lundi 10 décembre 2018

Lecture : Richard Brautigan - Le monstre des Hawkline

Richard Brautigan est une preuve du pouvoir de la littérature. D'un point de vue objectif et rationnel, ses livres sont souvent mal gaulés sur le plan formel, erratiques, mal équilibrés mais toujours très bien traduits (normal c'est Brice Matthieussent qui opère). 
Pourtant, à chaque bouquin de lui que je lis - ou plutôt que je relis depuis quelques années - je suis emporté par un enthousiasme débridé. C'est à l'occasion de la nouvelle édition dans la collection "Titres" des éditions Bourgois que je me suis offert la relecture de son "Monstre des Hawkline". Et une nouvelle fois je me suis replongé dans son univers décalé, poétique et foutraque avec le même plaisir. Malgré l'effet de surprise de la découverte qui s'est envolé depuis longtemps déjà. 

Avant de déconstruire le polar dans l'excellent "Un privé à Babylone" trois ans plus tard, Brautigan s'attaque au western dans "Le monstre des Hawkline" en 1974. On y retrouve l'univers déjanté du poète beat c'est à dire ces situations loufoques et ses phrases qui poussent comme des roses trémières sur un périphérique urbain. Ce qu'on aime chez lui, ce sont ces personnages qui n'entrent pas dans les cases et ce style inimitable. Des héros qui n'en sont pas, comme ces deux cow-boys chasseurs de primes qui sont engagés par Magic Child et Miss Hawkline pour les débarrasser d'un étrange monstre vivant sous leur maison. 

Comme souvent chez Brautigan, le début du roman est très réussi. Le lecteur est immédiatement capté dans ses filets, relâchés et étranges, comme un monde enfanté dans les émanations de la marijuana. La suite est parfois un peu plus discutable, l'auteur se perd un peu dans les explications parfois vraiment perchées sur la présence du monstre sous le plancher de Miss Hawkline. Et c'est peut être révélateur d'un certain inconfort de Brautigan à expliquer l'inexplicable, pourquoi pas y voir une tentative de justifier ce qui n'a pas à l'être, comme sa vie elle-même qu'il chercha à expliquer sans y parvenir. Bref, la suite souffre de quelques atermoiements coupables mais le style est toujours là, avec au détour d'un paragraphe un peu discutable une de ces phrases dont il a le secret : "Puis le monstre des Hawkline se coula jusqu'en haut de l'escalier, comme une chute d'eau à l'envers

Extrait
Ils étaient tapis avec leurs carabines dans le champ d’ananas et regardaient un homme donner à son fils une leçon d’équitation. Cela se passait à Hawaii en 1902.
Ils n’avaient rien dit depuis un long moment. Ils restaient simplement accroupis là à épier l’homme, l’enfant et le cheval. Et ce qu’ils voyaient ne leur plaisait pas.
- Je ne peux pas, dit Greer.
- Quelle déveine ! dit Cameron.
- Je ne peux pas tuer un homme en train de donner à son fils une leçon d’équitation. Ce n’est pas dans ma nature, dit Greer.
Greer et Cameron se sentaient dépaysés au milieu de ce champ d’ananas. Hawaii ne leur convenait guère. Tous deux portaient des vêtements de cow-boy qui évoquaient l’Oregon de l’est

Richard Brautigan - Le monstre des Hawkline (Bourgois) 208 pages, 7 €

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