Sylvain Tesson fait partie de ces (rares) êtres médiatiques qui invitent à la déconnexion. Alors qu'en règle générale les figures qui abondent à la radio, sur le net ou dans le petit écran ont la même tendance à m'insupporter, lui passe aux travers des mailles du filet. Mieux, il me détend. Sa frénésie de vie ne l'empêche pas de virer au noir entre deux regards acier. Il aime la bonne littérature, les voyages, partager l'alcool entre amis. Difficile, dans ces conditions, de ne pas l'apprécier.
Le fantasque et attachant géographe lettré a connu le succès avec le récit de son séjour en solitaire (ou presque) de six mois passés sur les rives du lac Baïkal. Là, dans une cabane, il s'est nourri de poisson, de promenades avec ses chiens, de contemplation, de lectures et de vodka avec les rares voisins qui venaient lui rendre visite après plusieurs jours de marche. Tous les ingrédients à une introspection métaphysique et surtout qui mènent sans nul doute à une meilleure connaissance de soi, sinon des autres.
Vécu en 2010, couronné du prix Médicis en 2011, adapté au cinéma en 2016, ce périple a logiquement rencontré son public au cours des années en plus de renfoncer l'aura médiatique de son auteur.
Extrait :
Assez tôt, j’ai compris que je n’allais pas pouvoir faire grand-chose pour changer le monde. Je me suis alors promis de m’installer quelque temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie.
J’ai acquis une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal.
Là, pendant six mois, à cinq jours de marche du premier village, perdu dans une nature démesurée, j’ai tâché de vivre dans la lenteur et la simplicité.
Je crois y être parvenu.
Deux chiens, un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à l'existence.
Et si la liberté consistait à posséder le temps?
Et si la richesse revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence – toutes choses dont manqueront les générations futures?
Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.
Parfois un peu répétitif bien que jamais long (300 pages) ce récit nous offre l'opportunité de prendre le temps. Une vertu qui disparaît chaque jour davantage, bafouée par la dictature de l'immédiateté. La liberté est à ce prix mais pour combien de temps ? Ces ermites qui vivent à des jours de marche du village le plus proche et qui écoutent les remous du monde dans leur poste de radio, à quelle humanité appartiennent-ils ? Où est la limite ? La plénitude des étendues sauvages peut-elle apporter une réponse aux maux de la civilisation ? Et la vodka est-elle soluble dans les grands livres ? Avec toutes ces questions, Tesson nous convie à une réflexion jamais lénifiante, simple sans être simpliste, naturelle, sur ce qu'est notre existence. Ainsi que nos envies d'ailleurs, impossibles ou à portée de main. Une question de choix, comme celui de laisser partir ceux que l'on aime, comme celui des livres que l'on emporte pour un tel périple (lesquels embarquer?), comme celui de l'exil ou de la résistance.
Mais parce que Tesson est un auteur multiple et parfois cabotin, il alterne ces passages introspectifs avec des moments plus légers sur le quotidien d'une vie dans une minuscule cabane perdue dans des contrées sauvages. Et c'est certainement ce qui fait la véritable force du livre, son caractère multiple, et son ambiance à la fois contemplative et légère.
Sylvain Tesson - Dans les forêts de Sibérie, Folio, 304 pages, 7.49 €
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