samedi 31 août 2024

Journapalm 1839

Tigre roux, éléphant myope, hippopotame borgne, ours vegan, furet pas futé, aigle albinos, guépard enrhumé… Parvenu à l’âge de cinquante ans, Henri D. avait réussi à créer son zoo idéal dans une vallée perdue de la Haute Ardèche. Peu doué pour la publicité, il ne parvint toutefois pas à y attirer des visiteurs. Rongé par les dettes et les regrets, il laissa ses animaux prendre le contrôle de leur habitat. On le retrouva mort dans la cage des fauves, énucléé et le corps tigré. Alertés par la nouvelle, les badauds se pressèrent par bus entiers pour visiter ses restes.

vendredi 30 août 2024

Journapalm 1838

Si Antonio Gaudi n’a pas connu Nicolas Gogol, c’est qu’il avait une bonne raison : l’architecte espagnol est né quelques semaines après la mort de l’écrivain russe. Gogol se serait éteint en criant « une échelle, vite une échelle ! » en mars 1852. Soixante-treize ans plus tard Gaudi est mort fauché par un tramway certes catalan mais à priori pas indépendantiste. Après tant d’années passées à grimper sur des échelles pour contempler ses tours et ses édifices, peut-être l’architecte s’en est-il lassé.

jeudi 29 août 2024

Journapalm 1837

Tu n’iras pas voir la dépouille de Mishima ou ce qu’il en reste. Pour te contenter, tu peux toujours te promener sur le site de l’INA et voir Marguerite Yourcenar te parler de Mishima pendant que dans les jardins, un massif de forme tout à fait circulaire offre à deux carpes grosses comme des teckels l’illusion d’un monde tentaculaire sur lequel elles règnent, telles des impératrices au maquillage trop lourd pour compenser la splendeur d’un empire trop passé. Mais qu’importe car tu aimes compter les bulles dans le sillage des carpes après avoir lu Mishima.

mercredi 28 août 2024

Journapalm 1836

Enfant, il raffolait des cirques ambulants dont il guettait le passage annoncé plusieurs semaines à l’avance sur des affiches multicolores que l’agent municipal placardait sur les panneaux du village. Ce qu’il préférait, c’était les numéros de dressage, les lions et les poneys mais aussi les lamas aux profils snobs qui lui rappelaient la géographie faciale de sa belle-mère, une galloise aux bajoues tombantes que son père avait épousée en secondes noces. Plus tard, il ouvrit un centre d’accueil et de soins pour les lamas. Sa belle-mère en fut longtemps le plus ancien locataire.

mardi 27 août 2024

Journapalm 1835

Il vit sous un pont, dans un bouge oublié de Normandie. Il passe parfois une voiture après vingt heures, mais le plus souvent le voisinage est calme, surtout la nuit. Parfois les poules de la vieille femme qui habite la maison à l’angle s’échappent et viennent picorer des asticots dans le talus humide. Mais en règle générale, il n’est pas dérangé et il peut compter les étoiles dans le ciel pour s’endormir. Sauf les jours de mauvais temps bien sûr, mais dans ces cas-là, il trouve une bouteille de villageoise pour oublier plus vite.

lundi 26 août 2024

Journapalm 1834

Afin de bien cultiver leur originalité, ses parents affublés d’un patronyme germanique le baptisèrent Pierre et lui offrirent un béret basque pour ses huit ans.
Lorsque l’envahisseur frappa aux portes de l’Empire, il déroula sur la capitale son tapis de bombes, tuant toute la population. Pierre, Hans ou Lars, tous furent décimés sans distinction. La guerre ne s’émeut guère de quelque originalité régionale. On retrouva un béret basque dans les décombres mais personne ne s’en étonnera.

dimanche 25 août 2024

Journapalm 1833

Les carottes que sa mère la forçait à avaler ne l’ont jamais rendue aimable. Puis elle s’est mise à grossir de façon incontrôlable, augmentant d’une taille ses pantalons chaque nouveau matin. Après un mois, impotente au point de ne plus être capable de se lever, elle a gardé le lit et des cornes puis des sabots lui ont poussé. Sans pouvoir se déplacer, elle est morte dans son sommeil un jour de printemps. L’équarisseur s’est présenté à son domicile le lendemain et il l’a découpée en morceaux dont s’est porté acquéreur un boucher de Brive-la-Gaillarde.

samedi 24 août 2024

Journapalm 1832

Tout ce qu’il reste de l’orage, ce sont des flaques d’eau dans lesquelles dérivent des insectes morts ainsi que des branches d’arbres brisées. Celles-ci dessinent sur le sol irrégulier du village un relief démantibulé, le paysage étrange d’une collection de membres sylvestres tranchés dans le vif, dans leur gloire ancestrale ou bien dans leur âge juvénile… Cela, personne ne peut le dire car les gens roulent et se hâtent de rentrer chez eux pour regarder une émission stupide où jamais personne n’apprend le nom des arbres qui crépitent.

