Premier roman de Michel Houellebecq, EXTENSION DU DOMAINE DE LA LUTTE met en place de nombreux ressorts stylistiques et narratifs de l’auteur sans les enluminures qui vont suivre dans ses ouvrages ultérieurs. Il y a une sensation d’urgence à la lecture de ce roman bref d’à peine 156 pages qui fut refusé à l’époque par de nombreux éditeurs. Il serait intéressant de savoir pourquoi ces éditeurs avaient refusé ce manuscrit voilà maintenant vingt-trois ans. Pour son propos ? Aujourd’hui la misère affective de l’homme occidental contemporain revenu de tout n’a rien d’original, mais en 1994… Pour son style ? Les détracteurs de l’auteur diront plutôt : pour son absence de style ? À ce sujet, l’incipit du roman est révélateur de ce qui attend le lecteur : « Vendredi Soir ; j'étais invité à une soirée chez un collègue de travail. On était une bonne trentaine, rien que des cadres moyens âgés de vingt-cinq à quarante ans. »
D'accord l'exercice est un peu dégueulasse. Il n'empêche, on est loin d’un incipit de Céline ou de Proust, mais à la décharge de Houellebecq, il n’est pas là pour faire du style, mais pour défendre des idées. Certains sont certes capables des deux, pas lui. Sauf à considérer que l’absence de style soit un style à part ? J’avoue que ces discussions me laissent froid. Les questions d'étiquette sont les combats de cour de récré des pisse-froid.
En revanche le roman, puisque c’est de cela qu’il s’agit, ne m’a pas laissé froid. Le thème du cadre ironique et froid qui mène de front - et avec des résultats divers - sa lutte de classe sociale et sa lutte de classe sexuelle a été abordé maintes fois depuis. Mais Houellebecq intellectualise le propos et va au-delà de la simple narration de son histoire. Il y insère des réflexions qu’il attribue à son narrateur et qui étoffent le discours, le personnage et le roman. On pourra rétorquer que ces réflexions-là sont de bien piètre niveau et n’élèvent guère le discours en noircissant à dessein une société malade de tout, à commencer par son incapacité à se pardonner d’être ce qu’elle est. Oui, Houellebecq n’est pas là pour nous rassurer et joue lui-même un rôle trouble mais son univers de grisaille péri urbaine est finalement attachant. J’ai aimé son anti héros narcissique et dépressif, misogyne et égocentrique et quand on accepte le contrat moral de lecteur, ce petit roman est intéressant. Bien davantage que d’autres livres qui ont depuis tenté de reproduire la même veine sans réussir à sortir de l’ornière du premier degré ni à proposer une réflexion, toute critiquable qu’elle puisse être. (Une seule exception toutefois : Mauvais coûts de Jacky Schwartzmann : un roman certes différent mais qui a des points communs avec ce bouquin-là). Est-ce que cela valait une adaptation cinéma et des enthousiasmes débridés de la part de certains critiques ? Non, sûrement pas. Pas plus que les vagues de haine et de critiques négatives que son auteur a essuyé depuis.
Extrait : "Je n'aime pas ce monde. Décidément, je ne l'aime pas. La société dans laquelle je vis me dégoûte ; la publicité m'écoeure ; l'informatique me fait vomir. Tout mon travail d'informaticien consiste à multiplier les références, les recoupements, les critères de décision rationnelle. Ça n'a aucun sens. Pour parler franchement, c'est même plutôt négatif ; un encombrement inutile pour les neurones. Ce monde a besoin de tout, sauf d'informations supplémentaires."
Michel Houellebecq - Extension du domaine de la lutte,
Maurice Nadeau, 156 pages, 16€ (épuisé)
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