jeudi 14 novembre 2019

Lecture : Tempête pour les morts et les vivants

Le Bukowski nouveau est arrivé. Un peu en avance sur le troisième jeudi de Novembre qui est réservé au Beaujolais nouveau, toujours avec ses notes de fruits rouges mais jamais les mêmes. Pour le Bukowski c'est malgré tout un miracle (commercial, comme ne manqueront pas de le préciser les esprits chafouins) compte tenu du fait que mort, un écrivain écrit moins. L'américain amateur de bibine et de femmes est mort depuis un quart de siècle et nous livre un recueil de poèmes depuis l'au-delà. C'est bien sûr une vision approximative des choses. Jusqu'à preuve du contraire, dans l'au-delà on ne fait plus rien. En revanche les ayant droits et les éditeurs continuent d'exploiter le filon du commerce d'un auteur qui ne laisse pas indifférent. Génie maudit pour les uns, alcoolique dénué de talent pour les autres, Buk a toujours divisé les amateurs de littérature. Faussement insensible à sa légende, souvent copié, il a toujours renvoyé dos à dos fans et détracteurs lors de déclarations abruptes et teintées d'alcool. Promenant un regard jamais dupe sur le grand écart social que son succès lui a permis, restant un homme qui se considérait poète avant toute chose. Peu à l'aise avec sa propre image publique, estimant que la place d'un auteur se trouve derrière sa machine à écrire et non derrière une caméra, il a néanmoins assuré une partie de son succès en Europe grâce à son passage mouvementé sur le plateau d'Apostrophes en septembre 1978.

Personnage ambigu, Bukowski n'a toutefois jamais dévié d'une certaine idée de la littérature, considérant la poésie comme sa forme la plus pure. Je l'ai découvert peu après sa mort, au milieu des années 90 en lisant le double recueil "L'amour est un chien de l'enfer" publié aux Cahiers Rouges chez Grasset. Depuis j'ai lu tous les bouquins de l'auteur publiés en France. 
Le nom de Bukowski est ressorti dans le rayon Actualités des éditions du Diable Vauvert en 2017 à l'occasion de la publication de l'ouvrage "Sur l'écriture". Bouquin hautement recommandable pour tout amateur de l'auteur comme pour tout amateur d'écriture, ce recueil offrait des textes - inédits pour la plupart - de Bukowski concernant l'art de l'écriture. 
Deux ans plus tard, le Diable Vauvert remet le couvert avec un bouquin de poèmes qui marquera peut-être la fin des publications posthumes inédites de Buk. 
Reprenant certains textes déjà parus mais une majorité d'inédits récupérés dans des revues confidentielles, ce bouquin bien que parfois inégal reste à lire. On peut se poser des questions sur certains choix de traduction lorsqu'on a accès aux versions originales des textes. Le style de Buk semble en effet parfois transformé par la traduction en des lignes un peu trop littéraires, menaçant de leur faire perdre leur impact naturel. Traduire, est-ce nécessairement trahir ? C'est un exercice difficile, et mon propos n'est pas de jeter l'opprobre sur le travail souvent ingrat des traducteurs. Mais de fait, je n'ai pas retrouvé de poème puissant et définitif comme c'est le cas dans des publications anciennes de l'auteur. Ou bien me suis je trop habitué après avoir trop lu Buk. Je crois plutôt qu'on ne peut / doit pas lire de la poésie en un bloc monolithique comme on le fait avec la littérature. C'est encore plus vrai avec Bukowski. Pour conserver leur impact, ses textes doivent être lus en picorant un jour ou deux puis en lisant autre chose et en y revenant plus tard.
Mais qu'importe, le Bukowski nouveau est arrivé, c'est parfois un peu folklorique mais ça permet de passer un bon moment avec un auteur qu'on aime lire. Et c'est bien meilleur que le Beaujolais nouveau. Et puis avec Buk tout le monde trouve toujours un texte ou deux qui font mouche. Comme ça... 

Extrait : 
"Comme ça

une des plus belles blondes du grand écran 
des seins incroyables des hanches des jambes une taille
la totale, 
dans cet accident de voiture
sa tête s’est détachée de son
corps -
comme ça -
il y avait sa tête qui roulait sur le côté de
la route,
avec du rouge à lèvres, les sourcils épilés, la
poudre à bronzer,
un bandana dans les cheveux, elle a roulé sur le
côté
comme un ballon de plage
et le corps resté assis dans la voiture 
avec ces seins ces hanches ces jambes cette taille,
la totale,
et puis à la chambre mortuaire ils ont rassemblé les morceaux,
recousu la tête 
sur le corps,
seigneur, a dit le type avec le fil,
quel gâchis.
puis il est sorti, s’est payé un hamburger, des frites et deux tasses de café,
noir."



Charles Bukowski - Tempête pour les morts et les vivants 
(Diable Vauvert - trad. Romain Monnery)


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