vendredi 23 août 2024

Journapalm 1831

Du côté de Bolinas et de Ketchum, il reste des morceaux de Richard et des bouts d’Ernest éparpillés dans des maisons étranges où stagnent des odeurs mystiques et des atmosphères refermées sur elles-mêmes, un peu comme de vieux vêtements oubliés dans des armoires sur lesquels on a éparpillé des boules de naphtaline. Celles-ci portent les signatures de Richard et d’Ernest et certains visiteurs pensent qu’il s’agit de balles de golf qui arborent la signature d’une marque prestigieuse depuis longtemps disparue.

jeudi 22 août 2024

Journapalm 1830

Tout a commencé par une chute plutôt anodine, presque anonyme à quelques lettres près. Ou bien à quelques centimètres. Mais sa tête a vrillé en heurtant le sol et il est resté figé dans une sorte d’état catatonique dont aucune médecine n’est venue à bout. Même les professeurs et les universités aux noms de spécialités ronflants ont échoué à son chevet. Alors, à court d’idées et de finances, la famille l’a placé dans un centre pénitentiaire où il sert de modèle aux condamnés qui désirent se lancer dans le dessin.

mercredi 21 août 2024

Journapalm 1829

Un panier de pommes pourries posé sur le buffet de la cuisine. Les mouches conviées au festin, repas des spectres entamé depuis si longtemps que les fenêtres se sont oxydées. Tu lèves les yeux, peines à distinguer les particules de soufre des échos du jour qui éclaboussent la matière autour de toi. L’odeur rance te tourne dans la tête comme le refrain d’une chanson composée par Ian Curtis et tu échoues à résoudre l’équation de l’aurore

mardi 20 août 2024

Journapalm 1828

Lorsque les portes de l’ascenseur se referment, il réalise son erreur mais avec bien trop de retard. Puis la cage de l’ascenseur se met à balloter d’un côté et de l’autre en produisant des grincements sinistres de poulies et de câbles. L’ascenseur s’immobilise enfin, les lumières s’éteignent. Le silence s’installe. Il réalise alors qu’il a commis une grosse erreur. Un 14 août à 18 h 00, il aurait dû emprunter l’escalier de service.

lundi 19 août 2024

Résine de l'exil... tome 1 ?

Certes, j'aurais pu continuer à corriger, à raturer, à réécrire. Mais il arrive toujours un moment où il faut décider que cette histoire dans laquelle tu es embarqué depuis un moment déjà doit se terminer. Décider que c'est la meilleure version qu'il soit possible de sortir de soi et que six mois de réécriture supplémentaires n'apporteront pas plus de points positifs que de points négatifs. Décider qu'il est temps de passer à un autre projet, à quelque chose de différent et de nouveau.

Deux ans après avoir eu l'idée de départ, un an et demi après avoir commencé à écrire la première version, le projet qui longtemps se nomma épicéa est arrivé à son terme. 
Le titre ? Résine de l'exil
Un résumé ? Non, ou alors celui-là : un homme de 23 ans qui revient chez lui après un long exil. Mais ce pourrait tout aussi bien être quelque chose comme : grandeur et décadence d'une ville perdue, les conséquences d'une éducation en marge, de la destinée des pensionnats et de la criée aux poissons... Faudra vous contenter de ça. 
Pour celles et ceux qui veulent aller plus loin, il y a les premières pages en extrait ici. Et pour celles et ceux qui veulent aller encore plus loin (courage pauvres fous), il y a le lien direct ici.
Possiblement il y aura un tome deux. Il y a la place pour et les idées pour, le temps de changer d'horizon avec l'écriture de quelques nouvelles avant de me replonger dans un nouveau voyage au long cours. 

Journapalm 1827

Dix mille jours mis bout à bout comme les multiples compartiments d’un train qui traverserait un continent entier, le wagon de tête sur une certaine latitude tandis que le wagon de queue se trouverait sur une autre latitude. Vu du ciel, ce pourrait être un long serpent mais en ce qui te concerne, il s’agit plutôt d’un ver solitaire qui se promène à l’intérieur du continent que dessine ton corps et qui met tout sens dessus dessous, indifférent à la notion d’ordre, d’harmonie et d’équilibre ; sans même parler d’un quelconque respect envers le temps qui passe.

dimanche 18 août 2024

Journapalm 1826

Longtemps ce livre lui servit à caler sa fenêtre en position ouverte lorsqu’il peinait à s’endormir dans la fournaise d’un été qui s’éternisait. Et puis l’automne vint sans prendre de gants, les nuits fraîchirent et il laissa la fenêtre fermée. Ne sachant plus quoi faire de ce livre épais, il se mit à le lire. Il avait quarante ans, il eut la sensation de vivre une seconde naissance là, dans la chaleur d’un appartement où il attendait l’hiver et ce qui viendrait ensuite.

