Avec Alabama Song, Gilles Leroy a remporté le Prix Goncourt 2007, année mémorable puisque il s'agit de l'année de naissance de ma fille...
Ce court roman (moins de 200 pages) paru au Mercure de France est une biographie fictive de Zelda Fitzgerald, fille de juge d'Alabama devenue égérie de Francis Scott Fitzgerald et l'autre face du couple mythique qu'ils formèrent dans les années folles. Un destin hors du commun, profondément romanesque, qui ne pouvait laisser indifférent un romancier passionné de littérature américaine tel que Leroy.
La notion de biographie fictive c'est... épatant, comme dirait d'Ormesson. Du moment que c'est fictif, on peut mélanger la réalité historique avec des bouts de réalités tierces, éparses. Et aboutir à quelque chose d'autre, une sorte de mutation du réel qui a peut être quelque chose à voir avec les propres démons de l'auteur, ses envies, ses rêves... J'avoue que l'exercice présente un caractère excitant pour un auteur; c'est un terrain de nouvelles expérimentations d'apparence très riche.
Pour en revenir à Alabama Song, Leroy va même plus loin que la biographie puisqu'il s'immisce dans la peau et dans le personnage de Zelda. Il le fait d'ailleurs avec un talent certain, tout en subtilités et en finesse. Zelda est, comme on pouvait s'y attendre, présentée comme un être fragile et peu ménagé par les secousses de la vie. Un être trop souvent réduite à "femme de", un état qui la bride mais dont elle ne peut se résoudre à échapper. Un destin romanesque dans une époque de mille fantasmes. Avec une écriture à la fois classieuse et efficace, Leroy signe un bouquin bien foutu, agréable et qui invite à la rêverie.
Extrait :
"Hier, la nuit, nous avons tellement ri et dîné de si bonne humeur, la compagnie était merveilleuse et il fallut danser... Hélas, dans mes chaussons de satin, ça saigne et s'écrabouille. Mon destin fait des siennes, et le maigre espoir se fait nouille. Certains disent que je l'ai cherchée, que j'ai voulu et fomenté ma déchéance. Les imbéciles! Je me souviens des nuits au camp Sheridan, où je dansais jusqu'à ne plus sentir sous mes pieds que la brûlure du cuir frotté au parquet de la piste. J'ôtais mes escarpins et je continuais pieds nus. Les aviateurs applaudissaient, et les mécanos, et les radios, et les aiguilleurs. Mes jupes tourbillonnaient, et, d'un doigt brandi ou d'une grimace de la bouche, je reproduisais des signes de garçons que je ne comprenais pas. J'étais la jeune putain, la petite salope bourgeoise de Montgomery, la miss Alabama des casernes et des prisons. Et je n'en savais rien. Qui condamnera ? Qui dira qu'on est pas bien dans les bras d'un homme, entre ces bras enveloppants d'un garçon si doux, si sérieux, qui part à cette absurdité de guerre ? On voudrait tant les chasser, ceux qui gênent, toutes ces gueules cassées qu'on croise dans les métros et les coupe-gorge de Paris, toutes ces gueules illisibles sous les coutures et les raccords plastiques. Leur difformité physique est le reflet de notre monstruosité morale."
"Hier, la nuit, nous avons tellement ri et dîné de si bonne humeur, la compagnie était merveilleuse et il fallut danser... Hélas, dans mes chaussons de satin, ça saigne et s'écrabouille. Mon destin fait des siennes, et le maigre espoir se fait nouille. Certains disent que je l'ai cherchée, que j'ai voulu et fomenté ma déchéance. Les imbéciles! Je me souviens des nuits au camp Sheridan, où je dansais jusqu'à ne plus sentir sous mes pieds que la brûlure du cuir frotté au parquet de la piste. J'ôtais mes escarpins et je continuais pieds nus. Les aviateurs applaudissaient, et les mécanos, et les radios, et les aiguilleurs. Mes jupes tourbillonnaient, et, d'un doigt brandi ou d'une grimace de la bouche, je reproduisais des signes de garçons que je ne comprenais pas. J'étais la jeune putain, la petite salope bourgeoise de Montgomery, la miss Alabama des casernes et des prisons. Et je n'en savais rien. Qui condamnera ? Qui dira qu'on est pas bien dans les bras d'un homme, entre ces bras enveloppants d'un garçon si doux, si sérieux, qui part à cette absurdité de guerre ? On voudrait tant les chasser, ceux qui gênent, toutes ces gueules cassées qu'on croise dans les métros et les coupe-gorge de Paris, toutes ces gueules illisibles sous les coutures et les raccords plastiques. Leur difformité physique est le reflet de notre monstruosité morale."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire