"Mais comment dévorer le monde quand on n’a pas d’argent ? Il constatait néanmoins avec un léger soulagement qu’il ne ressentait plus l’irrésistible appel du nord, qu’il ne se noyait plus dans la sentimentalité à cause de ses forêts perdues, de ses truites de rivière perdues, de la jeune Indienne qu’il avait imaginé épouser dans une chambre secrète située derrière une cascade. La truite de quinze livres qu’il rêvait d’attraper à la mouche sèche, l’ours noir qui serait devenu son animal domestique… La nature profonde de sa vie imaginaire changea : devenir un cow-boy errant guidant un troupeau de chevaux volés à travers les pics enneigés des Carpates – ce rêve s’éloigna, tout comme cet autre où il était l’amant secret d’Eva Gardner sur une île du Pacifique Sud. Sa vie mentale entama un voyage de retour vers la terre, pour en définitive ne jamais la rejoindre. L’étude de l’histoire de l’art et de la langue française, ainsi que celle de la poésie et de la littérature défrichèrent de nouveau territoires pour son imagination, si bien qu’il habitait volontiers une hutte de pierre dominant la Méditerranée, mais encore plus souvent une modeste chambre de bonne en compagnie d’au moins trois modèles vivants qui ressemblaient aux jeunes femmes peintes par Modigliani."
Jim Harrison - L'été où il faillit mourir
(10/18 - trad.Brice Matthieussent)
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