samedi 17 août 2024

Journapalm 1825

Regarder des athlètes courir à la télévision le fatiguait.
Regarder des juges prononcer une sentence le fatiguait.
Regarder des toréadors entre des cornes le fatiguait.
Regarder des cyclistes grimper les Pyrénées le fatiguait.
Regarder des ouvriers couler du béton le fatiguait.
Regarder des pigeons s’envoler au parc le fatiguait.
Regarder des chevaux galoper dans l’herbe le fatiguait.
Regarder des tramways circuler en ville le fatiguait.
Regarder des chalutiers quitter le port le fatiguait.
Las, il se creva les yeux mais il découvrit qu’imaginer les choses autour de lui le fatiguait plus encore.

vendredi 16 août 2024

Journapalm 1824

Elle ne croit pas en la transmigration des âmes. Pourtant elle a lu l’intégrale des œuvres de Philip K.Dick, exégèse incluse. Il pensait que cela faisait d’elle quelqu’un de très spécial et qu’à ce titre, elle méritait le détour. Puis il réalisa que les amateurs de Dick n’étaient pas tous détraqués – pas davantage que la moyenne des gens. Alors il l’a quittée en lui écrivant une lettre de rupture au dos d’un roman de Dick.

jeudi 15 août 2024

Journapalm 1823

Tu iras peut-être là, un jour, tu n’en sais rien. Dix mille aurores tout au plus, ça t’en laisse un peu pour visiter ce morceau de terre déserte. La plage en novembre t’offrira la consolation d’un crépuscule qui vient bien avant l’heure de rentrer. Alors tu resteras là plus longtemps que nécessaire, juste de quoi éviter les regrets mais pas les remords, à contempler les silhouettes des fantômes dans les embruns, en te demandant où sont passés ces dix mille jours.

mercredi 14 août 2024

Journapalm 1822

La maison restera muette, ses fenêtres fermées ne laisseront plus pénétrer la lumière du jour. Alors s’animera le théâtre des souvenirs dans l’intimité du silence et de l’obscurité. Ce sera un point sombre auquel tu penseras comme à un quasar ou à une étoile lointaine, ton Proxima et ton Centaure, dans l’ordre que tu préfères. La maison à la croisée des chemins que l’on fermera et dont la respiration continuera pourtant de te hanter comme le cri d’une baleine au large des îles Kerguelen.

mardi 13 août 2024

Journapalm 1821

Sa mère pensait que surnommer son fils Crapaud ne nuirait pas à son épanouissement lorsqu’il traverserait les chaos de l’adolescence. Quand elle découvrit le corps de Crapaud raide et lisse sur le bord de la route, après le passage d’un semi-remorque à la sortie de l’école, elle réalisa son erreur.

lundi 12 août 2024

Journapalm 1820

Elle nourrit une tendresse pour les écureuils et les rouges-gorges, tout ce qui lui rappelle l’automne dans son New Jersey natal et qu’elle peut déguster en brochette ou flambé à l’Armagnac ; c’est bien cela la preuve irréfutable du succès de son intégration en Gascogne.

dimanche 11 août 2024

Journapalm 1819

L’homme en blanc lui a tendu un verre d’alcool fort. Il affichait un visage bouffi et déformé par des années de boisson et de drogues récréatives. Elle a alors ressenti une impression de déjà-vu et quand l’homme est tombé raide mort à ses pieds, elle a levé les yeux en plafond en poussant un soupir. L’homme se relèverait bientôt, tout autant mort que vivant puis il lui sortirait le discours habituel des dragueurs lourdingues. Mais elle ne tenait pas à connaître son avis sur la métempsychose.

samedi 10 août 2024

Journapalm 1818

Quand on demande aux élèves
ce dont ils se souviennent
du lac et de ses alentours
les regards s’abîment
trigonométrie aiguë
la température monte
l’odeur du cuir chaud
et la transpiration
c’est comme le vélo
ça ne s’oublie pas
en revanche le lac et ses créatures
ont disparu dans un trou de souris
au fond de la classe
déshydratation continue
du sable dans les veines
des cerveaux limon
technocratie de demain
sans lac sans peau sans pluie
sans bec sans cœur sans plumes.

vendredi 9 août 2024

Journapalm 1817

Parfois elle reste immobile
saisie derrière sa fenêtre
immergée dedans à observer
les couleurs du jour nouveau
avec sur le visage un air étonné
comme si elle n’y croyait pas et toi
t’as rien d’autre à lui dire
que des choses simples parce que
l’aurore n’a pas besoin d’explication
c’est un de ces trucs qui se suffisent
à eux-mêmes comme
les lueurs du petit matin
en tenue de combat alors
finis ton café ça va passer.

