une nouvelle fois dans les aventures déglinguées et enivrantes de Bruno Dante.
Ici, Bruno ne touche plus à l'alcool, enfin... C'est ce qu'il raconte lors de ses réunions régulières aux AA (Alcooliques anonymes). Il a même décroché un job de commercial par téléphone où il faut du bagout et beaucoup de problèmes de fric pour arnaquer des employés aussi paumés que lui à l'autre bout du fil. Il bosse, il baise, il fume, il boit... et il essaye de ne plus boire et de baiser correctement... Mais il ne sait plus trop ce qui est bon et ce qui ne l'est pas. Alors il se contente d'essayer, ce qui est déjà pas mal. Quand il croit tenir l'amour, ça lui échappe comme un paquet de pop corn qui se renverse sur les fauteuils d'un cinéma de quartier déglingué. Quand il pense avoir un job en or, il se fait arnaquer dans les grandes largeurs. Il y a la bibine pour tenir, quelques rails de coke et une féroce envie de ne jamais baisser les bras même quand tous les signaux sont au rouge... Et puis la lecture de Hubert Selby.
Bruno Dante, le héros de ces récits des paumés de l'Amérique emprunte beaucoup à son géniteur, ce Dan Fante dont la plus grande malédiction fut d'être le fils du génial, colérique et alcoolique John. Bruno comme Dan est passé par tous les enfers de la drogue, de l'alcool et des bas fonds et en est sorti vivant à chaque fois. Il en a ramené des récits plus vrais que nature, sans cliché ni voyeurisme où la descente aux enfers est toujours sublimée par la volonté farouche de trouver du beau même dans les situations les plus cradingues. Une nouvelle relecture et toujours le même constat de lecteur : ça fait du bien par où ça passe, comme un whisky un peu frelaté qu'on noie dans du soda pour s'enivrer à moindre coût.
Extrait : Mon gobelet vide à la main, imitant un client nonchalant, j'ai cherché le rayon des spiritueux et les bouteilles de vodka. Après m'être assuré que personne ne me regardait, j'ai pris une grosse bouteille de Smirnoff dans la rangée du fond et dévissé la capsule. Puis, en la tenant assez pas pour ne pas être vu par-dessus le rayon, j'ai rempli le gobelet à ras bord. Trente-trois centimètres de gnôle claire. J'ai revissé la capsule et remis la bouteille à sa place. En m'éloignant du rayon, avant même d'avoir porté la paillé à mes lèvres et bu ma première gorgée, j'ai senti une onde d'apaisement soulager mon corps, comme un baiser de Dieu.
Dan Fante - La tête hors de l'eau, 13ème note, 240 pages.
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