jeudi 8 août 2024

Journapalm 1816

Assis derrière le bureau, là où le vieux autrefois créait, il pense aux odeurs et aux couleurs des papiers incinérés dans la poubelle métallique encore déformée des stigmates des minuscules incendies et déformée par les vestiges d’une existence consumée.
Il reste assis à son tour, il essaye de se trouver du courage, de s’inventer une signature, il exécute des gestes amples du poignet sur la feuille à petits carreaux pour s’inventer quelque chose à lui et qu’il ne doive pas tout à fait au vieux qui a tiré sa révérence.

mercredi 7 août 2024

Journapalm 1815

Les chiens ne font pas des
chats échaudés craignent l’eau froide
surtout les barils de rhum que transportent
les Saint-Bernard sous leur encolure comme
un crucifix liquide protégé
par un suaire de bois
précieux liquide pour requinquer les âmes
et délivrer les esprits
d’une ivresse l’autre
altitude de profundis !
et l’auteur confit d’alcool rêve
de réincarnation en Saint-Bernard imberbe
siégeant à la droite de la Divine Bouteille
sur l’autel béni.

mardi 6 août 2024

Journapalm 1814

Dans le secret des commanderies on chuchotait et on intriguait sans penser qu’il serait opportun de répandre la nouvelle.
Ils sont arrivés après la signature de l’armistice dont l’information n’avait pas été annoncée. Arborant des gilets pare-balles désuets et des ceintures de munitions obsolètes.
Dès qu’ils eurent posé un pied sur le champ de bataille, leurs corps furent déchiquetés par les mitrailleuses ennemies. Pendant ce temps à la commanderie, on s’offrait une seconde tournée d’Armagnac.

lundi 5 août 2024

Journapalm 1813

Beaucoup de gens d’ici ne jurent que par ce croque-mort. Ils insistent pour que ce soit cet homme, et nul autre, qui préside à la mise en terre de leurs chers disparus.
Lorsqu’il officie entre les stèles, il dissimule sous des chemises sombres ses bras tatoués de dessins chinois réalisés par un grand maître oriental que l’on dit centenaire.
Mais d’après la vieille qui refuse de mourir et qui vit au bout de la rue, les défunts aiment les histoires de fantômes asiatiques que leur murmure à l’oreille le croque-mort avant de refermer le tombeau.

dimanche 4 août 2024

Journapalm 1812

Agissant sous l’influence d’un amour inconsidéré pour les humanités, ses parents le prénommèrent Scholastique. Les cruautés scolaires le surnommèrent Élastique puis Élastoc. Puisant l’énergie de sa résistance à la moquerie dans un caractère intrépide, Scholastique multiplia les défis à la gravité et les escalades vertigineuses tout au long de l’adolescence. Devenu adulte, Scholastique fut champion de saut à l’élastique et fit fortune dans un cirque itinérant où il énumérait les décimales de pi, la tête à l’envers.

samedi 3 août 2024

Journapalm 1811

Robert, d’origine irlandaise et installé dans le Périgord depuis quinze ans, passait pour un original auprès des locaux depuis qu’il avait ouvert un cabinet de psychiatrie canine. La population fataliste et débonnaire ne lui en tenait toutefois pas rigueur jusqu’au jour où quelqu’un surprit Robert à servir des gamelles d’Armagnac à ses patients quadrupèdes. Poursuivi en juste par les associations de protection des animaux, Robert s’enfuit à Dublin où il prit la direction de la fourrière.

vendredi 2 août 2024

Journapalm 1810

L’homme qui a vu l’ours qui a mangé le miel de l’abeille qui a vu la fleur de lavande cultivée par le paysan qui a vu sa femme dans les bras de l’apiculteur qui a volé un pot de crayons au dessinateur qui a vu l’ours manger tout son miel a décidé de ne rien dire à la gendarmerie car même si l’infidélité est désormais un crime capital, aucun gendarme ne réussira jamais à expliquer la situation de façon claire dans un rapport circonstancié.

jeudi 1 août 2024

Journapalm 1809

On leur a dit qu’après le déménagement dans leurs nouveaux bureaux ultra-modernes du centre-ville, ils devraient abandonner la personnalisation de leur espace de travail. Fini le cadre photo avec les clichés des enfants ou du chien, fini le bonsaï dans son pot, fini les cartes postales de voyages. Quant à Mireille de la comptabilité, on ne sait pas vraiment comment lui dire que les photographies de cimetières ne sont pas davantage tolérées. Mais elle est performante et dit qu’avoir sous les yeux ses perspectives d’avenir la rassure.